Le Deuxième congrès de la chambre de commerce internationale
La Chambre de commerce internationale vient de tenir à Rome, du 16 au 25 mars, son deuxième Congrès. Ses résolutions ont pris une exceptionnelle importance par le fait de l’influence qu’elles peuvent exercer sur l’orientation de la politique américaine à l’égard des grands problèmes européens ; aussi méritent-elles d’être connues et commentées, loin de la pompe des réceptions officielles et de la chaleur des banquets romains, afin d’en dégager la haute portée et les espérances.
Rappelons tout d’abord que la Chambre de commerce internationale est issue d’une Conférence interalliée, réunie, en 1919, aux États-Unis, à Atlantic-City. Ses 18 comités nationaux comprennent non pas des éléments officiels, politiques ou administratifs, mais une élite de commerçants, d’industriels et de financiers dans chacun des pays représentés.
Cette Institution offre encore cette particularité, c’est qu’étant américaine d’origine, les Américains y sont de beaucoup les plus nombreux. Ils se considèrent même comme étant là un peu chez eux, dans le milieu d’hommes d’affaires qui leur convient pour discuter non seulement les grandes questions économiques, mais encore celles concernant particulièrement l’Europe, et dans lesquelles leur Gouvernement ne désire pas intervenir, du moins officiellement. Ils n’admettent pas que leur pays prenne figure de créancier, sans étudier, en même temps, les moyens de nous venir en aide, et ils agissent en ce sens par un intérêt bien compris, sachant qu’un grand pays exportateur comme les États-Unis ne peut vivre dans l’isolement. Aussi est-ce avec empressement qu’ils saisissent l’occasion de ces Congrès dans un double dessein : faire l’éducation du peuple américain pour le mettre en contact plus étroit avec les problèmes internationaux, et influer sur les décisions du Gouvernement, en opposant la conception des hommes d’affaires à celle des hommes politiques.
Si l’on considère que les États-Unis ne font pas partie de la Société des Nations, ni du Conseil suprême, ni de la Commission des réparations où ils n’ont qu’un observateur, on comprend alors les avantages que présente un Congrès de la Chambre de commerce internationale, qui nous fait connaître, d’une façon très autorisée, le point de( vue américain sur la restauration du commerce mondial.
Le Congrès a été ouvert par un discours de M. Benito Mussolini, et ce n’était pas là l’un des moindres attraits de la séance inaugurale. L’attente n’a pas été déçue, car M. Mussolini, que l’on pouvait croire un peu dédaigneux des anciennes formes conservatrices, nous a présenté dans les termes suivants, un programme classique de gouvernement en matière économique :
Je crois que l’État doit renoncer aux fonctions économiques, surtout à celles ayant un caractère de monopole, pour lesquelles il est insuffisant.
Je crois qu’un Gouvernement qui se propose de soulager rapidement les populations de la crise survenue après la guerre, doit laisser à l’initiative privée le maximum de liberté d’action et renoncer à toute législation d’intervention et d’entrave, qui peut sans doute satisfaire la démagogie des parlementaires de gauche, mais qui, comme l’expérience l’a démontré, n’aboutit qu’à être absolument pernicieuse aux intérêts et au développement de l’économie. Il est temps de délivrer toutes les nations des derniers restes de ce qu’on a appelé le « harnais de guerre, » et il est temps de procéder à l’examen des problèmes économiques en se départant de cet état d’esprit voilé par les passions qui était la règle pendant la guerre.
Je ne crois pas que cet ensemble de forces qui, dans les industries, dans l’agriculture, dans le commerce, dans les banques, dans les transports, peut être appelé du nom global de capitalisme, soit proche du déclin, comme certains théoriciens de l’extrémisme social se plaisent à l’affirmer depuis longtemps. L’expérience qui vient de se dérouler sous nos yeux et qui est une des plus grandes de l’Histoire prouve d’une manière éclatante que tous les systèmes d’économie soi-disant associée, en négligeant la libre initiative et les ressorts individuels, sont voués à une faillite plus ou moins lamentable.
