Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 1/10

E. Arrault et cie (1p. 411-423).


CHAPITRE X

LA TIERCE



§ 1. — CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES


D’après l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, « la tierce est la première feuille que l’imprimeur tire après avoir mis sa forme en train » ; et, d’après Bertrand-Quinquet, « on appelle tierce la première feuille que les imprimeurs tirent aussitôt qu’ils ont mis en train ; elle sert à s’assurer si les fautes ont été corrigées exactement, ou si en corrigeant l’on n’en a point fait de nouvelles[1] ».

La définition du mot tierce donnée ici est un peu serrée : à notre époque, la tierce n’est plus la première feuille que l’imprimeur tire après avoir mis sa forme en train. Plus simplement, et de manière plus générale, « la tierce est une épreuve donnée au correcteur après la mise sous presse ».

Cette épreuve est nommée tierce parce qu’elle est proprement, abstraction faite des épreuves qui ont pu être vues par les auteurs et les éditeurs, et des revisions destinées au correcteur, la troisième des épreuves typographiques : elle termine le cycle dont nous avons antérieurement étudié une fraction, avec les « premières » et les « secondes ».



§ 2. — LA TIERCE


I. — Le tierceur.


« Quand on parle de correction typographique, la pensée va de suite au lecteur d’épreuves, au correcteur. On songe alors fort peu au tierceur dont les fonctions, exposées fréquemment à des responsabilités aussi considérables que celle de son collègue, sont cependant trop souvent jugées, à tort, comme de moindre importance. »

Dans certaines Maisons, le tierceur apparaît, à première vue, comme la cinquième roue du char. La faute en est à sa situation et aux conditions exceptionnelles dans lesquelles il se trouve — parfois involontairement — placé : d’abord, il s’est, de gré ou de force, spécialisé, et on l’estime incapable de sortir de l’ornière (!) où on l’a plongé ; ensuite, on le juge inapte à la lecture proprement dite des épreuves, qui n’est point de son ressort ; enfin, il est condamné à la vérification des corrections de l’auteur ou du correcteur en bon, besogne jugée secondaire, s’il en fut. Ainsi, aux regards de certains, les attributions du tierceur sont d’une importance toute relative ; à les en croire, elles pourraient même être données au premier venu.

Peut-être ces grincheux ont-ils en vue certain règlement dont nous avons déjà parlé antérieurement. L’Arrêté portant réglementation du personnel des lecteurs d’épreuves et des viseurs de tierces de l’Imprimerie Nationale prescrit en son article 5:

« Viseurs de tierces. — Les viseurs de tierces sont assimilés aux lecteurs d’épreuves. Ces postes sont attribués aux lecteurs recrutés parmi les ouvriers typographes de l’Établissement. Lorsqu’une vacance se produit, le poste est donné au plus ancien des lecteurs de cette catégorie qui en font la demande ; à défaut de candidatures, le Directeur y affecte d’office, pour une période minimum de deux ans, le moins ancien. »

« À défaut de candidatures, le Directeur y affecte d’office… » Est-ce un honneur ? Est-ce une mesure disciplinaire ? — Le voilà bien « le premier venu », auquel contre son gré, malgré ses préférences, on impose des fonctions pour lesquelles il n’éprouvera que du dégoût et qu’il ne remplira qu’à moitié.

Étrange erreur !

Non moins étrange, en vérité, cette affirmation d’un auteur qui n’a pas craint d’écrire que « l’emploi de tierceur était plutôt l’apanage d’un typo fatigué, réduit à prendre ses invalides ».

Si le parfait correcteur a toujours été considéré comme un oiseau très rare, il n’est pas moins vrai que les bons tierceurs ont de tous temps été soigneusement recherchés et conservés par toutes les Maisons que le souci de leur réputation tient sans cesse en éveil.

Le fait que la tierce est la dernière revision, l’ultime épreuve soumise au contrôle du correcteur, suffirait à lui seul à justifier l’importance qu’on lui accorde et les qualités particulières que l’on exige de l’homme auquel ce travail est confié, et qui ne saurait être ni un retraité invalide ni le premier venu.

