Le Déménagement de Guignol

Le déménagement de Guignol

par Laurent Mourguet arrangé par son petit-fils Louis JOSSERAND
SCÈNE COMIQUE EN UN ACTE

PERSONNAGES

Guignol. — Gnafron. — Vautour. — Cadet.


Scène I

Vautour, seul. — Voilà bien ma maison, elle est bien à moi, j’en paie les impositions et j’ai un locataire qui ne paie pas son loyer, on a beau dire mais on est bien malheureux d’être propriétaire. Cet état de choses ne peut durer plus longtemps, et si monsieur Guignol ne me paye pas aujourd’hui même les cinq termes qu’il me doit je fais vendre ses meubles sur la place publique, je vais lui faire voir que quand je me montre on voit du vilain (Il va pour frapper et s’arrête). Comme il pourrait reconnaître ma voix et ne pas me répondre, tâchons de déguiser ma voix (il frappe) M. Guignol.

Guignol, en dedans. — Qui que chapotte.

Vautour. — C’est le facteur pour une lettre très-pressée.

Guignol, en dedans. — Garde-la, je sais pas lire.

Vautour. — Elle est chargée, c’est de l’argent.

Guignol, en dedans. — Personne ne me doit, je t’en fais cadeau.

Vautour. — Çà ne prend pas. Oh ! j’ai un moyen, je sais qu’il est très-bien avec la concierge, je vais changer mes batteries : à Guignol, il change de voix. Monsieur Guignol.

Guignol, en dedans. — Quoi ce qui gnia encore.

Vautour. — C’est moi la concierge, Mme Pétard, j’ai fait cuire un lapin, je voudrais que vous veniez goûter la sauce.

Guignol, en dedans. — On dégringole la miman.

Vautour. — Ma ruse a réussi, à nous deux, maître Guignol.

Guignol, entrant. Vlà, Vautour s’est caché. Tiens parsonne, c’est z’une farce qu’on m’a fait, Vautour se montre, Guignol à part. Oh ! la vilaine farce.

Vautour. — Bonjour mon cher M. Guignol : vous savez sans doute le motif qui m’amène.

Guignol. — C’te bêtise, c’est pas un motif, c’est vos guibolles, a moins que vous ne soyez fait trainer par un fiacre.

Vautour. — Non ça coûte trop cher : Je viens pour savoir s’y vous êtes décidé à me payer les cinq termes que vous me devez.

Guignol, à part. — Je te vois venir pauvre vieille grollasse (haut) Savez-vous p’pa Vautour que vous vous portez ben bien ?

Vautour. — La santé est bonne, mais les rentrées ne se font pas !… Cinq termes à 50 fr. font 250 fr.

Guignol— Et vot’mami, comment donc qui va.

Vautour. — Très-bien, Monsieur Guignol. Nous disons donc que cela fait 250 fr.

Guignol, à part. — Je t’apinche venir (haut) Et votre demoiselle, ah ! la belle canante, sa santé est bonne.

Vautour. — Elle va très-bien, mais…..

Guignol. — Tant mieux. Et votre chienne qui s’était cassé la guibolle, est-elle rhabillée.

Vautour. — Elle est morte… mes 200…

Guignol. — Tant mieux ! tant mieux ! en bajaflant de votre chienne, et v’tre femme comment qu’et s’porte.

Vautour. — Et !  ! ma chienne, ma femme… toute ma famille se porte très-bien, il n’y a que ma location qui est malade, je viens pour les 250 francs…

Guignol, étonné. — Les 250 francs

Vautour. — Et oui…

Guignol. — Fallait le dire tout de gau.

Vautour. — Je vous le dis depuis deux heures.

Guignol. — Y fallait pas vous déranger pour ça ! vous me les donnerez quand vous pourrez !

Vautour. — Quand je pourrai… mais ce n’est pas moi qui vous doit, c’est vous qui me devez.

Guignol. — Moi que je vous dois, mais vous êtes malade ; et quoi donc ?

Vautour. — Ma location !  !  !

Guignol. — Quel localition ?

Vautour. — Voilà cinq termes que vous habitez un appartement dans ma maison.