Mais la libre initiative n’exclut pas l’accord des groupes, d’autant plus facile que la défense des intérêts individuels est faite loyalement. C’est justement ce programme de recherches, d’équilibre, de conciliation que la Chambre de commerce internationale poursuit. Il est hors de doute que les Gouvernements, le mien en premier lieu, examineront avec la plus grande attention les délibérations qui seront prises pendant les travaux de votre imposant et important Congrès, et en tiendront le compte qu’elles méritent.
Le Congrès s’est divisé eu trois sections : Finances, Industrie et Commerce, Transports. Quel que soit l’intérêt de sujets tels que le traitement équitable du commerce en ce qui concerne les formalités douanières, l’amélioration des communications par chemins de fer, la protection de la propriété commerciale et industrielle, et surtout l’organisation de l’arbitrage, c’est sur les délibérations du groupe « Finances » que l’attention a été particulièrement attirée : là en effet devaient être étudiées, par leur côté international, quelques-unes des questions dont le monde attend le plus impatiemment la solution.
La délégation américaine comprenait plus de 200 membres présents, parmi lesquels on peut citer des personnalités de haute compétence, telles que M. Willis H. Booth, vice-président de l’un des grands établissements financiers de New York, M. Fred Kent, vice-président de la Bankers Trust Cie, John Fahey, ancien président de la Chambre de commerce des États-Unis, et Julius Barnes, président actuel de cette vaste institution groupant près de 1 200 Chambres de commerce [1].
L’Angleterre avait envoyé deux de ses plus éminents financiers, Dr Walter Leaf, président de la London Counly Westminster and Parr’s Bank, et Sir Felix Schuster, représentant l’Association des Banquiers anglais. La France, la Belgique, la Hollande, la Suisse, les Pays Scandinaves, les nouveaux États de l’Europe centrale et orientale avaient joint leurs délégués à ceux plus nombreux de l’Italie.
L’ordre du jour portait : 1o l’exposé de la situation économique et financière des divers États ; 2o l’étude des mesures nécessaires à la restauration du Commerce international (Dettes interalliées, Réparations, Crédits internationaux, Change).
On comprendra, qu’au lieu de nous perdre dans les brumes de la restauration européenne, nous préférions nous limiter à l’étude de ce qui concerne plus directement notre pays.
Retenons cependant cette grande vérité, qui s’est imposée avec force dans les délibérations du Groupe « Finances. » Toutes les questions de reconstitution économique sont d’ordre international, c’est-à-dire ne concernent pas seulement les nations engagées dans la guerre et subissant lourdement ses conséquences. Il n’y a aujourd’hui de situation privilégiée pour aucun peuple, mais interdépendance au point de vue d’un retour aux conditions normales de prospérité. Telle est la grande et salutaire leçon que l’on peut tirer de cette enquête sur la situation des principaux pays étrangers. Nul d’entre eux, quelles que soient ses ressources, ne peut rester dans l’isolement ; le plus riche a besoin d’un moins riche que lui, car c’est seulement par une entraide économique et financière des grandes contrées productrices à celles qui ont un pouvoir de consommation, mais sont privées de moyens de paiement à l’étranger, que l’équilibre des échanges sera graduellement rétabli.
Les séances du Congrès n’auraient pas dépassé en intérêt celui des autres réunions du même ordre, si un débat de première importance n’était venu transformer l’une de ses résolutions en une véritable manifestation internationale, établissant, dans une solennelle déclaration de principes, quelles doivent être les bases de la reconstruction économique de l’Europe.
