Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/33/01

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 914-933).


I

MACHINES À LIGNES-BLOCS À MAGASIN


1. Les opérations successives dont le cycle complet se reproduit pour chaque ligne sont les suivantes : 1° composition ; 2° justification ; 3° fonte par lignes entières d’un seul lingot ; 4° distribution.

2. Ces diverses opérations correspondent aux parties principales de la machine : la composition se fait par l’intermédiaire d’un clavier dont les touches actionnent par des cames les tringles d’échappement de matrices contenues en un magasin ; les matrices libérées descendent par des lamelles de conduite sur une courroie sans fin qui les guide vers l’assembleur appelé aussi composteur ; la justification a lieu automatiquement, grâce à des espaces-bandes de forme légèrement conique ; la fonte ou reproduction des matrices en une ligne-bloc se produit, à la roue-moule, par un jet de plomb fondu en un creuset ; la distribution répartit les matrices dans le magasin grâce à une barre de distribution et aux spires des vis sans fin.


i — composition


3. La matrice est une plaque de cuivre, ou plutôt de laiton de composition spéciale, portant poinçonnée sur l’une de ses faces une lettre de l’alphabet ou un signe orthographique, si cette matrice est simplex ; la matrice est dite duplexée, lorsque sur la face convenable ont été frappés deux signes ou deux lettres, généralement les mêmes : par exemple, romain et italique, ou romain et gras, ou encore romain gras et gras italique.
xxxx Les polices de matrices duplex permettent donc d’obtenir dans une ligne, en employant les matrices d’un seul magasin, deux caractères différents.
xxxx La lettre ou le signe figure sur la matrice en sa position normale, si l’on tourne le crantage vers le bas, c’est-à-dire constitue un signe positif gravé en creux.
xxxx De manière générale, sur la face opposée à la gravure, est indiquée la lettre frappée.
xxxx Sur les côtés de la matrice sont mentionnés le numéro du caractère ou telle autre indication nécessaire pour reconnaître à quel type et à quel corps elle appartient.
xxxx À sa partie basse, ou pied, ainsi qu’à la partie haute, ou tête, chaque matrice possède sur chacune de ses faces une oreille. Dans le magasin les matrices glissent sur les oreilles placées du côté de la gravure ; les oreilles opposées servent à maintenir la matrice en l’empêchant de basculer.
xxxx Enfin, chaque matrice comporte à sa partie supérieure une série de dents dont la disposition varie d’un signe à l’autre et qui est nécessaire pour la distribution, la disposition inverse étant reproduite sur la barre de distribution.

4. Les matrices sont renfermées en un magasin, sorte de boîte plate en laiton, placée à la partie supérieure de la machine, et dont la base est légèrement plus étroite que la tête. Le magasin est incliné d’environ 45 degrés, pour permettre la descente des matrices.
xxxx Une machine peut posséder plusieurs magasins principaux, ou grands magasins, servant à la composition du texte courant, et, placés sur le côté, des magasins auxiliaires contenant des matrices de caractères différents de ceux des grands magasins (fig. 1 et 2).
xxxx Un magasin, outre toutes les lettres de l’alphabet (bas de casse et capitales), contient les chiffres, les ponctuations et signes usuels. De chaque lettre il tient en réserve un certain nombre de matrices rangées dans des canaux où elles sont maintenues par leurs oreilles, comme on le voit sur la figure. Un canal ne renferme que des matrices de mêmes lettres ; l’a lettre a possède dès lors son canal particulier ; la lettre b, un autre canal ; la lettre c, un troisième, etc. ; exceptionnellement, la lettre e possède souvent deux canaux. Suivant les marques de machines à composer, un grand magasin peut comprendre jusqu’à 91 canaux, donnant dès lors 90 signes différents susceptibles d’être utilisés pour la composition. Les signes ou lettres ne possédant point de canal sont rangés en un casseau placé sur le côté droit de la machine, à portée de la main de l’opérateur.
xxxx Les canaux sont de largeurs diverses suivant l’épaisseur de la matrice.

5. Les machines à composer possèdent toutes un clavier dont l’idée a été empruntée à la machine à écrire, mais dont le nombre de touches
Fig. 1. — Machine Intertype, à grands magasins et magasins auxiliaires
(équipement E. s. m.), deux claviers, composteur unique et double distribution.
est bien plus élevé. En effet, le clavier d’une machine à composer comporte nécessairement autant de touches que le magasin de la machine possède de canaux de matrices.
xxxx En appuyant sur la touche reproduisant la lettre qui lui est nécessaire, le linotypiste met en action un mécanisme de cames tournant sur un rouleau de caoutchouc et actionnant une longue tringle qui vient buter sur une pièce nommée échappement.

