Le Corset de toilette/Au point de vue anatomo-physiologique

Mme & M.
Librairie Médicale et Scientifique. (p. 31-47).

LE CORSET
au point de vue anatomo-physiologique


« Le corset a le droit de se mouler sur les formes naturelles du corps ; il n’a pas celui de les soumettre à sa propre forme. Malheureusement, c’est ce qu’il réalise en général. » [1]


Nous avons traversé depuis lors une période de transition où la mode et l’hygiène ont essayé de se mettre d’accord. Sous le feu de la critique, on a fait effort pour restaurer élégamment sinon physiologiquement cette pièce de toilette, dont tous les types antérieurs peuvent être réformés au nom de la santé publique et d’une esthétique normale. A-t-on cependant trouvé le modèle idéal ? Il serait téméraire de l’affirmer. Si le cachet de la coupe se prête mieux à l’élégance géométrique de la toilette, il n’en va pas de même pour la liberté accordée au thorax et aux organes splanchniques de la femme. Cela tient à ce que les professionnels du corset ne connaissent que peu ou point les termes de l’équation qu’ils ont à résoudre. Pour eux, l’X Anatomo-physiologique reste encore irréductible.

Dès lors, s’ils ignorent les organes abdomino-thoraciques et la situation que ces derniers occupent précisément, comment arriveraient-ils à une réalisation physiologique ? Comment se garderaient-ils encore de l’écueil où tous échouent, s’ils ne possèdent pas une connaissance complète du squelette thoracique et de la mécanique respiratoire ? Pour atteindre un résultat depuis si longtemps cherché, encore faudrait-il savoir trouver et repérer sur la plastique féminine la situation de chacun des organes à soutenir ou à ménager. En prenant les mesures, en coupant les pièces d’un corset, en l’ajustant, encore faudrait-il avoir nettement présente à l’esprit la topographie des organes contenus dans les deux cavités splanchniques, dont cette pièce de toilette enferme, comprime et meurtrit trop souvent les parois.

Or, à ce point de vue, les essayeuses, les confectionneurs, sont-ils en possession d’une instruction technique appropriée, suffisante ? Alors qu’ils appliquent sur nature, leur a-t-on enseigné remplacement et le jeu physiologique des viscères que le « corps de baleine » peut déplacer, léser ? Connaissent-ils l’assemblage, la fonction et le mode d’articulation des pièces du squelette thoracique? Sont-ils en situation de prévoir les effets désastreux que peut produire une striction prolongée au niveau des hypocondres et de l’hypogastre ?

Le jour où le corset de toilette sera mis au point par des professionnels spéciaux, en possession des connaissances indispensables, où la généralité des médecins ne dédaignera pas trop de s’occuper de la question et de guider la clientèle, on constatera avec surprise tout ce que cette pièce d’habillement peut produire de favorable au triple point de vue physiologique, orthopédique et esthétique.

Que les adversaires du « corps de baleine » nous permettent de produire nos preuves. À la rigueur, nous pourrions appuyer simplement nos affirmations sur les ordonnances quotidiennes qui nous viennent des praticiens les plus qualifiés, ordonnances où ces derniers spécifient certaines dispositions particulières aux corsets qu’ils prescrivent. Nous préférons amener nos lectrices jusqu’aux déductions raisonnées. Nous pourrions trouver encore dans Bouvier, cité précédemment, et dans nombre d’auteurs, la pleine confirmation d’une confiance qui reste fondée sur de multiples expériences. Mais nous ferons la part plus belle à nos contradicteurs. Et pour qu’on ne nous accuse point d’obéir à un système ou de rien dissimuler, nous mettrons tout d’abord au premier plan la dure critique que fait, du corset mal construit, ce célèbre médecin orthopédiste : « Nul doute, écrit-il, que des accidents nombreux ne puissent être la suite de l’emploi mal dirigé des corsets, lorsqu’ils présentent quelque vice de construction, lorsqu’ils sont serrés outre mesure ou que les parties rigides qu’ils contiennent exercent des pressions exagérées, stigmates, excoriations, gêne de la circulation, compression du plexus-brachial, froissement des seins, difficulté de certains mouvements, atrophie des muscles, abaissement et rapprochement des côtes inférieures qui s’impriment dans le foie, refoulement du diaphragme, compression des poumons et des autres viscères ; — d’où dispositions à l’hémoptysie, aux palpitations, syncopes, lésion des fonctions digestives, réduction du volume de l’estomac, paresse de l’intestin, abaissement de l’utérus, etc., etc. » Et nous faisons grâce ici à nos lectrices de tout ce que cet auteur ajoute en ce qui concerne la gestation.

