Traduction par Théophile Seyrig.
Félix Alcan (p. 186-218).
Les origines du Culte des Étoiles.

CHAPITRE VII

LES ORIGINES DU CULTE DES ÉTOILES

Nous avons, dans les pages qui précèdent, passé en revue les résultats des recherches modernes sur la nature et sur l’étendue des divers corps qui constituent notre univers. Nous avons constaté une variété d’idées très grandes concernant leur constitution et leur état, actuel ou futur, et nous avons cherché à comprendre dans notre étude les corps les plus proches comme les plus lointains, depuis la lune jusqu’aux nébuleuses les plus reculées. On trouvera sans doute intéressant de redescendre pour un peu de temps sur notre terre et de se rendre compte quel a été pour notre humanité le point de départ des études célestes, la première tentative naïve de considérer le ciel, et quelle fut la première idée que s’est faite l’homme sur le spectacle sublime de la voûte céleste. Quelle fut l’humble origine de cette science sublime qui aujourd’hui nous révèle un univers infini, et qui eut l’honneur d’être représentée dans l’Olympe de Zeus Jupiter par la céleste muse Uranie ? Elle a conservé ses adeptes, ses adorateurs jusqu’à nos jours, et il semble qu’elle soit encore aujourd’hui plus belle, plus resplendissante que jamais[1].

Parmi les sciences qui s’occupent de l’étude de la nature, l’astronomie a une place quelque peu unique. Tandis que la physique, la chimie, et les sciences biologiques sont à la base de l’extraordinaire progrès et du développement économique auquel nous assistons de nos jours, l’astronomie, aux yeux de la plupart, n’a qu’une faible valeur pratique. Quel avantage peut-il résulter pour nous du fait de savoir si telle étoile se trouve à cent ou à mille milliards de kilomètres du soleil ? ou encore de quelle manière les corps célestes ont suivi leur évolution dans le cours de millions d’années passées ? Et cependant, cette science n’a pas été aussi insignifiante qu’on le croit trop souvent ; elle n’est pas davantage inutile au moment présent. Elle est toujours et encore de la plus haute importance pratique pour nous en ce qu’elle nous fournit les éléments de la mesure du temps. Elle était, avant l’invention de la boussole, d’une valeur inappréciable pour la navigation, et celle-ci, aujourd’hui encore, est dépendante de l’astronomie en ce que seule elle permet de préciser la position d’un navire sur la mer illimitée. Les observations qui conduisent à ces résultats sont pourtant d’une nature si élémentaire, qu’elles se classent à peine encore parmi les opérations de l’astronomie proprement dite, mais bien plutôt parmi les sciences d’application. Elles ont pris leur place parmi les choses de la vie courante tout comme, dans les opérations de commerce, la pesée d’un corps n’est plus considérée comme appartenant à la physique, bien qu’elle soit nécessairement effectuée à l’aide d’un instrument de physique, qui est la balance.

Il ne nous faut pas oublier que les choses de cet ordre considérées comme absolument banales, au point de ne plus porter la marque d’une science élevée, étaient cependant jadis le but de recherches, tantôt hésitantes ou aveugles, tantôt raisonnées. Toutes les sciences naturelles ont eu leur origine dans les besoins de la vie courante.

La géométrie est sans nul doute, plus ancienne que l’astronomie. Ce mot veut dire : mesure de la terre, et à l’origine, les géomètres se consacraient à la mesure des distances à la surface du sol, et plus tard à la mesure des contenances de propriétés. Cette application pratique très importante de la science géométrique est d’un ordre si simple qu’il n’en est pour ainsi dire plus question dans la mathématique moderne, dont cependant la géométrie fait partie. C’est ainsi que les éléments primitifs de toutes nos sciences naturelles sont devenus la propriété du grand public au point qu’elles semblent presque devenues des choses d’évidence. Tel est le cas aussi de ces parties de la science astronomique qui, en raison de leur importance pratique, ont, au début, donné naissance à la science elle-même.

La connaissance petit à petit grandissante des étoiles, comme d’ailleurs toute instruction supérieure, devint chez les peuples primitifs, la propriété à peu près exclusive de leurs conducteurs. Elle constituait, chez ceux-ci, un secret, et faisait en quelque sorte partie du domaine vénéré de leur religion. Nous voyons que la plupart des peuples des temps antiques rendaient un culte aux étoiles, leur attribuant un pouvoir pour gouverner le sort des êtres humains. Ceci peut nous surprendre, car notre expérience journalière nous enseigne qu’à l’exception du soleil, aucun corps stellaire n’exerce d’influence perceptible sur la nature organisée, et cette impression est nettement confirmée par l’examen systématique de toutes les découvertes positives que nous appelons notre science moderne. Le soleil, comme nous venons de l’indiquer, fait exception, en ce qu’il domine la nature tout entière, celle qui vit, aussi bien que la nature inanimée, en vertu de la lumière et de la chaleur qui émanent en abondance de cet autocrate de notre système planétaire. Peut-être la lune joue t-elle quelque petit rôle effacé en ce qu’elle semble influer légèrement sur la pression barométrique, sur l’état magnétique, et peut-être surtout sur l’état électrique de l’atmosphère, qui, à leur tour, ont de l’influence sur certaines fonctions vitales. Mais en dehors de celle-là nous ne saurions reconnaître aucune influence que subirait la nature de la part des autres corps stellaires.

Les hommes primitifs n’ont dû consacrer leur attention et leurs pensées qu’aux seuls faits et conditions qui leur paraissaient affecter en bien ou en mal leurs intérêts personnels. Supposant que ces conditions, subies par eux, étaient régies par des esprits plus ou moins semblables à eux, et qu’en particulier elles étaient douées de volonté, nos ancêtres s’efforçaient d’obtenir des esprits qu’ils craignaient qu’ils cessassent leur intervention néfaste. Ils employaient pour cela les exorcismes et les sacrifices. Pour eux, certains de ces esprits avaient leur résidence dans le corps de bêtes de proie ou dans celui d’autres animaux nuisibles, tels que les serpents venimeux. D’autres étaient des fauteurs des tremblements de terre, d’éruptions volcaniques, de tempêtes de neige, des ravages de la foudre, d’incendies, d’inondations, de sécheresses, de chaleurs, etc. Contre toutes ces calamités la religion était invoquée comme protectrice. L’origine principale de la religion a eu pour base la contrainte des esprits. Plus tard, des offrandes d’actions de grâce, des hymnes de reconnaissance furent adressées aux objets considérés comme bienfaisants ou protecteurs, ainsi qu’à certains phénomènes naturels.