Le mérite de cette initiative revient à la délégation des États-Unis, qui n’a pas hésité à évoquer les deux grandes questions des réparations et des dettes interalliées, en insistant sur le fait qu’elles dominent aujourd’hui toutes les autres, lorsqu’on inscrit à l’ordre du jour l’étude des mesures propres au rétablissement du commerce international,
Pour comprendre la pensée inspiratrice de cette résolution, il faut se reporter tout d’abord au discours de M. Fred Kent, qui a été le porte-parole très autorisé de la délégation américaine, en nous montrant qu’aux États-Unis toute une partie de l’opinion, et non la moindre, possède une claire vision des problèmes européens, dans leur rapport avec l’intérêt américain. Ces voix se font entendre dans les conseils gouvernementaux, parce que l’heure est venue où les problèmes doivent être considérés sous leur aspect commercial, suivant la conception même du Président Harding, auquel nous devons cette belle formule : « More business in government and less government in business. » « Un plus grand sens des affaires dans le gouvernement, et moins de gouvernement dans les affaires. »
Après avoir constaté que la Chambre de commerce est précisément le milieu le plus favorable pour répandre ces saines idées, M. Kent expose comment il comprend la participation américaine dans les affaires européennes, qui ne doit procéder ni d’un intérêt purement égoïste, ni d’un sentiment exclusivement philanthropique, mais rester sur le terrain pratique.
Si la prospérité de l’Amérique n’était, en aucune manière, dépendante de celle de l’Europe, cette intervention serait sans raison ; mais telle n’est point la situation, notamment dans les centres agricoles où les fermiers américains commencent à entrevoir l’avantage qu’ils auraient à développer leurs rapports avec une Europe, dont le pouvoir d’achat aux Etats-Unis aurait été normalement rétabli. Puisque l’Amérique ne peut s’affranchir des conséquences qui résultent pour elle de l’état chaotique de l’Europe, il semble donc assez naturel qu’elle entre en collaboration avec les nations intéressées, afin d’établir, pour le bien commun, un plan de restauration.
Envisageant tout d’abord la question des dettes interalliées qui est au premier plan des préoccupations américaines, M. Kent émet l’opinion suivante :
Si, dit-il, une partie de ces dettes pouvait être supprimée sous certaines conditions susceptibles de placer l’Europe sur de sérieuses bases économiques, la restauration du pouvoir d’achat des nations européennes serait grandement activée et le revenu national de l’Amérique augmenterait.
Si l’accroissement de ce revenu national, après déduction de tous les impôts nécessaires à couvrir la portion des dettes alliées annulées, était plus grand du fait de l’augmentation du pouvoir d’achat de l’Europe, survenu par suite de cette annulation, le peuple des États-Unis deviendrait plus riche du fait de cette opération.
Il ne semble pas douteux que tout le monde aux États-Unis voterait l’annulation d’une partie des dettes interalliées si de ce fait pouvait découler une augmentation du revenu national en même temps qu’une paix économique et un bonheur plus grand pour tous les peuples.
Dans le même temps où des négociations seraient entamées en vue de l’établissement d’un compromis relatif à une partie des dettes interalliées et de conventions susceptibles de constituer pour l’Europe une meilleure garantie d’accroissement de la prospérité générale, des engagements positifs devraient intervenir entre les Alliés et l’Allemagne, relativement aux réparations.
En évoquant cette question dont il admet l’étroite liaison avec celle des dettes interalliées, M. Kent n’écarte point la perspective d’un emprunt allemand aux Etats-Unis, pour faciliter, sous certaines conditions, le règlement dos réparations. Il nous soumet, à ce sujet, des vues intéressantes, dont la presse a fait d’amples commentaires et qui méritent d’être connues dans leur texte authentique :
Aucun emprunt ne saurait être émis en ce moment aux États-Unis pour le compte de l’Allemagne et il est probable qu’une émission de ce genre ne pourrait être placée en Amérique avant plusieurs années si elle ne devait prendre rang qu’après les réparations. Aucun emprunt auquel les États-Unis seraient intéressés et qui aurait la priorité sur les réparations ne saurait être consenti à l’Allemagne, à moins que les Alliés ne le désirent, et avec leur plein assentiment. Si un prêt était accordé à l’Allemagne sur cette dernière base, c’est-à-dire contre un engagement de sa part relativement au paiement des réparations, et entouré de toutes les garanties nécessaires pour cet emprunt, tout manquement à cet engagement détruirait son crédit pour les générations à venir. Ce fait apporterait aux conventions une force plus grande que celle des clauses mêmes des traités, car toute l’Allemagne industrielle et commerciale s’opposerait à toute mesure qui pourrait détruire son crédit extérieur, tandis qu’une mauvaise politique pourrait, au contraire, aisément provoquer la rupture de tous les traités. Un prêt consenti à l’Allemagne, d’une importance suffisante pour lui faciliter la restauration de sa situation économique, sur des bases solides lui permettant de progresser dans la voie du paiement des réparations, prêt qui serait consenti avant le paiement des dites réparations, pourrait positivement produire de bons résultats au sein d’une Europe redevenue stable. Si cet emprunt. était fait à la demande et au bénéfice des pays alliés de l’Europe, il pourrait sans aucun doute être placé aux États-Unis.