Et cependant, ce maître, suivi depuis par les hygiénistes et les chirurgiens orthopédistes, constate et décrit l’utilité du corset. Si bien, qu’il en préconise, qu’il en ordonne l’emploi en orthopédie, c’est-à-dire chez ceux dont l’organisme défectueux exige les plus sérieux ménagements, les plus rigoureuses précautions hygiéniques. Notons que ce chef d’école était parfaitement situé pour émettre une opinion valable, surtout après son impitoyable critique, puisqu’il a pratiqué et enseigné l’orthopédie vertébro-thoracique pendant de longues années. Or, nous insistons sur ce point, il fut l’un des plus actifs protagonistes du corset bien fait. En cela, il semble même avoir tracé la voie aux spécialistes contemporains, qui l’emploient comme un soutien efficace du tronc et comme un agent favorable du développement thoracique des adolescentes. Mais Bouvier fait plus : il le conseille aux dames « pour soutenir leurs organes, assurer l’aisance et la correction de leur tenue ».

Poursuivons cette analyse. Et en plaçant sous les yeux du public féminin le tableau fidèle des critiques motivées, formulées par les adversaires qualifiés du corset mal fait, on comprendra nettement que nous ne cherchons point à effrayer inutilement nos lectrices pour les abandonner ensuite perplexes et sans solution. Notre but est tout autre. Pour l’instant, nous voulons simplement éveiller leur méfiance, guider leur esprit d’observation, et, par là, les mettre en garde contre certaines défectuosités, certains abus. Nous tenons surtout à reviser clairement la critique d’une question dont la solution reste encore obscure, parce qu’elle a été traitée avec trop de parti pris.

Cependant, si nous rapportons et les critiques et les conseils réfléchis des savants qui se sont occupés de la question, si nous les commentons ensuite, on constatera que c’est pour en tirer de meilleures applications techniques, pour en constituer la base d’une réforme qui s’impose à une confection trop indigente, trop rudimentaire, physiologiquement. Enfin, si nous exposons en pleine lumière les réserves, les précautions indispensables que l’hygiène et la thérapeutique prescrivent en cette matière, c’est pour que le grand public féminin saisisse plus vivement combien la conception, l’application du corset de toilette restent choses difficiles, délicates, scientifiques même. D’ailleurs, nous verrons que la réaction en faveur du corset rationnel — dont l’usage a été formellement interdit par certaines universités à leurs élèves — se manifeste un peu partout aujourd’hui. Notre protestation personnelle, déjà ancienne, a eu quelque écho. L’opinion que nous avons recueillie chez nombre d’hygiénistes et de praticiens français s’est répercutée jusqu’en Allemagne, où une célébrité médicale, le Dr Moeller, déclare : « Que l’abolition du corset est chose absurde et anti-hygiénique, parce que le corset bien compris peut avoir un rôle important, qui est de soutenir les épaules et la poitrine, tout en assurant aux poumons un jeu plus libre ».

Bien qu’insuffisante, cette définition était bonne à recueillir ; elle contient implicitement une partie de ce que nous établirons par la suite. En fait, le problème présentait trois difficultés principales, dominantes, à résoudre : 1° maintenir à leur niveau fonctionnel, dans leur situation normale et sans constriction, tous les organes abdominaux ; 2° soutenir symétriquement le rachis, le squelette thoracique, les seins, tout en libérant les poumons ; 3° enfin, assurer ou restituer à la stature féminine l’aisance des flexions, la grâce, la distinction d’allure que la femme moderne s’efforce d’atteindre sans toujours y réussir. Or, à ce point de vue particulier, l’opinion du regretté Dr Proust, de l’Académie de Médecine, mérite d’être citée textuellement. L’avis de cet éminent praticien a une saveur toute particulière, un caractère éducateur dont nous ne voulons point priver nos lectrices :

« Toute compression excessive, dit cet auteur, en gênant la circulation capillaire, produit, sur toutes les parties du corps où elle s’exerce, des congestions dangereuses et des déformations souvent incurables. Il ne faut pas que le corset porte jusqu’à l’exagération la finesse de la taille. Il y a une perversion de goût et, disons-le, un coupable attentat contre soi-même dans cette application de certaines femmes à réduire à un étranglement ridicule et choquant la partie moyenne du corps. La femme mince est loin d’être la femme svelte. Le corset trop serré, trop raidi par les lames de baleine, détruit l’ondulation des lignes, rend la marche saccadée, plaque le visage de rougeurs malsaines et contrarie surtout le jeu libre des organes respiratoires ».

