Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/12/03

E. Arrault et cie (1p. 548-579).


§ 3. — AMÉLIORATION DE LA SITUATION MATÉRIELLE
ET MORALE DES CORRECTEURS


I. — Amélioration matérielle.


A. — Les salaires


Nous avons signalé à maintes reprises, dans les pages qui précèdent, les doléances exprimées par la Société des Correcteurs de Paris sur la situation lamentable faite à ses membres et les vœux exprimés par elle de voir enfin apporter un remède à cet état de choses. Nombreux furent, en effet, au cours du xixe siècle, les désirs exprimés à ce sujet par les correcteurs. Mais il n’entre point dans notre dessein de rechercher et d’étudier chacune de ces tentatives, non plus que le sort qui leur fut réservé : ce travail nous entraînerait hors des limites que nous nous sommes imposées ; nous nous bornerons à l’historique de la dernière en date.

Le 18 janvier 1908, au cours de sa réunion trimestrielle, la Section bordelaise de la Société amicale des Protes et Correcteurs d’Imprimerie de France décidait de porter à l’ordre du jour du Congrès que la Société devait tenir à Nantes, cette même année, le vœu présenté par un certain nombre de correcteurs, soucieux de voir relever auprès des patrons leur situation morale et pécuniaire.

« Pour cela, ils désiraient que le Congrès demandât au Comité central de la Société de faire une démarche amicale (!) auprès du Bureau de l’Union syndicale des Maîtres Imprimeurs.

« Les correcteurs sont, en effet, avec les protes, les plus précieux collaborateurs des patrons. En raison même de la science et de la préparation requises à leur emploi, les correcteurs méritent d’être considérés plus que tout autre ouvrier. Le correcteur a une grande responsabilité dans le travail, car de son savoir et du soin qu’il apporte dans la correction dépend souvent le succès d’un ouvrage. Aussi ce serait faire acte de justice que d’en tenir compte. »

Portée à l’ordre du jour du Congrès de Nantes, comme le demandait la Section bordelaise de la Société amicale des Protes et Correcteurs, la question ne dut point susciter une longue discussion. Le compte rendu du Congrès se borne en effet à constater que « l’Assemblée émet le vœu qu’une tentative soit faite auprès des patrons dans cette intention et charge le Comité central de son exécution ».

L’année suivante, au cours de l’Assemblée générale tenue à Nancy, le Président de la Société amicale des Protes et Correcteurs rend compte du mandat confié au Comité central : deux lettres ont été adressées au Président de l’Union des Maîtres Imprimeurs ; d’autre part, le Bureau de l’Union patronale a pu, à l’aide d’une sorte d’enquête, « se rendre compte de la situation précaire où se trouvent nombre de correcteurs dans bon nombre de villes ».

Cependant, malgré les démarches, malgré l’enquête, le Président de l’Union des Maîtres Imprimeurs n’avait pas cru devoir répondre aux lettres qui lui avaient été adressées par le Président de la Société amicale des Protes et Correcteurs. Désireux d’aboutir enfin à une solution, ce dernier, après la réunion de Nancy, adresse à M. Delmas, président honoraire de l’Union des Maîtres Imprimeurs, une lettre où il lui demande d’intervenir en faveur des correcteurs.

Le 30 octobre 1909, M. Delmas répondait au Président de la Société amicale : « J’aurais voulu dire combien les imprimeurs de France apprécient le dévouement de nos auxiliaires les plus précieux. Personnellement j’aurais été heureux de remercier les protes et correcteurs de l’Amicale de la collaboration si désintéressée qu’ils ont prêtée, sans compter, pour le volume l’Imprimeur chef d’industrie et commerçant.

« Les imprimeurs sauront montrer leur reconnaissance par une amélioration de la situation des protes et correcteurs, car c’est grâce à eux que la typographie restera une des industries les plus prospères de France et que les vieilles traditions seront sauvegardées… »

Mais il ne semble pas que le moindre résultat suive ces promesses ; et, en février 1910, la Circulaire des Protes insère les lignes suivantes : « La réunion du Comité central de la Société amicale s’est ensuite occupée du vœu émis par la Section de Bordeaux : cette Section prie le Comité central de vouloir bien, usant de sa grande autorité, exercer de nouveau toute son action sur « l’Union des Maîtres Imprimeurs », afin d’obtenir une solution favorable de la question de l’amélioration du sort des correcteurs. »

Cependant, au mois de mai 1910, la question n’a pas avancé d’un pas : le Compte rendu du Congrès tenu à Saint-Étienne par la Société des Protes et Correcteurs enregistre les démarches faites par le Président de la Société, prend acte du silence opposé par le Congrès de l’Union des Maîtres Imprimeurs sur le vœu présenté et, après une longue discussion, décide de nommer une Commission chargée de « présenter à l’Union des Maîtres Imprimeurs un Rapport sur la question des correcteurs ». — Dans son numéro de juillet 1910, la Circulaire des Protes donnait le texte du Rapport rédigé par la Commission[1].

Transmis au Président de l’Union des Maîtres Imprimeurs, ce Rapport ne fut l’objet d’aucun examen, d’aucune discussion particulière au cours de l’année 1910, si nous en croyons les apparences, c’est-à-dire si nous nous en rapportons aux procès-verbaux des séances du Comité central de l’Union des Maîtres Imprimeurs.

Quelques mois avant le Congrès tenu à Tours en l’année 1911, le Bureau de la Société amicale des Protes et Correcteurs rappelait à l’Union des Maîtres Imprimeurs le Rapport qui lui avait été transmis. Le 2 juin, M. Leydier, directeur de l’Office central de l’Union, répondait à cette démarche :

« Vous avez bien voulu m’écrire, au nom de la Société amicale des Protes et Correcteurs, pour appeler de nouveau l’attention de l’Union sur la situation morale et pécuniaire des correcteurs.

« Vous avez signalé le Rapport adopté à cet égard, par votre Assemblée générale du 15 mai 1910, par M. Rey, vice-président de l’Union, à l’Assemblée générale tenue par notre Association le 25 juin suivant.

« Au cours de la réunion du Comité central j’ai donné lecture de votre lettre et rappelé quelques-unes des mesures qui vous semblent particulièrement favorables à la réalisation de vos vues.

« Je tiens d’abord à vous donner l’assurance que le Comité central de l’Union est animé, à l’égard de vos confrères, des meilleures dispositions.

« Vous reconnaîtrez, de votre côté, que l’Union ne pourrait édicter des mesures applicables à l’ensemble de la corporation. Son rôle, dans la circonstance, a surtout un caractère moral.

« Elle doit attirer l’attention de nos confrères sur la situation de leurs collaborateurs.

« À cet effet, le Bulletin de l’Union publiera un exposé de leurs revendications. Les vœux que vous émettrez dans votre Assemblée du 4 juin seront également soumis au Congrès tenu par l’Union, le 3 juillet prochain.

« Je m’empresserai de porter à votre connaissance le résultat de la délibération. »

Le procès-verbal du Congrès tenu, le 3 juillet 1911, par l’Union des Maîtres Imprimeurs, rend compte de la façon suivante de la communication à laquelle la lettre précédente fait allusion :

« M. Bourdel dit que l’Office central a reçu du Président de la Société amicale des Protes et Correcteurs d’Imprimerie une lettre dont M. Leydier va donner lecture.

« Dans cette lettre, le Président de la Société explique les desiderata des correcteurs ; voici le vœu que le Congrès de cette Société, réuni à Tours le 4 juin dernier, a émis ; nous l’avons reproduit dans le compte rendu que nous avons donné de cette réunion, dans notre numéro du 15 juin :

« Les Membres de l’Amicale, réunis en Assemblée générale, remercient le Bureau de l’Union des Maîtres Imprimeurs des sentiments dont il est animé à l’égard de ses membres ; ils émettent le vœu que le Bureau use de son influence auprès des adhérents de l’Union pour que la situation des correcteurs soit améliorée dans le sens indiqué dans le Rapport présenté par M. Leconte. (Circulaire du mois de juillet 1910.) »

« Quant aux desiderata, ils se résument à ceci : la Société demande que les correcteurs soient désormais considérés comme des employés[2] et non comme des ouvriers ; cette situation leur donnerait un prestige qui ne pourrait qu’être avantageux au travail même dont ils sont chargés. Ils désirent, en outre, que le taux de leurs salaires soit basé sur celui des ouvriers, majoré d’une bonification de 25 0/0.

