Le Cosaque (RDDM)

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Le Cosaque (RDDM)
Revue des Deux Mondes3e période, tome 109 (p. 664-672).
LE
COSAQUE

Depuis deux heures, la bataille était engagée. Dans cette journée d’automne, assombrie par le brouillard, Polonais et Musulmans s’étaient furieusement choqués les uns les autres et maintenant hommes et chevaux se confondaient sous les nuages de brume, de poussière et de fumée. Le piétinement et le hennissement des bêtes se mêlaient aux cris des combattans, au crépitement de la fusillade, au sonore cliquetis des lances et des épées.

En vain le général, debout sur une colline verte ayant auprès de lui l’étendard, deux évêques et quelques magnats, s’efforçait-il de suivre le combat. Le seul indice capable de le guider en quelque manière était l’éclair continu des batteries d’artillerie.

On ne voyait rien, du reste, sur toute l’étendue de la plaine, qu’une grande tache rouge incendiant de sa lueur le ciel fumeux, et çà et là un cheval sans maître ou un blessé. Les troupes s’étaient dispersées dans des combats isolés : ami et ennemi, Polonais, Cosaques, Turcs et Tartares, se confondaient, comme emportés eux aussi par la tempête qui souffle de l’Oural à travers la plaine sarmate et fait tourbillonner en sarabandes folles les feuilles mortes aux multiples colorations. Ce brouillard favorisait la résistance des Polonais ; sans ce voile, ils se fussent trop promptement aperçus qu’ils combattaient un contre dix. Les cris sauvages d’Allah dominaient de temps en temps le grondement des canons ; les flèches tombaient dru comme grêle, des lances craquaient froissées contre d’autres lances, un yatagan se croisait contre une autre lame menaçante et recourbée. Souvent, les adversaires en venaient aux mains, s’empoignant à bras-le-corps, on voyait même les chevaux se mordre mutuellement dans la fureur du combat. Par ici, une tête tranchée fendait sinistrement l’air et le cheval s’emballait emportant le torse décapité au milieu du brouillard ; par là, un soldat, cloué par une lance au sol, agitait désespérément les mains et les pieds.

Tout à coup, un hurrah sauvage retentit sur les flancs et les derrières de l’armée polonaise ; une horde de Tartares sortit ventre à terre du rideau de la forêt et se jeta entre les Polonais et le fleuve. Le général ne reconnut le danger que lorsqu’il était trop tard. De partout s’élevait déjà le cri de : « Trahison ! trahison ! » et chacun de tourner dos pour s’enfuir en tâchant de gagner le fleuve, le pont.

Avant de livrer bataille, au sein du conseil de guerre, le staroste Tarnowski avait proposé de n’attaquer les Turcs que quand ils auraient traversé le fleuve. Le sort que les Polonais avaient réservé aux ennemis devenait leur partage par un retour soudain de la fortune.

Affolé de ce brusque revers, mais ne perdant point son courage, l’intrépide chef de la cavalerie s’efforçait de retenir ses cavaliers débandés. Il se jeta au-devant des fuyards, les arrêtant par ses gestes et ses cris, et réussit enfin à rallier quelques centaines de cavaliers avec lesquels il fondit sur les Tartares.

Ce fut en vain. Les pièces d’artillerie des Polonais étaient déjà prises, et tout à coup, derrière l’armée vaincue, s’alluma un feu immense.

Les palefreniers venaient d’incendier le pont. À cette vue, les plus braves renoncèrent à poursuivre la lutte, chacun ne pensant qu’à se sauver, et ceux mêmes qui tombaient aux mains des ennemis se laissaient massacrer sans résistance.

Le général avait péri dans la mêlée, et bientôt sa peau tendue et desséchée résonnerait sur un tambour offert en trophée au sultan.

Des milliers d’hommes étaient massacrés et foulés par les sabots des chevaux, des milliers de soldats, faits prisonniers, se voyaient attachés à la queue des coursiers et emmenés en esclavage. De ceux qui parvinrent à gagner le fleuve, la plupart se noyèrent : quelques-uns, une poignée, pour la plupart composée de Cosaques, passèrent à la nage grâce à la vigueur des montures, et se trouvèrent provisoirement hors d’atteinte.