On ne saurait mieux dire. Et cependant, M. le Dr Proust ne condamne point le corset. Bien au contraire, car il ajoute comme un juste correctif, comme une indication pratique, la réserve suivante : « Loin de nous cependant la pensée de faire au corset un procès trop sévère. Il est indispensable pour assurer le développement régulier des formes, pour maintenir les femmes et les adolescentes dans l’habitude de se tenir droites et de ne point s’abandonner à une liberté d’allures très nuisible à la beauté ».

Dès lors, appuyé sur l’avis des Docteurs Bouvier et Proust, ces deux magistrales autorités, peut-être pourrait-on borner ici la démonstration et conclure. Nous pensons au contraire que la vérité tout entière doit être connue de nos lectrices.

« Le vrai, le vrai seul ! » s’est écrié, dans un élan de sincérité philosophique, un écrivain distingué mais sceptique. Qu’on nous permette de reprendre cette forte parole pour l’adapter aux proportions de notre cadre. Qu’on nous laisse appliquer cette méthode rigoureuse à un sujet traité communément de façon trop légère. Le madrigal, la flatterie spéculatrice, si souvent exploités à cette occasion par ceux qui vivent de la mode, n’auront point ici leur place. Pour avoir prétentieusement tourné quelques précieuses fadeurs à l’adresse de la clientèle mondaine, lui aura-t-on rendu meilleur service ? Point. Nous ne tenterons pas d’égarer une fois de plus la finesse instinctive des femmes. Nous entendons faire œuvre plus sérieuse, plus utile, au profit d’une clientèle très mal informée d’un sujet qui l’intéresse directement.

En ce sens, et pour modifier une négligence, une indifférence dangereuses, il nous paraît urgent de combler certaines lacunes descriptives et de présenter franchement une série d’observations professionnelles dont l’importance n’échappera à personne.

Que nos lectrices consentent donc à entendre ce qu’on leur a trop dissimulé jusqu’ici. Qu’elles acceptent des indications qu’elles pourraient suivre en tout état de cause. Il est nécessaire que la femme s’affranchisse définitivement d’une ignorance qu’elle paie trop cher ensuite. Courageusement, méthodiquement, entrons donc dans le vif de notre sujet. Au cours de notre examen, si nous devons toujours avoir présents à l’esprit les graves défectuosités, les méfaits bien connus et hautement critiqués du corset de toilette, nous devrons encore dénoncer — et c’est le point le plus délicat de notre tâche — les innombrables tares vertébrales et thoraciques observées dans la clientèle mondaine, chez un très grand nombre de personnes qu’on supposait douées au moins d’une plastique normale.

Écartant alors les subtilités de langage et les illusions dangereuses, nous confesserons que nos applications quotidiennes révèlent trop souvent de véritables déformations vertébro-thoraciques chez des femmes qui ont tout le temps de s’occuper d’elles-mêmes, de se soigner, et qui, observatrices superficielles, se croyaient absolument indemnes, bien faites même[2].

Or, ces constatations si fréquentes, si frappantes, devaient nous amener à fondre, à combiner les éléments techniques, complexes, puisés au cours de notre pratique professionnelle, et cela, pour en constituer la méthode génératrice d’une confection anatomo-physiologique du corset de toilette. Il était d’autant plus urgent d’aviser, que les dames restent à la merci d’habilleuses dont l’ignorance, l’obligeance ou le calcul s’ingénient à cacher la désagréable vérité.

Tout d’abord, le public féminin devait être averti, sérieusement renseigné. Puis, loin des procédés et des formes condamnables, on devait chercher, trouver un type rationnel adaptable à toutes les dispositions anatomo-plastiques féminines. Ces dispositions devaient restituer enfin au squelette et aux muscles du tronc, ainsi qu’aux organes internes, la plus large somme de liberté alliée à une hygiénique contention. À ce point de vue, de beaucoup le plus important, il fallait procéder expérimentalement. Appuyé sur une sérieuse topographie anatomique et sur une observation méthodique, soutenue, des phénomènes mécaniques, désorganisateurs, qui suivent l’application des mauvais corsets, on devait constituer une méthode vraiment rénovatrice et appuyer cette méthode sur une expérience orthopédique vérifiée. Qu’on ne s’étonne pas trop de cette dernière nécessité. Nous nous en expliquerons au chapitre suivant.