Ce qui est indispensable au tierceur ne saurait, d’ailleurs, s’acquérir sans une pratique assez longue :

Connaissance aussi complète que possible de toutes les choses professionnelles, même et surtout de celles qu’un correcteur émérite de premières ou de secondes n’est point tenu de savoir, pour les formats, les blancs, le registre, la pliure, etc. ;

Diligence, parce que le retard le plus minime dans la remise des corrections aux presses peut occasionner, par une livraison tardive, de graves préjudices au patron ou au client ;

Attention, parce que le tierceur, d’un coup d’œil exercé, doit relever la faute, la coquille échappées à l’œil cependant attentif et intéressé de l’auteur et du correcteur en bon ;

Vigilance, parce que son esprit constamment en éveil, une possession de lui-même sur laquelle les distractions ambiantes n’ont aucune prise, doivent le prémunir contre ces incidents du travail si préjudiciables, lettres tombées, mots ou lettres inconsidérément transposés, figures retournées, etc.;

Méthode : il ne s’agit point de reviser tout ensemble, comme certains le prétendent, folios, titres courants, corrections, bords de pages, figures, légendes, etc. : surchargée de trop de choses, préoccupée de détails touffus, la mémoire peut subir une défaillance, source des désagréments les plus fâcheux ; il est donc indispensable de sérier le travail et de procéder avec ordre. « Et, s’il est vrai qu’il appartient au tierceur de mettre la dernière main au travail de la correction, il lui sera loisible de la sorte que la conclusion se tire sans difficultés, sans accidents ni mécomptes. »

Il est indispensable que le tierceur ne laisse rien au hasard, et le meilleur moyen pour lui de ne point se fier à cette mauvaise providence « est de grouper toutes les indications particulières à un travail sur une fiche qu’on épingle à la chemise du travail en cours d’impression ». Cet écrit suppléera au dieu Hasard, dont les coups sont parfois si désastreux. Il faut, d’ailleurs, prévoir : un motif quelconque peut obliger le tierceur à s’absenter, et son remplaçant doit être de suite au courant.


II. — La tierce.


De ce que la tierce est une épreuve certains conducteurs ont la déplorable habitude de conclure qu’elle ne doit être que cela, et même… moins que cela ; et ils semblent avoir quelque regret de présenter au tierceur un travail convenable. Aussi, de manière générale, leurs tierces laissent plutôt à désirer : elles sont parsemées de taches d’huile, sales, illisibles en maints endroits : des « moines », des manques de touche, se sont produits parce que les rouleaux toucheurs étaient durs ou parce qu’ils avaient déjà fourni un long tirage sans avoir été lavés. D’autres fois, les feuilles semblent couvertes plutôt d’un cirage épais que d’encre : lors de la mise sous presse, les formes n’ont pas été nettoyées ; le caractère est empâté, soit du fait des épreuves à la presse à bras ou à la brosse, soit à cause de la poussière qui recouvrait nombre de pages empilées depuis de longues semaines dans un coin de l’atelier. Quelques « bois » sont écrasés, alors que d’autres ne révèlent même pas leur présence par une minime tache ; le registre est chose inconnue ; une marge n’existe plus, alors que l’autre s’élargit ample à souhait pour absorber tous les « microbes correctionnels » du correcteur chirurgien : l’ensemble donne l’idée d’un placard innommable.

Il y a là un manque absolu de compréhension des conditions dans lesquelles doit s’exécuter un travail aussi important que celui de la vérification d’une tierce. Sans craindre aucun démenti, on peut affirmer qu’une telle vérification est absolument illusoire, et qu’il eût mieux valu ne pas la faire, car parfois on est tenté de fonder quelque espoir sur elle, alors qu’elle est à chaque instant un traquenard.

La feuille de tierce, en quelque cas que ce soit, ne saurait être remise au tierceur qu’après une mise en train sommaire ; le papier tenu rigoureusement propre sera celui sur lequel le tirage doit être exécuté ; le caractère sera soigneusement lavé, et les lettres empâtées décrassées ; les bois seront de hauteur convenable, et la figure devra paraître de manière suffisante pour permettre sa vérification ; le registre sera terminé, et les marges bien régulières.

Sans doute, le tierceur attendra quelques instants de plus la remise de sa tierce ; mais ce quart d’heure, cette demi-heure d’attente ne seront nullement perdus : la tierce sera plus rapidement visée, plus sûrement vérifiée et moins chargée de corrections ; ainsi tout le monde, tierceur, corrigeur et même imprimeur, y trouvera son compte.


