Les Éditions de France (p. 277-281).


POST-SCRIPTUM


Ce que j’ai dit n’est pas folie. Mettez-moi à l’épreuve et je vous décrirai de nouveau la chose exactement comme je vous l’ai décrite.
HAMLET.


Anges bleus, Anges blancs, Anges roses, Séraphins aux chairs molles, Dominations et Vertus, Graines Célestes, Volatiles délectables et Pommes d’Amour, Oiseaux de rêve, Anges, Anges, veillez sur moi !

Marie sans tache, Vierge pure, Créature liliale, Essence de Candeur, Sucre et Mousseline, Patronne des bâtards et des filles-mères ; Vierge, Vierge, Réconfort et Douceur, priez pour moi !

À mes lèvres que scelle la seccotine de la fièvre, bourdonnent des litanies. Des lambeaux de supplications nostalgiques, de la poussière jaune de croyance remuent sur ces lèvres closes.

Je prie, véritablement, je prie, comme dans mon absurde enfance.

Une femme se penche vers mon front moite avec des gestes de fraîcheur. Une femme !… Judith ?… Mais par quelle singulière fantaisie, délaissant l’ample vêtement où son corps manœuvrait avec liberté, s’est-elle travestie en poupée du vingtième siècle ?

Mes lèvres s’entr’ouvrent. Un nom jaillit. La femme se courbe davantage :

— Tais-toi… C’est fini. Tu ne me reconnais donc pas… Moi… c’est moi… Juliette…

Quoi ?… Juliette !… Judith !… J’essaie de me soulever sur un coude.

— Mon pauvre petit. Tu viens d’être malade… si malade… Mais c’est passé. Encore un peu de patience.

Soudain, mes yeux chavirent, submergés par un étonnement infini où s’entasse de l’épouvante. Je tends péniblement un doigt. Là ?… Un calendrier, un vieux calendrier. Et une date, fulgurante : 12 octobre 1935 !

— Où suis-je… Quel jour ?… Je rêve…

— Du calme, mon ami… Oui c’est vrai… Ça fait plus de deux mois… Le mal t’a terrassé… Tu remontes de l’inconscience… pire encore… Mais tout est dit. Il y a du soleil dans les rues et des oiseaux qui chantent.

Une voix rude, bourrue, baignée de bonté, pendant que je retombe lourdement sur l’oreiller :

— En voilà assez, mademoiselle… Trop de faiblesse encore… Et vous, buvez-moi ça. Buvez et soyez sage.

Un poing me tend une tasse emplie d’un liquide clair.

— Bois, mon chéri, bois et dors. Sois rassuré. Je reviendrai demain.

J’ai bu. Un immense calme. La femme — Judith ? Juliette ? — s’est courbée de nouveau. Ses lèvres se posent, légères comme des libellules sur mes cheveux. Est-ce que je dors ? Je monte, je monte, vers des parfums dorés. Je flotte parmi des blancheurs harmonieuses. Je plane sur les ailes diaphanes des Anges bossus.

Les Anges !… Les Anges !… Oiseaux bouffis, Monstres adorables aux fesses raccrocheuses, épanouies comme des tomates trop mûres…

Juliette reviendra demain.


FIN