M. Kent voit nettement les difficultés d’aboutir ; mais en même temps il indique les moyens de les surmonter. Il reconnaît qu’il n’existe aujourd’hui, dans le Gouvernement américain, aucune autorité susceptible d’engager des négociations avec les nations directement intéressées. Seul le Congrès aurait le pouvoir de donner les autorisations et les instructions nécessaires à l’Administration pour agir dans le sens indiqué. Mais le Congrès, dit-il, est au service du peuple américain, lorsque celui-ci manifeste sa volonté. Il est certain que si l’opinion publique aux Etats-Unis acceptait l’idée de la coopération avec les pays européens pour la reprise des affaires et du commerce mondial, en vue du plus grand bien de toutes les nations, ce fait aurait pour résultat d’amener personnellement les membres du futur Congrès à se rallier à cette opinion, avant la réunion de cette Assemblée en décembre prochain, permettant ainsi à l’Administration d’entreprendre des négociations dont elle serait assurée d’obtenir ultérieurement la ratification.
Passant de la théorie à l’action, M. Kent invite les hommes d’affaires de tous les pays à s’attacher fortement à la mise en mouvement d’un plan constructif d’où pourrait sortir enfin la paix du monde. Quant aux Etats-Unis, il nous fait connaître l’existence d’un puissant groupement qui, s’il approuve la pensée de ce plan, est susceptible de le promouvoir en le portant dans les coins les plus reculés du pays. Il comprend les représentants des grandes sociétés agricoles, de la Chambre de commerce des États-Unis, avec ses nombreuses ramifications, de l’American Bankers Association, qui compte vingt-trois mille banques et banquiers, de nombreuses sociétés industrielles et manufacturières, ainsi que des délégués de toutes les entreprises, d’exportation et d’importation. C’est une véritable armée qui se lève pour intervenir activement dans la politique économique du Gouvernement.
Jamais nous ne nous sommes trouvés en face d’une conception aussi nette et d’une organisation aussi puissante pour préparer les voies d’exécution. Si par la force de l’opinion, l’orientation de la politique américaine peut être ainsi modifiée, il ne nous est pas défendu d’espérer que le salut viendra des États-Unis.
C’est après avoir entendu le discours de M. Fred Kent que le Groupe « Finances » du Congrès de Rome a été mis en face du projet de résolution qui en contient les idées maîtresses, mais dans lequel les délégations des pays alliés avaient fait entrer les principes devant, à leur point de vue, servir de fondement à la restauration du commerce international.
Elaboré par un sous-comité, que présidait M. Willis Booth et qui comprenait les noms suivants : Fred Kent (Etats-Unis), Sir Félix Schuster (Angleterre), Maurice Lewandowski (France), Alberto Pirelli (Italie), Maurice Despret (Belgique), W. Westerman (Hollande), Marcus Wallenberg (Suède), ce projet devait, en quelque sorte, réaliser une conciliation entre la pensée américaine qui l’avait inspiré et le point de vue français qui ne pouvait admettre aucune atteinte à ses droits légitimes, ou aucune discussion des actes de gouvernement. Mais, d’autre part, pour que la résolution prit toute sa valeur, il importait que, sortie d’un Comité de huit membres, elle put obtenir l’accord de tout un Congrès, et c’est là l’œuvre capitale qui, à la dernière séance du Congrès, a été couronnée d’un plein succès.
