LVIII
De l’idolâtrie et des erreurs des Tartares.


Les Tartares adorent pour Dieu une certaine divinité qu’ils se sont forgée eux-mêmes, qu’ils appellent Natagai. Ils croient qu’il est le Dieu de la terre et qu’il prend soin d’eux, de leurs enfants, de leurs troupeaux et des fruits de la terre. Ils ont ce Dieu en grande vénération, et il n’y en a point qui n’ait dans sa maison son image. Et parce qu’ils croient que Natagai a une femme et des enfants, ils mettent auprès de son image de petites représentations de femmes et d’enfants, à savoir l’image d’une femme à sa gauche, et des images d’enfants devant la face de l’idole. Ils portent beaucoup de respect à ces idoles, surtout avant le dîner et avant le souper, car alors avant de manger ils oignent la bouche de leurs images de la graisse des viandes qui sont sur la table et en mettent une partie en dehors de la maison à leur honneur, croyant que leurs dieux vont manger leur offrande. Après quoi ils mangent le surplus. Si un Tartare perd un fils qui n’ait jamais été marié et qu’il meure en même temps une fille à un autre, les parents de l’un et de l’autre s’assemblent et font le mariage des deux morts ; après avoir dressé le contrat, ils peignent le garçon et la fille sur un papier, et, après avoir réuni quelque argent et quelques ustensiles et meubles, ils font brûler le tout, croyant fermement que les morts sont mariés ensemble en l’autre monde. Ils font aussi en cette occasion de grands festins, dont ils répandent une partie du manger par terre çà et là, croyant que les mariés y participent et mangent ce qui a été répandu. C’est pourquoi les parents sont aussi persuadés de la réalité de ce mariage que s’il avait été fait pendant la vie de l’un et de l’autre.