« M. Lahure estime que le Congrès ne peut pas émettre un avis engageant ses membres ; cette question n’a aucun caractère général ; elle concerne chaque Maison, libre de prendre telle ou telle décision suivant ses moyens ou les circonstances. (Assentiment.) — Mais il peut assurer la Société des Protes et Correcteurs que la bienveillance de tous les imprimeurs est acquise à ces dévoués collaborateurs. (Approbation générale.) »

Au point de vue moral, les correcteurs ne pouvaient certes s’attendre à témoignage plus éclatant et plus solennel ; mais, au point de vue pécuniaire, il en fut rarement sans doute de plus… désintéressé.

Si cette solution donnait satisfaction à l’une des parties, il est certain qu’elle ne pouvait agréer à l’autre. Les démarches auraient assurément repris sous une autre forme, si les événements l’avaient permis. La preuve manifeste en est que, dans sa première réunion après la guerre, en octobre 1919, l’Amicale voyait reparaître incidemment cette question au cours des discussions.

L’instabilité de la situation industrielle, la nécessité de rénover une Société à laquelle la guerre a causé un préjudice moral et matériel considérable firent ajourner à des temps meilleurs la réalisation complète d’un projet qu’il était désirable de voir enfin aboutir. Quelques membres de l’Amicale consacraient, d’ailleurs, tous leurs efforts à la solution de cette question : sur leur initiative, le Congrès de la Société tenu à Nancy en 1920 acceptait la résolution suivante : « Un vœu sera transmis à l’Union des Maîtres Imprimeurs de France pour demander que le salaire minimum des correcteurs soit supérieur de 10 0/0 au salaire syndical régional des compositeurs. »

Transmis au Président de l’Union des Maîtres Imprimeurs, ce vœu faisait, le 20 décembre 1920, au cours de la séance du Comité central, l’objet d’un débat, dont nous tenons à rapporter les points suivants, d’après le compte rendu officiel :

M. le Président. — Messieurs — comme vous venez de l’entendre — les correcteurs nous demandent d’établir pour eux un salaire de base minimum, salaire supérieur de 10 0/0 à celui des typographes, et se recommandent à notre bienveillance.
xxxx Cette bienveillance leur est acquise, ils n’en peuvent douter. Il vous appartient de décider si une sorte d’unification peut être faite. Le correcteur « en bon » doit posséder de nombreuses et importantes qualités ; son instruction générale doit être très étendue et il doit avoir de sérieuses connaissances typographiques. Il est alors un collaborateur de premier ordre qui est en droit de réclamer une situation sérieuse en rapport avec les services qu’il est appelé à rendre. Il y a aussi le correcteur « en premières » qui ne fait qu’un travail typographique technique, qui vérifie uniquement si le compositeur a bien suivi la copie, s’il n’a pas mis des lettres de corps étranger. Estimez-vous que ce poste de « correcteur » lui donne formellement droit à 10 0/0 de plus qu’aux typographes ?
xxxx M. M…… — En principe, les correcteurs sont payés au tarif des typographes, les protes sont payés davantage ; mais, en fait, dans la plupart des imprimeries, les correcteurs capables jouissent au moins de l’avantage qui nous est demandé comme un engagement général.
xxxx M. L.… — À l’ouvrier qualifié on demande un minimum de travail, ce qui ne peut être spécifié pour un correcteur en première.
xxxx M. M.… — Il y a des correcteurs qui ne connaissent même pas les règles de la grammaire typographique. Une règle rigide ne peut, me semble-t-il, être admise.
xxxx M. H.… — Les correcteurs, parfois, ont été payés moins cher que des typos, justement à cause de leur inexpérience en typographie. Une base fixe supérieure à celle des typos ne paraît pas équitable.
xxxx M. D.… — Ne croyez-vous pas qu’une conversation avec le président de ce syndicat [la Société amicale des Protes et Correcteurs de France] serait préférable à une réponse par lettre ?…

Il serait cruel d’insister. À ces aveugles volontaires qui, systématiquement ou par ignorance, affectent de mépriser le correcteur, ses connaissances, les services qu’il rend, et dédaignent de satisfaire à ses aspirations légitimes, nous souhaiterions volontiers un poste de correcteur — en premières ou en bon, la chose importe peu ! — et… la peine du talion. Mais de combien d’entre eux pourrait-on dire qu’ils connaissent « les règles de la grammaire typographique » ?… Nous pourrions, hélas ! prouver, documents en mains, qu’il en est un trop grand nombre qui ne connaissent même pas les règles de la grammaire française, non plus que celles… Mais, une fois au moins, sachons garder le silence.

Que pouvait, d’ailleurs, l’Amicale au delà de cette tentative, au delà de ces démarches, au cours desquelles elle avait de tout son pouvoir, reconnaissons-le, tenté de sauvegarder les intérêts de ses adhérents les correcteurs ? À l’époque où avait lieu la discussion dont nous avons tenu à rappeler les termes, la question dont il s’agit était, de l’avis de certains patrons, solutionnée depuis fort longtemps. L’Amicale ignorait-elle donc qu’en l’année 1919, au mois de juin, croyons-nous, le Syndicat des Correcteurs de Paris et de la Région parisienne avait expressément accepté l’assimilation du salaire de ses membres à celui des autres catégories d’ouvriers qualifiés : typographes, conducteurs, fondeurs, galvanoplastes, clicheurs, relieurs ? Certains patrons ne pouvaient-ils estimer que l’organisation la plus compétente, la mieux qualifiée pour déterminer un salaire de base était assurément une association composée exclusivement de professionnels intéressés ? Pourquoi dès lors ces mêmes patrons auraient-ils songé à fixer un salaire plus élevé que celui qui leur était proposé ?


B. — Le local


La question pécuniaire que les correcteurs désirent surtout voir solutionner, avant toutes autres, n’est pas, au point de vue matériel, la seule qui soit à envisager. Il en est d’autres non moins intéressantes, telles celle du local.

a) Le maître imprimeur, soucieux d’améliorer réellement la situation matérielle de ses correcteurs, ne manquera point de leur accorder dans ses ateliers un certain confort. Plus le service de la correction est important et assuré par une collectivité nombreuse, plus cette dernière condition s’imposera avec force.

Trop longtemps, sous ce rapport, le correcteur a été traité comme un véritable paria. Trop longtemps le correcteur a été considéré comme un nomade pour qui toutes les places sont bonnes : dans un coin à peine éclairé, jamais chauffé, un tabouret pour s’asseoir, un carton posé sur une casse hors d’usage, et voilà un bureau modeste, d’une installation peu coûteuse, certes, mais combien digne d’un autre âge ! Parfois, cependant, un bureau, un vrai bureau lui est dévolu, mais exposé aux rigueurs des saisons ou situé dans la partie la plus malsaine de l’atelier. Toutes les mauvaises odeurs semblent s’y donner rendez-vous. À l’époque des grandes chaleurs en particulier, la situation est déplorable : une atmosphère empuantie et suffocante décuple la fatigue du correcteur.

On ne saurait dire que ce tableau est exagéré. Tant de correcteurs ont souffert, sans se plaindre, de cette situation qui n’est point nouvelle !

Breton[3] disait, en 1843 : « Ces accidents morbides (troubles de la vue, perturbation dans les centres nerveux) se rencontrent souvent chez les correcteurs, surtout aujourd’hui qu’ils sont astreints à passer dix heures consécutives, et quelquefois davantage, dans une espèce d’échoppe que l’on décore du nom de bureau. Là le correcteur, atteint déjà moralement par la nature de son travail, souffre encore physiquement de la posture qu’il est obligé de tenir : la barre d’arrêt d’un pupitre trop haut, le bord anguleux d’une table trop basse lui meurtrissent le thorax, et ses heures de travail sont des heures de torture que chaque jour aggrave. »

En 1866, Boutmy écrivait dans le journal l’Imprimerie : « Aussi, et nous avons le regret de le dire, le coin le plus obscur et le plus malsain de l’atelier est d’ordinaire le réduit où on le confine. C’est là que pendant de longues heures il se livre silencieusement à la recherche des coquilles, heureux quand il n’est pas troublé dans sa tâche ingrate par les exigences incroyables de ceux qui dirigent ou exécutent le travail. »

En 1867, le 17 septembre, au cours de l’Assemblée générale de la Société des Correcteurs de Londres, l’un des membres, M. Forrest, « réclame contre les odieux cachots qui sont assignés aux correcteurs pour cabinets et donne lecture d’un mémoire qu’il a rédigé à cet effet sur ce sujet… »

Cette même année, M. Bernier, président de la Société des Correcteurs de Paris, disait[4] : « Si la Société des Correcteurs de Paris était mise à même de discuter les questions soulevées dans le meeting anglais du 17 septembre, elle aurait assurément à signaler les mêmes misères, à émettre les mêmes vœux, mais… elle ne saurait faire ni plus ni moins que sa sœur aînée de Londres. »

À dix années de distance, malgré les protestations, la situation n’a point changé. À ce point de vue, le portrait que la Typologie Tucker[5] trace de la situation du correcteur semble plutôt assombri : « Courbé sur son pupitre du matin au soir, souvent du soir au matin, relégué dans un coin la plupart du temps obscur et malsain, gelé pendant l’hiver, étuvé pendant l’été, ou pendant les veillées par la chaleur du gaz qui lui dessèche les poumons et le cerveau,… le correcteur est l’homme au monde le plus vilipendé par son entourage… »

De nos jours encore cette description n’est, hélas ! que la peinture trop exacte d’une situation à laquelle l’humanité et l’hygiène conseillent pourtant de porter remède[6], mais que, par esprit de routine, les maîtres imprimeurs conserveront jusqu’au moment où — il faut peut-être l’espérer, sans oser y croire — les intéressés feront appel aux… inspecteurs du travail.