Avant tout, il fallait en finir avec les deux grandes causes perturbatrices signalées, condamnées par tant d’auteurs compétents, autorisés : 1° La striction dangereuse, déformatrice, circulairement répartie sur le thorax par le corset ; 2° l’action mécanique latéro-antérieure, nocive, exercée par cet ajustement sur tous les viscères abdominaux.

Or, si aride, si peu récréatif que cela puisse leur paraître de prime abord, que nos lectrices veuillent bien nous suivre un moment sur le terrain technique où nous nous proposons de les guider et où elles formeront leur conviction.

Squelette thoracique normal.
xL’angle xiphoïdien A’, B, G, a conservé son ouverture normale.
xA. Sternum.
xB. Articulation costo-sternale.

Deux savants, spécialistes qualifiés, Hausmann et Dechambre[3], démontrent avec pièces à l’appui : « que le corset produit son plus fort degré de constriction au niveau des 9, 10, et 11e côtes. Des mensurations faites sur cent femmes, il résulte qu’on a trouvé entre le périmètre de la 4e et 5e côte et le périmètre au niveau des 8e et 9e côtes, une différence de 6 à 10 centimètres au détriment du dernier ». Un premier sillon costal se produit ainsi à la partie inférieure du thorax, en altérant à la fois et sa forme et sa fonction.

Mais un second stigmate important, se manifeste

en même temps,
Squelette thoracique déformé d’après Chapotot.
xxxL’angle xiphoïdien A’, B, C s’est fermé, le sillon central est visible au niveau des 8e, 9e et 10e côtes.
c’est la diminution de l’angle xiphoïdien. « Les

côtes refoulées en dedans et en bas, nous dit Chapotot, tendent à se rapprocher de la ligne médiane, à effacer l’espace xiphoïdien, pendant que leur courbure verticale s’accuse jusqu’à former une sorte d’angle en avant de la ligne axillaire »[4].

Le thorax prend alors la forme d’un baril[5]. Le schéma suivant, pris dans une thèse des plus intéressantes, éclairera cette courte description. L’action auto-déformatrice exercée par le corset mal fait est donc nettement, dûment constatée. Ce dernier imprime son stigmate par une déformation osseuse qui ne disparaîtra plus.

Ce n’est pas tout. Il nous faut encore comprendre la réaction mécanique, pathogène, du corset sur la mécanique respiratoire.

Au cours de la respiration, on sait que les côtes, articulées aux vertèbres, se soulèvent en masse et se rapprochent les unes des autres sous l’impulsion des muscles inspirateurs. Le thorax intercepte alors des espaces de section elliptique de plus en plus grands et porte en tous sens ses diamètres au maximum d’ouverture. En sorte qu’au sommet de l’ascension costale (inspiration complète) le thorax présente une capacité notablement plus grande qu’au dernier temps de la respiration (expiration achevée). Or, le corset ajusté, constitué de tissus inextensibles, coupé sur des patrons anti-anatomiques, ne peut se prêter à cette ampliation pneumo-costale et limite, diminue d’autant le champ respiratoire[6]. Enfin, au deuxième temps de la respiration (expiration complète), les côtes, physiologiquement redescendues, occupent de nouveau l’espace périmétrique plus restreint qu’elles interceptaient au début du premier temps. Ici encore, sous l’action des corsets inextensibles, en serrage permanent, ce mouvement ne peut s’accomplir entièrement. À la déformation thoracique signalée plus haut, s’ajoute donc une véritable entrave au jeu souple des articulations chondro-sternales, à l’inspiration et à l’expiration pulmonaires. L’étendue des mouvements respiratoires est ainsi gravement diminuée. Sous cette striction déformatrice, l’appareil pneumo-costal n’a plus son libre jeu dans les espaces normaux ; le diaphragme fonctionne à peine ; d’où une respiration moins profonde, plus rapide, moins oxydante du sang[7].

De ce vice de confection, de ce serrage circulaire, résulte encore une mauvaise circulation capillaire, et, à la longue, une atrophie marquée des muscles thoraciques, immobilisés, compressés par l’entrave irréductible appliquée tout le jour à l’appareil musculo-costo-respiratoire. Par suite, il se peut produire une dégénérescence de la fibre musculaire, un affaiblissement de sa tonicité, de sa résistance normale. À tel point que certaines femmes ne peuvent plus se soutenir sans fatigue, sans effort, sans douleur musculaire, quand elles sont privées de leur corset[8].