III. — Comment « voir » la tierce.


Avec une tierce convenable, le tierceur peut opérer, nous l’avons vu, une revision plus soignée et dans laquelle il aura pleine confiance.

Nous disons revision, et avec raison : il n’est pas d’usage, en effet, de relire entièrement les tierces. Non point que l’on doive « considérer comme une opération inutile la lecture des tierces : la correction irréprochable d’un livre étant l’une des plus solides et des plus réelles qualités qu’il puisse présenter », on ne saurait négliger aucune des circonstances où il est donné de parfaire celle-ci, et la tierce est la dernière, l’ultime, de ces circonstances.

Sur ce point, d’ailleurs, nos ancêtres nous ont donné de nombreux conseils et maints exemples, dont il n’est pas inutile de rappeler au moins quelques prescriptions. Le prote rédacteur de l’article Imprimerie de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert écrivait à ce sujet : « L’imprimeur porte la tierce avec la dernière épreuve au prote, qui examine avec attention si rien ne barbouille, si la marge est bonne, si toutes les fautes marquées par l’auteur ou le correcteur sur la dernière épreuve ont été exactement corrigées, et s’il n’y a point dans la forme de lettres mauvaises, dérangées, hautes ou basses, tombées, etc. S’il y a quelque chose à corriger, le prote le marque sur la tierce… » — Un quart de siècle plus tard, Bertrand-Quinquet disait à son tour : « Le prote, qui sent l’importance de ses devoirs, ne se contente pas de confronter ou collationner la dernière épreuve ou la tierce, c’est-à-dire la première bonne feuille tirée, quand les imprimeurs sont en train. Fréquemment, il arrive que la forme est mal serrée, que des lettres se déplacent, et surtout quand l’ouvrage est interligné, que les bouts de lignes lèvent ou baissent ; rien de tout cela n’est marqué à l’épreuve, une simple collation ne permet point qu’on s’en aperçoive, et les imprimeurs, qui comptent sur les soins d’un prote quelquefois inattentif, roulent sans se douter que chaque feuille qui sort de dessous presse atteste à la fois l’insouciance du directeur de l’imprimerie, l’ignorance ou l’incurie des hommes auxquels il a donné sa confiance[2]. »

Ainsi nos ancêtres ne négligeaient ou avaient la prétention de ne négliger aucun des détails qui pouvaient contribuer à assurer une revision soignée de la tierce. De nos jours, sans doute on s’efforce d’agir de même, mais trop souvent, pour obtenir un résultat parfait, le « temps fait défaut ». S’il est nécessaire en effet que la vérification d’une tierce soit bien faite, à notre époque il est surtout indispensable qu’elle soit vivement faite : en aucun cas, le tierceur ne saurait « faire attendre la machine », perte de temps signifiant toujours perte d’argent. Nombre de Maisons se sont, d’ailleurs, efforcées d’atténuer, même de faire disparaître toute cause de retards dans la correction des tierces, et d’assurer cependant une sorte de lecture rapide et une revision complète.

Dans ce but, diverses manières de « voir » les tierces ont été adoptées, suivant les méthodes de travail propres à ces Maisons. Nous les examinerons rapidement.

I. La forme serrée, l’imposeur fait à la brosse, au taquoir ou à la presse à bras, suivant les usages de la Maison, une épreuve, sorte de morasse, qui est confiée à un correcteur-reviseur avec les bons à tirer.

Le reviseur vérifie l’imposition, porte son attention sur nombre des points énumérés plus loin à l’article IV, Ce qu’il faut « voir » dans la tierce, et s’assure que toutes les corrections de l’auteur et du correcteur en bon ont été soigneusement et fidèlement exécutées. Toute correction omise, toute erreur nouvelle relevée est clairement indiquée. Le reviseur doit être d’une rigueur absolue dans l’exécution de sa tâche.

La revision terminée, l’épreuve est retournée à l’imposeur qui exécute sur le marbre, avant d’envoyer les formes à la machine, les corrections signalées. Puis, l’épreuve est remise au tierceur, en attendant la tierce, ou donnée au conducteur qui la joindra à la tierce elle-même.

La besogne du tierceur est de la sorte singulièrement facilitée. Après les vérifications d’usage de la tierce, il lui suffira de s’assurer que les ultimes corrections de la revision ont été exécutées et de signaler celles qu’une négligence exceptionnelle ou un coupable oubli auraient laissées subsister.