Nos ancêtres — des maîtres au renom immortel, il est vrai — ne traitaient point la correction, et par suite le correcteur, avec un tel dédain. Pour en donner une preuve manifeste, il nous suffira de rappeler ce qu’était la « chambre des correcteurs » à l’imprimerie Plantin :

« Nous[7] voici dans la chambre des correcteurs, l’une des plus belles du Musée, l’une des plus complètes au point de vue des choses qu’elle contient.

« Plus longue que large, d’un magnifique aspect, cette chambre est l’une des plus grandes de la maison Plantin et peut être certainement considérée comme l’un des joyaux du Musée… Toutes choses ont été laissées à leur place ; tout vous parle des grands travailleurs dont le nom est inséparable de la gloire des Plantin, et qui ont passé là tant d’années, ardents à des labeurs incessants.

« À droite, en entrant, nous trouvons un énorme bahut rempli de lettres, d’épreuves, de manuscrits… Puis, plus loin, le bureau des correcteurs, véritable merveille d’art en chêne sculpté. Ce bureau se compose d’une grande table dont l’un des côtés est appuyé à la muraille ; sur les deux côtés perpendiculaires au mur, des bancs avec dossiers très hauts ornés de sculptures. Les sièges sont assez élevés au-dessus du plancher, et il faut monter une marche pour y avoir accès. Sous la table se trouvent des rayons en assez grand nombre. Cette table reçoit directement le jour par une fenêtre avec volets se fermant à l’intérieur…

« À l’un des dossiers se trouve suspendue une paire de ciseaux de taille respectable. Dans une boîte placée sous la table, nous feuilletons des cahiers sur lesquels sont inscrites les correspondances, dans un ordre et une régularité parfaits ; sur la table, une petite balance fort curieuse pour le pesage des lettres, et dont le modèle remonte au xviiie siècle…

« Tout le reste de la chambre des correcteurs est occupé par des armoires et rayons garnissant le mur de haut en bas, et dans lesquels sont alignés dans l’ordre le plus parfait des paquets de caractères divers…

« Au milieu de la chambre des correcteurs se trouve une table sans tiroir, couverte de feuilles d’impression, d’épreuves en placards, sur lesquelles nous avons relevé de nombreuses corrections. Devant cette table, le fauteuil sur lequel se sont assis, dit-on, Juste Lipse et Cornelius Kiliaan. Pour Juste Lipse, la tradition pourrait bien se tromper ; mais, quant à Kiliaan, le fait est certain[8]… Ce qui fait les mérites de cette relique, ce sont les souvenirs qu’elle rappelle, souvenirs de travail, de patientes et infatigables veilles…

« Sur le seuil de la porte de la chambre des correcteurs… un charme doux et pénétrant gagne l’esprit du visiteur. Au milieu de tous ces souvenirs si beaux d’un passé resplendissant, il n’est pas possible que la pensée résiste à évoquer les noms des grands travailleurs, des savants et des artistes qui ont passé dans cette demeure. Tout un monde oublié revit en un instant. »

L’un de nos maîtres imprimeurs les plus réputés de province rappelle en ces termes la coutume qu’avaient ses prédécesseurs d’affecter un local spécial au service de la correction : « De temps en temps, sortant de la chambre des correcteurs ou de sa boutique de libraire, le maître imprimeur, véritable savant que la grandeur de son art imprégnait de majesté et imposait au respect, passait, allant de l’un à l’autre vérifier la perfection du travail et donnant des conseils[9]… »

On nous permettra de rappeler encore deux anecdotes fort intéressantes : « Sur la porte de son cabinet, Alde Manuce avait fait placer cette inscription : Ne m’interrompez que pour des choses utiles. Le roi-chevalier François Ier, au cours de l’une de ses visites à l’illustre érudit, écrivit lui-même à son tour : « Restez, j’attendrai la fin de votre lecture. » Et il attendit en effet[10]. »

Le même Alde Manuce avait placardé sur la table de son cabinet de travail : « Qui que vous soyez, Alde vous prie avec les plus vives instances, si vous désirez lui demander quelque chose, de le faire brièvement et de vous retirer aussitôt, à moins que vous ne veniez lui prêter l’épaule, comme Hercule relayant Atlas fatigué, car il y aura toujours de quoi vous occuper, vous et tous ceux qui porteront ici leurs pas. » La devise d’Alde l’Ancien était : Festina lente.

« Pour faire ses lectures, M. Didot s’enfermait dans un cabinet retiré dont les appartements voisins étaient silencieux ou inhabités[11]. »

b) Que faut-il donc au correcteur ? — Un bureau modeste — le luxe et le grandiose seraient hors de propos ! — où il puisse travailler continuellement avec la plénitude de ses facultés ; un bureau où l’hygiène soit tenue en honneur et où, sans exiger le calme de la solitude la plus absolue, il ne soit pas exposé à des ennuis et à des dérangements continuels. Si la disposition des lieux, si les ressources de la Maison ne permettent point de mettre à la disposition du correcteur un local bien aéré, bien éclairé, distinct de la salle de composition, « tout au moins, qu’un vitrage fermé abrite les correcteurs contre le bruit des conversations qui empêchent de suivre, en lisant une épreuve, le sens d’un texte à corriger[12] ».

Le silence est en effet l’une des conditions les plus indispensables à une bonne correction, bien que cette nécessité même du recueillement, d’un recueillement prolongé, soit, « pour certaines natures, un supplice dont l’amertume se gonfle de toute la joie exubérante qui éclate autour d’elles. Dans l’atelier règne la vieille gaieté française ; la plaisanterie voltige d’un rang à l’autre, le rire se mêle au fracas des machines. Dans le bureau, on n’entend que le crissement de la plume et le tic-tac de la pendule[13]. »

c) Des conditions relatives à l’hygiène la plus importante pour le service de la correction est, sans contredit, celle de la vue. Chez les mineurs, on a observé des troubles visuels fréquents dus à la demi-obscurité dans laquelle vivent ces travailleurs du sous-sol ; chez les couturières, l’effort de la vue est d’autant plus grand que l’étoffe est plus sombre. Demi-obscurité, papier de teinte éclatante ou trop assombrie sont les deux écueils auxquels risque de se blesser cet organe qui, pour le correcteur, est le bien le plus précieux et qu’il doit ménager comme sa vie même.

Le maître imprimeur aura à se préoccuper de ce point particulier de manière toute spéciale : le travailleur se trouvera placé dans les meilleures conditions avec la lumière naturelle du jour venant de gauche, ne donnant ainsi aucune ombre et ne fatiguant pas la vision par les rayons directs sur les yeux[14].

L’éclairage artificiel auquel on ne devrait avoir recours, dans les ateliers convenablement installés, que durant le travail de nuit est, par son mauvais fonctionnement, la cause la plus fréquente de la fatigue anormale de la vue. Les « véritables commandements de l’éclairage », auxquels devrait s’astreindre scrupuleusement tout correcteur, peuvent être résumés de la façon suivante :

1o Ne travaillez pas dans une lumière tremblante ;

2o N’exposez pas vos yeux à une lumière nue dans le rayon visuel direct ;

3o Ne jugez pas l’éclairage par l’état des lampes ;

4o Évitez les contrastes excessifs ;

5o Employez le modèle le plus convenable de globe, abat-jour ou réflecteur ;

6o Exigez que l’éclairage soit satisfaisant ;

7o Maintenez les lampes, globes et réflecteurs propres ;

8o Assurez-vous que les lampes sont dans une bonne position[15].

Trop souvent les maîtres imprimeurs français ont oublié que le personnel doit être placé dans des conditions matérielles telles qu’il puisse fournir le maximum de rendement avec le minimum d’efforts. Les grosses Maisons américaines, qui cependant ne se piquent pas de philanthropie, ont parfaitement compris cela : agissant au mieux de leurs intérêts propres, elles ont mis leurs employés dans les conditions les meilleures, les plus hygiéniques possibles.