Guignol. — Cinq termes, comme le temps passe… et combien donc que je vous dois ?

Vautour. — Cinq termes à 50 francs font 250 francs.

Guignol. — 250 francs ; mais je ne vous ai donc jamais rien donné ?

Vautour. — Jamais rien.

Guignol. — Et ben alors, vaut pas la peine que je commence.

Vautour. — C’est comme cela, je vais vous montrer que j’ai du caractère, je vais commencer par faire vendre votre mobilier en gros sur la place publique.

Guignol. — Vendre mes meubles en gros, il y a longtemps qu’sont vendus en détail.

Vautour. — Ta ! ta ! ta ! ta ! fadaise que tout cela, je sais que vous avez un très-joli mobilier.

Guignol. — Pipa Vautour, quand zun lacataire ne veut pas payasse de loyer y faut pas qu’il ai de morbilier.

Vautour. — Je connais votre lit à bateau.

Guignol. — Mon lit n’a bateau. J’ai voulu aller à la foire de Beaucaire avec, en remontant y s’est engravé à Vernaison près des moulins.

Vautour. — Plus de lit ?

Guignol. — Plus de lit ?

Vautour. — Et votre commode ?

Guignol. — Ma commode était z’incommode, elle avait huit pieds de large, je m’suis dit en la faisant couper en deux, ce sera ben plus commode, ça m’en fera deux, je la porte chez un m’nuisier rue du Bœuf six mois après je vais pour la charcher, la maison et l’m’nuisier tout avait dem’nagé.

Vautour. — Pristi ! La maison aussi.

Guignol. — Tenez, c’est comme notre pauvre vieille rue Borchaning, y a la belle Cordière que la mouché.

Vautour. — Elle a changé de nom.

Guignol. — Et c’te pauvé place Guernouille, y a c’te gourmande de Quatre-Chapeaux qui l’a avalé.

Vautour. — Tout çà ne me regarde pas : et votre table à bascule ?

Guignol. — Ma table a bascule y a le père Gnafron l’année dernière pour la Niel que lui eu mis une sempotte dessus, çà la éclappé.

Vautour. — Plus de table… Je me rattraperai sur votre beau miroir antique.

Guignol. — Pas de veine ; y a fait si chaud cette année, que je l’ai vendu pour, boire à la glace.

Vautour. — Mais il ne vous reste donc rien.

Guignol. — Rien, même moins que rien.

Vautour. — Eh bien, ne fusse que la paillasse de votre lit, elle sera vendue.

Guignol. — Eh ben ! celui qui l’achètera pourra se gratter, y a plus de puces que de paille dedans, m’n’ami tout buge.

Vautour. — C’est ce que nous verrons, je vais toujours… commencer par vous envoyer un bon commandement

Guignol. — Pardon Messieu ma m’man ma bien élevé et je les sais : y en a un que dit « Ton p’pa et ta m’man t’honoreras afin que t’oye ésistance de longuemeut. »

Vautour. — Oui ! mais, il y en a un autre qui dit : A ton propriétaire, tu donneras de l’argent, ou ton mobilier sera vendu immédiatement.

Guignol. — En v’là un qui n’est pas sur le catéchiste… mais il y a la réponse, sauf votre respect.

Vautour. — Voyons la réponse.

Guignol. — Guignol te boiras 365 jours de l’an et à ton propriétaire, tu ne donneras pas pus d’argent qu’on en donne aujourd’hui en passant sur le pont Morand en se lantibardanant. »

Vautour. — Je vois que je n’aurai jamais rien de vous, et bien arrangeons-nous, videz les lieux et je vous tiens quitte.

Guignol. — Oh ! que non c’n’est m’n’état, allez à Venissieux, mon vieux.

Vautour. — Ah ! c’est comme ça, je vous les ferez vider par force, vous n’êtes qu’un gueu, un scélérat (Gnafron écoute). C’est votre cousin Gnafron qui vous donne ces conseils, cet ivrogne, ce mange tout, ce moins que rien. (Gnafron entre, chasse Vautour en le frappant, Vautour se sauve en criant).