Devant de telles constatations, que restait-il à faire pour libérer absolument le système respiratoire, pour céder à l’ampliation thoracique ? C’est alors que nous avons mis à contribution et combiné tous les moyens, tous les procédés dont notre expérience professionnelle nous avait démontré l’action favorable. Épousant les formes plastiques sur des repères anatomiques rigoureusement déterminés, nous avons profilé et cambré la taille au point d’élection[9], en libérant même les côtes inférieures. Puis, aux tissus rigides, obstinément employés par la confection traditionnelle, nous avons associé l’emploi de tissus extensibles et aérophiles à la fois, comme nous le pratiquions déjà depuis de longues années en orthopédie et en physiologie. Par ce moyen, nous laissons aux articulations chondro-costo-sternales et costo-vertébrales toute l’amplitude de leur course oscillatoire, toute leur souplesse de jeu, en restituant par ce fait même au diaphragme toute l’énergie de son action. En employant ces tissus, en les ajustant sur une coupe anatomique précisément adaptée au fonctionnement normal des organes, nous poursuivions un triple résultat : 1° accompagner, faciliter le rythme respiratoire et permettre la libre augmentation des diamètres thoraciques pendant l’inspiration profonde ; 2° restituer à la femme vêtue de son « corps de baleine » la respiration abdomino-diaphragmatique entravée par les corsets les plus réputés, les plus modernes ; 3° enfin, respecter et contenir en place la masse viscérale, définitivement affranchie de toute constriction, préservée de tout déplacement, de toute ptose.

Ce n’est pas tout, car si l’on nous a exposé les conséquences pathologiques des troubles que le corset détermine par son action mécanique, troubles portant sur la circulation, la respiration et la digestion, on ne nous a pas offert encore le moyen pratique d’affranchir le public féminin de tout ce cortège de phénomènes pénibles, dangereux. Là encore, pour les supprimer, on devait examiner les effets que la constriction et le refoulement latéro-hypogastrique peuvent avoir sur la situation et le fonctionnement des viscères abdominaux. Or, les organes de la nutrition, et surtout l’estomac, ont beaucoup à souffrir de la pression exercée par le corset. Le foie, la rate, les reins, l’utérus même peuvent être intéressés. En effet, le corset mal fait exerce au niveau des hypocondres et sur la région épigastrique une pression des plus anti-physiologiques. Cette action mécanique, qui a pour effet de porter le trouble dans la statique abdomino-épigastrique, entraîne à sa suite, nous dit un auteur : « la flacidité de l’abdomen, l’hypostase, l’atonie et la ptose des différents viscères, en particulier de l’estomac, ce syndrome de l’entéroptose et de l’atonie gastro-intestinale neurasthénique ». Cette action peut encore refouler le foie et la rate en bas et en avant. Ce mécanisme de déplacement nous est expliqué de la façon suivante : « Refoulés de haut en bas et d’avant en arrière, ces organes trouvent l’angle xiphoïdien dans l’aire duquel ils cherchent à passer ; mais cet angle se rétrécit lui-même sous l’action d’un serrage exagéré, et, d’autre part, le busc est là, formant une barrière rigide et compressive, refoulant en arrière et en bas les organes qui viennent faire une poussée derrière lui. Ils sont obligés de suivre la seule route qui leur reste ouverte : la cavité abdominale où ils pénètrent en suivant la filière formée par le corset. En effet, tandis que la constriction resserre la partie la plus large de l’abdomen, la région ombilicale se dilate, propulsée en avant ; l’aire la plus grande diminue, la plus petitegrandit ».

Situation de l’estomac normal, d’après Chapotot
En résumé, les organes situés au niveau des hypocondres sont pris entre trois forces expulsives : « deux latérales et une antérieure. En même temps qu’elles agissent perpendiculairement à la paroi, elles agissent aussi verticalement, la résultante est donc oblique en bas et en dedans »[10].

Mais au milieu de tout cela que devient l’estomac ? « Ce dernier est saisi entre la rate et le foie, plus résistant que lui ; forcé de s’aplatir plus ou moins, et, pour récupérer son volume normal, il s’effile et bascule en bas, cherchant de l’espace dans la cavité abdominale, en même

temps qu’il est refoulé à gauche par le foie
Trouble de la statique abdomino-épigastrique. Situation anormale de l’estomac disloqué par le corset, d’après Chapotot.