C. — La bibliothèque


Le Rapport sur la Situation morale et matérielle des Correcteurs présenté à l’Union des Maîtres Imprimeurs de France, forcément succinct, ne pouvait signaler tous les points sur lesquels il est désirable de voir apporter une amélioration au sort du correcteur. Si ses rédacteurs avaient eu la possibilité de s’étendre plus longuement, ils n’auraient pu omettre de signaler la nécessité d’une petite bibliothèque contenant les ouvrages utiles au service de la correction, et pour l’installation de laquelle le bureau est le local tout indiqué.

Personne ne possède la science infuse : les plus instruits sont exposés un moment à douter des choses même les plus simples. Quelques manuels typographiques, maints dictionnaires, certains ouvrages didactiques habilement choisis soulageront en temps opportun la mémoire défaillante.

On pourrait aisément citer ici le nom des Maisons, sérieuses et importantes, qui ont réalisé un progrès incontestable — et retiré de cette manière de faire un sérieux avantage — en mettant entre les mains du personnel correcteur un Dictionnaire de la Langue française qui, seul, a autorité dans les questions orthographiques douteuses. Le principe d’uniformité de correction, que l’on ne saurait trop vivement recommander, se trouve ainsi grandement facilité dans son application.

D’autres Maisons sont allées plus loin dans cette voie : grâce à des sacrifices matériels importants, elles n’ont pas hésité à former, à compléter cette modeste bibliothèque dont la nécessité est indiscutable : dictionnaire des verbes irréguliers, dictionnaire historique et biographique, dictionnaire géographique ; dictionnaires grec, latin, anglais, allemand, italien, espagnol ; cours de grammaire supérieur ; traités d’algèbre, d’arithmétique, de chimie et de physique, d’histoire naturelle et de botanique ; et, pour doubler les dictionnaires, ce qui ne gâte rien, traités d’histoire et de géographie. — Les manuels typographiques sont nombreux ; tous, on le sait, sont, à leur manière, excellents et par la forme et par le fonds. Un correcteur doit avoir à cœur de posséder, pour lui seul, celui qu’il estime, qu’il juge le meilleur entre tous. Si le patron met à la disposition de ses employés, afin de leur permettre une comparaison toujours instructive, un certain nombre de traités, il doit imposer à son personnel l’obligation stricte de ne pas s’écarter d’une marche régulière et uniforme, quelles que puissent être les divergences des auteurs.

La bibliothèque pourrait, d’ailleurs, s’augmenter, et aussi s’orner, de nombre de travaux, les meilleurs, exécutés par la Maison. L’instruction d’un professionnel se forme autant par la recherche et la connaissance des erreurs commises que par la constatation qu’il peut faire de la perfection du travail exécuté. Fréquemment même il est indispensable que le correcteur puisse consulter les travaux antérieurement imprimés, surtout lorsqu’il s’agit de labeurs composant une encyclopédie, d’ouvrages comprenant une série de volumes, de livres édités pour le compte ou par les soins d’un même auteur, de périodiques, etc. Dans les imprimeries où la préparation du manuscrit n’est pas effectuée d’une manière régulière, cette collection particulière de la bibliothèque viendra heureusement en aide à la mémoire du correcteur pour la marche. Sans doute l’instruction remise habituellement avec chaque manuscrit ne devra point être supprimée ; le correcteur lui-même ne devra point négliger de prendre les notes habituelles ; mais, si un détail a été omis, si un cas embarrassant se présente, l’un et l’autre seront plus aisément solutionnés, parce que peut-être ils auront déjà été rencontrés dans un autre volume, ou pourront être assimilés à un précédent exemple.

À tous égards, la création d’une modeste bibliothèque à l’usage du personnel de la correction s’impose donc. On ne saurait trop féliciter les maîtres imprimeurs qui ont eu cette initiative, et les remercier d’entendre aussi largement leurs devoirs à l’égard d’un personnel par ailleurs si souvent sacrifié au profit mal entendu de prétendus intérêts généraux.

Dans la Bibliographie lyonnaise de M. Baudrier[16], nous rencontrons un fait intéressant que nous voulons croire relatif à la possession par un correcteur d’une modeste bibliothèque créée par son employeur : Jean de Gabiano, qui exerça la librairie de 1581 à 1619, habitait la ville de Lyon ; pour la correction et la revision des nombreuses éditions qu’il mit au jour il employa pendant un certain temps un nommé Laurent Condie, ou plus exactement Laurenzio Condio : c’est de ce dernier qu’il est question dans l’acte rapporté ici : « Le 6 mars 1587, David de Gabiano, marchant de Lyon, verse à Pierre Molyn, marchant coffretier à Lyon, la somme de 13 escuz 1/3 d’escu d’or pour la vente et délivrance de dix coffres et bahus couvertz de cuyr noir à demy faictz, lesquels coffres Sr Jehan de Gabiano, frère dudict David, avoy loué dudict Molin pour encoffrer les livres de feu sieur Laurenzio Condio en son vivant correcteur d’imprimerie à Lyon. »


D. — Distribution du travail


Même convenablement aménagé et installé, le service de la correction ne saurait être privé d’organisation : toute collectivité a besoin d’un chef, d’un organe directeur et aussi régulateur.

Si le prote tient à conserver sous son autorité le service de la correction, il doit y faire régner l’ordre et la méthode — Si l’autorité est dévolue à un chef ou à un premier correcteur, l’impartialité exclusive de toute camaraderie et de favoritisme sera la condition indispensable de la bonne direction de ce service.

Une distribution équitable de la lecture est aussi importante que sa répartition suivant les aptitudes, les connaissances et les habitudes de chacun.

Les mêmes correcteurs ne sauraient être sans cesse favorisés, sous des prétextes plus ou moins plausibles, au détriment de certains de leurs confrères. Il en est auxquels on ne donne que des choses difficiles à lire, d’autres à qui l’on ne confie que des manuscrits courants. Cette façon de faire peut être judicieuse si elle distribue le travail suivant les aptitudes et les talents des correcteurs ; elle peut, si l’on rend justice à ces talents et à ces aptitudes, être avantageuse pour l’intéressé ; elle est profitable à la Maison qui bénéficie de compétences spéciales ; — mais on ne peut nier qu’il est utile parfois de délasser l’esprit par quelque travail courant et de tenir l’intelligence moins en haleine par un labeur moins aride et moins ardu.

Il n’est sans doute pas toujours facile d’éviter les moments de surmenage auxquels sont exposés certains correcteurs, particulièrement les correcteurs de typographiques, les tierceurs et, conséquemment ; les reviseurs. Mais on peut au moins essayer de régulariser le travail pour obtenir une correction plus soignée et moins fatigante.


E. — La méthode


Sans la méthode, l’ordre le plus parfait dans le service de la correction ne sera jamais, au point de vue des résultats, qu’un trompe-l’œil. Le prote ou le chef correcteur seront, sur ce point, d’une intransigeance absolue : si le manuscrit a été convenablement préparé, les correcteurs devront — à moins d’erreur grossière évidente — s’en tenir rigoureusement aux indications de la copie ; au cas contraire, ils devront, c’est une nécessité absolue, s’entendre entre eux, ou recevoir les ordres convenables au sujet de la marche à suivre, en prenant pour base les instructions particulières remises à chaque volume nouveau. Nul ne saurait expliquer — et, parfois, l’intéressé lui-même le pourrait moins que tout autre — la conduite d’un correcteur détruisant au bon à tirer ce que son collègue s’est péniblement efforcé de régulariser aux premières. Pertes de temps, sujet de mécontentement et de froissements, et, ce qui est plus grave, perte d’argent (ces corrections étant à la charge de la Maison) sont les seuls résultats de cette manière de faire que l’on rencontre, hélas ! parfois.

Une uniformité rigoureuse de correction — aussi bien dans l’application des règles typographiques que dans l’interprétation des instructions données par les auteurs ou les éditeurs — sera la règle stricte que l’on imposera aux correcteurs ; eux-mêmes auront d’ailleurs souci de se conformer scrupuleusement à cette marche, s’ils ont conscience de leur devoir.