Cette résolution, qui résumait dans un substantiel raccourci les discussions du comité financier, débute par un exposé des conditions, suivant lesquelles doit s’opérer l’œuvre de la restauration générale.
La Chambre de commerce internationale constate que la persistance du désordre économique dans une grande partie du monde n’est pas seulement un dangereux obstacle à l’établissement d’une paix permanente, à l’élimination du chômage et à la restauration de conditions normales d’existence pour des millions d’hommes, mais renferme en outre la menace de nouvelles conjonctures fâcheuses.
Les problèmes à la base, des troubles économiques actuels sont : a) Réparations ; b) Dettes interalliées ; c) Déséquilibre budgétaire et inflation sans frein ; d) Bouleversement des crédits internationaux ; e) Fluctuations anormales du change.
La Chambre internationale estime qu’il est impossible d’aboutir à des règlements durables sans reconnaître l’interdépendance des différentes parties de l’organisation économique du monde, l’inutilité des remèdes partiels et la nécessité d’examiner dans leur ensemble les questions qui sont liées entre elles.
Ainsi, les États-Unis reconnaissent qu’ils n’ont pas seulement en face d’eux un problème européen, mais que le monde entier est intéressé à sa solution. La mention de l’élimination du chômage montre aussi que l’Amérique et l’Angleterre ne se mettent pas en dehors de cette solidarité.
Sur la question des réparations, voici la déclaration essentielle :
La liquidation du problème des réparations est une condition préalable à l’amélioration durable de l’état économique du monde. Il importe au plus haut point que soient reconnus par le débiteur toute l’étendue et le caractère moral de son obligation, et que restitution et réparation soient faites jusqu’à l’extrême limite de sa capacité en faisant étal de toutes ses ressources tant intérieures qu’extérieures.
Le caractère moral des réparations se trouve ainsi affirmé en face de la faillite frauduleuse organisée par l’Allemagne pour en éviter le paiement. L’obligation de celle-ci doit être reconnue dans son intégralité, et toute idée de réviser son montant a été soigneusement écartée. Enfin, et ceci est le point capital, le débiteur doit s’acquitter pour la restitution et la réparation jusqu’à l’extrême limite de sa capacité, en faisant état de toutes ses ressources, tant intérieures qu’extérieures. Ceci veut dire très nettement qu’il ne faut pas seulement considérer la capacité de paiement du débiteur dans son pays même, mais faire entrer en ligne de compte tous les avoirs allemands à l’étranger, constitués avant, pendant et après la guerre, et dont le montant, se chiffrant par milliards de marks or, représente le plus important élément de ressources liquides. Si le monde entier est empoisonné par le mark papier dont l’exode a été savamment organisé dans un dessein politique, il faut bien reconnaître que la contre-partie de ses ventes se trouve aux mains des Allemands, en bonnes devises étrangères, c’est-à-dire en toute sécurité, puisque cette partie de la fortune publique est hors d’atteinte au point de vue du contrôle ou des impôts.
Mais comment faire rentrer cet actif représenté par des milliards aux mains des Allemands, sur la plupart des places étrangères ? C’est ici que l’occupation de la Ruhr trouve sa pleine justification. En prenant en gage l’une des plus riches régions de l’Allemagne, celle précisément où les industriels ont exécuté en grand ce programme d’évasion, nous exerçons, au point sensible, la pression nécessaire pour réintégrer cet actif dissimulé, dont il doit être fait état par l’Allemagne, lorsqu’il s’agit de fixer l’extrême limite de sa capacité de paiement.
Cette consécration internationale, ainsi donnée à nos droits, et notamment à celui de prendre les mesures qui rendront certain le règlement final des réparations, nous parait, à elle seule, justifier l’intérêt de la résolution du Congrès de Rome, dont l’Allemagne a été la première à comprendre toute la portée. Une évocation de la sécurité des frontières et de la garantie contre toute nouvelle agression, complète cet exposé des conditions nécessaires pour la mise en mouvement des capitaux américains à l’aide desquels pourra s’opérer la restauration économique.