Scène II

Guignol — Gnafron

Gnafron. — Entendais-tu ce gone qui attaquait ma réputance, si je ne m’étais pas retenu, je le cabossais.

Guignol. — T’as ben fait de te retiendre.

Gnafron. — Qu’est-ce que c’est que ce gone, et que te voulait-il ?

Guignol. — C’est mon propriéteau, y voulait que je lui lâche de médailles.

Gnafron. — Te lui dois donc ?

Guignol. — Cinq termes à ce qui dit.

Gnafron. — Cinq termes et combien lui as-tu donné ?

Guignol. — Jamais rien.

Gnafron. — Jamais rien, et y vient te demander d’argent, y fait ben voir qu’il a affaire à un petit gone qui n’a pas fait ses étuves, heureusement que je suis là et que je connais le code, tu sauras ma vieille que tous les cinq c’est périmé, et si nous étions chicaneurs, je ne sais pas si nous n’aurions pas le droit d’emporter la maison.

Guignol. — Laissons-lui sa maison à ce vieux t’avare… Gnafron, mes meubles appellent’t’zépaules, faisons un borgnon.

Gnafron. — Guignol, t’as raison, fesons t’un trou à la lune, en avant, ma pauvre vieille, marchassassons.

Guignol. — Et après nous avalerons…

Gnafron. — Un bon gorgeon.

Guignol. — Comme de chenus garçons, ils entrent chez Guignol.

Gnafron, reparait portant un lit. — Il est tout dématé.

Guignol, en dedans. — Gnafron serre ta cravate.

Gnafron. — Porquoi donc !

Guignol, en dedans. — Pour que les bardanes ne t’entrent pas dans le cotivet.

Gnafron. — J’y suis t’habitué, elles vont faire une reconnaissance avec les miennes ; il sort du côté opposé.

Guignol, une paillasse sur le dos. — V’la ma paillasse, c’est là-dessus que je me raffine comme un fromage d’chèvre.

Gnafron. — Ta ben une jaulie fletille ! il entre dans la maison.

Guignol. — Va donc vite au lieu lieu te lantibarder, il sort.

Gnafron, avec une petite paillasse. — En v’là une que n’est pas rien si bien garnie.

Guignol, en scène. — Fait attention, Gnafron.

Gnafron. — T’as de gouttières, ta paillasse est z’humide.

Guignol. — C’est la paillasse de mon Besson, y coule toujours la lessive dans ce mois, il rentre.

Gnafron. — Fait lui boire du sang de darbon, il sort.

Guignol, avec un matelas, il le pose. — Quand on a de l’ustuque on a toujours de bons urstensiles de couchaison, l’été je fréquente les tondeurs de cabots, je mouche le poil, j’en fais un matelas, les puces que sont dedans, remplacent le sommier z’élastoque, il reprend son matelas.

Gnafron, revient. — Dépèche-toi donc, mollasse, il rentre.

Guignol. — Attend moi Gnafron, il rentre.

Gnafron, en dedans. — Viens donc vite Chignol, jamais je pourrai emporter ce mât de cocagne tout seul

Guignol, revient Attends-moi, je vas te donner un coup de main, il rentre en dedans, charge toi bien Gnafre.

Gnafron, en dedans. Je me charge ben tant bien que je peux. Ils reviennent sur scène portant à eux deux une ouche immense.

Guignol. — Va plan Gnafron, va plan ! Je voudrais que tous les boulangers soyent pendus… on n’leur z’y doit pas plutôt quelques centaines de livres de pain qui vous refusent le crédit.

Gnafron. — Elle s’porte ben bien.

Guignol. — Ah ! ouessche… Je ne lui demandais qu’une allonge et je fornissais la cherniêre, il a refusé, aussi je lui ai sorti ma pratique.

Gnafron. — Et t’as bien fait ! ils sortent.

Guignol, revient. — Je crois que le démagasinage s’avance il rentre et revient de suite portant une seringue. J’emporte la pipe de ma colombe, il pose la seringue sur la bande.

Gnafron, revient et regarde l’objet. — Que diable est-ce ça

Guignol. — Te n’vois pas.