II. — Amélioration morale.


A. — Le correcteur est un employé


Nous avons cherché à définir ce qu’était le correcteur. Nous avons suivi rapidement, au cours des âges, ce qu’il fut, quel lustre s’attacha à ses fonctions, et quels savants honorèrent cette profession. Puis, après avoir examiné les devoirs qui incombent à ce travailleur, la somme d’instruction littéraire et technique qui doit composer son bagage, nous avons sommairement parcouru le cycle des opérations dont il assume la charge. Nous avons donné quelques exemples de la considération certaine avec laquelle le traitent nombre de personnages influents, maints auteurs ; nous avons aussi, désireux de n’omettre aucun détail, mentionné les plaintes, les doléances, les attaques dont le correcteur est si fréquemment l’objet. Enfin, nous avons examiné quel était, mieux quel devait être le salaire de cet érudit, de ce typographe, rouage indispensable d’une profession qui eut la gloire de se dire autrefois un art, et qui bientôt, hélas ! ne sera plus qu’une industrie toute semblable à tant d’autres.

Il nous reste à dire quel rang occupe le correcteur : est-ce un ouvrier, au sens strict, comme nous avons semblé le dire à plusieurs reprises ; au contraire, de par sa situation et son instruction, s’élève-t-il au-dessus du niveau ordinaire des salariés, et peut-on voir en lui un employé ?

Les premiers correcteurs n’appartenaient point, on l’a vu, au personnel des ateliers pour lesquels ils travaillaient.

Plus tard, le patron assuma lui-même la charge de correcteur et avec la direction technique de la Maison prit la responsabilité littéraire des œuvres qu’elle éditait.

À son tour, le prote, le premier des ouvriers mais le représentant du patron, dut accepter la double fonction du savant et de l’artisan.

Ainsi, dès son origine même, le correcteur occupe une place à part de l’élément ouvrier, place qui lui crée une situation supérieure, que les ordonnances royales et les règlements de l’Université reconnaissent en lui imposant des obligations particulières. Les siècles suivants ne devaient point, et ne pouvaient au reste, apporter de modifications à de tels errements. Peut-être le xixe siècle, après la suppression des corporations et la tentative d’égalité ouvrière générale, semblait-il devoir faire rentrer dans le rang une catégorie de travailleurs intellectuels haut placés dans la hiérarchie. Mais, dès 1848, les correcteurs parisiens réagissaient énergiquement par la création de leur Société fraternelle.

Il devait être donné au xxe siècle, revenant aux usages anciens, de fixer définitivement, semble-t-il, et juridiquement la situation industrielle du correcteur d’imprimerie.

On nous permettra de rappeler sommairement les circonstances dans lesquelles fut rendu le jugement auquel nous faisons allusion, les commentaires auxquels il a donné lieu dans certains milieux et la situation nouvelle qui en découle.

Le 13 juillet 1908, ayant à se prononcer sur une opposition formée par M. X…, correcteur au Journal officiel, à un jugement de la même Chambre, la 5e Chambre du Tribunal civil de la Seine a décidé qu’un correcteur d’imprimerie, que « sa culture intellectuelle et l’importance des travaux qu’il a à exécuter distinguent nettement des simples compositeurs, ne saurait être considéré comme ouvrier, mais comme employé ».

Voici l’attendu par lequel le Tribunal définit la profession du correcteur :

« Attendu que le correcteur d’imprimerie a pour fonction spéciale de relire la première copie sortie des presses, d’en corriger les fautes d’orthographe et d’impression, de veiller, en un mot, sous sa responsabilité, à la reproduction fidèle des termes et du sens du manuscrit original ; que la nature même de cette fonction implique nécessairement une culture intellectuelle assez étendue et un travail de cabinet qui se distingue nettement de celui de l’atelier de composition, où les ouvriers typographes, sous la direction du prote, leur contremaître, se livrent à la manipulation des caractères d’imprimerie et à leur assemblage ; que, s’il est possible d’admettre que, dans certains établissements de peu d’importance, le rôle du correcteur puisse être confondu avec celui de l’ouvrier proprement dit, il ne saurait en être ainsi dans l’espèce, en raison de l’importance de l’établissement industriel auquel est attaché X…, du niveau intellectuel que sa fonction comporte et du chiffre élevé de ses émoluments. »

Cette thèse a été confirmée, l’année suivante, dans un procès intenté par deux de ses correcteurs au journal le Matin, qui les avait licenciés sans leur accorder aucune indemnité.

Faisant sienne la définition juridique du correcteur établie par le jugement de la 5e Chambre, du 13 juillet 1908, rappelé ci-dessus : « employé d’une culture intellectuelle étendue…, travaillant sous sa seule responsabilité…, dont la fonction est incompatible avec celle des ouvriers d’imprimerie », la 7e Chambre du Tribunal civil de la Seine a condamné le journal le Matin à allouer à chacun des intéressés 180 francs de dommages-intérêts.

Depuis 1909, Dame Justice n’a pas été appelée, que nous sachions, à délibérer à nouveau sur la situation du correcteur dans l’imprimerie ; et les jugements rapportés ici, qui n’ont été infirmés par aucun arrêt nouveau de cassation ou d’appel, sont devenus définitifs, ont acquis « force de chose jugée ».

Les publications périodiques n’ont point mentionné — et pour cause ! — les manifestations bruyantes avec lesquelles les correcteurs ont accueilli une décision judiciaire qui, sans lutte, les élevait ainsi, officiellement, en un jour, d’un degré dans l’échelle industrielle. Mais quelques critiques ont pris prétexte de l’arrêt de Thémis pour exercer leur verve.

À propos de ce procès « où il s’agissait de savoir si un correcteur devait être considéré comme un ouvrier ou comme un employé, et le Tribunal ayant opiné pour cette dernière opinion et motivé son jugement par des raisons fort justes », le « père » Breton écrivait :

« En ce qui est des correcteurs, la chose, au fond, n’a pas grande importance. Ouvrier ou employé, on est toujours le salarié de quelqu’un, comme aurait dit notre vieil ami Brid’Oison, et l’argent qu’on reçoit en échange d’un travail ou service quelconque, qu’on le baptise salaire, appointement, traitement, indemnité, honoraires, banque ou émoluments, c’est kif-kif, à ce qu’assurait notre oncle Francisque Sarcey…

« Donc, par autorité de Justice, nos bons amis les correcteurs ne toucheront plus de banques, ils palperont des appointements, ce qui leur fera une belle écritoire ! Le moindre grain de mil, sous forme de 15 centimes de plus de l’heure, leur irait autrement mieux qu’un képi de gendarme à une lanterne d’automobile[17]. »

Avec non moins d’ironie, plus dissimulée cependant sous un fonds de scepticisme, le Courrier du Livre, sous la signature de Charles Raulin, disait encore : « Voilà qui est formel, péremptoire : le correcteur n’est plus cet être hybride, formé de deux espèces différentes, du « typo » et du « cultivé ». Grâce au jugement de la 5e Chambre, il est devenu une « étoffe » de meilleure, de première qualité ; la lisière est maintenant du drap.

« Ce jugement réjouira surtout Mesdames et Mesdemoiselles les Correctrices que les Affiches de l’Imprimerie nous ont récemment montrées agissant à la façon de l’employé, arrivant et sortant à leurs heures, qui ne sont pas celles du commun. Leurs confrères masculins continueront d’être ce qu’ils ont été jusqu’ici : les frères jumeaux des compositeurs. »


B. — Les conséquences


Au point de vue légal et judiciaire, les décisions que nous venons de rapporter créent au correcteur une situation nouvelle. Peut-être ne sera-t-il pas inutile d’esquisser sommairement les principales modalités de cette situation.


a. — Nature et durée du contrat


1. La nature du contrat qui lie le patron et l’employé est un louage de services à durée déterminée : l’engagement par lequel un employé s’obligerait à demeurer toute sa vie dans la Maison d’un même patron serait donc nul. Le respect dû à la liberté de l’homme lui interdit d’engager témérairement ses services pour sa vie entière. — Cette règle est consacrée par l’article 1780 du Code civil : « On ne peut engager ses services qu’à temps et pour une entreprise déterminée. »

2. Lorsque le temps fixé par le contrat de services de louage est écoulé, si le patron laisse son employé en fonctions, s’il continue à lui donner des ordres, à lui verser ses appointements comme auparavant, un engagement d’une durée égale à celle du précédent et de mêmes conditions s’établit par tacite reconduction.

Dans notre corporation, la durée du contrat s’établit, de manière générale, au plus pour un mois, sauf conventions contraires, c’est-à-dire que le correcteur est employé au mois. Un nouveau contrat s’établit, par tacite reconduction, au début de chaque mois, jusqu’au moment où l’une des deux parties fait connaître à l’autre sa décision de faire cesser le contrat tacite. Le délai de préavis est alors d’un mois.

Nous disons « sauf conventions contraires » ; il est certain en effet que, dans nombre de Maisons, le correcteur est un « employé » auquel le salaire est payé hebdomadairement et dont le contrat de travail se renouvelle chaque semaine par tacite reconduction.