6. Les tringles d’échappement du système Intertype sont en deux parties reliées entre elles par un ressort à boudin et pouvant glisser
Fig. 2. — Machine Intertype, à grands magasins et magasins auxiliaires
(équipement G. s. m. n° 2).
l’une sur l’autre. Lorsque, pour une cause quelconque, la tringle est empêchée de se soulever à hauteur normale, la partie supérieure glisse sur la partie inférieure : cette disposition évite la déformation de la tringle et la détérioration des rouleaux de caoutchouc supportant les cames ; elle assure, en outre, la régularité absolue du fonctionnement du clavier.
xxxx Toutes les tringles sont interchangeables et montées dans un châssis formant râteau.


Fig. 3. — Vue des matrices dans un canal de magasin.
La matrice du bas est retenue par le linguet avant de l’échappement sur lequel vient buter son oreille.
A indique la tringle d’échappement.

7. La figure 3 montre les matrices dans la position qu’elles occupent dans le magasin. La première matrice est retenue par l’extrémité avant du linguet d’échappement, lequel se trouve tenu à son point de gravité par un ressort. Toutes les matrices suivantes sont retenues bout à bout par la première et font pression de leur propre poids, ce qui contribue à la chute instantanée de la matrice du bas lorsque l’échappement s’efface sous la poussée de la came actionnée par la touche du clavier.

8. La tringle d’échappement, sous l’action de l’excentrique d’une came entraînée par un rouleau de caoutchouc, fait un mouvement élévatoire et vient buter contre le pied de l’échappement ; ce dernier bascule en tendant le ressort et tirant en arrière son linguet avant.
xxxx L’oreille de la première matrice ne se trouvant plus retenue par le linguet avant de l’échappement, celle-ci, sous son propre poids et sous la poussée des autres matrices superposées, sort du magasin et tombe dans les glissières. Les matrices restant au magasin glissent à leur tour jusqu’au moment où la matrice devenue la première vient toucher le linguet arrière de l’échappement ; cette dernière reste dans cette position tant que la tringle levée bute contre le pied de l’échappement ; dès que la tringle est baissée, l’échappement reprend sa position normale sous la traction de son ressort, et la matrice descend jusqu’au linguet avant où elle est arrêtée par une oreille.
xxxx L’épaisseur des échappements est proportionnée à celle des matrices.

Suivant les constructeurs, les échappements sont fort différents et de combinaisons plus ou moins compliquées ; plus l’échappement est simple et constitué de pièces robustes, plus sûr est le fonctionnement de la pièce.


Fig. 4. — Les matrices sont conduites à l’assembleur.
A, les matrices sont transportées par la courroie ; B, les matrices descendent en dessous de la lamelle conductrice ; C, la matrice se redresse légèrement avant son entrée dans l’assembleur (la molette est invisible sur la figure) ; D, poulie entraînant la courroie.

9. La matrice dégagée de son échappement, mais maintenue entre les glissières, tombe, grâce à son propre, poids, sur une courroie sans fin ; cette courroie est actionnée obliquement à une assez grande vitesse par deux poulies dont l’une est placée près de la base du magasin, vers la droite de l’opérateur, et l’autre à proximité de l’assembleur.
xxxx En tombant sur la courroie, la matrice se couche ; elle est transportée dans cette position jusqu’au moment où, échappant à la courroie, avant son arrivée à l’assembleur, elle rencontre une molette qui la redresse et, avec la butée du composteur, aide à la maintenir en position normale, c’est-à-dire droite, — la face portant la lettre gravée se trouvant du côté opposé à l’opérateur (fig. 4).
xxxx Au fur et à mesure de l’arrivée des matrices, poussées par la molette, la butée s’éloigne sous la poussée qu’elle subit.

10. Dans l’assembleur, ou composteur, les matrices sont maintenues à leur partie supérieure par deux glissières sur lesquelles s’appuient les oreilles des espaces-bandes. En position haute, une plaque mobile vient supporter leur partie inférieure.


Fig. 5. Boîte-d’espaces-bandes.
À travers l’échancrure supérieure, on aperçoit une espace-bande re-tenue en place par son crochet.