Il est évident que cette religion simple, primitive, remonte à une époque bien antérieure à celle du culte ou de l’adoration des étoiles. Ce dernier suppose un degré de culture relativement élevé. Les étoiles n’avaient aucune utilité pour l’homme avant qu’il ne devint nécessaire de mesurer des temps comprenant plus de jours qu’on ne pouvait compter à l’aide des doigts. Nous allons essayer d’expliquer dans la suite comment ce progrès put en réalité se faire. Mais il semble peu probable que le culte des étoiles naquit de l’admiration de ce drame sublime qui commence à l’horizon oriental dès le premier matin, progresse dans le courant de la journée et se termine le soir vers les étendues occidentales. Il n’a pas été davantage basé sur la reconnaissance de l’homme envers les luminaires de la nuit, pour leur lutte incessante contre les tristes nuées noires et contre d’autres esprits des ténèbres.

On ne saurait douter que même les tribus les plus arriérées aient porté leur attention sur le corps céleste le plus frappant. Les indigènes de l’Australie nous présentent un grand intérêt dans cette étude. D’après Spencer et Gillen[2] ils se transmettent aujourd’hui encore des légendes concernant une série de corps célestes : la lune, qui pour eux est considérée comme mâle, le soleil, la planète Vénus, les amas d’étoiles que nous désignons sous le nom de Nuées Magellaniques, puis aussi les Pléiades, qui tous sont considérés comme du sexe féminin. Les éclipses ont naturellement attiré leur attention à un très haut degré. Or ces hommes, restés fort primitifs, s’adonnent à un nombre incroyable de pratiques religieuses diverses, se rapportant à leur vie journalière, mais aucune de ces cérémonies n’a trait aux étoiles, sauf peut-être le geste de lapider le soleil pendant une éclipse. Même ce geste est-il laissé aux « hommes de médecine » avec une parfaite sérénité de la part de la tribu.

Il est remarquable que pour eux, tous les corps célestes sont censés d’origine terrestre, que la lune soit mâle et que le soleil, Vénus et les Pléiades soient féminins, ce qui veut dire que la lune est d’un ordre certainement supérieur. — Ils comptent le temps par « Sommeils », c’est-à-dire le nombre de fois qu’ils ont dormi, ou encore par lunes. Des périodes plus longues sont comptées par saisons ; ils ont des mots désignant la saison d’été et celle d’hiver. Ils parviennent à compter jusqu’à cinq, ou plutôt jusqu’à quatre, car le mot qui veut dire cinq, signifie en même temps « plusieurs » ou « beaucoup ». On ne trouve pas de trace qu’une idée de puissance quelconque soit attribuée aux étoiles, et par conséquent aucune cérémonie religieuse qui s’y rapporte n’a de raison d’être. On trouve pourtant quelques rares récits ou contes qui parlent des étoiles comme d’autres objets qui leur tombent sous les sens. Voilà peut-être où les choses en seraient restées si le besoin d’une plus exacte mesure du temps n’avait donné une grande valeur aux déplacements si réguliers des lumières de la voûte céleste.

La différence entre les effets du jour et de la nuit a une si capitale importance qu’elle a mis son empreinte sur toute la vie organique répandue à la surface de la terre. Les plantes modifient leurs modes de nutrition dans le cours des 24 heures ; pendant la nuit elles dépensent, en partie, la force qu’elles ont gagnée pendant le jour. Ce cycle a une si grande régularité, qu’il fonctionne automatiquement. Pfeffer, un botaniste bien connu, a fait des expériences à l’aide d’un Mimosa, arbuste qui, comme on lésait, déploie ses feuilles pendant le jour, puis les replie sur elles-mêmes pendant la nuit. Mais si quelque jour on le laisse à l’abri de la lumière dans un endroit obscur, il n’en ouvre pas moins ses feuilles quand le soleil se lève. À l’aide de la lumière électrique, Pfeffer changea la nuit en jour pour la plante, tandis qu’il la conservait à l’abri de la lumière naturelle du jour. Il trouva qu’un temps considérable était nécessaire pour que la plante s’accommodât aux conditions nouvelles, et qu’elle déployât ses feuilles sous l’influence de la lumière artificielle. — Les animaux se comportent d’une façon tout analogue. Le jour et la nuit leur sont entrés dans le sang. On peut dire que dans un certain sens, ils font de la chronométrie instinctive.

On a souvent fait la remarque que la certitude du retour du soleil, après l’obscurité de la nuit, a permis aux hommes d’accepter avec plus de stoïcisme la perte de lumière pendant une moitié de l’existence, et qu’un culte avait été en conséquence rendu à l’astre suprême. « Une conception nouvelle de l’existence, dit Troels Lund, s’affirme dès le moment où l’on fait la grande découverte que la nuit de sommeil et la nuit de la crainte ont une même durée, et qu’elles sont invariablement suivies par l’aurore et le jour consécutif. » Mais nos ancêtres ont dû faire cette découverte longtemps avant d’arriver à l’état d’êtres humains. Ce n’est certainement pas là que se trouve l’origine du culte du soleil.

Il nous semble qu’on doive plutôt le faire remonter à la reconnaissance du fait que le changement des saisons est, lui aussi, lié à l’action du soleil, quoique ce changement soit d’influence majeure aussi dans le monde végétal. Les plantes emmagasinent des éléments vitaux pendant l’automne, et particulièrement durant la période de leur fructification. De même encore certains animaux, inférieurs aussi bien que supérieurs, les abeilles, les écureuils, par exemple amassent des réserves pour l’hiver. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si des hommes, même encore à un niveau de civilisation rudimentaire, se préparent des ressources pour les périodes où les provisions deviennent régulièrement rares.