Deux coups de lance avaient blessé le staroste Tarnowski. En cet instant, une balle vint encore le frapper, et il s’abattit sur la selle, ainsi qu’une poupée dont le fil de fer est cassé. Personne pour l’assister, si ce n’est Godomine, son jeune Cosaque. Celui-ci, qui, bien des fois, a donné à son maître des preuves de sa fidélité et de son dévoûment, cherche une fois de plus à le sauver.

Un pacha, revêtu d’une pelisse de velours rouge sang, garnie de zibeline, accourt sur le blessé à brides abattues. Il lance avec une adresse incomparable vers le staroste le nœud de son lasso qui aussitôt s’enroule autour du cou du Polonais. Il va l’étrangler, et le pacha se réjouit déjà de la conquête d’un si noble esclave, lorsque le Cosaque tranche la corde d’un coup de poignard et disparaît avec son maître à travers les brouillards flottant sur la vallée.

Tout à coup le cheval du staroste s’abat.

Le Cosaque soulève son seigneur, le jette en travers de sa propre selle, et de nouveau il se remet en route dans la direction du fleuve.

Ils atteignent déjà dans leur course précipitée les premiers saules plantés sur les bords du fleuve quand le staroste exprime le désir de quitter le cheval.

Il lui est impossible d’aller plus loin : il sent que la fin approche.

Le Cosaque descend, porte dans ses bras robustes son maître bien-aimé jusqu’à l’arbre le plus proche, dégrafe son kontoush et tâche de panser le sang vermeil qui filtre de la poitrine ouverte.

— Ne te donne pas tant de peine, dit Tarnowski, Dieu m’appelle vers lui.

— Que sa volonté soit faite ! murmure le Cosaque ; mais, en ce cas, je vous accompagnerai, maître, au paradis.

— Non ! non ! s’écrie le staroste, usant déjà du geste, la voix venant à lui manquer. Et ma femme ? Est-elle donc destinée à finir ses jours au sérail du sultan ? Non, non !

Il prit haleine, cracha vers le ciel le sang qui l’étouffait, et regarda longuement le Cosaque, comme s’il eût voulu lire dans son âme.

Deux chevaux sans maître passaient dans le voisinage : l’un d’eux avança vers le mourant, hennit bruyamment, puis se sauva effarouché.

— Sauve-toi ! continua le staroste, tu es le seul de mes serviteurs à qui je puisse me fier comme à moi-même. Tu te rendras à Horgg : là, de ta propre main, tu égorgeras ma femme, cela vaut mieux que de la voir la proie des Tartares, cela vaut mieux que de penser qu’elle appartiendrait à un autre. De la sorte, personne ne l’aura.

Godomine regarda son maître d’un air absolument ahuri : — As-tu compris ?

Le Cosaque fit un signe de tête affirmatif.

— Tu exécuteras mes ordres ? Godomine hocha la tête pour la seconde fois.

— Jure-le-moi !

Le Cosaque leva la main et prêta le serment demandé.

— Bien. Maintenant, je peux mourir en paix et toi… pars, et que Dieu te garde !

Le staroste retomba en arrière, et de ses lèvres s’échappa une dernière oraison. Puis ses yeux se fixèrent dans la direction du nord comme ceux d’un homme qui, au moment d’entreprendre un grand voyage, jette un dernier regard sur son pays natal, sur son foyer. Quand le Polonais eut rendu son dernier soupir, Godomine sauta en selle et s’élança avec son cheval à travers le fleuve. Une troupe de Tartares accourue à toute bride lança à la poursuite du fuyard quelques flèches dont aucune n’atteignit Godomine.

Il ne fit que tourner dédaigneusement la tête, puis il cracha. Quand son cheval eut monté la rive opposée, l’animal, comme s’il partageait le sentiment de son maître, secoua son onduleuse crinière en poussant un hennissement joyeux.