11. Lorsque l’opérateur a composé un mot entier à l’aide de matrices, il appuie sur la touche des espaces-bandes. Dégagée du cran qui la retient (fig. 5), une espace-bande tombe dans l’assembleur et vient se placer après la dernière lettre-matrice du mot composé. Par le bas, les espaces-bandes sont guidées grâce à un rail spécial qui reçoit leur encoche de pied ; leur tête est supportée par des oreilles s’appuyant sur des glissières, comme on l’a vu au paragraphe précédent.
xxxx L’espace-bande est constituée de deux pièces acier semi-pyramidales dont l’une coulisse sur l’autre.
xxxx La pièce la plus longue, ou tige, comporte en pied une encoche servant au passage du rail-guide.
xxxx Cette même pièce possède sur l’une de ses faces une rainure dans laquelle est logé le talon en queue d’aronde de la deuxième pièce de l’espace-bande appelée curseur. Cette dernière est munie des deux oreilles servant, lorsque l’espace-bande vient s’intercaler dans la ligne de matrices, à maintenir celle-ci en place sur les glissières supérieures du composteur.
xxxx Les deux pièces de l’espace-bande, tige et curseur, sont, comme on l’a dit, semi-pyramidales, mais les côtés extérieurs, en rapport immédiat avec les matrices, sont constamment parallèles et verticaux.
xxxx Lorsque, avant la fonte de la ligne-bloc, le marteau de justification bute, comme on le verra plus loin, sur le pied de la tige de l’espace-bande et pousse cette pièce, la tige coulisse sur le curseur, alors que ce dernier, maintenu par les glissières de la tête d’élévateur, reste en place.
xxxx L’ensemble de l’espace-bande agit ainsi comme un coin venant s’intercaler entre les matrices et les serrant autant en tête qu’en pied.

Les espaces-bandes doivent être tenues en état constant de propreté ; leur nettoyage au moins journalier s’impose, car la justification régulière et convenable des matrices ne peut se faire d’une façon parfaite que si les espaces-bandes sont rigoureusement propres. Le bon état des matrices est d’ailleurs intimement lié à celui des espaces-bandes ; ces dernières ne seront jamais nettoyées à la toile émeri ou avec un corps dur ; elles seront simplement essuyées chaque jour avec un chiffon, passées à la plombagine une ou deux fois chaque semaine ou frottées de temps à autre avec une pâte à polir ou un brillant quelconque ; elles peuvent également être trempées dans le pétrole qui aide à leur décapage. Les matrices seront, de temps en temps, lavées à l’essence et soigneusement essuyées.

12. L’espace-bande en place, l’opérateur reprend la composition des mots suivants et leur séparation en agissant comme pour le premier mot.
xxxx La justification des matrices rangées dans le composteur ne doit être ni forte ni courte : la justification est forte — c’est-à-dire le nombre des matrices appelées au composteur trop élevé — lorsque la molette ne tourne plus, est bloquée ; la justification est courte si l’espace entre la dernière matrice du composteur et la molette est supérieur à autant de fois 3 points qu’il y a d’espaces dans la ligne.
xxxx Dans le cas d’une ligne courte, l’opérateur ne doit jamais utiliser deux espaces-bandes côte à côte entre les mots : employées de cette manière, les espaces-bandes, lors de la justification, agissent seulement sur le pied des matrices et laissent un vide au sommet ; par ce vide, lors de la fonte de la ligne-bloc, le métal sera projeté et pourra causer un accident.
xxxx Les espaces-bandes ne doivent jamais être utilisées dans toute leur hauteur, pour justifier une ligne : sur une machine bien réglée, une ligne ainsi mal justifiée n’est d’ailleurs pas clichée.
xxxx Si la justification d’une ligne courte ne paraît pas devoir être convenable, on ajoute une espace fine après chaque espace-bande.
xxxx Les espaces-bandes ne peuvent être utilisées avant le premier mot ni après le dernier mot d’une ligne : la tige de l’espace buterait contre la mâchoire de droite ou de gauche et ne pourrait se placer convenablement ; ce qui pourrait occasionner un accident.

13. Lorsqu’un mot, une lettre ou un signe sont à composer en caractère différent de celui utilisé pour le texte — par exemple en italique ou en gras dans le romain, suivant la gravure de la matrice duplexée, — au moment de la composition de ce mot ou de ce signe, l’opérateur agit sur un petit levier placé à droite du composteur. Si le levier est en position normale, c’est-à-dire vertical, les talons des matrices sont engagés dans la rainure du composteur ; si le levier est tiré ou légèrement levé vers l’opérateur, les talons reposent sur la plaque pour l’italique ; suivant l’une ou l’autre de ces positions, les matrices, au moment de la fonte, présenteront devant le moule leur gravure supérieure (romain) ou leur gravure inférieure (italique).

