Le Cri du sage (1789)
Par une Femme
[s.n.].

LE CRI DU SAGE.

Par une Femme.


Il eſt tems d’élever la voix ; le bon ſens, la ſageſſe ne ſauroient plus obſerver le ſilence ; il eſt tems de dire définitivement à la Nation, que ſi elle ne ſe décide pas promptement à ne faire qu’un travail, elle entraîne ſous peu la chûte du Royaume, qu’elle ôtera à jamais la confiance, & que le mal deviendra incurable.

Les anciens François ne péchoient que par trop d’ignorance ; les modernes gatent tout pour avoir trop acquis.

À force d’idées & de lumieres, ils ſe trouvent aujourd’hui dans une confuſion épouvantable.

La Patrie qui attend avec impatience ſon ſalut de leur ſageſſe & de leur entrepriſe, voit déjà avec peine qu’ils ne s’entendent pas & qu’ils touchent au fatal moment de devenir la fable de l’Europe.

Oui, Meſſieurs, votre diſcorde va non-ſeulement jetter le feu dans les quatre coins de la France, mais ſoulever nos ennemis, les encourager contre nous, & nous perdre par votre faute ; puiſſiez-vous lire avec attention la Lettre au Peuple, les Remarques patriotiques & ſurtout le Bonheur primitif de l’homme, & parcourir les Chapitres avec autant de rapidité que je ſuis arrivé au Regne de Louis XVI, & vous rappeler que malgré cette précipitation, on peut s’arrêter, & refléchir ſur quelques paſſages qui offrent des obſervations auſſi utiles que ſalutaires.

Depuis long-tems j’obſerve les hommes ; j’ai été forcée de reconnoître que la plupart ont le cœur flétri, l’ame abjecte, l’eſprit énervé & le génie malfaiteur.

Peut-on ſans rougir ſe déclarer homme aujourd’hui & ſe croire ſupérieur à nos ſages ancêtres, à ces nobles Chevaliers François qui défendoient à la fois la Patrie & les Dames.

O temps heureux conſidérés de nos jours comme des ſiécles fabuleux, puiſſiez-vous renaître parmi nous, redonner l’énergie qui manque aux François, & les rendre encore une fois redoutables à tous les Peuples !

Je veux examiner d’où part la ſource du vice, puis-je la reconnoître ſans trahir à la fois mon ſexe & mon caractère. L’effort eſt pénible ; & quoiqu’il puiſſe m’en coûter de dévoiler ce ſexe qui s’eſt lui-même démaſqué, je le trahirai dans ce moment pour le ſervir un jour.

O Femmes ! Qu’avez-vous fait ? Qu’avez-vous produit ? avez-vous pu croire qu’en vous jettant à la tête des hommes, vous conſerveriez votre empire ; il eſt détruit, & vos graces naturelles ont diſparu avec cette noble pudeur qui rendoit jadis les femmes ſi touchantes & ſi cheres à leurs yeux.

Vous avez abandonné les renes de vos maiſons, vous avez éloigné vos enfants de vos ſeins maternels ; livrés dans les bras de ſerviteurs corrompus, ils ont appris à vous haïr, à vous mépriſer.

O ſexe, tout à la fois ſéduiſant & perfide ! O ſexe tout à la fois foible & tout-puiſſant ! O ſexe à la fin trompeur & trompé ! O vous, qui avez égaré les hommes qui vous puniſſent aujourd’hui de cet égarement par le mépris qu’ils font de vos charmes, de vos attaques & de vos nouveaux efforts ! Quelle eſt actuellement votre conſiſtance ? Les hommes ſe ſont inſtruits par vous-mêmes, de vos travers, de vos détours, de vos ruſes, de vos inconſéquences ; & ils ſont enfin à leur tour devenus femmes.

Peut-on voir ſans pitié la ſuffiſance de nos jeunes gens, la légereté de nos vieillards ſur des objets majeurs, & l’extravagance des hommes d’un âge raiſonnable, ſans ſe récrier contre le ſiécle & contre les mœurs.

On parle encore de vertus & de patriotiſme ; ſi l’un & l’autre exiſtoient véritablement, ils ſe ſeroient déjà fait ſentir aux États-Généraux ; tous les cahiers ſeroient confondus, & les trois Ordres enſemble ne pourroient dans cette réunion qu’opiner pour le bien public.

Mais ſi l’eſprit de parti vient à l’emporter dans cette Aſſemblée ſur la bienſéance, la raiſon & la juſtice, ces États-Généraux qu’on a déſiré depuis ſi long-temps, ne ſeront donc réunis que pour ſemer la diſcorde.

