Le Coran (Traduction de Montet)/Préface

Traduction par Édouard Montet.
Payot (p. 7-9).



PRÉFACE


Depuis Marracci[1], le Coran a été souvent traduit. Les versions qui en ont été faites, en latin, en français, en anglais, en allemand, etc. sont très inégales. L’une des meilleures est certainement celle de Palmer, en anglais[2]. Mais toutes, sans exception, sont très inférieures au texte arabe.

La raison de cette infériorité, c’est la très grande difficulté de faire passer dans une langue européenne, c’est-à-dire aryenne, les œuvres des auteurs sémitiques, et plus spécialement celles des écrivains arabes. On s’en rend compte dans la littérature profane, en comparant, par exemple, à l’original arabe, les traductions les meilleures qui aient été faites, en latin, en français, en anglais, etc. des célèbres poésies anté-islamiques.

Pour la traduction du Coran, il est particulièrement malaisé d’allier l’élégance à l’exactitude. Telle version, remarquable par sa forme littéraire, n’est, comparée au texte original, qu’une « belle infidèle ».

Ce qui rend très difficile la traduction du Coran, c’est, sans parler de la haute poésie orientale qui l’inspire, le décousu fréquent du texte, l’absence de transitions, l’ordre souvent défectueux des versets ; ce sont les membres de phrases de toute évidence sous-entendus, les ellipses, les anacoluthes, etc.

Les commentaires musulmans du Coran sont de peu d’utilité en général, pour traduire le Livre sacré ; ils ont tous, en effet, un caractère exclusivement théologique ou édifiant. Autant ils sont précieux pour l’étude de la doctrine musulmane, autant ils sont d’un médiocre intérêt pour aider à faire passer le texte arabe en français ou en toute autre langue de l’Europe[3].

L’introduction, que nous avons rédigée et placée avant le choix que nous avons fait des Sourates, est une simple étude de vulgarisation scientifique. Dans les six chapitres qui la composent nous cherchons uniquement à orienter le lecteur et à lui permettre de se rendre compte de l’importance et de la valeur du Coran.

L’ouvrage que nous soumettons au public lettré, qui s’intéresse de plus en plus à tout ce qui touche l’Islam, est un essai d’application de la méthode scientifique et critique à l’étude du Coran. Cette méthode a fait ses preuves, lorsqu’elle a renouvelé l’examen textuel et l’exégèse bibliques. Grâce à elle, l’Ancien Testament, pour ne parler que de la partie biblique écrite dans une langue sémitique, a présenté, pour tous ses lecteurs, qu’ils lussent l’original en hébreu ou dans une traduction, un intérêt extraordinaire ; le vieux livre sacré des Juifs a repris vie, en quelque sorte, lorsqu’il a été étudié à la lumière de la critique.

C’est la même méthode que nous cherchons à appliquer à l’étude du Coran ; et, en ce faisant, nous croyons être un des premiers à tenter un examen textuel, qui donnera, nous en sommes persuadé, un intérêt nouveau à la lecture du Coran.




  1. Alcoranus, textus universus cui praemissus est Prodromus ad refutationem Alcorani a Lud. Marracci, arab.-lat. Padoue, 1698, 2 vol. fol.
  2. The Qur’ân translated by E.-H. Palmer, 2 vol. in-8, Oxford, 1880 (Vol. VI and IX of the Sacred Books of the East).
  3. Dans le Coran, Dieu est souvent censé parler ; dans ce cas, nous emploierons les majuscules pour le pronom personnel (Nous, etc.).