14. La ligne étant composée, c’est-à-dire l’assembleur étant rempli de matrices et d’espaces-bandes en quantité convenable et suivant les règles typographiques, l’opérateur, grâce à une poignée sur laquelle il appuie de la main droite, lève sans brusquerie le composteur (à gauche de la lettre A) et son contenu jusqu’à une pièce appelée chariot et située à hauteur du point B (fig. 6).


Fig. 6. — Parcours de la ligne des matrices
après la composition.

Lorsque le composteur atteint le haut de sa course, où il se trouve maintenu par un crochet, une goupille fixée à son sommet droit dégage un loquet retenant en place le chariot ; ce dernier, tiré par un ressort, mène la ligne de matrices, maintenue entre deux doigts, à l’élévateur (point C). Aussitôt que toutes les matrices entraînées par le chariot ont quitté le composteur, le crochet qui maintenait ce dernier en place est libéré ; le composteur, soutenu par l’opérateur afin d’éviter une chute brutale, redescend en place normale, et l’ouvrier commence la composition d’une autre ligne.
xxxx Le mouvement du chariot est modéré par un compresseur d’air dont le piston suit l’aller et puis, ultérieurement, le retour de la pièce et rend son trajet plus ou moins brusque ou lent, suivant que l’échappement de l’air est plus ou moins ouvert.
xxxx Lorsque la dernière des matrices transportées par le chariot est entrée dans la tête de l’élévateur, le chariot tiré en sens inverse reprend sa place primitive au point B.
xxxx En même temps, le mouvement de commande de la machine est automatiquement embrayé par un galet fixé sur un levier solidaire du levier du chariot. L’élévateur, commandé par un levier oscillant sur un arbre, et muni d’un tube amortisseur, descend du point C au point D, face à la partie supérieure de la roue-moule, où il est maintenu jusqu’à ce que soient terminées la justification des matrices et la fonte de la ligne-bloc.


ii — justification


15. Successivement, deux opérations s’accomplissent : l’alignement des matrices, la justification de la ligne.
xxxx Les matrices sont soumises à deux mouvements d’alignement : leurs faces verticales sont pressées contre le moule ; leurs talons sont appuyés aux rainures, les matrices romain à la rainure inférieure, les matrices italique à la rainure supérieure.

16. Les matrices étant suspendues dans la tête de l’élévateur, la roue-moule s’avance au-dessus des talons des matrices et jusqu’à toucher leur bord ; ces dernières soulevées légèrement par l’élévateur viennent alors s’aligner contre les rainures.

17. Lorsque l’alignement des matrices est terminé, ont lieu la justification et le blocage des matrices par les espaces-bandes.
xxxx Les deux opérations s’exécutent en deux mouvements à l’aide de deux leviers actionnés par des ressorts comprimés par des cames et agissant, grâce à des pièces intermédiaires, sur un marteau justifieur.
xxxx Le premier mouvement de poussée en hauteur des leviers sur les espaces-bandes s’opère en deux temps : l’action se produit d’abord sur la droite de la ligne des matrices, puis sur la gauche.
xxxx Les deux leviers redescendent alors, puis remontent simultanément, poussant énergiquement les espaces-bandes qui bloquent les matrices.
xxxx La justification de la ligne ainsi obtenue assure une absolue régularité d’espacement entre chaque mot, la poussée exercée sur toutes les espaces-bandes étant rigoureusement égale.

18. Dans une ligne, les espaces-bandes débordent d’une même hauteur au-delà de la partie supérieure des matrices ; mais la hauteur est différente pour chaque ligne du texte, suivant que la composition dans l’assembleur a été plus ou moins serrée.

19. Les matrices ont leur partie gravée en creux tournée vers la roue-moule.


iii — fonte


20. Les deux pièces principales nécessaires pour la fonte de la ligne-bloc sont : la roue-moule et le creuset.

21. La roue-moule — son nom l’indique suffisamment — est une pièce circulaire sur laquelle sont fixés les moules qui serviront au moulage de la ligne de matrices.
xxxx La roue est montée sur un axe rigide dont elle est solidaire et supporté par un palier ; elle est actionnée par un pignon denté placé sur la gauche.
xxxx Chaque roue comporte, dans les machines modernes, trois et même quatre moules, soit pour fonte pleine, soit pour fonte squelette.