Je l’ai prédit ; puiſſe cette prédiction ſe détourner & me faire voir que je fus mauvais prophéte ; mais en même-temps, j’obtiendrai le titre de bonne citoyenne.

Vous devez, Meſſieurs, raſſurer ce public impatient.

Qui peut ramener le calme ſi ce n’eſt votre union ? qui peut enfin établir la confiance, faire refleurir le commerce, ſi ce n’eſt l’harmonie dans vos Aſſemblées ; pour vous accorder, il faut fronder vos prétentions particulieres, convaincre le Tiers-État qu’il n’a pas le droit lui ſeul de créer de nouvelles loix, & repréſenter au Clergé qu’il doit ſe dépouiller dans ce moment du faſte de ſes dignités & de la majeure partie de ſes prérogatives.

Perſuadez à la Nobleſſe, que c’eſt une injuſtice, une vexation criante, de refuſer de ſiéger avec le Tiers-État, comme s’il y avoit entre ces deux Ordres des barrieres invincibles.

Il n’y a pas de jour qu’un Noble ſans fortune ne ſollicite la main d’une demoiſelle du Tiers-État. Il n’y a pas de demoiſelle d’un ſang illuſtre qui n’ait mêlé ce ſang avec celui du Tiers-État ; & dans ce moment de détreſſe, dans un tems de calamité, vous craignez, Meſſieurs, de mêler vos idées avec celles des hommes qui vous valent peut-être.

Que l’honneur vous parle, que le bien de la patrie vous guide ; & ſans perdre vos titres & vos dignités, vous n’en ſerez pas moins l’ami de vos freres, leurs ſupérieurs en modeſtie puiſque vous renoncerez dans un moment d’union à votre rang, à ces droits que le rang vous donne & qui doivent être ſacrés dans toute autre circonſtance, mais qui ſont injuſtes & déplacés dans cette révolution.

Voila, Meſſieurs, ce qu’il étoit important d’obſerver aux trois Ordres.

J’oſe me flatter que ces obſervations ne ſauroient vous déplaire en faveur du motif qui me les a inſpirées.

Je vois que l’alarme regagne les eſprits, que la confiance acheve de ſe perdre chaque jour, & que tout vient déſeſpérant.

Eſpérons cependant qu’une criſe favorable, va ſe faire avant peu dans les États-Généraux : je n’ai pu m’en défendre ; la crainte que j’ai que la Nation va ſe perdre & entraîner celle de ma patrie, m’a transporté au-deſſus de moi-même. Je m’écrie, je m’élance, & mon zèle perce à travers le préjugé.

On peut exclure les femmes de toutes Aſſemblées nationales, mais mon génie bienfaiſant me porte au milieu de cette Aſſemblée, il lui dira avec fermeté que l’honneur même des premiers des Gentilhommes Français fut fondé ſur le bien de la Patrie, & qu’il s’écarte de ces nobles principes en s’éloignant du ſein du reſte de la Nation.

Si l’amour-propre l’emporte ſur la raiſon, ſans doute, Meſſieurs, vous allez condamner cet écrit ; mais l’auteur a une trop grande idée de vos nobles procédés, pour ne pas eſpérer que vos véritables ſentimens l’emporteront ſur cet amour-propre, & ſi dans cette circonſtance il a employé le ton impératif de ſon ſexe, c’eſt qu’il a ſenti qu’aux grands maux, il falloit appoſer les grands remedes. Et en vous aſſurant en même-tems que ſi ſon zéle patriotique l’a porté trop loin, le reſpect & l’eſtime qui vous ſont dus, Meſſieurs, le ramene à ſes véritables principes, & lui font reconnoître que la modeſtie doit être le fond de ſon caractère.

Un des deux partis doit céder ; vraiſemblablement, celui du Clergé ſuivra l’impulſion de celui de la Nobleſſe.

Eſt-ce au Tiers-État qu’il convient d’abandoner le ſien ? Eſt-ce à la Nobleſſe de ſe départir de ſes préjugés ; ces préjugés ne font-ils pas leurs droits, & ces droits ne font-ils pas la gloire & le ſoutien de la Monarchie Françoiſe ?

On ne peut ſe diſſimuler que les cahiers du troiſieme Ordre ont dû révolter la Nobleſſe, mais enfin, on peut tout ramener à la bienſéance ; & celui qui cédera, de la Nobleſſe ou du Tiers-État, ſera toujours le parti patriotique à qui la France devra ſon ſalut.