Pour les dettes interalliées, la question est ainsi posée :
S’il est vrai que les dettes alliées issues de la guerre mondiale sont des obligations signées de bonne foi et ne souffrent pas qu’on les répudie, néanmoins, du fait qu’elles ont été contractées pour une cause commune et pendant une période de formidables sacrifices de vies et de biens, un élément d’appréciation pour tout règlement de telles dettes devrait être la capacité présente et future de chaque débiteur. En déterminant la capacité de paiement des nations débitrices, il faudrait raisonnablement tenir compte de l’effet qu’auront sur ses revenus présents et à venir un budget national sain, ainsi que l’économie résultant de la réduction des dépenses militaires excessives, réduction rendue possible grâce à l’établissement assuré de la paix et au règlement des demandes de réparations et de restitution.
Nouvelle expression de cette politique américaine, qui n’admet pas que les dettes interalliées, signées de bonne foi, soient répudiées, mais reconnaît qu’elles doivent faire l’objet d’un équitable ajustement. Cette conception s’impose aujourd’hui avec d’autant plus de force que la capacité de paiement du débiteur, lorsqu’il s’agit de la France, ne peut être admise que dans la mesure où l’ennemi commun exécutera lui-même ses propres engagements. Or, peut-on estimer que la guerre est finie, la paix assurée et la solidarité dissoute, tant que le vaincu n’a pas satisfait au règlement des demandes de réparations et de restitutions ?
Nous passons sur la partie de la résolution dans laquelle est affirmée la nécessité pour chaque nation d’un budget sain, d’une élimination de l’inflation, d’une économie dans les dépenses au lieu de nouvelles émissions de billets ou d’emprunts, excellentes recommandations que ne peuvent malheureusement pas toujours observer les nations qui portent encore le lourd fardeau des dépenses de guerre.
Sur la question du change, le Congrès a reconnu que, si la stabilisation était très désirable en prenant pour base une valeur or, elle ne pouvait cependant être artificielle, mais devait résulter de l’ensemble des mesures prises pour un assainissement progressif de la situation monétaire et budgétaire.
Voici maintenant la conclusion de cet important document :
La Chambre de commerce internationale estime qu’une conférence économique générale des nations qui sont intéressées au règlement définitif de ces problèmes est essentielle et inévitable.
La Chambre de commerce internationale reconnaît pleinement qu’il serait inopportun, à l’heure actuelle, de proposer des suggestions quelconques pour le règlement de la situation qui existe en ce moment entre les Nations alliées et l’Allemagne. Toutefois, estimant qu’au moment voulu, les Gouvernements pourront avoir recours à l’expérience pratique des hommes d’affaires des différents pays, la Chambre internationale convient de se tenir prête à donner aux nations intéressées l’assistance que celles-ci pourraient désirer.
En attendant, la Chambre de commerce internationale décide de provoquer chez les hommes d’affaires dont elle est le porte-parole, l’étude attentive et continue de tous les éléments des problèmes financiers internationaux qui ont été passés en revue ; elle demande à ses membres aussi bien qu’aux Gouvernements de réserver le plus sérieux examen aux suggestions qu’elle se permet de présenter.
En conséquence, la Chambre invite son Conseil à désigner des Comités d’étude et à prendre toutes les mesures qui pourraient être nécessaires pour réaliser les desseins exprimés ci-dessus.
Cette conclusion ne saurait nous surprendre, si l’on observe que la résolution traduit surtout une initiative américaine et qu’elle manifeste la volonté des hommes d’affaires des États-Unis de participer à l’étude des problèmes européens pour coopérer à leur solution. Toutefois, comme cette heure n’est point encore venue et que la grande question des réparations, comme aussi celle des dettes interalliées est, dans la phase actuelle, d’ordre essentiellement politique et du ressort exclusif des Gouvernements intéressés, la Chambre de commerce internationale s’abstient de toute intrusion dans ce domaine réservé. Ce n’est que dans le cas où l’expérience de ces hommes d’affaires des différents pays serait sollicitée qu’elle offre le concours de son organisation et qu’elle se prépare à donner cette assistance.