Une véritable mesure du temps dépassant cinq jours reste cependant impossible au nègre d’Australie, tant qu’il ne réussit pas à compter plus loin que quatre ou cinq. Il s’aperçoit bien que les phases de la lune se reproduisent régulièrement, que l’hiver alterne avec l’été. Mais il n’a aucune conception de la durée réelle du temps qui s’écoule entre deux réapparitions du même phénomène. Un progrès sensible a été réalisé par le premier peuple qui fit l’importante innovation de compter les doigts, non d’une seule main, mais ceux des deux mains. Cette possibilité nouvelle de calcul fut utilisée sans aucun doute, dans l’évaluation, dans le comptage du temps, en sorte que l’unité élargie devint une décade, c’est-à-dire une période de dix jours et nuits. Cette unité a existé chez les Indo-Européens, les Sémites, les Hindous, les Égyptiens, et chez les peuples de l’Océan pacifique. Un autre progrès fut encore fait au Mexique, où l’on introduisit le nombre de vingt, correspondant à l’ensemble des doigts de la main et des pieds, et une unité de temps fut établie comprenant vingt jours et leurs nuits. Mais ce dut être un pas extrêmement difficile à franchir pour ces peuples primitifs de s’élever, en partant de ces premières unités de mesure à celle de trois cent et soixante-cinq jours.

Des milliers d’années s’écoulèrent avant que les plus intelligentes d’entre les races humaines ne fixèrent la durée de l’année solaire. Celles qui occupèrent les régions de la terre où l’altitude du soleil varie notablement d’une saison à l’autre, qui habitent des contrées éloignées de l’équateur, ont sans doute compté le temps par années, sans pouvoir encore compter le nombre des jours dont elles se composaient. Considérez une tribu nomade comme celle des Lapons du nord de la Suède. En automne leurs troupeaux de rennes descendent vers la côte, à la recherche de nourriture, et les Lapons les accompagnent. Au printemps les rennes reconduisent leurs propriétaires vers les montagnes. Il ne peut échapper à l’observation de ces nomades que pendant leur séjour sur les hauteurs, le soleil les inonde de ses rayons, de façon à peu près continue. De tristes et interminables nuits au contraire pèsent sur eux sans interruption pendant leur séjour dans les basses terres. Ils seront évidemment forcés de reconnaître la coordination du bel été avec la durée de l’éclairement par le soleil. Pour eux, en conséquence, l’importance hors de pair du soleil pour la vie est vite mise hors de doute. La même chose sera vraie pour tous les peuples vivant loin de l’équateur. Il ne sera pas surprenant s’ils deviennent promptement des adorateurs du Soleil, et il n’est pas difficile de trouver des peuples qui ont ainsi établi chez eux ce culte. Nous n’en mentionnerons ici qu’un petit nombre des plus importants.

Pendant l’âge du bronze, les peuples de la Suède, il y a de cela des milliers d’années, étaient de fervents adorateurs du soleil. Les nombreuses antiquités, datant de cette période, et tout particulièrement les gravures retrouvées sur les roches, en font témoignage. Les Celtes de l’Europe occidentale ont souvent représenté le soleil sous le symbole d’une croix, tandis qu’au contraire le culte de la lune ou des étoiles semble leur être resté totalement étranger, aussi bien qu’aux peuples du Nord, de l’âge du bronze. Le Samson juif était un héros solaire, dont le nom dérivait de celui de Shamash, le dieu du soleil babylonien. Dans la cosmogonie d’Hésiode, le soleil (Hélios) se trouve nommé avant la lune (Séléné). Les Germains d’autrefois rendaient un culte au soleil et à la lune, mais particulièrement au premier. Les Slaves avaient un dieu solaire Dazbogu, mais aucune divinité ne représentait chez eux la lune. Des conditions analogues ont été constatées chez les ancêtres des Finnois.

Les prêtres Taoïstes de Chine font, à l’équinoxe du printemps, des feux, comme en Suède on le fait encore dans la nuit de Walpurgis[3] et au solstice d’été ; ils lancent dans la flamme du riz et du sel. « C’est là une survivance du culte solaire » dit, M. Salomon Reinach, à qui nous empruntons la plupart de ces indications concernant le culte du soleil. Au Japon, la lune est d’essence mâle, tandis que le soleil est féminin, ce qui est un indice que la lune était, dans l’origine, considérée comme plus importante que le soleil, tout comme chez les nègres d’Australie. Toutefois, aujourd’hui les Japonais sont adorateurs du soleil, cet astre a sa place sur le pavillon national comme emblème du Très-Haut, et le Mikado, dit-on, peut retracer sa descendance du soleil. Depuis longtemps, par conséquent, le culte de la lune a fait place à celui du soleil. Il est probable que cela eut lieu même plus tôt en Chine, où le soleil est masculin. À mesure que la civilisation se développe, tous les peuples comprennent de mieux en mieux, comme l’ont fait les Japonais, l’importance prépondérante du soleil. Les Incas du Pérou, dont la civilisation avait atteint un degré fort élevé, étaient de fervents adorateurs du soleil, et s’attribuaient, à eux-mêmes, la désignation d’enfants du soleil, malgré que leur pays fût tout voisin de l’équateur, où, comme nous allons le voir, le culte de la lune trouve ses plus fervents adeptes.

Dans le voisinage de l’équateur, l’hiver et l’été diffèrent très peu en ce qui concerne la température et la hauteur du soleil. Ce qui importe plutôt, c’est l’alternance des saisons, tantôt sèches, tantôt humides. La neige ne vient pas recouvrir le sol en hiver pour détruire la végétation ni diminuer la quantité de nourriture disponible pour les animaux ou pour l’homme. Contrairement à ce que nous voyons sous des latitudes tempérées, c’est plutôt une diminution de la végétation qui se produit au moment de la grande élévation du soleil au-dessus de l’horizon, car elle amène souvent avec elle la sécheresse. Dans l’ensemble toutefois cette altitude et l’éclat du soleil varient trop peu dans le cours de l’année pour attirer l’attention de l’homme peu civilisé. La lumière de la lune, d’autre part, varie si rapidement de zéro à un maximum que la mémoire en retient facilement le cycle. Même le nègre australien, si inférieur dans son développement, se sert des lunaisons pour définir l’éloignement des temps passés. Il n’a point de mesure des temps à proprement parler, car il est incapable de chiffrer le nombre des jours que comporte un mois. Combien plus avancés les peuples qui ont appris à compter jusqu’à dix ou jusqu’à vingt, et qui ainsi pouvaient se servir de la décade simple pu double pour compter le temps ! Pour eux il était relativement facile de déterminer le temps qui s’écoulait entre deux phases successives de la lune, soit sept jours et demi.