Le Cosaque lança l’animal au galop, et bientôt le champ de bataille et le torrent des fugitifs disparurent perdus dans les ombres violettes. Un terrain couvert de bois épais accueillit le Cosaque. Il chemina sur le tapis velouté de mousse verte qui s’étendait sous de grands chênes, des hêtres et des bouleaux, qui, largement espacés, s’alignaient en longues avenues, étendant dans toutes les directions leurs vastes rameaux. Les sommets de ces géans séculaires étaient si touffus qu’ils dérobaient jusqu’à la vue du ciel et que seuls des rais de soleil isolés parvenaient à filtrer furtivement à travers leur feuillage.

Après avoir cheminé longtemps sous les feuilles frémissantes au milieu des mille bruits de la forêt, il ralentit l’allure de son cheval couvert de sueur.

Dans cette solitude, on n’entendait plus les rumeurs de la guerre, on aurait dit qu’il n’y avait pas d’hommes sur la terre. Les coups secs du pivert martelant de son bec l’écorce des chênes ou les cris d’un vautour se faisaient seuls entendre de temps en temps dans cette paix des choses.

Il faisait nuit, lorsque Godomine, laissant derrière lui le terrain boisé, se trouva en face de vastes marais et de nappes d’eau dont le miroir uni reflétait la lueur mate des étoiles, de petites mares et d’étangs couronnés de roseaux flexibles. L’intelligent cheval cosaque avança avec beaucoup de précaution, sondant de temps à autre de son sabot le sol incertain. Un brouillard blanchâtre s’élevait en légères nuées au-dessus de la terre et tout autour du cavalier commençait la danse des feux follets aux flammes séductrices.

Le Cosaque croyait voler comme le tsarewitch du conte sur le dos d’un loup ailé à travers l’espace céleste ; au-dessous de lui planaient les nuages, et tout autour scintillaient les essaims des étoiles.

Ce ne fut qu’au matin, lors de son arrivée dans un misérable village, que Godomine résolut de prendre un peu de repos.

Un chien salua le cavalier inconnu de ses aboiemens rageurs, une jeune fille accourut, pieds nus, en pelisse courte de peau de mouton, aux tresses flottantes, portant sur l’épaule une perche à laquelle étaient suspendues deux cruches.

Le Cosaque l’aida à les remplir d’eau et, reconnaissante, elle lui donna à boire ainsi qu’à sa monture. Après quoi la jeune fille fit paître ses chèvres, et tout en cueillant, pour apaiser sa faim, des baies de ronce qui mûrissaient partout aux basses branches des haies, Godomine raconta aux paysans effarés tout ce qui était survenu.

Peu après il repartit, traversant champs et pâturages, dépassant villages et manoirs, salué ici par le carillon des cloches, et là par le croassement des corneilles juchées sur les mottes noires des champs fraîchement défrichés.

Et il allait ainsi, chevauchant jour et nuit, à travers champs et forêts, marais et landes, ne laissant reposer un instant son cheval qu’auprès d’une source ou sur la lisière d’un champ. Le jour commençait à poindre quand il atteignit la steppe sablonneuse où était située la terre de Horgg. Les avenues vertes et sombres des pins s’étendaient à perte de vue, monotones, tristes, dans un silence majestueux.

Tout à coup, un vol de corbeaux partit derrière lui et passa silencieusement par-dessus sa tête, le devançant comme la noire armée des porteurs d’un lugubre message, et se perdit au loin, parmi les brouillards vermeils du matin.

Déjà, le château, enfermé dans la ceinture de murailles grises à toits de mousse, se levait sur une colline à douces pentes. Au bord de la route, se dressait une croix présentant au passant l’image du Sauveur mourant. Les fenêtres du castel s’embrasaient aux premiers rayons du soleil, et lorsque Godomine arriva dans la cour, les corbeaux le saluèrent du haut du beffroi de leurs discordantes clameurs. Sur-le-champ, le Cosaque fut introduit. Il attacha son cheval dans la cour, monta le raide escalier de service, passa, inaperçu, à travers l’antichambre, et respira profondément en s’arrêtant devant la porte de la chambre à coucher.

Quand il entra, une sorte de crépuscule rose régnait dans la pièce assez vaste. Le soleil y pénétrait, tamisé par les rideaux des fenêtres et du lit qui occupait le milieu, et sur les tapis de Perse qui couvraient le parquet comme sur les peaux d’ours du lit, il esquissait ses cercles d’or.