Gnafron. — C’est pas un corp de chasse. Ah ! je vois ce que c’est… c’est une nouvelle machine avec laquelle on fait ce nouveau beurre à la mécaniquance à Voirpeur.

Guignol. — T’y es pas c’est z’une pièce d’artillerie.

Gnafron. — Une pièce d’artillerie, j’aimerais mieux une pièce, de vin !… mais ta pièce n’a pas de roues.

Guignol. — Gnia pas de besoin de roues, c’est z’une pièce de siège, telle que te la vois elle a fonctionné à ce matin elle a battue en brèche, elle a envoyé un boulet dans la lunette Saint-Laurent.

Gnafron. — C’est comme le siège d’Alanvers. Et l’amorce ?

Guignol, il lui met le bout de la seringue dans la bouche. — Tiens renifle une miette, il se sauve.

Gnafron. — Pouah ! ça ne sent pas la poudre, ça a un arrière goût de farine de lin, il sort.

Guignol, Guignol revient. — Prends garde à ma vaisselle.

Gnafron, avec une énorme soupière. — C’est pour faire de matefains, j’aime mieux çà qu’une poile, ils sont plus épais, il sort

Guignol, avec une poêle sans fond. — Que les femmes ont donc peu de z’esconomique, Madelon m’a fait de bugnes la semaine passée, et elle a laissée brûler le fond de la poêle, gnia plus moyen de la faire ressemeler, Gnafron entre et se met la tête dans la poêle.

Gnafron. — Gredin, je ressemblais à un goujon dans la poêle de la mère Radis.

Guignol. — Je ruminais que je ne voulais pas prendre des actions sur les fonds de poche, ça se désempille trop vite, mais va donc vieux Gnafre.

Gnafron. — C’te ganache m’a cabossé, il rentre.

Guignol. — Gnafron, n’abime pas mon linge, il a l’air de le sigroler.

Gnafron. — C’est donc là dedans que te le met, il a un panier.

Guignol. — Et oui pauv’e vieille, il rentre

Gnafron, regardant dans le panier. — Pour le linge s’y en avait, y en aurait, mais pour tout linge y a une tête d’ail, il sort.

Guignol, entre avec un pot de chambre. — V’la le premier meuble d’un ménage. C’est l’indispensable de tous les pays.. il le pose, et dire que c’est sur ses bords chéris que ma Madelon vient faire ses réchéfissions philosophoques, il sort.

Gnafron, entrant. — Prends garde à ta porcelaine cousin il a ben de grandes tasses de café, il les lave pas souvent, j’ai aperçu du marc au fond, il entre.

Guignol, revient. — V’là un borgnon de fait on entend frapper, Qué que c’est que çà, du côté où Gnafron est entré, Que fais-tu donc Gnafron ?

Gnafron, en dedans. — Je démolis.

Guignol. — Quoi que te démolis !

Gnafron, en dedans. — Ne m’as-tu pas dis que tu payais les portes et les fenêtres, pisque te les paye, c’est z’à toi et je les démentibules.

Guignol. — Je devais les payer, mais j’ai rien payé du tout pas seulement un brin de la location, y faut les laisser au propriéteau.

Gnafron, en scène. — T ’es meilleur enfant que moi, quand j’ai loué qué que chose, que j-ai payé ou non, y faut que je l’emporte, je ne lui aurais laissé que ses fenêtres pour pleurer.

Guignol. — Allons Gnafron v’là qui est fait, nous avons tout remisé sus ta souspente, mes bardanes vont me débarasser des tiennes en les avalant, elles sont en train de lutter, j’ai 20 francs de caché dans mes bas, nous allons les avaler ça te va-t-y pauv’e vieille.

Gnafron. — Si ça me va pauv’e vieille, mais mon nez en rougit de joye.

Guignol. — Eh ben nous allons nous flanquer une bosse à faire honte à celle de Chaillier et allons-y.

ENSEMBLE
Tenons bon, mon ami, tenons bon
Allons vite diner en ville
Tenons bon, mon ami tenons bon
Et vidons de grand flacons