Une fois cette vérité reconnue que quatre de ces phases successives séparaient l’espace qui s’écoulait entre deux nouvelles lunes on pouvait établir le rapport entre la petite unité de mesure du jour, et l’unité plus grande : la lunaison. On reconnut alors que cette dernière comprenait près de trente fois la première. À mesure que le progrès se prononçait, on reconnut que ce rapport n’était pas exact, et nul doute que ce manque d’exactitude ne dût grandement intriguer les peuples primitifs. Le rapport exact est en effet de 29,53. Mais il est peu douteux que le retour périodique de la pleine lune, puis de la nouvelle lune, furent pour eux la mesure du temps la plus digne de leur confiance. C’était là quelque chose de tout différent des retours sans périodicité des tremblements de terre, des tempêtes, de la foudre, ou des inondations, pour ne pas parler des attaques des bêtes sauvages ou des ennemis. Il leur devenait possible de considérer et de calculer des espaces de temps qui auparavant leur semblaient indéfinies et sans limites. Peut-être bien que l’idée de l’éternité se présenta même pour la première fois à l’humanité. La lune devenait pour eux le maître souverain de tout. En sanskrit le mot qui désigne la lune est Mas c’est-à-dire « celui qui mesure » et le mot latin de mensis est encore étymologiquement lié à mensura : la mesure.

Chez les peuples donc, dont l’habitat n’était pas trop loin de l’équateur, la lune prit place avant le soleil. Les Mexicains eurent, il y a longtemps de cela, une unité très particulière qui leur servait à la mesure des temps, mesure appelée tonalamatl, et qui comprenait 260 jours. Elle était vraisemblablement destinée à correspondre à une suite de neuf mois synodiques, comptés d’une nouvelle lune à la suivante. Mais cette période comprend en réalité 265,38 jours et ne correspondait aucunement à la double décade, et fut, semble-t-il, raccourcie à 260 jours, de même que nous arrondissons l’année solaire, qui est de 365,24 jours, à un chiffre rond de 365 jours. On s’est livré à des études approfondies pour expliquer pourquoi les Mexicains choisirent neuf mois au lieu de douze, pour constituer leur grande unité de temps, comme l’ont fait la plupart des peuples. La question n’a pas encore trouvé de solution. Ceci semble certain, qu’il n’y a pas eu de rapport entre le tonalamatl et l’année solaire ; mais seulement avec le mois lunaire. La haute antiquité du tonalamatl est prouvée par le fait que les prêtres l’avaient adopté, et s’en servaient dans leurs rites magiques, ainsi que dans l’établissement des horoscopes, encore longtemps après que l’année solaire eut été adoptée par la nation. Un savant mexicain, de Jonghe, a fait remarquer que ce « tonalamatl » fut en usage chez toutes les tribus appartenant au groupe des Nahuas, qui se séparèrent les uns des autres à une époque très reculée. Cette unité chronologique est donc d’une haute antiquité, mais elle est évidemment postérieure à la reconnaissance du mois synodique.

Nos renseignements concernant le culte de la lune chez les peuples de Mésopotamie sont beaucoup plus complets. La lune, appelée Sin, recevait les hommages d’adoration bien avant le soleil (Shamash). Je cite ici, d’après L. Bergström la traduction d’un hymne écrit en caractères cunéiformes, et que ce savant a publié dans une étude sur les cultes sémitiques de la lune dans la Nordisk Tidskrift, 1909.


Ô Sin, toi qui seul dispenses la clarté,
Toi qui apportes la lumière aux hommes,
Toi qui témoignes ta faveur aux hommes à cheveux noirs,
Ta lumière brille au firmament,
Ta torche éclaire comme le feu,
Ton rayonnement remplit le vaste monde.

Ô toi, Anou divin, dont nul ne comprend l’intelligence et la sagesse,

Ta lumière est splendide comme Shamash ton premier-né,

Devant toi, même les grands dieux se prosternent dans la poussière,

Car sur toi repose le sort du monde.

Anou (Anu) était le grand dieu du ciel, mais il semble ici représenter la divinité d’une façon générale[4]. Sin est donc ici le père de Shamash, sa fille qui, dans cet hymne, est déjà presque considérée comme comparable au père. Plus tard, à l’époque de la dynastie d’Hammurabi (vers 2000 av. J.-C.) le soleil, Shamash, fut accepté comme dieu suprême, mais la lune n’en resta pas moins le régulateur du temps pour les besoins religieux. Pour les prédictions astrologiques les prêtres préféraient se servir de la lune, et les « signes » de la lune prenaient la première importance. Ceci fut vrai encore quand, du temps de Tycho Brahe, on se préoccupait de prédictions astrologiques. « Ô Sin, tu donnes les oracles aux dieux qui te les demandent », dit une formule d’invocation.

De Babylone, le centre de la civilisation d’alors, le culte lunaire se répandit chez les Arabes et d’autres Sémites. Chez les Hébreux aussi, ainsi que le remarque Bergström, la lune occupait primitivement une bien plus grande place que le soleil, bien que du temps de Jésus-Christ l’ordre fut inverse. Et cependant, la lune conserva encore son importance dans le calendrier ecclésiastique. Dans le psaume 104 on lit encore au verset 19 : Il créa la lune pour marquer les temps (saisons)[5].

