XLV
De la ville de Sachion et de la coutume qu’on observe de brûler les corps morts.


Après avoir traversé le désert on vient à la ville de Sachion[1], qui est à l’entrée de la grande province de Tanguin, dont les habitants sont idolâtres, quoiqu’il s’y trouve quelques chrétiens nestoriens ; ils ont un langage particulier. Les habitants de cette ville ne s’adonnent point au négoce, mais vivent des fruits que la terre produit. Il y a plusieurs temples consacrés aux idoles, où l’on offre des sacrifices aux démons, qui sont fort honorés par le commun peuple. Quand il naît un fils à quelqu’un, aussitôt il le voue à quelque idole et nourrit pendant cette année-là un bélier dans sa maison, lequel il présente avec son fils au bout de l’an à cette idole, ce qui se pratique avec beaucoup de cérémonies et de révérence. Après cela on fait cuire le mouton et on le présente encore à l’idole, et il demeure sur l’autel jusqu’à ce qu’ils aient achevé leurs infâmes prières suivant la coutume ; surtout le père de l’enfant prie l’idole avec beaucoup d’instance de conserver son fils, qu’il lui a dédié. Au reste, voici comme ils en usent à l’égard des morts : les plus proches du mort ont soin de faire brûler les corps, ce qui se fait en cette manière : premièrement ils consultent les astrologues pour savoir quand il faut jeter les corps au feu ; alors ces fourbes s’informent du mois, du jour et de l’heure que le mort est venu au monde, et, ayant regardé sous quelle constellation, ils désignent le jour qu’on doit brûler le corps. Il y en à d’autres qui gardent le mort pendant quelques jours, quelquefois jusqu’à sept jours, et même jusqu’à un mois ; quelques-uns le gardent pendant six mois, lui faisant une demeure dans leur maison, dont ils bouchent toutes les ouvertures si adroitement qu’on ne sent aucune puanteur. Ils embaument le corps avec des parfums et couvrent la niche, qu’ils ont auparavant peinte et enjolivée de quelque étoffe précieuse. Pendant que le cadavre est à la maison, tous les jours à l’heure du dîner on met la table près de la niche, qui est servie de viandes et de vin ; laquelle reste ainsi dressée pendant une heure, parce qu’ils croient que l’âme du mort mange de ce qui a été ainsi servi. Et quand on doit transférer le corps, les astrologues sont de nouveau consultés pour savoir par quelle porte on doit le faire sortir : car si quelque porte du logis se trouvait avoir été bâtie sous quelque influence maligne, ils disent qu’on ne doit pas s’en servir pour faire passer le corps, et ils en indiquent une autre, ou ils en font faire une autre. Or pendant qu’on fait le convoi par la ville, on dresse dans le chemin des échafauds, qui sont couverts d’étoffés d’or et de soie ; et quand le cadavre passe, ils répandent par terre d’excellent vin et des viandes exquises, s’imaginant que le mort s’en réjouit dans l’autre monde. Des concerts de musique et d’instruments précèdent le convoi ; et lorsqu’on est arrivé au lieu où le corps doit être brûlé, ils désignent et peignent sur des feuilles de papier diverses figures d’hommes et de femmes, et même de plusieurs pièces de monnaie ; toutes lesquelles choses sont brûlées avec le corps. Ils prétendent en cela que le mort aura en l’autre monde en réalité tout ce qui était peint sur ces papiers, et qu’il vivra avec cela heureux et honoré éternellement. La plupart des païens observent cette superstition en Orient, lorsqu’ils brûlent les corps de leurs morts.

  1. Cha-tchéou, dans la province de Tanghout, aujourd’hui Tangh-Chou.