22. La roue-moule fait un tour complet pour la fabrication d’une ligne-bloc, mais ce tour s’exécute en deux mouvements séparés par un arrêt assez prolongé.
xxxx Au départ, alors que l’élévateur tient suspendues les matrices, la roue-moule accomplit un quart de tour dans le sens inverse des aiguilles d’une montre ; puis, s’immobilisant dans le sens de la rotation, elle s’avance vers l’étau, dont les deux tourillons s’emboîtent dans les cavités des moules ; cette dernière opération assure à la roue-moule une immobilité absolue durant l’alignement des matrices, la justification de la ligne et la fonte.
xxxx Ces trois opérations terminées, la roue-moule, se dégageant des tourillons, revient en arrière et, entraînée par un secteur denté, accomplit vers la gauche trois quarts de tour qui lui permettent de revenir au point d’où elle est partie et où elle s’immobilise à nouveau. La roue-moule vient à nouveau en avant et, grâce aux tourillons, s’immobilise encore une fois jusqu’à ce que soit éjectée la ligne qui vient d’être fondue ; puis elle retourne en arrière et s’arrête jusqu’à un nouveau départ.

23. Le creuset (fig. 7) se compose du pot à métal proprement dit, entouré d’une seconde enveloppe en fonte qui le protège contre un refroidissement dû à la température ambiante et maintient autour une chambre de chaleur constante.
xxxx Le creuset est surmonté d’un chapeau comportant une ouverture pour l’alimentation, d’une cheminée pour le dégagement des gaz et d’un passage pour le bras du piston.
xxxx Le métal du creuset est chauffé soit au gaz, soit à l’électricité, soit enfin à l’essence sous pression, c’est-à-dire gazéifiée. La température à atteindre pour que le métal soit d’emploi convenable est de 280° à 290°.
xxxx Les résistances électriques utilisées pour la fusion du métal sont placées entre le creuset et l’enveloppe ; un autre groupe de résistances sert au chauffage de la bouche afin d’éviter un abaissement de température qui nuirait à la qualité de la fonte. Ce dispositif permet d’obtenir une répartition uniforme et parfaite de la chaleur ; en outre, de manière


Fig. 7. — Machine Intertype : Vue du côté du creuset.
De face, on voit le creuset se dégageant en partie claire sur les autres organes, la tige du piston reliée au bras qui l’actionne et le thermostat (en partie claire également). — Sur le devant du creuset on aperçoit la partie supérieure de la roue-moule.

générale, les bons appareils de chauffage électrique sont munis d’un régulateur. Ce régulateur est diversement établi suivant les constructeurs : un modèle de commande de chauffage électrique assez simple oblige à la manœuvre de manettes mettant en circuit ou hors circuit, s’il est nécessaire, un nombre plus ou moins grand de résistances, afin d’augmenter ou de restreindre la capacité de chauffage ; un type plus moderne est constitué par plusieurs tiges d’un métal très sensible à la chaleur plongeant dans le plomb en fusion ; par suite de leur dilatation ou de leur rétraction, les tiges agissent sur un appareil qui supprime ou rétablit le courant dans les résistances et assure une régularité de température suffisante, sans l’intervention de l’opérateur ; un autre modèle de régulateur est basé sur la dilatation du mercure agissant comme dans le cas de l’appareil précédent.
xxxx Les appareils à gaz sont munis, eux aussi, d’un régulateur basé sur la dilatation de tiges de métal et agissant sur un clapet qui obstrue plus ou moins l’arrivée du gaz et dispense de la sorte l’ouvrier de manœuvrer les robinets d’ouverture, suivant le degré de chaleur du métal. Le chauffage de la bouche, c’est-à-dire de la partie du creuset venant en contact avec les matrices, est assuré par une rampe à gaz spéciale.
xxxx Il est relativement aisé de se rendre compte d’une manière suffisamment précise de la température en trempant dans le métal en fusion un morceau de papier blanc : si le papier jaunit fortement, à plus forte raison s’il noircit, le métal est trop chaud, et il est nécessaire de réduire ou de supprimer momentanément le chauffage. Certains types de chauffage comportent un indicateur de température, ce qui, assurément, est bien préférable et surtout donne toute certitude du degré de chaleur.

24. Le creuset comporte en son milieu un piston, se mouvant de haut en bas, dans un cylindre, sous l’action d’une tige attachée à un bras de levier poussé par un ressort et ramené à sa position primitive par une came.
xxxx Le piston est une pièce de fonte nervurée de 0m,051 environ de diamètre et de 0m,057 de longueur, toutes saillies comprises.