Assurément cette manière d’agir est fort recommandable : la tierce est rapidement vue, les corrections sous presse sont réduites au strict minimum, d’où un gain de temps qui compense largement le supplément de salaire d’un reviseur spécial.

II. La méthode suivante paraît également très acceptable : Préalablement à la mise sous presse, et aussitôt après l’imposition, une épreuve est tirée soit à la brosse, soit au taquoir, soit enfin à la presse à bras ; comme précédemment, cette épreuve destinée à la vérification des corrections du bon à tirer est donnée à un correcteur-reviseur. Celui-ci, son travail terminé, remet sa revision au tierceur, alors que les formes, sans avoir été au préalable corrigées, sont portées à la machine.

De manière générale, la tierce est fournie en double exemplaire : l’un est immédiatement plié et sert à la vérification de l’imposition, des folios, de la réclame et du numéro de feuille ; le deuxième est utilisé pour la revision proprement dite de la tierce qui est vue la feuille non pliée.

Le tierceur, ayant examiné le travail au point de vue des erreurs qui peuvent se produire après l’imposition, se borne à transcrire sur sa feuille les indications du reviseur en bon.

La vérification se trouvant divisée entre deux personnes, on obtient une exécution plus rapide de la revision des tierces : d’où un gain matériel incontestable de temps ; d’autre part, le travail étant revu par deux correcteurs, on a une certitude nouvelle de sa bonne exécution.

III. Tout au contraire, quelques imprimeries se bornent à la remise au tierceur d’une seule feuille : ainsi la tierce est vue sur la feuille même qui sert à la vérification de l’imposition. Dans ce cas, on se dispense de l’épreuve à la brosse destinée à la revision des corrections du bon à tirer, et le tierceur est chargé de ce soin.

Évidemment, le tierceur, seul responsable en principe de la vérification, possède personnellement dans ces conditions une plus grande certitude morale et matérielle de la bonne exécution du travail qui lui est confié. Mais il est certain que toujours — à moins de recourir aux bons offices d’un nombre de tierceurs plus que proportionné à la quantité de presses utilisées, ce qui est un cas certes exceptionnel, il faut le reconnaître — une perte de temps résulte d’une telle manière d’agir : si le bon à tirer est un tant soit peu chargé de corrections, le temps passé par le tierceur à la revision de ces corrections se traduit par un retard dans la remise des tierces au corrigeur. La correction sous presse elle-même cause de légers ennuis en raison de la nécessité de rechercher sans cesse la page à corriger, ainsi que les corrections y afférentes, et la possibilité d’une omission est plus évidente, on le conçoit. La conservation intégrale de ces tierces est plus difficile, le nombre de cartons détachés étant une sorte de « prime à la perte », toujours avantageuse pour quelqu’un qui redoute les responsabilités. À tous égards, ce système dans ses avantages et par ses inconvénients se montre de beaucoup inférieur aux précédents.

On ne saurait trop rechercher et surtout encore moins négliger l’application, pour ce service, même de la plus minime amélioration possible ; il y aura toujours profit à simplifier une besogne aussi ingrate et aussi absorbante que celle de la revision des tierces : ingrate, car le tierceur a rarement quelque initiative à prendre, et plus rarement quelque encouragement à recevoir ; absorbante, car il doit consacrer toute son activité, toutes ses connaissances à l’accomplissement de sa tâche.


IV. — Ce qu’il faut « voir » dans la tierce.


Nombreux sont les sujets sur lesquels le tierceur doit porter son attention :

1° Dès la réception de la feuille de tierce, vérification des blancs : quelques tierceurs négligent, à tort, de prendre cette minime précaution à chacune des feuilles qui leur sont remises ; cependant, l’imposeur a pu, par suite d’une erreur, établir un blanc de garniture faux ; si aucune vérification n’intervient, cette erreur se répétera à chacune des feuilles suivantes rien en effet n’a pu faire supposer au tierceur qu’une erreur semblable serait commise, alors que le tirage des premières feuilles a été exécuté avec des blancs réguliers ;

2° Vérifier le registre et la marge ;