3. Le patron doit mettre son employé à même d’exécuter son travail, dans les conditions convenues, ou, à défaut de conventions expresses, suivant les usages des lieux et les coutumes de la corporation. Il ne peut l’astreindre à une besogne autre que celle pour laquelle il l’a strictement engagé : ainsi un patron ne pourrait légitimement obliger un correcteur à prendre place à la casse ; ce dernier aurait le droit de demander la résiliation de son engagement et même des dommages-intérêts, dans le cas où le patron insisterait.

En outre, le travail que l’employé doit fournir ne doit être ni physiquement ni moralement impossible ; dans ce cas, l’engagement serait nul. — On peut faire rentrer dans ces deux catégories : l’obligation, qu’un patron imposerait, d’un travail excédant, et de beaucoup, les prescriptions sur la durée du travail dans les usines et manufactures ; la lecture commandée, exclusive et continue, de travaux contraires aux lois et aux bonnes mœurs.

4. Les obligations de l’employé ne peuvent être remplies que par lui. L’intérêt du patron à ce que les services attendus soient accomplis par l’employé avec lequel il a traité, et non par tout autre, est évident : lorsqu’il a engagé cet employé, il a pris en considération son talent, son habileté, ses aptitudes professionnelles, et ce serait ne tenir aucun compte de la volonté de l’un des contractants que de permettre à l’employé de se faire remplacer sans le consentement de son patron. Le patron aurait le droit de demander la résiliation avec dommages-intérêts (art. 1184, C. civ.).

5. L’employé doit tout son temps et tous ses soins à son patron ; en conséquence, le patron peut résilier l’engagement et demander des dommages-intérêts lorsque l’employé travaille, à quelque titre que ce soit, pour une autre Maison (Rouen, 8 juillet 1885).

6. L’employé ne doit, au cours de son travail, supporter que les frais qui ont été implicitement compris dans les conditions de l’engagement ou que les usages mettent à sa charge. Le patron doit, dans tout autre cas, le remboursement de ces frais, par exemple les frais de bureau.

7. Le patron doit indemniser l’employé de toutes les pertes subies par suite ou à l’occasion de ses fonctions (art. 2000, C. civ.), par exemple les livres et les vêtements détruits au cours d’un incendie.

8. Le patron est civilement responsable des actes délictueux accomplis par ses préposés « dans les fonctions auxquelles il les a employés » (art. 1384, C. civ.).

La responsabilité du patron est engagée alors même qu’il pourrait prouver qu’il lui a été impossible d’empêcher le fait dont on se plaint ; il suffit que le dommage existe.

Si le patron n’a pas donné d’ordre, sa responsabilité civile seule est en jeu ; dans le cas contraire, sa responsabilité pénale est engagée.

Cette responsabilité s’étend à tous les actes par lesquels les employés causent un dommage à autrui — quasi-délit, dols, etc., — même si les employés sont incapables de contracter par eux-mêmes (femmes mariées, mineurs), le patron qui fait appel aux services de ces derniers le faisant à ses risques et périls. — Ainsi un patron est tenu du préjudice causé à un tiers par un correcteur qui, dans un jugement de condamnation de tribunal correctionnel, a laissé par mégarde le nom de ce tiers au lieu de celui de la personne en cause. Toutefois, le correcteur est responsable de cette erreur vis-à-vis du patron, — « le correcteur veillant sous sa responsabilité à la reproduction fidèle des termes et du sens du manuscrit », comme l’a déclaré la 5e Chambre du Tribunal civil de la Seine.

9. Le patron est responsable des conséquences des accidents survenus aux ouvriers « occupés dans l’industrie du bâtiment, les usines, manufactures, chantiers…, et dans toute exploitation ou partie d’exploitation dans laquelle il est fait usage d’une machine mue par une force autre que celle de l’homme ou des animaux ». (L. 9 avril 1898, art. 1.)

Toutefois, le patron n’est pas responsable des suites des accidents survenus par cas fortuit ou force majeure, c’est-à-dire dans des circonstances qu’il était dans l’impossibilité de prévoir et d’empêcher ; de même il n’est pas responsable des suites de l’accident survenu par la faute de l’employé qui en a été victime.


b. — Salaires


10. Le salaire est payable aux époques convenues entre les parties — patron et employé — habituellement à la fin de chaque mois, sauf conventions contraires.

Le salaire est dû en entier, même en cas d’absence momentanée, pour cause de maladie, d’accident, si cette absence est de courte durée, et si le fait n’est pas imputable à une faute grave de l’employé. Si, au contraire, l’absence est de longue durée et met l’employé dans l’impossibilité absolue de rendre les services dus par lui, le salaire stipulé n’est pas dû.

11. Le salaire fixé et accepté d’un commun accord par les parties est dû en entier ; il ne peut en aucun cas et en aucune manière être réduit par les tribunaux à la sollicitation de l’un des contractants.

12. Le patron qui charge son employé de travaux supplémentaires non prévus par le louage de services, par l’engagement, doit à ce dernier une rémunération particulière à raison de ces travaux (Trib. Com. Seine, 27 mai 1885).

13. En principe, le paiement du salaire doit être effectué en argent ou en monnaie ou billets ayant cours légal en France. — Dans la typographie, le salaire n’est jamais payé en denrées ou en marchandises, comme parfois dans certaines autres corporations.

14. Le salaire acquis aux ouvriers directement employés par le débiteur pendant les trois mois qui ont précédé l’ouverture de la liquidation judiciaire ou de la faillite, est admis au nombre des créances privilégiées, au même rang que le privilège établi par l’article 2101 du Code civil pour les salaires des gens de service (L. 4 mars 1889, art. 22).

Mais le privilège ne garantit pas : les avances de fonds faites par l’employé à son patron, à moins que ces avances n’aient eu lieu en exécution même de l’engagement, ce qu’il appartiendra à l’employé de prouver (Paris, 21 juin 1887) ; les dommages-intérêts ou indemnités qui pourraient être dus à l’employé, par exemple pour rupture de contrat non motivée ou intempestive (Trib. Com. Marseille, 25 janvier 1883).

15. « Les traitements des employés ne sont saisissables que jusqu’à concurrence de 1 dixième, lorsqu’ils ne dépassent pas 2.000 francs par an[18] » ; ils ne peuvent être cédés que jusqu’à concurrence d’un autre dixième (L. 12 janvier 1895).

16. Ne sont pas compris dans les appointements proprement dits, et en conséquence ne sont pas passibles de la saisie-arrêt du dixième :

1o Les bonifications ou gratifications, qui constituent des dons facultatifs sur lesquels ni l’employé ni ses créanciers n’ont le droit de compter ;

2o Les pourboires, pour le même motif ;

3o Les sommes dues pour travail supplémentaire accompli en dehors des heures de bureau : on ne peut dire en effet que ces sommes constituent le traitement ou les appointements de l’employé, puisqu’elles ne sont pas dues aux termes de l’engagement ;

4o Les prestations en nature, telles que logement, chauffage, éclairage, etc. ; mais il faut considérer comme devant être comptée dans le chiffre des appointements l’indemnité en argent que peut recevoir un employé en dédommagement de la prestation en nature à laquelle son contrat de louage de services lui donnait droit et qu’il n’a pas obtenue.

17. Les créances qui résultent d’avances faites par le patron à son employé ne peuvent être remboursées qu’au moyen de retenues successives ne dépassant pas le dixième du salaire ou des appointements, lorsque le chiffre de ceux-ci est inférieur à 2.000 francs (L. 12 janvier 1895).

Les acomptes versés à un employé sur un travail en cours ne sont pas considérés comme avances, puisqu’ils ne constituent qu’un paiement partiel du salaire.


c. — Rupture du contrat de travail


18. Le contrat de louage de services prend fin par l’expiration de la durée pour laquelle il avait été consenti.

Toutefois, avant cette expiration il peut être rompu d’un commun accord entre les parties, soit en observant les délais de préavis de rupture prévus lors de l’engagement ou fixés par les usages, soit sans préavis.

19. Le patron peut rompre le contrat si l’employé ne remplit pas ses obligations, en un mot ne satisfait pas à ses engagements (C. civ., art. 1184) et donne de graves motifs de mécontentement. De son côté, l’employé a le même droit, s’il estime que le contrat n’est pas respecté, est outrepassé, ou que le travail auquel il est astreint ne répond nullement aux conventions intervenues.