Il est indispensable de sortir tous les jours le piston du creuset et de le nettoyer avec une brosse en acier ou une carde quelconque, pour enlever les crasses de plomb qui se forment toujours sur les parois après une journée de fonctionnement. Un piston encrassé produit un mauvais travail : le métal n’est pas projeté avec assez de force dans l’œil des matrices et en prend plus ou moins bien le moulage ; de plus, il paralyse la marche de la machine.
xxxx Pour les mêmes raisons d’encrassement, il faut racler, avec un grattoir spécial ou une brosse ronde en acier, le cylindre dans lequel se meut le piston.

25. Un canal d’amenée va du fond du cylindre où est logé le piston à la bouche ; il sert au passage du métal.


Fig. 8. — Coupe horizontale, à la partie supérieure, du creuset.
Sur la face ayant, se trouve la bouche du creuset : on aperçoit très distinctement les trous qui donnent passage, au moment de la fonte, au métal, et qui sont séparés l’un de l’autre par les évents.

26. La bouche du creuset (fig. 8) termine le canal d’amenée du métal ; elle est en acier et emmanchée à queue d’aronde ou vissée sur l’extrémité avant du creuset. Cette bouche est percée dans sa longueur, c’est-à-dire suivant une ligne horizontale, de trous de 1mm,5 de diamètre, distants les uns des autres de 1mm,5 environ ; entre chacun de ces trous est creusée une légère fente verticale en forme de V appelée évent ; ces fentes donnent passage à l’air qui se trouve comprimé entre l’œil des matrices et le métal en fusion au moment où le piston du creuset pousse le plomb dans le canal d’amenée vers la bouche.

Les trous et les fentes de la bouche doivent être tenus en état constant de propreté ; les premiers, pour laisser passage à la quantité de métal suffisante à la formation de la ligne-bloc ; les autres, pour que l’air puisse s’échapper, la présence de ce dernier dans le canal empêchant le plomb d’arriver à la bouche.
xxxx La bouche du creuset doit s’appliquer sur le moule d’une manière parfaite. On s’assure que la position est convenable en passant une feuille de papier en pression entre le creuset et le moule. L’empreinte indique, le cas échéant, les rectifications à apporter au creuset, en agissant sur les vis de réglage placées en pied de ce dernier et permettant de le déplacer sur la droite ou sur la gauche aussi bien qu’en hauteur.

27. Entre la première et la deuxième poussée des espaces-bandes, le creuset s’avance et vient appuyer sur la roue-moule ; puis il se retire aussitôt légèrement, pour ne pas paralyser le mouvement des matrices qui vont subir le second effort des espaces-bandes. Le blocage complet des matrices exécuté, le creuset, en une autre poussée, vient appuyer à nouveau très fortement et d’une façon continue sur le moule.
xxxx Le piston du creuset descend alors brusquement et projette par les canaux intérieurs dans le moule un jet de métal qui, après avoir passé par les trous de la bouche, vient remplir les lettres-matrices et former en même temps le corps de la ligne ; puis il remonte à sa place primitive. Le temps qu’ont duré la descente et la remontée du piston est suffisant pour que le métal projeté dans le moule se solidifie. Le creuset se retire ; la roue-moule, qui était immobilisée par les tourillons, se dégage par un mouvement en arrière et commence le mouvement de rotation qui l’amènera en position pour éjecter la ligne-bloc.

28. La ligne-bloc coulée conserve à sa base un très léger jet qui oblige à un rabotage en pied ; son épaisseur de corps a, d’autre part, malgré la précision de la fonte, besoin d’être vérifiée. Ces deux opérations sont exécutées : la première par un couteau dit de pied ; la deuxième, par deux couteaux rigoureusement parallèles pour les deux faces.


Fig. 9. — Détail du couteau-bloc.
Sur la partie circulaire avant, on voit l’échelle graduée, grâce à laquelle l’opérateur peut obtenir automatiquement une épaisseur exacte des lignes-blocs qui viennent d’être fondues.

Le couteau de pied, en acier trempé, est fixé sur la glissière même de la roue-moule ; il est réglable et affleure la roue-moule d’une façon aussi juste que possible, sans aucune pression, afin d’éviter le gauchissement de cette dernière qui, au moment du rabotage, est d’ailleurs soutenue par deux guides. La coupe du couteau étant en surface droite, le pied de la ligne est dressé d’une manière parfaite au cours du mouvement de la roue-moule ; cette opération donne à la ligne qui vient d’être fondue sa hauteur en papier exacte.