Il a été très généralement admis que les corps stellaires ont produit sur l’homme une certaine impression en vertu et à proportion de la lumière qui en émane. Cela permet difficilement d’expliquer que la lune eut jadis précédence sur le soleil. On répète souvent qu’en Babylonie le soleil était considéré comme un ennemi du genre humain en raison de ce que sa chaleur détruisait la végétation. Et il est exact que presque toujours, dans ce pays, une période d’excessive sécheresse règne pendant l’été. Par contre, les nuits éclairées par la lune étaient certainement appréciées comme salutaires et rafraîchissantes. — Bergström cherche une autre explication de la précédence lunaire dans ce fait que la lune, avec ses phases perpétuellement changeantes, en appelait à l’imagination des peuples de l’antiquité, et cela dans une mesure bien plus grande que le soleil perpétuellement invariable ? Il a sans doute raison en partie. La grande différence d’éclairement entre la pleine et la nouvelle lune permet à l’observateur de la marquer jour après jour. Le retard dans le moment de l’apparition de la lune sur l’horizon qui est d’environ une heure par jour, la distingue nettement de la marche du soleil. Plus importantes encore sont les phases de la lune dont la progression est assez rapide pour être facilement retenue par la mémoire, et ces deux phénomènes donnent une singulière valeur à la révolution de la lune autour de la terre comme mesure du temps. C’est l’utilité pratique, le besoin satisfait, dont l’importance prédomine, et non la tendance à faire état des variations dans quelque légende.

Les nègres d’Australie emploient quatre mots différents pour désigner la lune, correspondants à ses quatre « quartiers », ce qui fait supposer que peut-être, et même probablement, ils se croient en présence de quatre corps célestes distincts, tout comme du temps d’Homère, les Grecs croyaient distinctes l’étoile du matin et l’étoile du soir, c’est-à-dire la même planète Vénus.

D’autre part, il n’existe aucun motif raisonnable de croire que la chaleur brûlante du soleil diminuait la tendance des peuples vers l’adoration de cet astre. Tout au contraire, on se prosternait volontiers devant un phénomène qui dictait la crainte. Il est d’ailleurs inexact que les Babyloniens considéraient le soleil, Shamash, comme hostile, et la lune, Sin, comme amicale. Le dieu du soleil était censé donner la vie et la santé en vertu de sa lumière. Ses qualités de chaleur exagérée et néfaste étaient les attributs d’un autre dieu, Nergal, prince des lieux inférieurs, démon de la guerre et des massacres, distributeur des fièvres et tout particulièrement de la peste. Il n’y avait donc point de raison pour laquelle Shamash dût être classé après Sin, qui est réputé « porteur d’eau et de feu », ce qui, d’après Schrader, signifierait qu’il est porteur des accès de frissons et de fièvres. On sait qu’au coucher du soleil, lorsqu’il disparaît derrière l’horizon, une rapide chute de température se fait sentir particulièrement dans les régions arides, mais aussi dans certaines régions humides des tropiques, où ce phénomène est utilisé dans la production de la glace. — Celui qui s’expose imprudemment à ce refroidissement court le risque de voir sa santé facilement altérée. Un ciel pur rend cet effet très manifeste, à cause de la forte radiation qui peut se produire, mais les peuples simples disent que c’est un effet de l’éclairement par la lune. Une croyance très ancienne est que ceux qui dorment sous les rayons lunaires sont frappés de délire et de folie, et cette idée n’a encore nullement disparu chez certaines nations civilisées. Elle est répandue chez les marins, et elle est sans aucun doute l’origine de l’expression presque universelle : lunatique (Ital. : lunatico, All. : mondsüchtig. Suédois : monadsrasande, etc.). Peut-être cette croyance s’est-elle trouvée renforcée par la circonstance que les crises des épileptiques ont souvent une périodicité approchant de celle du mois synodique, mais qui, ainsi que je l’ai fait voir ailleurs, dépend plus que probablement d’une variation périodique de l’électricité atmosphérique.

Il est peut-être indiqué de noter ici que la troisième d’entre les grandes divinités stellaires, Ishtar, la reine des cieux (Astarté, Vénus), était chez les Babyloniens la douce mais puissante déesse sœur toute miséricordieuse dans toute douleur, qui délivrait des effets de la sorcellerie, de la maladie, qui apportait le pardon du péché et de la coulpe. Cette radieuse divinité, qui correspond à la figure si pleine de bonté de la Vierge Marie dans la religion catholique, était malgré sa sollicitude pour les misères des hommes, placée troisième dans cette trinité illustre : Sin, Shamash et Ishtar.

Le voyageur du désert a, de tout temps, été torturé par la grande sécheresse et par la soif intense qui en est la conséquence. Mais ce n’est pas au soleil que l’on en faisait un crime, c’est au manque d’eau. C’est pour cela que les Égyptiens formulaient le souhait que dans leur voyage vers les demeures éternelles les âmes des morts trouvassent sur leur chemin des sources pures et rafraîchissantes, où elles pourraient étancher leur soif. Ils leur souhaitaient aussi des vents du Nord pour rafraîchir l’air. — Il est bien connu que les musulmans ont des conceptions du même ordre à l’égard d’un paradis dans la vie future.

De tout autres idées se firent jour quand, la population augmentant, l’agriculture devint une nécessité pour la production des aliments en suffisance. L’importance du soleil devint dès lors si grande qu’il fallut bien lui attribuer le premier rang entre les puissances qui influent sur le sort des hommes. Les plantes ont une période annuelle dans leur développement. Les inondations des rivières suivent une loi périodique analogue, et elles prennent une importance extrême dans les pays où la civilisation a jadis établi son berceau. On constata que les pluies avaient des retours annuels, et de même aussi les périodes intermédiaires de sécheresse.

En Égypte l’importance majeure des inondations du Nil conduisit à l’adoption d’une année solaire dès une très haute antiquité. Sa durée fut arrêtée à 12 mois de 30 jours ou 360 jours, ce qui entraîna la nécessité de corriger de temps en temps son origine. On y parvint au moyen de l’observation du lever et du coucher (héliaque) de Sirius, l’étoile du Grand Chien, et cela nous fait comprendre combien il était difficile de fixer la durée exacte de l’année solaire d’après des phénomènes courants, journaliers. Vers 1400 avant Jésus-Christ le grand réformateur Amenhotep IV fit un effort pour faire reconnaître le Dieu soleil comme maître suprême du monde entier. Mais il rencontra chez les prêtres conservateurs une opposition radicale ; ceux-ci, qui rendaient un culte à de nombreuses divinités variées, eussent perdu une grande part de leur pouvoir si cette réforme avait définitivement prévalu, et le successeur d’Amenhotep fut bientôt réduit à céder devant cette puissante opposition.