A demi ensevelie dans des oreillers blancs et des peaux moelleuses, sur ce lit reposait, les cheveux dénoués, une créature merveilleuse.

Le Cosaque s’arrêta devant elle, la regardant avec une émotion muette.

Une des grandes tresses blondes de la staroste courait sur sa poitrine, déroulée comme un serpent d’or gardien d’un trésor enchanté ; sa gracieuse tête, aux lèvres roses entr’ouvertes, était appuyée sur un de ses bras ; elle respirait tranquillement, régulièrement, comme un enfant qui sommeille, et l’hermine éblouissante de son peignoir de nuit, fait d’étoffe brochée d’or, s’agitait doucement, dressant dans un rythme égal, au bruit de la respiration, les mille poils de la blanche fourrure.

Il eut pitié de cette belle et jeune créature, qui dormait si insouciante, et il sembla à Godomine assister à l’éveil de quelque chose d’inconscient, compassion ou amour, qui venait de naître au fond de son âme.

Mais sa parole ! il avait juré de faire suivre à la femme la route déjà parcourue par son époux.

La tuerait-il dans son sommeil ?

Le pourrait-il quand elle ouvrirait les yeux ?

Devrait-elle enfin passer de vie à trépas sans une prière ?

Non.

Il s’approcha d’elle, lentement, toujours plus près, et l’éveilla en prononçant son nom d’une voix forte.

Elle respira profondément et se retourna sur sa couche.

— Ma très gracieuse dame !

Elle fit un nouveau mouvement, et couchée sur le dos, elle ouvrit ses yeux bleus, lentement, toujours plus grands, toujours plus étincelans.

Godomine sentit son cœur battre la charge.

— C’est toi, murmura-t-elle, et, s’enveloppant rapidement de ses couvertures :

— Qu’y a-t-il ? Qu’est-il arrivé ? D’où viens-tu ? — Du champ de bataille, madame.

— Où est le staroste, mon mari ?

— Mort ! madame, mort ; mais Dieu soit loué ! il a péri comme un héros.

La staroste épouvantée regardait fixement le messager du désastre. Pourtant elle ne pleurait pas.

— Mort ! murmura-t-elle sourdement.

— Nous avons perdu la journée, continua le Cosaque, et les infidèles, vainqueurs, s’élancent à notre poursuite, nous talonnent. Vous ne pouvez, vous ne devez, madame, être leur proie.

— Eh bien ! nous allons fuir ! s’écria la belle veuve.

— La dernière volonté de monseigneur fut, continua Godomine, de vous sauver de la honte, et il m’a enjoint de…

— De m’accompagner.

— Non, madame, non…

— Quoi alors ?

— De vous tuer.

La staroste contempla Godomine avec terreur, puis elle se mit à se frotter les yeux.

— Non, je ne rêve pas… je suis éveillée… mais toi… tu es fou !

— Non, madame, mais je dois obéir comme il convient à un brave serviteur.

— Tu n’exécuteras jamais pareil ordre.

— J’ai prêté au staroste mourant un serment sacro-saint. Priez, madame, vous allez mourir.

— Mourir ! .. Ah ! — Elle se dressa, et levant fièrement la belle tête : Suis-je donc à ce point abandonnée ? Va-t’en, misérable valet, ou je…

Elle allait tirer la sonnette, appeler, quand Godomine sortit brusquement son poignard de la ceinture et trancha d’un coup le cordon.

— Priez avant qu’il soit trop tard, répliqua le Cosaque.

— Mais je ne veux pas mourir ! s’écria-t-elle.

— Priez !

— Je ne veux pas !

— Alors que Dieu me pardonne !

Et Godomine prit dans son bras la belle veuve qui frissonnait de tout son corps et le menaçait des yeux ; dans la main droite du serviteur l’acier du poignard jetait des éclairs sinistres.

— Pitié ! s’écria la staroste.

Le Cosaque s’arrêta.

— Pardonne-moi ce que j’ai dit dans ces transes mortelles, continua-t-elle, j’étais folle. Tu n’es pas méchant, ton cœur est bon, tu auras pitié de moi.