La hauteur de la ligne obtenue, puis la rotation de la roue-moule terminée et cette dernière fixée par les tourillons, la ligne-bloc, poussée par l’éjecteur, passe entre les deux couteaux d’épaisseur — dits aussi couteau-bloc (fig. 9) — qui lui donnent sa force de corps, avant qu’elle tombe dans la galée. Ces couteaux sont, comme le précédent, en acier trempé, puis rectifiés après trempe ; ils sont solidement fixés en leur centre et à leurs extrémités, pour éviter leur gauchissement et obtenir des lignes-blocs dont les faces sont rigoureusement parallèles ; ils doivent avoir constamment une coupe bien nette, sans aucune brèche. Le travail qu’ils effectuent consiste en un très léger rabotage destiné simplement à enlever les minimes parties de métal pouvant exister sur la partie plate de la ligne et à dresser les nervures afin de rendre leur surface bien parallèle à celle du côté plein.

29. Les machines à composer et fondre les lignes-blocs possèdent maintenant, pour la sortie des lignes de la roue-moule, un type d’éjecteur dit universel.
xxxx Cet éjecteur diffère suivant les types de machines, mais dans l’un et l’autre cas, les lames ou l’ensemble de lames qui le constituent sont en acier et d’une rigidité absolue.


Fig. 10. — Détail de l’éjecteur Intertype.
Au point A une échelle graduée permet à l’opérateur de régler, suivant la justification sur laquelle il compose, le changement des lames éjectrices.

L’éjecteur de l’Intertype (fig. 10) est constitué en son ensemble par un magasin de dix lames éjectrices indépendantes, d’une seule pièce et ayant des longueurs de justification de 6, 8, 10, 12, 14, 17, 20, 23, 26 et 28 cicéros. Sur la Linotype, les lames ont chacune 2 cicéros, sauf la première qui a 4 cicéros de longueur ; elles s’ajoutent les unes aux autres pour obtenir la longueur nécessaire à l’éjection des lignes-blocs. Dans le cas de petites justifications pour travaux spéciaux, une combinaison spéciale de deux lames éjectrices impaires (3 cicéros et 1 cicéro) permet d’obtenir la justification impaire désirée.
xxxx Pour chaque type d’éjecteur, une manette placée à proximité de la main de l’opérateur permet le changement de lames sans dérangement ; une échelle graduée indique à quelle justification est l’éjecteur. Pour les justifications impaires, l’éjecteur est placé à la justification paire immédiatement inférieure : 18 cicéros pour 19 cicéros, 20 cicéros pour 21 cicéros.


iv — distribution


30. Après que la ligne-bloc a été fondue et pendant le temps de sa mise de hauteur et de son éjection, la machine procède à la distribution de la ligne de matrices et clés espaces-bandes.

Partant du point où a eu lieu la fonte, la ligne de matrices et d’espaces-bandes est portée par l’élévateur au niveau de la deuxième coulisse intermédiaire ; les matrices italique abandonnées par leur plaque, avant leur arrivée à cette coulisse, sont tombées à l’alignement des matrices romain.

31. Au moment où l’élévateur atteint la deuxième coulisse, un grand bras dit second élévateur ou bras preneur vient s’appuyer à la boîte intermédiaire de conduite des espaces-bandes. L’ensemble des matrices et des espaces-bandes est poussé de l’élévateur vers le preneur et la boîte intermédiaire par un petit coulisseau terminé par un poussoir ; puis, les matrices étant saisies grâce à leurs dents par les crans du bras preneur et élevées par ce dernier jusqu’à hauteur de la boîte de distribution, le même poussoir réunit les espaces-bandes restées dans la boîte intermédiaire et les pousse sous un râteau qui les ramène à la boîte d’espaces.

33. Lorsque le bras preneur arrive au terme de son mouvement, les matrices sont immédiatement poussées dans la boîte de distribution par un poussoir qui s’était écarté pour donner passage au bras preneur. Ce poussoir agit sur les matrices jusqu’au moment où, après avoir été soulevées une à une par le diviseur, elles sont entraînées par un système de vis sans fin le long d’un rail cranté, appelé barre de distribution.