« plus lourd et plus volumineux que la rate. L’estomac dont la statique est modifiée, tend à reprendre une situation qu’il avait dans l’enfance et surtout pendant la vie intra-utérine ; il s’adapte à l’espace qui lui est laissé libre. Sous l’influence du corset, l’estomac peut devenir vertical, le pylore s’abaisser, la grande courbure descendre plus ou moins au-dessous de l’ombilic »[11].

Schéma donnant la forme normale de toute la région épigastrique et abdominale et montrant la situation et la forme du foie normal.
D’après Chapotot.

D’où une véritable dislocation de l’estomac, amenant une série de troubles gastriques, parfois fort graves, trop connus du grand public féminin pour que nous insistions ici[12].

Est-ce tout enfin ? Non pas. Tous ces désordres sont solidaires. Et l’estomac ne peut subir une pareille déformation sans que le foie ne se déplace et soit déformé primitivement. Ce fait a été fréquemment observé. On a pu constater par exemple que la constriction exercée par le corset peut aller jusqu’à imprimer les côtes dans le foie et jusqu’à l’abaisser. Corbin prétend que c’est la partie antérieure du foie qui descend, de sorte que sa surface normalement supérieure devient antérieure et verticale.

Le rein lui-même, avons-nous dit, peut être déplacé : « Jusqu’à l’apparition

des travaux du Dr Glénard,
Schéma démontrant la forme anormale de toute la région épigastrique et abdominale et la situation nouvelle du foie déformé et entraîné par en bas, d’après Chapotot. On remarquera la dépression épigastrique, celle des hypochondres, la saillie abdominale et la diminution de capacité du ventre.


on considérait comme très rare le prolapsus du rein. Mais cet auteur déclare qu’on peut avoir une néphroptose sans être malade et avoir la maladie dite du rein mobile sans avoir de néphroptose ». « Il soutient enfin que la néphroptose peut être due au corset ». Or, observe E. Chapotot, il est un point sur lequel on n’a pas suffisamment insisté. Cet auteur reprenant la description de Bouchard, qui explique la descente du rein par la congestion du foie, affirme que c’est constamment à droite que l’on trouve l’ectopie rénale. Pourquoi ? Parce que c’est le foie qui le chasse de sa loge. L’action du foie refoulé par le corset, se répercuterait donc à la fois sur l’estomac et sur le rein. En ce qui concerne ce dernier, Bouchard dit : « Qu’on trouve l’ectopie du rein droit chez les dilatés dont le thorax est le siège d’une constriction habituelle à sa base ». Le mécanisme de déplacement s’expliquerait ainsi : « le corset empêche le foie, lorsqu’il augmente de volume, de passer au devant du rein. Or, lorsqu’il se produit des poussées congestives hépatiques, de dix à quinze fois par an, on comprend, dit Chapotot, que le foie, refoulé peu à peu, se déplace consécutivement à l’élongation graduelle de ses attaches vasculaires »[13]. L’action du corset dans la néphroptose, dans l’ectopie rénale, paraît donc également et sérieusement établie.

Arrivés ici à peu près au terme de notre examen, résumons donc brièvement les accusations portées, solidement établies, contre le corset mal fait : déformation costo-thoracique au niveau des 8e, 9e et 10e côtes, — rétrécissement de l’angle xiphoïdien, — projection sternale exagérée, — diminution de la capacité pneumo-costale, — entrave au mécanisme respiratoire, — atrophie des muscles thoraciques, — refoulement et plissement du plancher diaphragmatique, — diminution de la circulation capillaire, — dislocation de l’estomac avec tous les troubles qui en résultent, — enfin, déformation, altération et ptose de tous les organes abdominaux[14].

Or, qu’a-t-on su opposer jusqu’ici à un réquisitoire aussi formidable ? Quelles dispositions nouvelles, quels progrès sérieux, réels, quelles modifications anatomo-physiologiques enfin les professionnels du corset ont-ils imaginés pour donner satisfaction aux trop légitimes griefs dont nous venons de voir l’inquiétant exposé ?

Pour notre compte, si nous avons résolu de justifier l’usage du corset, c’est après avoir affranchi ce dernier d’une confection trop ignorante des prescriptions indiscutables ; c’est après l’avoir doté de dispositions anatomo-plastiques nouvelles, vérifiables, qu’on cherche à copier de toutes parts.