Régulièrement, les tribunaux devraient seuls être appelés à prononcer la résiliation d’un contrat, dans les conditions du paragraphe précédent ; mais, en fait, la volonté de l’une des parties intervient toujours avant cette éventualité, sauf à l’autre partie à saisir le tribunal par une demande de dommages-intérêts, si elle estime que cette résiliation est inopportune ou n’est pas justifiée.

La rupture du contrat de travail sans motifs légitimes peut donner lieu, en faveur de l’une ou de l’autre partie, à des dommages-intérêts, à condition que cette rupture cause réellement un préjudice ; la preuve incombe au demandeur, c’est-à-dire à celui qui affirme avoir souffert de la rupture :

« Attendu que, si la rupture du contrat de louage de services fait sans détermination de durée peut donner lieu à des dommages-intérêts au profit de celui qui la subit, c’est à la condition qu’elle lui soit préjudiciable, et qu’elle constitue, de la part de celui qui l’impose, un abus de son droit, dont la preuve incombe au demandeur. » (Chambre civ., 12 nov. 1901 ; Dalloz, 1901-1-22.)

Le jugement doit, à peine de nullité, relever et préciser les circonstances qui constituent la faute ou l’abus de pouvoir. Ainsi ne serait pas suffisante la mention « que le patron a rompu brièvement le contrat et congédié son employé après quinze années de travail dans la Maison ». (Chambre civ., 23 mars 1904 ; Dalloz, 1904-1-192.)

20. La rupture du contrat de travail par cas de force majeure — incendie de l’établissement, destruction au cours d’une guerre — ne donne pas lieu à indemnité en faveur de l’employé.

21. La rupture du contrat dans le cas de faillite, de liquidation judiciaire, de dissolution de société, donne lieu à indemnité en faveur de l’employé congédié (Paris, 29 janvier 1884).

22. Une maladie grave et permanente, la mort de l’employé mettent fin au contrat sans dommages-intérêts à l’égard du patron ; mais la réciproque n’est pas admise, et l’employé congédié, en dehors des conditions du contrat, à la suite d’une maladie grave ou de la mort du patron, a droit à une indemnité. — Une maladie passagère ne peut mettre fin au contrat.

Il a été jugé qu’une absence de courte durée d’un ouvrier, qui avait d’ailleurs prévenu par écrit son patron de son absence, si elle autorisait le patron à résilier le contrat de travail, ne lui permettait pas de ne pas observer le délai de préavis.

23. Les tribunaux ont jugé, à maintes reprises, qu’au cas de vente d’une Maison les employés ont la liberté de quitter cette Maison sans être tenus à aucune indemnité, s’ils n’ont pas établi avec l’acquéreur un nouveau contrat de louage de services (Lyon, 8 janvier 1848) ; en sens contraire, l’acquéreur, qui ne s’est pas engagé formellement à conserver le personnel, peut congédier tous les employés sans être astreint à des dommages-intérêts. — Mais, en toutes circonstances, les employés fondés à quitter volontairement la Maison peuvent réclamer des dommages-intérêts à leur ancien patron qui n’aurait pas observé les délais de préavis convenus. Ces circonstances sont rares dans notre profession.

24. La rupture du contrat de travail avant l’époque fixée pour son expiration donne lieu à indemnité de la part d’une partie envers l’autre, même lorsque cette rupture est occasionnée par des motifs raisonnables. — Ainsi, au cours de son engagement, un employé quittant son patron pour se marier, pour venir au secours de parents âgés ou infirmes, serait, le cas échéant, tenu de dommages-intérêts.

25. Un patron qui congédie son employé en raison de graves fautes professionnelles, d’insuffisance technique prouvée, de condamnation infamante, d’abus de confiance, ne peut être tenu à lui verser une indemnité.

26. La grève ou le lock-out est une rupture du contrat de travail. — En conséquence, les délais de préavis doivent être observés ; faute de ce faire, patrons ou employés peuvent être condamnés à des dommages-intérêts envers la partie qui a rompu le contrat.

27. Le patron est libre de reprendre ou non les employés qui se sont mis en grève ; mais cette faculté ne peut être opposée aux employés qui n’ont abandonné le travail que par suite de violences ou de menaces, ou y ont été contraints d’autre manière.

28. L’employé congédié par un patron obligé, sous peine de grève ou autres représailles, de se séparer de celui-ci, n’a aucun recours contre ce patron. Le préjudice qui est causé à cet employé provient non pas du patron qui a été obligé de céder aux menaces, mais des personnes qui ont contraint le patron. À celles-ci la responsabilité, et conséquemment, le cas échéant, la réparation du préjudice causé.

29. L’employé non syndiqué congédié à la demande d’un syndicat, demande faite sous peine de représailles en cas de refus, n’a aucun recours contre le patron ; mais il peut actionner en dommages-intérêts le syndicat coupable de lui avoir causé volontairement un préjudice (Cass., 22 juin 1892 ; Lyon, 2 mars 1894).

30. « En matière de louage de services, si un patron, un ouvrier ou un employé est appelé sous les drapeaux comme réserviste ou comme territorial, pour une période d’instruction militaire, le contrat de travail ne peut être rompu à cause de ce fait. » (L. 18 juillet 1901, art. 1.)

31. « Même si pour une cause légitime le contrat est dénoncé à l’époque d’une période d’instruction militaire, le temps consacré à cette période est exclu des délais usuels impartis pour le préavis de délai-congé. » (L. 18 juillet 1901, art. 2.)

32. En l’état actuel de la législation, le patron ne peut, sans être tenu à indemnité, congédier un employé qui s’affilie ou est affilié à un syndicat.


d. — Généralités


33. « Les parties ne peuvent renoncer à l’avance au droit éventuel à des dommages-intérêts » (C. civ., art. 1780). Toute clause portant cette renonciation sera donc nulle et de nul effet. Au moment où l’employé accepte un engagement, le besoin de travailler pour vivre peut lui enlever quelque part de sa liberté et lui faire accepter des conditions draconiennes.

34. Toutefois, au moment du contrat, les parties peuvent fixer, pour le cas à venir d’une rupture non justifiée, le chiffre des dommages qu’elles désirent être versés par la partie coupable ; cette clause sera valable si le chiffre fixé est estimé raisonnable eu égard à la situation et aux fonctions de l’employé.

35. Sont valables les renonciations aux dommages-intérêts et les transactions amiables qui fixent le chiffre de l’indemnité encourue, lorsque renonciations et transactions ont lieu après la rupture du contrat de travail (Trib. Com. Seine, 23 février 1892).

36. Au moment de son départ, l’employé doit remettre à son patron toutes les pièces, tous les documents, tous les livres, enfin tous les objets que celui-ci lui a confiés. Une précaution à conseiller à l’employé est celle de se faire délivrer un récépissé ou une décharge régulière. — De son côté, le patron est tenu de remettre à son employé tout ce qui appartient à celui-ci.

37. « Toute personne qui a engagé ses services peut, à l’expiration du contrat, exiger de celui à qui elle les a loués, sous peine de dommages-intérêts, un certificat contenant exclusivement la date de son entrée, celle de sa sortie et l’espèce de travail auquel elle a été employée. Ce certificat est exempt de timbre et d’enregistrement. ». (L. 2 juillet 1890, art. 3.)

Le patron a le droit de se refuser à porter au certificat toute mention autre que celle indiquée par la loi ; il est à remarquer en effet que le texte porte le mot « exclusivement » qui est strictement limitatif.

38. L’employé qui s’établit à son compte, ou entre au service d’une autre Maison, doit, à peine de dommages-intérêts, s’abstenir, dans ses nouvelles fonctions, de toute concurrence déloyale envers son ancien patron.

39. Si l’engagement de travail comporte pour l’employé l’interdiction d’entrer dans une Maison similaire après avoir quitté son emploi pour quelque cause que ce soit, cet employé ne peut s’établir pour son propre compte dans un commerce ou une industrie analogue à celle dont il était le salarié : il pourrait en effet susciter de la sorte à son ancien patron une concurrence préjudiciable, concurrence qu’il était certes dans l’intention des parties d’éviter avec soin en imposant et en acceptant « l’interdiction de louage de services » à une Maison de même nature (Cour d’appel Paris, 4e Chambre, 17 nov. 1920).

40. La loi du 16 février 1919 interdit et punit la corruption de « tout commis, employé, préposé, rémunéré ou salarié d’un commerçant ou d’un industriel ». — La 11e Chambre correctionnelle du Tribunal civil de Paris a condamné à 2.000 francs d’amende et à 1 franc de dommages-intérêts un ex-employé d’une Compagnie de torréfaction qui, pour augmenter le nombre des clients de son nouveau patron, avait cru devoir solliciter d’un préposé de son ancienne Maison « les noms des clients, les quantités de marchandises livrées et la copie des ordres reçus journellement », et ce moyennant le versement mensuel de la somme de 30 francs.




