Le Corse


À l’heure où, pâle encore, le jour hésite à naître,
Une étrange rumeur passa sous ma fenêtre,
« N’est-ce pas au réveil la voix du carnaval ? »
Dis-je ; et dans le brouillard déchiré par les sabres,

Je vis, comme on en voit dans les danses macabres,
Passer des ombres à cheval.

Puis un peuple hideux, dont le vrai nom s’ignore,
Tombant, je ne sais d’où, sur le pavé sonore,
Grouillait… un même espoir semblait le remuer.
Attiré par le sang dont le parfum l’enivre,
Le Paris de l’égout s’en relevait, pour suivre
Un homme qu’on allait tuer.

Quand la Corse eut donné Napoléon au monde,
De ses couches de gloire arrière-faix immonde
Elle y jeta Fieschi, l’opprobre tout vivant.
Mais ne lègue-t-il pas un remords à notre âge,
Cet homme ? et son destin est-il bien son ouvrage ?
Qui sait ? murmurai-je en rêvant…

Il va rendre au supplice une âme bien trempée,
Dit-on ; ne pouvait-il s’allonger en épée,
Ce poignard qui frappa sans demander pour qui ?
Le ciel, dans ce bravo qui meurt aux pieds d’un prêtre,
Voulut donner au monde un grand homme peut-être,
Et le monde lui rend… Fieschi !

Si l’étude eût passé sur cet âpre génie,

S’il eût bu la morale à sa source bénie,
Quand il gardait pieds nus ses chèvres au coteau ;
Si le monde eût ouvert à sa jeune fortune
Ce chemin qu’il voulut, dans la foule importune,
Se tailler à coups de couteau !

On va bien loin, guidé par une étoile amie ;
Entre l’homme de gloire et l’homme d’infamie,
Pour combler la distance il fallait un peu d’or.
De l’or ! un horizon plus large que le nôtre,
Et Fieschi, l’enfant corse, eût grandi comme l’autre,
Le beau Corse de messidor.