Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/06/01

Imprimerie de Chatelaudren (2p. 103-108).


I

CORRECTION EN GALÉE


Th. Lefevre pince la galée, « dont la tringle verticale porte sur le rebord de la casse, du cassetin aux espaces au cassetin aux u ». Cette position, ainsi que le remarque Leclerc, « oblige le corrigeur à baisser la tête, à avancer l’épaule droite, tout en bombant disgracieusement le dos. Incontestablement l’ouvrier se fatigue d’autant plus que le corps lui-même doit prendre une position de côté fatigante. » À tous égards, comme le conseille encore Leclerc, il est préférable de placer sa galée « diagonalement sur la partie gauche de la casse, au-dessus du cassetin aux espaces dont on se sert pour rejustifier chaque ligne portant des corrections » ; la galée est, en outre, « maintenue par les deux pieds engagés dans l’angle des cassetins ; elle permet ainsi au corps la station droite ».

Le paquet à corriger est placé sur la galée, et, le porte-page retiré en levant légèrement la composition, il est appuyé le long de la tringle horizontale, la tête sur la tringle verticale.

Quel qu’il soit, tout paquet à corriger doit, en principe, être délié. Le compositeur saisit le nœud formé, le cas échéant, à la ficelle après le dernier tour lors de la ligature. Il tire légèrement pour dégager la ficelle et délie doucement, avec précaution, dans le sens inverse de la ligature, en ayant soin, après chaque tour de ficelle enlevé, de rapprocher progressivement la composition le long des tringles horizontale et verticale. La ficelle entièrement, enlevée, avec précaution le typographe serre le texte le long de la tringle verticale ; il utilise à cet effet une garniture mise à plat à l’extrémité des lignes, du côté libre, afin de mettre les lettres extrêmes à l’abri des accidents qui peuvent survenir au cours de la correction.

Le paquet ainsi en place, l’ouvrier redresse la composition : du bout des doigts de la main droite, il frappe légèrement sur l’œil, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, alors que de la main gauche il pousse dans un sens contraire soit le bas de la page, soit avec la garniture l’extrémité des lignes libres.

Le compositeur consulte alors l’épreuve à corriger et, à l’aide des pinces, effectue les corrections indiquées.

Ainsi qu’il a déjà été dit plus haut, après que les lettres voisines ont été écartées, la lettre erronée, est, à l’aide des pinces, prise par les côtés, si la composition est pleine ; mais, si la composition est interlignée, la lettre est saisie dans le sens opposé, qui est celui de la force de corps, les branches des pinces étant tournées dans la direction des talus de tête et de pied.

On ne saurait d’ailleurs engager trop vivement l’ouvrier à saisir franchement la lettre ; lorsque les pinces sont placées près de l’extrémité, elles risquent de glisser, et les branches, en se refermant brusquement, peuvent entailler gravement l’œil. Cet accident est particulièrement fréquent avec les compositions non déliées : le pied de la lettre serré entre les interlignes et les lettres voisines résiste à la force qui le tire vers le haut : plus cette résistance est élevée, plus l’ouvrier a tendance à accentuer le serrage des pinces ; que, dans un mouvement plus énergique, celles-ci viennent à glisser, inévitablement l’œil est atteint, et la lettre détériorée. Aussi la déligature des compositions est-elle indispensable, et l’on ne devrait jamais permettre à un ouvrier la correction d’un paquet lié : le temps gagné par l’exécution plus facile des corrections, la facilité d’une justification plus convenable compensent très largement le semblant de perte de temps que quelques esprits rétrogrades et paresseux prétendent trouver dans cette manière d’agir.

Une qualité, précieuse chez le corrigeur est de savoir tirer parti des moindres avantages qu’il rencontrera au cours de la correction ; ainsi, dans un mot à changer, il ne lèvera pas les lettres ou fractions du mot qui peuvent être utilisées ; toutefois s’il y a trop de changements dans une même ligne, il n’hésitera pas à recomposer celle-ci entièrement plutôt que d’enlever les corrections mot à mot.

Les indications de l’épreuve doivent être observées avec le plus grand soin possible : chaque correction, étudiée attentivement, est exécutée dans l’ordre indiqué, en suivant, du début à la fin de la ligne, et d’après les signes conventionnels qui les signalent.

Chaque correction nécessite, pour ainsi dire, une modification de l’espacement :

1° « Si la lettre de remplacement est plus forte que celle qui est remplacée, on diminue, pour la différence, une ou plusieurs espaces qu’on extrait et qu’on remplace de la même manière », en tenant compte, autant que possible, pour cette diminution de la force des lettres de forme longue, de forme pleine ou de forme ronde.

2° « Si, au contraire, la lettre de remplacement est plus faible, on augmente avec discernement une ou plusieurs espaces de la ligne. »

3° Lorsqu’on a plusieurs lettres les unes à ajouter, les autres à supprimer, on modifie de même l’espacement, si toutefois après correction la ligne n’est ni trop forte ni trop serrée.

4° Dans l’un ou l’autre cas, on reprend de la ligne suivante ou on reporte à la ligne précédente un mot entier ou une fraction de mot : c’est le remaniement de la composition.

5° La suppression de plusieurs mots, d’un membre de phrase peut parfois n’être compensée par l’adjonction d’aucun autre mot ou d’aucun autre texte, ou encore l’adjonction d’un ou de plusieurs termes oblige à sortir de la ligne : dans ces deux cas il est nécessaire de remanier.

Au sens propre du mot, remanier c’est reprendre ou repasser au composteur le texte à corriger : cette manière de faire assure un espacement plus convenable et une justification plus rigoureuse que ne pourrait le faire le travail en galée ; d’autre part, la correction est, de la sorte, plus rapidement exécutée qu’elle ne le serait avec les reprises ou les rejets successifs, en galée, d’une ligne à une autre ligne, du texte nécessaire pour la correction.