34. Comme il a été dit précédemment, chaque matrice comporte une combinaison de dents ou crans avec vides, qui lui est particulière. La barre de distribution est munie d’un système de crans correspondant exactement aux dents et aux interruptions de crans des matrices. Au cours de leur course sur la barre de distribution, les dents des matrices viennent correspondre aux vides de la barre. À ce moment, les matrices, n’étant plus retenues, tombent ; elles glissent alors dans les canaux qui leur sont destinés, en passant entre les ailettes d’entrée du magasin.
xxxx Les matrices dont les dents sont complètes, c’est-à-dire dont les crans ne comportent aucun vide, parcourent toute la barre de distribution et vont tomber, à son extrémité, dans un conduit qui les amène à un classeur particulier où l’opérateur les prend pour les remettre au casseau.

35. Sur les machines comportant plusieurs magasins — grands magasins et magasins auxiliaires, — mais à une seule distribution, un dispositif spécial empêche les matrices de se distribuer dans un magasin autre que celui auquel elles sont destinées.

Ce dispositif consiste en une petite goupille munie d’un ergot, qui avance plus ou moins, poussée par un levier
Fig. 11. — Changement de magasin sur une machine Intertype.
Les magasins, basculés vers l’arrière de la machine,
s’enlèvent sans effort et sans difficulté.
dont l’extrémité repose sur un des côtés d’un hexagone excentré.

Pour passer librement, les matrices doivent présenter leur cran de corps, placé en pied, juste en face de l’ergot de la petite goupille.
xxxx Sur les machines Linotype à distribution multiple, la sélection des matrices appartenant aux différents magasins se fait par l’intermédiaire de ponts sur lesquels passent les matrices ayant, des combinaisons en pied ; ces combinaisons sont différentes pour chaque magasin et correspondent chacune à un pont particulier.
xxxx Les matrices des machines Intertype à distribution multiple, outre leur cran de corps, portent, en pied, un cran particulier.

36. Suivant les constructeurs, le changement des grands magasins s’opère soit à l’avant, soit, après avoir renversé ces derniers, à l’arrière (fig. 11).
xxxx Dans le système à renversement et changement à l’arrière, les magasins sont fermés automatiquement, afin d’éviter la chute des matrices.

Pour compléter ce qui a trait à ce type de machines, il est nécessaire de dire quelques mots d’un inventeur dont le nom est ignoré de la plupart des typographes, bien qu’il ait largement contribué aux recherches et aux travaux qui ont précédé et suivi la mise au point des machines à composer[1].
xxxx Dans la revue berlinoise Graphischer Betrieb, Otto Wolters, technicien et inventeur magdebourgeois, a rappelé la mémoire de Linn Boyd Benton, cet autre inventeur, mort à Plainfield (État de New-Jersey), à l’âge de quatre-vingt-huit ans.
xxxx Benton avait été initié aux choses de la typographie par sa collaboration à la rédaction d’une revue éditée par son père. Mais pendant longtemps il s’intéressa tout d’abord à la comptabilité, qui plaisait davantage à son esprit épris d’exactitude. Après un stage comme comptable d’une grande fabrique de cuir, il entreprit la tenue des livres d’une fonderie de caractères de Milwaukee, laquelle, après maint avatar, devint, sous sa co-direction, « l’American Type Founders Company », et qui connut, grâce à ses efforts, un développement remarquable.
xxxx D’après Otto Wolters, si Mergenthaler et Lanston doivent être considérés comme les pères de la machine à composer, Linn Boyd Benton mérite incontestablement le titre d’« accoucheur » de leur grande invention.
xxxx Aussi bien la Linotype de Mergenthaler que la Monotype de Lanston eussent été mises en échec par le côté économique du problème qu’il s’agissait de résoudre, si l’invention par Benton de la machine à graver mécaniquement les poinçons et les matrices n’était venue, à point nommé, rendre possible la fabrication, à un prix abordable, des matrices de machines à composer.
xxxx Cette machine, brevetée en 1885, donna la possibilité de graver en un seul jour plus de poinçons prototypes que la main du plus habile graveur n’en aurait pu produire en une semaine, et elle rendit superflu l’emploi de poinçons pour la frappe des matrices, en permettant la gravure directe des « œils » suivant un modelage en bois guidant le travail de l’appareil à graver.
xxxx Les travaux de Benton constituèrent ainsi pour Mergenthaler et Lanston l’appoint décisif qui allait, en les libérant du souci de la confection de séries innombrables de matrices que nécessitaient leurs machines à composer, donner à leur invention l’essor prodigieux que l’on sait. Benton fut pour les deux inventeurs un conseiller fidèle et désintéressé.

  1. D’après la Chronique graphique.