En Babylonie, Marduk, que nous appelons Merodach, un dieu primitivement local qui d’abord personnifiait la planète Jupiter, et qui dans le panthéon stellaire venait après les trois Dieux Suprêmes, fut vers l’an 2000 élevé à la préséance suprême parmi les divinités. Il fut en même temps revêtu de la dignité de Dieu-Soleil. Rappelons en passant que Marduk remplissait aussi, dans cette théogonie, un rôle important de guérisseur de maladies. — Une évolution du même ordre se manifesta dans la Rome ancienne, à une époque bien postérieure. L’empereur Aurélien (270 à 275 après Jésus-Christ) agissant sous l’influence du culte de Mithra, venu de l’Orient, éleva le Dieu-Soleil au rang de dieu suprême de l’Empire romain, qui à ce moment s’étendait sur la presque totalité du monde connu.

Il est très intéressant de noter que chez les Mexicains, Vénus avait une fonction aussi importante que la lune et que le soleil. L’éclat brillant de cette planète diffère de celui des planètes extérieures à la terre, qui ne présentent point de phases. Vénus, comme la lune, passe par un maximum suffisant pour produire, surtout sous les tropiques, une ombre à la surface de la terre, et elle a un minimum qui semble presque l’éteindre. Cette variation a une période qui est très près de 1,6 années. Il ne s’en faut que de deux heures. Les Mexicains apportaient donc à cette période une correction analogue à celle que nous pratiquons au moyen de nos années bissextiles en retranchant un jour tous les douze ans. Il était soustractif et non comme nos années bissextiles additif ou complémentaire. Les observations de l’éclat variable de Vénus et de sa position par rapport au soleil se prêtaient admirablement à la mesure de périodes longues, et tout particulièrement au comput de l’année solaire, car cinq périodes de Vénus sont très près d’être équivalentes à huit années solaires. Les prêtres mexicains surent établir ce fait que 104 années solaires correspondent à 65 périodes de Vénus, ou encore à 146 « Tonalamatl »[6].

Le culte des corps célestes était aussi largement développé au Mexique qu’à Babylone. Sa doctrine fondamentale a été définie comme suit par Alfredo Chavero. Le père-Créateur était le ciel : Xiuhtecutli, ou le Maître bleu-azur. La mère Omecihuatl, la Voie lactée, — ou la maîtresse géminée. » On sait qu’une grande portion de la Voie lactée, depuis la constellation du Cygne, jusqu’au voisinage de la Croix du Sud se divise en deux branches séparées et parallèles, c’est sans nul doute ce fait qui est rappelé par ce titre de la Maîtresse géminée[7]. « Le Ciel exerça sa puissance par la Voie lactée au moyen du feu ; les étoiles furent libérées de sa masse cosmique. Les plus importantes d’entre elles furent Tonatiuh, le soleil ; Tezcatlipoca, la lune ; et Quetzalcoatl, Vénus. Ceux-là furent élevés au rang de dieux suprêmes. En vue d’un culte, ils furent symbolisés sous une forme humaine. Des multitudes d’images, représentant ces dieux stellaires, ont été trouvées, reproduites en argile, en bois et en pierre. »

À considérer ce récit remarquable, il semble que les Mexicains eussent dû arriver à une solution bien supérieure de l’énigme du monde, que ne l’ont fait les Babyloniens. Tandis que la plupart des peuples ont considéré le firmament et la terre comme origines primordiales, les premiers ont accordé la souveraine qualité de Génitrice à l’ensemble de la Voie lactée. C’est d’elle que seraient issues les innombrables étoiles, le Soleil en tête. Voilà qui se rapproche singulièrement de nos conceptions modernes, acquises surtout depuis la dizaine d’années qui vient de s’écouler, grâce principalement aux travaux des astronomes américains. Leurs recherches semblent avoir prouvé que les étoiles se sont dégagées de la matière nébuleuse primitive de la Voie lactée. Elles augmenteraient graduellement leur dispersion avec le progrès des siècles, tout en acquérant chacune en quelque sorte, de plus en plus d’individualité.

Nous avons vu que Vénus, Ishtar, faisait partie de l’auguste triade de dieux stellaires parmi les Babyloniens. Leurs successeurs, les Assyriens conservèrent ces traditions anciennes. Au IXe siècle avant Jésus-Christ leurs rois accusèrent leur descendance divine en portant un collier ayant un croissant de lune au milieu, un anneau contenant une croix, emblème du soleil, d’un côté, et une étoile, emblème de Vénus de l’autre côté (voy. Montelius. Nordisk Tidskrift, 1914, p. 13, fig. 30). Les chrétiens ont conservé la croix, emblème du soleil ; les musulmans gardent précieusement celui de la lune, et chez les juifs, l’étoile (de Vénus) sert fréquemment dans la décoration de leurs temples.

Les musulmans, comme les juifs, se servent des positions de la lune dans le ciel, pour fixer les dates du calendrier ; nous aussi, nous nous servons encore du même moyen pour déterminer la date de la fête de Pâques. Les musulmans emploient une année de douze mois synodiques. Ces douze mois ne comprennent cependant que 354,4 jours tandis que l’année solaire en comprend 365,24. C’est pourquoi, habituellement, on arrondit le mois synodique à 30 jours au lieu de 29,53, et l’année solaire à 360 jours. Telle était la coutume en Égypte et à Babylone, au moins au début. L’homme primitif ne se fait que difficilement à la compréhension et à l’emploi des fractions. Pour rattraper les erreurs de ce comput, des mois additionnels étaient introduits tous les six ans environ. Mais dès cette époque nous pouvons reconnaître l’importance qui a été attribuée au nombre douze. Le Zodiaque était partagé en douze « demeures » dans chacune desquelles le soleil était censé habiter pendant un mois. Le jour et la nuit furent divisés chacun en 12 heures. Le cercle reçut une division en 360 degrés, correspondants au nombre des jours de l’année, en sorte que le soleil progressait au ciel de 1 degré par jour. Mais comme la lune occupait une place principale dans la science chronométrique de l’époque, on y introduisit une complication très troublante chez plusieurs peuples. Nous avons vu que les nègres australiens ont donné quatre noms différents à la lune dans ses quatre phases. La grande différence dans les apparences rend naturelle cette variété de noms. De là la division du mois synodique en quatre semaines. Comme la durée d’un mois est de 29,53 jours, le nombre divisible par 4, soit 28, fut substitué au mois lunaire réel, sept jours étant attribués à chaque semaine, ce qui représente une erreur de 5,5 p. 100.