Pour remanier, on dégage, d’abord du texte qui l’accompagne la composition à reprendre ou la fraction que l’on suppose devoir être nécessaire pour le remaniement : cette composition est reportée vers le bas de la galée ; elle peut également, suivant les circonstances, être, nettement séparée, en tête et, le cas échéant, en pied, par une garniture ou un lingot : elle est alors tournée le cran en dessus, c’est-à-dire le cran placé dans le sens opposé à celui de la composition. Le commencement des lignes est ainsi reporté de la gauche, vers la droite.

1° L’extrémité interne de l’index droit se place sur la face latérale de la première lettre de la première ligne à reprendre ; le pouce s’appuie extérieurement sur un groupe de lettres aussi important que pourra le soutenir le médius droit plié ; d’un mouvement simultané de pression, l’index et le pouce tirent vers le haut les lettres saisies en les appuyant sur le médius placé, derrière elles, sur la ligne qui les suit. Les lettres dégagées sont maintenues, par le pouce et l’index, sur le médius, pendant que, par un mouvement de torsion du poignet en dedans (d’après Th. Lefevre) ou de droite à gauche (suivant Leclerc), on les replace dans le composteur le cran en dessous, sa position normale. Les mots se retrouvent de la sorte dans leur ordre logique. Au fur et à mesure de la reprise de la composition, toutes les corrections rencontrées sont rigoureusement exécutées, l’espacement régularisé et la justification soigneusement vérifiée, comme lors de la composition elle-même. Parfois il est nécessaire de remanier, de la sorte, depuis le début de la reprise jusqu’à la fin de l’alinéa ; d’autres fois, par hasard, en raison de la rencontre de corrections, une ligne remaniée peut, avant la fin de l’alinéa, se terminer au même mot que lors de la composition primitive : le remaniement est de ce fait terminé, et les lignes retournées, mais non remaniées, sont reportées à leur ordre normal.

L’ouvrier soigneux et d’un doigté sûr acquiert rapidement une grande habileté pour les remaniements : ce n’est plus alors un simple groupe de quelques lettres qu’il saisit et transporte de la galée au composteur : à deux, trois reprises, il lui est possible, suivant leur longueur et la force du corps, de reprendre des lignes entières.

2° Cette façon de saisir la lettre dans la galée pour un remaniement à l’aide du composteur est fort pratique et permet une exécution assez rapide du travail ; toutefois, elle n’est pas la seule manière conseillée et employée, surtout pour les petits caractères, avec lesquels des précautions doivent être prises, en raison d’une rupture ou d’une brisure plus facile des mots manipulés. Les manuels typographiques donnent la méthode suivante : trois doigts, l’index, le médius et l’annulaire, sont appuyés du côté du cran, et bien à plat, sur les lettres, le pouce maintenant le côté opposé ; l’annulaire déborde légèrement au delà des mots à saisir et se pose presque latéralement sur la dernière lettre ; en raison de la disposition des doigts, la torsion du poignet a lieu de gauche à droite. Le compositeur, dans ces conditions, prend au plus, comme longueur de lettres, les mots couverts par les trois doigts. Bien qu’elle soit moins pratique et moins rapide que la précédente, cette manière de faire est cependant à adopter dans quelques circonstances.

3° Dans quelques maisons importantes, les corrigeurs ont la coutume d’effectuer sur le marbre les corrections des placards, des épreuves en pages et des bons à tirer, même lorsqu’il n’y a pas eu imposition. À cet effet, le typographe utilise une, galée de forme un peu spéciale, dite galée à pied[1], présentant l’inclinaison voulue pour maintenir la composition à rectifier dans une position analogue à celle qu’elle présenterait avec une galée posée sur la casse. Le compositeur muni du bon à tirer lève dans un composteur en bois spécial les lettres, les caractères dont il aura besoin, en suivant rigoureusement l’ordre dans lequel les corrections sont indiquées sur les épreuves qui lui sont confiées ; puis, suivant les labeurs à corriger et l’emplacement où ils ont été déposés, il se rend avec sa galée au marbre le plus rapproché : on évite ainsi les longs transports et les déplacements, parfois onéreux, de compositions qui souvent exigent des précautions spéciales. Au fur et à mesure que les rectifications sont exécutées, les lettres, les blancs et les signes enlevés sont posés sur le composteur ou, s’il est nécessaire, sur un deuxième composteur, dont le contenu sera soigneusement distribué dès que sera terminée la correction en mains.

Le travail, au point de vue typographique, ne présente aucune remarque particulière : il s’exécute en effet de la même façon que s’il était effectué la galée posée sur la casse ; mais, en raison de la hauteur des marbres, moindre que celle des rangs de casses, en raison de l’attitude anormale que doit prendre le compositeur et de la gêne occasionnée par le pied du marbre lui-même, la correction exécutée de cette manière est cause pour l’ouvrier d’un excès de fatigue.

  1. Toutefois, à l’encontre de ce que nous pensons, un auteur typographique écrit : « Il y a peu de maisons où l’on rencontre, des galées montées pour corriger au marbre ; du reste, ces petits meubles ne laissant pas que d’être encombrants, surtout quand la besogne est terminée, il s’ensuit qu’ils jouissent d’une faveur relative. Ce discrédit s’explique par la facilité avec laquelle on peut remplacer la galée montée par la galée ordinaire, sous laquelle on n’a qu’à mettre un taquoir, un lingot ou un vieux cliché. Les corrigeurs habiles ne sont jamais embarrassés pour établir très commodément sur le marbre une sorte de campement au milieu duquel ils sont tout aussi à l’aise pour opérer leurs remaniements, qu’ils pourraient l’être sur une casse. »