Imposition : plier une feuille et s’assurer que les folios se suivent dans leur ordre normal : à cet effet, le tierceur devrait toujours exiger la remise en double exemplaire des feuilles de tierces ; il doit, au reste, prévenir le conducteur et l’imposeur de la moindre erreur qu’il aura constatée, et il ne consentira à continuer la vérification de la tierce qu’après s’être assuré par la remise d’une nouvelle feuille que l’erreur a été corrigée, ou après avoir reçu l’assurance qu’une feuille de revision lui sera soumise ;

4° La signature de feuille ; s’il y a plusieurs volumes, vérifier le numéro de tomaison, puis le nom de l’auteur, le titre de l’ouvrage, les différentes fractions de signatures, etc. ;

Folios et titres courants qu’il est bon de relire en entier ;

Blancs, garnitures, cadrats, espaces, interlignes qui marquent, particulièrement aux habillages de gravures ;

Bas de pages, dont les lignes de pied sont à relire en entier ;

Extrémités des lignes, dont les lettres, soit au début, soit à la fin, peuvent chevaucher ou être tombées, pour de multiples raisons ;

Tableaux : cadres, têtes, texte intérieur, qu’il est souvent indispensable de relire en entier, lorsque le tierceur constate le moindre chevauchage ;

10° Opérations mathématiques, chimiques et algébriques, que l’on doit revoir aussi soigneusement que possible : un parangonnage insuffisamment établi peut entraîner la mise en pâte d’une opération entière ou la chute d’une lettre, quantité ou élément, dont l’absence fausse tout le calcul ; c’est là surtout qu’il est nécessaire de se méfier des coups de taquoir donnés inconsidérément, à tort et à travers, par des apprentis, des margeurs ou des receveurs, sous l’œil paterne d’un indifférent, metteur en pages ou conducteur, qui se désintéresse de fonctions minimes à première vue, mais dont la mauvaise exécution a des conséquences désastreuses ;

11° Gravures : pour diverses raisons, lors de la mise en train sommaire, le bois peut avoir été retiré de la forme ; le tierceur s’assurera qu’aucune des figures n’a été intervertie, qu’elles occupent bien leur position normale, que leurs blancs dessus, dessous et de côté n’ont pas été modifiés, enfin que le texte de leur légende ne contient aucune erreur ;

12° La réclame de chaque page : une ligne a pu tomber en pâte à l’imposition ou lors de la mise sous presse et avoir été rétablie mal ou même pas du tout ; d’autre part, un remaniement nécessaire a pu reporter d’une page à l’autre une certaine fraction de texte, et les lignes ainsi déplacées être rejetées à une place tout autre que celle qu’elles doivent normalement occuper ; après une correction, un mot en excédent dans la dernière ligne de la page n’a pas été composé dans la ligne de tête de la page suivante : une vérification rigoureuse de la réclame fera apparaître ces erreurs ;

13° Titres et lignes de texte en vedette : il est indispensable que le tierceur relise entièrement tous les titres, quels qu’ils soient, et vérifie particulièrement le numérotage des chapitres et des divisions principales ; il est peu de tierceurs qui ne connaissent, pour les avoir éprouvés, les désagréments et les regrets tardifs causés par des coups intempestifs de taquoir ;

14° Jeter un coup d’œil d’ensemble sur le texte, afin d’éliminer les lettres empattées ou écrasées, de corriger celles retournées et d’indiquer les lettres tombées : cette revision sommaire du texte est indispensable surtout dans les ouvrages à texte serré ou compact, une espace, une lettre d’un caractère de corps supérieur à celui de l’ouvrage pouvant occasionner à l’imposition, lors de la mise sous presse ou des opérations qui la suivent, un soleil ou un trou ;

15° Lors de la vérification des corrections du bon à tirer, « la lecture partielle et très minutieuse des passages qui précèdent et qui suivent une correction s’impose, car souvent une faute a été commise là où il n’y en avait pas. S’il y a eu remaniement d’une ligne à une autre, il devient encore plus essentiel de relire les lignes retouchées. Lorsque la correction ne porte que sur un mot, le corrigeur peut s’être trompé d’endroit, si le même mot existe dans le voisinage : deux fautes pour une » ; d’où nécessité, lorsqu’une correction a été omise, de rechercher si elle n’a pas été malencontreusement exécutée dans une autre ligne.