Il semble probable que la connaissance de sept étoiles errantes, ou planètes, ait grandement contribué à ce choix de la semaine du même nombre de jours. Les prêtres avaient reconnu qu’en outre du soleil, de la lune et de Vénus, quatre autres étoiles se déplacent sur la voûte du firmament par rapport à l’ensemble des étoiles en apparence complètement fixes. Ces étoiles errantes étaient Mercure, Mars, Jupiter et Saturne. Chaque jour de la semaine fut dédié à l’une de ces sept étoiles et reçut son nom. Et jusqu’à nos jours ils se sont perpétués, au moins dans certaines langues. Nous avons ainsi :

Sunday (angl.), Sonntag (all.), Zondag (holl.)
le jour du Soleil.
Lundi, Monday (angl.), Montag (all.), Maandag (holl.).
le jour de la Lune.
Mardi, Martedì (ital.), Martes (esp.)
le jour de Mars.

Le calendrier lunaire, basé ainsi sur des considérations religieuses, prit la place d’un mois plus rationnel, qui, toutefois, survécut en Égypte, et fut aussi rétabli en Occident pendant la révolution française, malheureusement pour peu de temps seulement. Et en somme, le mois synodique, au lieu de se trouver arrondi à 30 jours par l’adjonction d’un demi-jour, fut réduit à 28 jours par le retranchement d’un jour et demi. Si l’on s’était attaché à créer la décade nous eussions eu des mois égaux de 30 jours, avec, soit 5 mois exceptionnels de 31 jours, (et même six, les années bissextiles) soit encore une demi-décade, qu’on eût intercalée au nouvel an.

En outre des sept « étoiles errantes » connues dans l’antiquité, — on en connaît aujourd’hui plus de huit cents, — quelques autres étoiles et constellations jouaient un rôle important. Les Nuées Magellaniques[8] étaient considérées comme d’essence funeste ; les Pléiades aussi exerçaient déjà leur influence chez les nègres de l’Australie. Mais dans l’hémisphère nord, où l’on n’arrive guère à observer les Nuées Magellaniques vu leur proximité du pôle Sud, les Pléiades ont beaucoup attiré l’attention, et les Phéniciens semblent avoir accordé à cette constellation une très grande importance. De cette origine, la vénération des Pléiades s’est répandue dans une grande partie de l’Afrique, et nous y trouvons de fréquentes images qui les reproduisent en même temps que le soleil, la lune et Vénus. Homère en fait mention, comme aussi d’un petit nombre d’autres constellations, à savoir : les Hyades, Orion, la Grande Ourse, puis les étoiles Sirius et Arcturus, et enfin les Pléiades qui ont souvent atteint une importance considérable dans le monde ancien. Sirius, l’étoile la plus brillante du firmament, et Canopus qui vient en seconde ligne, qui se trouve aussi dans le ciel austral, mais plus près du pôle que n’est Sirius, ont l’un et l’autre appelé l’attention et provoqué l’adoration des peuples primitifs de cette région du globe, surtout en Afrique.

Les diverses nations, mais principalement les Babyloniens et les Mexicains, finirent par acquérir une connaissance assez étendue des différentes étoiles. Les plus importantes d’entre elles, le soleil, la lune, Vénus, suffisaient à régler les saisons, et par suite, la plupart des phénomènes de la nature. Mais néanmoins une importance relative fut aussi attribuée à d’autres étoiles moins importantes. Non seulement les saisons, les mois, les jours et même les heures avaient chacun son étoile pour les gouverner, mais la plupart des choses de la nature et d’autres encore. Les vents, les matières, les organes du corps, les animaux, les individus, même les provinces ou divisions politiques, tout était consacré à quelque étoile, et y trouvait un protecteur céleste. On fit des études fort étendues de ces relations supposées, on établit des corrélations entre eux et souvent on arriva à des conclusions tirées de considérations purement fictives et arbitraires, comme sont par exemple les horoscopes déduits de la position des constellations au moment de la naissance. Il se forma ainsi un ensemble énorme de doctrines sur les corrélations et les faits sympathiques, joints à un symbolisme très étendu, une demi-science très vaste, qu’il fallait bien se garder de jamais mettre en doute, car elle était créée et enseignée par la caste infaillible des prêtres. Chez les Babyloniens, la religion et la science se confondirent entièrement. L’art lui-même était entièrement asservi à ces mêmes intérêts. Il est encore des personnes qui se laissent parfois tenter d’éprouver un regret de la disparition d’un semblable état de naïve confiance. Félicitons-nous au contraire de ce qu’il a disparu sans retour !

La science orientale s’étendit, avec le temps, jusqu’en Grèce, et là elle se fondit dans la philosophie Platonicienne et Aristotélienne. Sous cette forme l’héritage des Babyloniens exerça ses effets sur la pensée de l’humanité jusqu’à une époque récente qui ne remonte pas à plus de deux cents ans. Parmi les plus importantes branches de cette pseudo-science, il faut citer l’astrologie et l’alchimie. Tycho Brahe se donna pour but de sa vie de fortifier l’astrologie en lui fournissant des éléments nouveaux. Kepler, dit-on, ne croyait pas à l’astrologie, et cependant il rédigea de ses mains des horoscopes non seulement de personnes haut placées, de princes, pour augmenter ses ressources personnelles, mais encore de sa famille. Peut-être des restes d’une ancienne superstition le dominaient-elles encore, et il semble qu’il dût se dire que si cela ne fait aucun bien, il n’en résulte non plus aucun mal !