De cette méthode génératrice, expérimentale, de cette adaptation physiologique, dont nous complétons ici le sommaire exposé, est sorti une technique neuve aussi.

Entre autres modifications, un dispositif récent nous permet de placer aux parties antero-latérales du corset, au niveau des articulations costo-vertébrales, costo-sternales et de l’interligne costo-pelvien, un tissu spécial qui assure l’intégralité du soulèvement et de la projection respiratoires. Ce procédé nous procure un autre avantage précieux. Il évite la réaction sur les viscères abdominaux par pression oblique de haut en bas, laissant ainsi intacte toute l’énergique résistance du plancher diaphragmatique, laissant encore tous les organes abdominaux à leur hauteur et à leur place.

Ce résultat, d’une importance capitale, a été réalisé sur une coupe d’ajustement anatomo-plastique élégante, qui sied admirablement à la régularité naturelle des lignes, à la finesse des ajustements, à l’aisance, aux dégagements du corsage. Il semble même que cette coupe normale s’harmonise plus heureusement avec la grâce des reliefs du buste, la souple correction, la distinction de la stature, toutes choses auxquelles les corsets du commerce ne sauraient prétendre.

En effet, épousée, cambrée au point d’élection ilio-costal, la taille se modèle plus avantageusement par des courbes plus harmonieuses, plus naturelles, plus symétriques. Précises et raisonnées, ces proportions anatomo-périmétriques assurent à notre corset une stabilité, une fixité qui l’empêchent de remonter vers les aisselles pendant la station assise et les grandes flexions. On sait que cette strangulation ascensionnelle constitue l’une des grosses défectuosités des corsets en général.

Or, cette défectuosité nuit à la plasticité du corsage et constitue de plus un très grave inconvénient physiologique. Tout corset représente en effet une sorte de cornet de section cylindro-conique qui vise à arrondir la taille ; mais, en se déplaçant, il remonte pour opposer ses plus petits diamètres, angle de confection de la taille[15], aux diamètres les plus larges du buste, niveau des 8e, 9e et 10e côtes. Dans ce mouvement ascensionnel, il oppose donc un obstacle supplémentaire à l’ampliation thoracique, au rythme respiratoire. Or, cette difficulté, nous l’avons réduite. Et cela nous a procuré par surcroît le moyen d’éviter l’application des ressorts et des baleines, si malheureusement incorporés dans les flancs et sur les hanches. Nous supprimons en partie, par cela même, une armature mal disposée, nuisible à la statique régulière du buste, qu’elle raidissait et blessait, en limitant de plus l’étendue, l’aisance des flexions.

En somme, à la suite d’une révision minutieuse des graves, des indiscutables objections opposées à l’usage du corset de toilette, nous tenions à démontrer que nous avions pratiquement réussi à réduire les multiples difficultés qui se dressent devant la réalisation de cet ajustement, parce que nous le confectionnons avec le respect absolu des règles formelles dictées par la science.

Nous tenions à prouver encore que cette confection expérimentale était absolument conciliable avec une esthétique rationnelle, proportionnelle, normalement idéalisable, esthétique que nous pouvons en tous cas compléter par de légères modifications orthopédiques, lorsque ces dernières sont formellement indiquées.

Avant de condamner absolument le corset, peut-être aurait-on dû se rendre compte du parti qu’il est possible d’en tirer, à condition de lui imposer les réformes indispensables.

Le public féminin n’a si prodigieusement généralisé l’usage du corset, que parce qu’il n’est plus une seule femme qui ne sache, qui ne sente au moins instinctivement que le corsage surtout doit être irréprochablement habillé ; pas une qui ne fasse effort pour y réussir[16]. La critique est fort aisée, j’en conviens ; mais n’est-il pas préférable de rechercher les moyens propres à doter les dames de l’ajustement hygiénique qui leur est indispensable ? Qu’on cesse donc de morigéner le public féminin sur ce point ; qu’on lui apporte préférablement une solution qui concorde avec les enseignements de l’hygiène et de la physiologie. La femme ne renoncera plus désormais à orner, à parer son buste, c’est-à-dire ce qu’elle présente de plus délicat, de plus sculptural, de plus noble dans ses onduleux contours. À toutes les époques, avec leur sentimentalité aiguë, leur sens de l’esthétique, leur idéalisme profond, les grands artistes ont su en tirer des effets merveilleux, que nous retrouvons gravés dans le marbre ou fixés sur la toile. Avec leur science des proportions, leur originalité professionnelle, leur respect du normal, ils ont su faire jaillir de leur ciseau ou de leur palette tout ce que la femme peut offrir de charme naturel, de grâce correcte, de-fierté douce, de suave distinction. Par une mise en œuvre adroite et fidèle à la fois, très exclusive du phénoménal, ils ont su reproduire et placer dans un relief charmant les courbes élégantes du buste féminin. Or, s’ils nous ont doté de tant de chefs-d’œuvre dans lesquels ils ont idéalisé, poétisé la nature, c’est qu’ils professaient l’horreur du phénoménal, nous le répétons, et le respect absolu, le culte des proportions naturelles, parfaites…