Les précautions dont le correcteur aura à s’entourer sont nombreuses, on le voit, mais elles ne sont point superflues : à chaque instant, « il doit s’attendre à rencontrer un piège tendu involontairement à sa vigilance, et il lui faut régler, en conséquence, son attention sur cette éventualité ».

Pour cette tâche, le tierceur ne doit, d’ailleurs, compter que sur lui-même ; « le conducteur de machine ne connaît nullement la composition ou est censé ne pas la connaître : il ne s’apercevra que très rarement d’une faute même grossière laissée par inadvertance ; s’il survient un accident, il ne peut que signaler le fait au prote ; — une prudence élémentaire conseille d’entourer d’un trait sur l’épreuve, afin de les signaler à l’attention, les passages où des lettres sont tombées, où des mots ont été mal rétablis, où des lignes ont été bouleversées, etc. ; mais combien de fois aucun de ces soins n’a-t-il été pris ? Un excès de méfiance ne nuit jamais cependant en ces matières[3].

S’il s’agit d’un journal, ou d’une revue d’importance relative, on pourra se montrer moins méticuleux. L’imposition reconnue exacte, et le conducteur averti dans le cas contraire, on vérifie le numéro de la publication, sa date, sa périodicité à cause de la poste, les signatures, celles des encarts, les folios, les titres courants, les réclames diverses comme suite au numéro précédent ; on examine rapidement les clichés, les gravures et leurs légendes, les annonces ; puis, on vérifie soigneusement si toutes les corrections ont été bien exécutées ; enfin, on donne un coup d’œil sur les bords de pages ou de colonnes, sur l’ensemble du texte, et on remet la tierce au corrigeur. Presque toujours ces soins suffisent pour ce genre de publications.

La première feuille tirée, le tierceur agira sagement en se faisant remettre un exemplaire, qui lui servira d’étalon pour les feuilles suivantes, surtout lorsqu’il aura la mission de vérifier les blancs.
xxxx Un exemplaire de chaque feuille de l’ouvrage lui serait même particulièrement utile pour suivre de près les différents numérotages dont il a à assurer la vérification.

Dans tous les cas, le tierceur a le droit et, en maintes circonstances, le devoir d’exiger une revision de tierce, lorsque le corrigeur a effectué les corrections et que le conducteur se déclare entièrement prêt pour le tirage. Cette revision est jointe, pour être conservée, à la tierce proprement dite, mais elle seule porte la mention bon à tirer donnant au conducteur un « satisfecit » de travail. On ajoute, le cas échéant, suivant les usages de la Maison, le chiffre du tirage, luxe et ordinaire, l’indication du papier, le numéro de la machine, etc. (renseignements qui sont généralement donnés par le bulletin ou la « chemise » de travail) ; puis le tierceur date et signe.

Dans nombre de Maisons, le prote lui-même ou le prote des machines, ou encore un sous-prote auquel ce travail est spécialement confié, vérifie une dernière feuille de tierce au point de vue de la mise en train proprement dite, de la couleur, de la « venue » des gravures, du papier, etc. C’est alors celui-ci qui donne le bon à tirer.



  1. Traité de l’Imprimerie, p. 112.
  2. Traité de l’Imprimerie, p. 112.
  3. L’article 12 du Règlement de l’imprimerie Plantin, auquel nous avons déjà fait allusion à maintes reprises, comporte au sujet de la tierce des prescriptions que nombre d’imprimeurs auraient intérêt à mettre en vigueur dans leurs ateliers : « L’ouvrier chargé du maniement des presses tirait la prime et la retiration. Il était responsable de tout le travail de ses presses et devait avertir le maître de tous les dégâts. Les imprimeurs venaient à l’ouvrage le matin entre cinq et six heures. Avant de se mettre à la besogne, ils devaient attendre que la revision fût collationnée et toutes les fautes corrigées. Leur travail commençait à sept heures. Pendant l’impression ils devaient avoir soin d’abaisser les espaces et les cadrats et d’enlever les taches et autres saletés, ainsi que les barbes du papier, et de fournir un travail aussi propre que possible. Si, on imprimant, quelques lettres se cassaient ou tombaient, l’imprimeur devait les remplacer ou les réparer immédiatement ou obtenir des compositeurs qu’ils le fassent pour lui. En présentant au correcteur la première feuille imprimée, l’imprimeur devait lui indiquer l’endroit où des lettres cassées avaient été remplacées. Sous peine de 3 deniers d’amende. »