  1. Voici la partie de ce Rapport relative à la Situation pécuniaire : « D’un travail de statistique fait par la Section de Bordeaux de la Société amicale des Protes et Correcteurs d’Imprimerie, il ressort que les correcteurs sont rétribués, dans certains établissements, aux prix des compositeurs les moins payés, quelquefois, dit-on, au-dessous de ce chiffre. Il y aurait là une situation aussi injuste qu’illogique. Car comment prétendrait-on, dans de pareilles conditions, avoir un bon correcteur ? Paierait-on un prote moins qu’un ouvrier ? Non ! et cependant la comparaison est à quelque chose près la même. Vous exigez de votre prote des capacités spéciales ; pour cette raison vous le payez davantage, et c’est justice ! Pour votre correcteur, vous exigez également des capacités spéciales, et vous ne voudriez pas le rétribuer davantage ! Là serait l’injustice !
    xxxx « Aussi qu’arrive-t-il souvent de cette économie mal entendue ? Dans certaines Maisons on improvise correcteurs d’anciens typos relégués du rang par l’âge, ou bien un Monsieur quelconque en quête d’une situation, n’ayant jamais vu une imprimerie. Dans l’un comme dans l’autre cas, il n’y a pas lieu de récriminer si des gaffes sont commises, car ni l’un ni l’autre de ces correcteurs improvisés n’a les aptitudes nécessaires, et ce que vous pourrez les payer, nous en convenons avec vous, ce sera encore trop cher. Vous seriez mal venus à leur infliger des réprimandes, puisqu’ils auront fait tout ce qu’ils peuvent, mais qu’ils ne sont pas payés pour faire tout ce qu’ils doivent à leur profession.
    xxxx « Donc, si vous exigez de votre correcteur des capacités, il est en droit d’exiger de vous une rémunération en rapport avec ses aptitudes, et soyez certains qu’en agissant ainsi vous aurez de bons correcteurs, et vous ne le regretterez pas. « Ce que nous solliciterions à cet égard, ce serait simplement que le correcteur fût payé au mois, qu’il fût considéré non comme un ouvrier, mais comme un employé. Mais encore, quel tarif faudrait-il appliquer au correcteur ? Il nous semble qu’une règle générale pourrait être adoptée, et que le point de départ de leurs appointements serait, dans chaque ville, le prix minimum du tarif local des compositeurs augmenté de 25 0/0. Exemple : Un compositeur gagne 6 francs (tarif minimum) ; le correcteur gagnerait : 6 francs + 25 0/0 = 7 fr. 50 par jour ou 200 francs par mois. Dans une autre ville, un compositeur gagne 5 francs ; le correcteur gagnerait : 5 francs + 25 0/0 = 6 fr. 25, ou 170 francs par mois. Selon ses aptitudes et les travaux exécutés, les maîtres imprimeurs pourraient augmenter ces prix.
    xxxx « Si nous demandons que les correcteurs soient payés au mois, il y a plusieurs raisons pour cela ; mais celles qui prédominent sont celles-ci : 1° Considérés comme employés, ils acquièrent dans la maison un prestige nécessaire à leur position ; 2° si l’atelier chôme un jour de fête, et que la journée de travail soit réellement perdue en ce qui concerne l’ouvrier qui ne produit rien ce jour-là, il n’en est pas de même du correcteur, qui doit quand même assurer le service et qui se verra obligé à un surcroît de travail les autres jours pour que les travaux de la Maison ne subissent aucun retard ; 3° si les compositeurs veillent, il ne veillera pas et se trouvera surmené pour sa lecture ; 4° si une maladie de deux ou trois jours survient, il se trouve dans le même cas ; à la journée il ne sera pas payé, et il sera quand même obligé de mettre à jour son travail, quelquefois en l’emportant chez lui pour le faire à la veillée ; au mois, il fera ce travail, mais aura la juste rémunération de sa peine, puisqu’il aura été payé pendant un ou deux jours où il n’aura pas eu de présence effective à l’imprimerie. »
  2. Les maîtres imprimeurs paraissent en effet n’avoir jamais songé à tenir compte des décisions judiciaires que nous rappellerons plus loin (voir page 567) et qui reconnaissent au correcteur la qualité d’employé.
  3. Physiologie du Correcteur d’imprimerie, p. 26 ; Paris, 1843. — D’après les termes mêmes de cette monographie, Breton (il ne s’agit pas ici, nous le répétons, du « père Breton », le typographe et écrivain remarquable que notre génération a connu professeur à l’École Estienne) aurait été correcteur une vingtaine d’années environ, avant de devenir maître imprimeur.
  4. L’Imprimerie, no 45, p. 533.
  5. Typologie Tucker, 15 mars 1878.
  6. En 1921, M. Victor Delhez écrivait : « L’hygiène est trop souvent négligée dans les ateliers d’imprimerie, ou y est même tout à fait inexistante. Les imprimeurs improvisent des ateliers dans les premiers locaux venus sans, la plupart du temps, s’inquiéter si ces locaux répondent plus ou moins à leur future destination. Il en résulte que, dans la plupart des ateliers d’imprimerie, relégués dans des arrière-cours, la lumière est trop souvent défectueuse, d’où difficulté pour le travail et fatigue exagérée pour les yeux. La ventilation y est trop rudimentaire ; il conviendrait cependant de pouvoir éliminer des odeurs pernicieuses sans devoir ouvrir les fenêtres pendant le travail et placer toujours l’une ou l’autre partie du personnel dans un courant d’air désagréable… » ; il serait indispensable également de veiller « à ce que soit respecté le cubage d’air nécessaire, cubage établi d’ailleurs par la loi. » (Annuaire de l’Imprimerie, 1922, p. 399 : d’après le Rapport de M. Victor Delhez, publié par la Fédération typographique belge et présenté à l’Association libre des Typographes de Bruxelles ; A. Muller, édit., Paris.)
  7. La Maison Plantin, à Anvers, par Léon Degeorge, 3e éd., 1886, p. 55.
  8. « Le fait est certain », dit M. L. Degeorge ; nous voulons bien le croire, mais nous l’ignorons de manière certaine. On peut affirmer, il est vrai, sans crainte d’erreur, que Plantin dut affecter au service de ses correcteurs et des hôtes de marque qui vinrent travailler à son officine une salle pourvue de tout ce qui pouvait au xvie siècle constituer pour nos pères le nec plus ultra du confort ; mais ni Plantin, ni Kiliaan, ni Juste Lipse ne connurent la pièce dite « chambre des correcteurs » : celle-ci aurait été, d’après M. Max Rooses, aménagée par un Moretus en l’an 1637, soit vingt années après la mort de Kiliaan.
  9. P. Mellottée, Histoire économique de l’Imprimerie, t. I.
  10. D’après Frey. — Didot attribue cette anecdote à Robert Estienne
  11. Voir page 385.
  12. Rapport sur la Situation morale et matérielle des Correcteurs, présenté à l’Union des Maîtres Imprimeurs de France au nom de la Société amicale des Protes et Correcteurs (Circulaire des Protes, juillet 1910).
  13. D’après A.-T. Breton (Physiologie du Correcteur d’imprimerie, p. 27), « le savant austère Jérôme Hornschuch, docteur en médecine et correcteur dans l’imprimerie de Beyer, à Meinungen, recommandait aux correcteurs d’éviter avec le plus grand soin de s’abandonner à la colère, à l’amour, à la tristesse, enfin à toutes les émotions vives… ».
  14. « Le local doit être bien éclairé, d’un jour franc, et non de ces faux jours qui abîment les vues les plus sûres. Il est parfois, dans certains ateliers, des coins où l’on ne voit pas en plein midi : c’est un inconvénient très grave, qui gêne la célérité du travail et oblige à demander à l’électricité ou au gaz un concours dispendieux.
    xxxx « L’éclairage doit être suffisant pour que le travail soit possible de jour sans lumière artificielle dans la plupart des journées d’hiver. Le meilleur jour, on le sait, vient de gauche. Cette condition est souvent impossible à réaliser, mais alors on doit combiner la disposition du bureau pour obtenir, même dans des circonstances exceptionnelles, le maximum de lumière… » (L’Imprimeur chef d’industrie et commerçant, p. 89.)
  15. D’après l’Américain Gaster.
  16. Première série, p. 103 ; 7e série, p. 208.
  17. Le Courrier du Livre, année 1909, p. 221.
  18. Ces chiffres ne sont plus en rapport avec les conditions de vie actuelles. Il est certain qu’ils devront rapidement être modifiés et mis en harmonie avec la situation, pour sauvegarder certains intérêts.