C’est ce que la mode ne devrait jamais oublier.

D’ailleurs, disons-le nettement, que recherche la femme de goût depuis qu’elle fait usage du corset ? Qu’en espère-t-elle à notre époque ? N’est-ce point un relief discret des formes régulièrement esquissées ? N’est-ce pas un support commode, proportionnel, reproduisant un galbe souple dans sa symétrie ? N’est-ce pas une aisance, une franchise d’allures qui, tout en plaçant la beauté honnête du corsage au premier plan, laisse aux lignes du buste une grâce plastique d’autant mieux appréciée qu’elle reste comme voilée d’une aimable réserve ?

C’est au moins notre conviction d’avoir touché ces résultats avec le nouveau corset anatomo-plastique que nous présentons à la clientèle féminine et au corps médical.

Ce corset fournit toutes les garanties nécessaires : s’il corrige, assure et rehausse la beauté régulière des lignes, la souple aisance du port, il protège et contient à leur niveau fonctionnel, par surcroît, les organes si fragiles de la femme[17].

Ainsi, cette dernière sera mise enfin en situation de respirer, de digérer, de se nutrifier, de se mouvoir librement et de vivre sans souffrir dans ses ajustements. En ce sens, nous croyons avoir créé une nouvelle esthétique du corset-toilette, basée sur la constitution anatomo-plastique de la femme, esthétique qui s’harmonise absolument avec l’art des toilettes modernes, mais sans nuire en quoi que ce soit à l’équilibre et aux fonctions physiologiques.

  1. E. CHAPOTOT. — Thèse de Doctorat, Lyon 1891.
  2. Nous ne publierons point ici une statistique qu’on pourrait taxer d’exagération. Nous y reviendrons plus loin dans un aperçu sur nos applications orthopédiques.
  3. Maladies de la respiration.
  4. L’estomac et le corset, E. Chapotot. — Lyon 1891.
  5. Cruveilhier. — Anatomie descriptive.
  6. C’est pour cette cause que se produit une projection exagérée, anormale, en hauteur du squelette costo-sternal, qui a entraîné, en certains cas, une subluxation de l’articulation sternale.
  7. La diminution du champ de l’hématose, nous dit le Docteur Butin, « a pour conséquence une diminution de l’oxygénation du sang. Cet appauvrissement du sang fait de l’organisme un champ de culture tout préparé pour la tuberculose. »
  8. Ces douleurs ne sont autre chose que l’attestation des contractures déterminées par l’effort exagéré des muscles livrés à eux-mêmes et qui ont perdu l’endurance fonctionnelle.
  9. Ce point est situé entre la 12e côte et la crête iliaque postéro-latérale, un peu au-dessus de l’insertion iliaque du grand oblique.
  10. Cette définition de la direction imposée aux viscères abdominaux par la pression latéro-supéro-antérieure du corset est fort juste.
  11. (1) E. Chapotot.
  12. Nous renvoyons aux ouvrages spéciaux. Qu’on nous laisse ajouter cependant que certains auteurs ont attribué l’ulcère de l’estomac au traumatisme causé par le corset.
  13. Nous avons eu l’occasion d’en citer un exemple topique dans les pages précédentes.
  14. Abstraction faite encore ici de tout ce que les gynécologistes lui reprochent légitimement et qui pourrait faire l’objet d’un chapitre spécial.
  15. Angle thoraco-pelvi-brachial.
  16. Les Bayadères de l’Inde elles-mêmes, portent de temps immémorial un corset fait d’écorce d’arbre et garni d’une fine étoffe dont la nuance se confond avec celle de la peau. Elles ne le quittent pour ainsi dire jamais.
  17. De ce fait seront évités la ptose de tous les viscères et le prolapsus de l’utérus et de ses annexes.