XLVII
De la province de Chinchinthalas.


Après la province de Camul on trouve celle de Chinchinthalas[1], qui est bornée au septentrion par un désert, et peut avoir en longueur environ seize journées de chemin ; elle est sujette du Grand Khan ; elle comprend plusieurs villes et beaucoup de châteaux. Le peuple est divisé en trois sectes : il y a peu de chrétiens, qui sont nestoriens ; les autres sont mahométans ou idolâtres. Il y a dans cette province une montagne où l’on trouve des mines d’acier et d’audanic, de même des salamandres[2], dont on fait des étoffes lesquelles étant jetées dans le feu ne sauraient être brûlées. Cette étoffe se fait de terre, de la manière que je vais dire, et que j’ai apprise d’un de mes compagnons, nommé Curficar, de la province de Turchie, homme de beaucoup d’esprit et qui a eu le commandement des mines d’où on les tire en cette province-là. On trouve sur cette montagne certaine mine de terre, qui produit des filets ayant aspect de laine, lesquels étant desséchés au soleil sont pilés dans un mortier de cuivre ; ensuite on les lave, ce qui emporte toute la terre ; enfin ces filets ainsi lavés et purifiés sont filés comme de la laine, et ensuite on en fait des étoffes. Et quand ils veulent blanchir ces étoffes, ils les mettent dans le feu pendant une heure ; après cela elles en sortent blanches comme neige et sans être aucunement endommagées. C’est de cette manière aussi qu’ils ôtent les taches sur ces étoffes, car elles sortent du feu sans aucune souillure. À l’égard du serpent (ou lézard) nommé salamandre, que l’on dit qu’il vit dans le feu, je n’ai pu rien apprendre dans les pays orientaux. On dit qu’il y a à Rome une nappe d’étoffe de salamandre, où le suaire de Notre Seigneur est enveloppé, de laquelle un certain roi des Tartares a fait présent au souverain pontife.

  1. Saï-gin-tala dans la province de Thian-chan-pé-lou. (P.)
  2. Il s’agit ici de l’amiante ou asbeste, qui, chacun le sait, est une matière minérale filamenteuse, qui peut se filer et se tisser comme le chanvre, le coton ou la laine. L’amiante, qui résiste au feu, doit à cette particularité le nom que lui donne ici Marco Polo, par analogie avec l’animal légendaire qui disait-on, vivait dans les flammes.