A cet effet, le sous-comité qui avait préparé la résolution dont nous venons de faire connaître les principaux passages et surtout la pensée inspiratrice, a été chargé de constituer le Comité permanent, qui devra poursuivre l’étude des mesures nécessaires à la restauration du commerce mondial.
Le texte de cette résolution, appuyé par une motion de M. John Fahey, l’une des plus hautes personnalités du Congrès, a recueilli le vote par acclamation des délégations des dix-huit pays adhérents. Mais, si nous mettons plus spécialement en cause la délégation américaine, il ne faut pas cependant perdre de vue qu’il y a eu l’unanimité dans l’accord, ce qui donne à l’approbation de cette motion son véritable caractère international.
Sir Félix Schuster (Angleterre) en a présenté, dans la séance finale, un éloquent et instructif commentaire. Dans sa conclusion, il a déclaré qu’au cours de sa longue carrière, il avait été bien souvent pessimiste, mais qu’aujourd’hui, malgré les difficultés du moment, il se sentait renaître à la confiance.
Après les chefs des délégations italienne et belge, qui ont aussi affirmé leur foi dans la vertu de cette résolution, après la Hollande et la Suède, cette dernière représentée par son ancien ministre des Affaires étrangères, M. Marcus Wallenberg, qui apportaient également leur adhésion, le représentant français a fait connaître l’approbation de sa délégation. Il a rappelé que l’opinion avait tout d’abord prévalu qu’une pareille discussion sur des questions politiques n’était pas du ressort d’une Chambre de commerce, et qu’on ne pouvait instaurer un débat sur un sujet tel que celui des réparations, pour lesquelles le Gouvernement français avait déjà pris ses décisions et ses responsabilités. Mais étant donné que cette question et celle des dettes interalliées dominent toutes les autres, et que, d’autre part, la résolution dans sa lettre et plus encore dans son esprit, contient l’affirmation des droits légitimes de la France dans toute œuvre de relèvement, la délégation française a déclaré se rallier à cette manifestation d’entente internationale.
Ce vote unanime est-il un résultat suffisant pour justifier les travaux du Congrès ? Nous le croyons fermement. Sa résolution proclame les vrais principes sur lesquels doit reposer le rétablissement de l’ordre économique : réparation par l’Allemagne en faisant état de toutes ses ressources tant intérieures qu’extérieures, nécessité des mesures pour rendre certain le règlement final, assurance contre toutes les violations de frontière et garantie de la paix, ajustement équitable des dettes interalliées contractées pour une cause commune en tenant compte des sacrifices de vies et de biens, interdépendance de tous les pays au point de vue commercial et nécessité de la reprise des crédits internationaux, opposition à toute inflation comme aussi à toute stabilisation artificielle des changes.
Nous savons déjà qu’en Allemagne la portée de pareilles déclarations a été immédiatement comprise et l’on a pu constater, à l’issue du Congrès, la présence en Italie de M. Stinnes, coïncidence vivement commentée. Mais ce que nous devons surtout retenir, du point de vue pratique, c’est l’influence que peut exercer cette résolution aux Etats-Unis, où elle sera transportée sur tous les points du territoire, par de multiples organisations : Chambres de commerce, associations de banquiers, groupements d’industriels, de commerçants et surtout de fermiers, formant la grande masse, dont l’action politique est prépondérante.
En un moment où l’opinion américaine semble évoluer dans le sens d’un rapprochement d’intérêts, nous ne pouvions trouver un meilleur auxiliaire que la Chambre de commerce internationale pour propager efficacement ce mouvement, en vue de rétablir, avec les Etats-Unis, une collaboration qui permettra de résoudre plus rapidement les grands problèmes de restauration.
MAURICE LEWANDOWSKI.
- ↑ M. Willis Booth vient de succéder, comme Président de la Chambre de commerce internationale, A M. Étienne Clémentel, auquel a été conféré le titre de Président-Fondateur, en reconnaissance des éminents services rendus à cette Institution, dont il a été l’un des principaux organisateurs et surtout l’animateur dans la période si difficile des débuts.