L’alchimie était de même cultivée par de fervents adeptes, mais plus souvent encore par des imposteurs, qui ne sont que rarement les ennemis des sciences dites « occultes ». Il existe encore aujourd’hui des astrologues et des alchimistes parmi les nombreux amateurs des sciences occultes. Nombre d’entre eux livrent leurs prédictions ou vendent leurs secrets à des prix élevés. J’ai entendu affirmer par un très éminent ingénieur Suédois que leurs pronostics étaient souvent réalisés par les événements ! Parmi les rares alchimistes européens, qui semblent être pour la plupart des visionnaires plus ou moins religieux, Strindberg[9] nous présente un certain intérêt. Jusque dans les temps présents la transmission de la pensée a eu une grande place dans les préoccupations des hommes instruits. Elle joue un rôle important dans les derniers ouvrages de Swedenborg, qu’il convient de qualifier de fantastiques. Les ouvrages les moins bien conçus par le génie de Strindberg en offrent de nombreuses traces.

Le grand chimiste français, Berthelot, a analysé de près la méthode employée par les alchimistes dans leur manière de considérer les phénomènes chimiques. Il est conduit à conclure que les principes faux qui ont fait dévier leur science remontent aux théories philosophiques de Platon et d’Aristote sur la constitution de la matière. On peut en dire à peu près autant de l’astrologie. Elle se complaît dans des idées qui sont de sa propre imagination, et qui n’ont pour ainsi dire aucun fondement dans les faits de la réalité. Leur produit ne peut par conséquent avoir aucune valeur.

Le plus grand astronome de la Babylonie, Kidinnu, qui vivait environ 300 ans avant Jésus-Christ a confectionné des tables qui donnent avec une remarquable précision, la position de beaucoup d’étoiles. Il a utilisé pour cela des observations recueillies pendant quelques milliers d’années. Ces éphémérides étaient destinées à servir d’éléments pour lire dans le ciel le sort des hommes, et pour déterminer les moments favorables pour commencer des entreprises. En tous cas elles servirent à mettre entre les mains de la caste dominante des prêtres un grand pouvoir sur les hommes, et de grandes sources de revenus. Il ne semble pas que ces mages fussent assez instruits pour risquer aucune explication de la nature des corps célestes. On eut probablement considéré comme dangereuse une tentative de ce genre. Les étoiles n’étaient pour eux que des divinités formées d’une matière plus pure et plus raffinée que tout ce qui pouvait se trouver à la surface de notre globe. Ces dieux se vengeraient sans doute de la témérité de celui qui eut osé usurper leurs secrets, ou formuler une appréciation quelconque de leur nature précise.

Heureusement qu’il y avait en Grèce d’autres tendances philosophiques que celles des écoles scolastique et Platonique-Aristotélienne. Elles étaient représentées, avec plus de force encore, dans l’Italie du Sud, en Sicile et plus tard à Alexandrie. Déjà les adeptes de Pythagore firent faire un pas considérable vers la solution des problèmes stellaires. Leurs études furent amenées au point le plus élevé par Aristarque de Samos, qui vivait à Alexandrie, il y a environ 2 100 ans. Il précéda Copernic de 1 700 ans en formulant les notions du système héliocentrique. On a souvent fait observer que ses travaux n’avaient pas été de grande valeur puisque Copernic avait dû les refaire depuis le commencement. Mais on oublie que Copernic cite les philosophes anciens qui avaient formulé des théories concomitantes avec la théorie héliocentrique, et qu’il dit expressément qu’il ose formuler ses hypothèses parce qu’un si grand nombre de hautes autorités pouvaient être citées comme les approuvant. Copernic n’a pas osé rompre entièrement avec le système de Ptolémée, et il resta assez peu conséquent avec lui-même pour continuer à s’en servir dans ses calculs des mouvements des étoiles.

Nous avons continué dans les temps récents, à marcher dans la voie tracée par Pythagore et Aristarque, par Copernic et Galilée. Nous avons porté leurs méthodes à un haut degré de perfection. Aujourd’hui les progrès de l’astronomie et de ses sciences connexes sont fantastiques de rapidité, si on les compare à ceux des temps anciens. De loin en loin une voix s’élève, qui demande que l’on témoigne plus de déférence envers la philosophie qui dérive de celle de Platon et d’Aristote. Mais quiconque est familier avec l’histoire des sciences naturelles nous comprendra quand nous disons : Nous avons eu plus qu’assez de ces doctrines philosophiques-là.

Que des personnes qui n’ont point fait des sciences naturelles leur étude approfondie aient de l’astronomie contemporaine une idée très particulière, cela se comprend en considérant l’opinion que manifesta récemment un de nos premiers théologiens. Rendant compte d’un moderne ouvrage d’astronomie populaire, il a osé dire que l’astronomie de nos jours n’est guère plus avancée que celle des temps jadis, qui réussissait déjà à prédire les éclipses de soleil ! On sait cependant que ces prédictions étaient uniquement basées sur la connaissance de leurs espacements réguliers, tout comme le retour des phases de la lune. Seulement la fréquence de ces dernières est beaucoup plus grande.

Nos connaissances d’aujourd’hui des merveilles célestes, comparées seulement à celles d’il y a cinquante ou soixante ans sont immensément plus développées, tout comme il résulte de la comparaison de ces dernières avec celles des temps anciens. Il convient cependant de ne pas perdre de vue que l’évolution de la science astronomique d’aujourd’hui a pour point de départ le besoin qu’avait l’homme de mesurer le temps, et qu’à ce besoin s’ajoutait celui de s’assurer des récoltes dans un avenir prochain.

  1. Ce qui suit est la reproduction d’une conférence faite au 4e Congrès International de Philosophie de Bologne, 1911.
  2. Voy. Spencer et Gillen, The native tribes of Central Australia. London, 1899.
  3. Nuit du 30 avril, où avait lieu la chevauchée des sorcières au Brocken, en Allemagne, ou aux Montagnes bleues de la légende, en Suède.
  4. Très anciennement, Nannar, qui est peut-être le nom le plus ancien de Sin, était désigné par le nom de « génisse d’Anu », le plus grand des dieux. Ce nom contient probablement quelque allusion aux cornes de la lune.
  5. Ce psaume semble avoir été rédigé vers l’an 70 avant Jésus-Christ.
  6. Voy. p. 200
  7. Littéralement : double.
  8. Groupes de nébuleuses situées assez loin dans l’hémisphère du Sud, dans les Constellations de l’Hydre mâle, et de la Dorade, et invisibles en Europe.
  9. Aug. Strindberg, le plus célèbre des écrivains modernes de la Suède, 1849–1912.