— Priez, madame !

— Mon Dieu ! mon Dieu ! faut-il qu’un tel ordre s’accomplisse ? Elle se mit à prier et à pleurer. Une larme brûlante tomba sur la main de bronze du Cosaque. Il tressaillit et lâcha sa victime.

— Prends tout ce que je possède, dit tout à coup la staroste, prends cette parure…

— Vous êtes bien généreuse, madame, répondit Godomine, mais je ne trahirai pas mon maître pour n’importe quel trésor : je ne suis pas de la race des traîtres…

— Mais que veux-tu donc ? bégaya la staroste,.. oui,.. tu veux mon sang, pourquoi ? prends-moi plutôt vivante, corps et âme… prends-moi je suis à toi…

— Craignez Dieu, madame ! s’écria le Cosaque épouvanté.

— Ah ! mon âme, mon trésor ! continua la belle séductrice et elle enlaça le Cosaque en faisant de ses mains un lasso semblable à celui que les Tartares jettent dans la mêlée, et dont le nœud coulant paralyse le prisonnier et le rend leur esclave. Godomine tomba sur les genoux et cacha sa figure dans les vagues éblouissantes et molles de la fourrure qui ondulait autour des membres divins de la staroste.

— Tu es beau, murmura-t-elle, toujours je t’ai préféré à mon mari, et toi, ne t’ai-je point plu à mon tour ? .. — Elle riait doucement. Je le sais, va ! ., nie donc si tu peux…

Elle souleva lentement la tête du Cosaque et le baisa à pleine bouche.

— Ayez pitié de moi, murmura le malheureux.

Pour toute réponse la staroste l’étreignit plus fort et faillit l’étouffer de ses lèvres de nixe.

— Laissez-moi, madame, s’écria Godomine, laissez-moi. Je n’ai point aux veines le sang de Judas !

— La vie s’ouvre devant nous, continuait la preneuse d’âmes : à nous les doux propos, aux morts le silence. N’est-il pas beau de vivre et d’aimer ?

— Je ne veux pas, dit le Cosaque, j’ai juré.

— Eh ! qu’est-ce qu’un serment ? .. Qu’est-ce que la fidélité ? reprit la staroste en riant délicieusement.

Elle attira de nouveau le Cosaque vers elle ; mais son abandon même finit par mettre le comble à l’indignation de Godomine et lui rendit toute sa force.

— Laisse-moi, femme, s’écria-t-il, ne me tente pas, démon ! Et tandis qu’il enroulait les tresses dorées autour de sa main, il enfonça le poignard dans le cœur de la staroste. Elle poussa un cri, cambra une dernière fois son beau corps, et retomba râlant.

Devant sa couche, le Cosaque s’était agenouillé, et faisait sa prière en silence.

Quand il eut achevé le signe de la croix, il se leva… Le vœu du Polonais était accompli, sa femme morte. Ah ! elle était belle, même dans la mort, étendue dans les flots d’une fourrure d’hermine inondée de sang, perdue au milieu du nuage doré de ses cheveux blonds épars.

Le Cosaque traça sur elle le signe de la croix, puis il quitta rapidement la chambre mortuaire, se précipita en bas de l’escalier, sauta en selle en criant aux gens qui s’étaient rassemblés autour de lui : « Le seigneur est mort ! Les infidèles approchent ! Sauve qui peut ! »

Et tout aussitôt se produisit une confusion indescriptible.

Cependant, le Cosaque avait passé le portail et s’éloignait ventre à terre à travers champs et prairies, fossés et ruisseaux, que son cheval franchissait d’un bond audacieux. On eût dit, avoir sa course affolée, que la belle créature chevauchait derrière lui sur le cheval écumant, fouettant cavalier et monture de ses tresses dorées. Arrivé dans la steppe, entouré du vert et onduleux océan d’herbes fleuries où se balançaient des rayons de soleil, ayant au-dessus de sa tête l’azur bleu du ciel, le Cosaque mit sa monture au pas.

Alors, il jeta un profond soupir et, levant la tête, contempla le firmament, comme s’il regardait sans peur, sans reproche, dans les yeux mêmes de Dieu.


SACHER-MASOCH.