Le Coran (Traduction de Montet)/Le Coran/Sourate 12

Traduction par Édouard Montet.
Payot (p. 163-190).


Sourate 12[1].

SOURATE DE JOSEPH (La paix soit sur lui !)

La Mecque : 111 versets.

Au nom d’Allâh très miséricordieux et compatissant.

1. Alif Lâm Râ[2] : ce sont les signes du Livre sage[3].

2. Nous l’avons révélé en langue arabe[4], afin que vous le compreniez.

3. Nous allons te raconter la plus belle des histoires révélées dans ce Coran, et dont tu ne t’es jamais douté[5].

4. Un jour Joseph dit à son père : « Ô mon père, j’ai vu onze étoiles, le soleil et la lune qui se prosternaient devant moi. »

5. (Le père) répondit : « Ô mon fils, ne raconte pas ta vision à tes frères[6], de peur qu’ils ne se mettent à te tendre[7] des pièges. » Car Satan est l’ennemi déclaré de l’homme.

6. C’est ainsi que Ton Maître (Allâh) fera de toi[8] Son élu et t’enseignera l’interprétation des traditions. Il accomplira Sa grâce sur toi et sur ta famille, comme Il l’a parfaite autrefois dans la personne de tes ancêtres, Ahraham et Jacob. En vérité, Ton Maître est savant ; Il est sage[9] !

7. En vérité, dans Joseph et dans ses frères il y a des signes pour ceux qui cherchent[10].

8. Un jour, (les frères de Joseph) dirent : « Certainement, Joseph et son frère (Benjamin) sont plus chers à notre père que nous-mêmes, bien que nous soyons plus nombreux. Assurément, notre père est dans une erreur évidente. »

9. « Tuez (donc) Joseph[11], ou chassez-le sur quelque terre (lointaine) ; alors le visage de votre père se détendra pour vous, et vous serez alors des gens heureux. »

10. L’un d’entre eux dit : « Non, ne tuez pas Joseph, mais jetez-le dans une citerne profonde. Si vous le faites, quelque troupe de voyageurs pourra l’en retirer. »

11. (Les frères de Joseph) dirent, (un jour, à Jacob) : « Ô notre père, pourquoi ne pas te fier à nous au sujet de Joseph ! En vérité, nous sommes ses conseillers[12] ! »

12. « Envoie-le demain avec nous, pour se réjouir et pour jouer, et nous veillerons sur lui. »

13. (Jacob) répondit : « En vérité, cela m’attriste que vous vous en alliez avec lui ; je crains que le loup ne le dévore loin de vous négligeant (de veiller sur lui). »

14. (Les frères) répondirent : « Si le loup (cherche à) le dévorer, nous serons en nombre pour nous exposer (pour le protéger). »

15. Et tandis qu’ils s’en allaient avec lui, résolus à le déposer au fond d’une citerne, Nous (Allâh) lui avons révélé (à Joseph) : « (Un jour) tu leur raconteras leur action (infâme) dont ils ne se rendent pas compte (maintenant)[13]. »

16. Et ils vinrent le soir vers leur père en pleurant.

17. Ils dirent : « Ô notre père, nous allions en nous devançant mutuellement à la course, et nous avions laissé Joseph auprès de nos bagages, lorsque le loup l’a dévoré. Mais tu ne nous crois pas, bien que nous disions la vérité. »

18. Puis ils montrèrent sa tunique faussement (teinte) de sang. Mais Jacob leur dit : « C’est vous qui avez imaginé cette histoire. Aussi la patience m’est-elle nécessaire et je dois implorer Dieu sur ce que vous racontez. »

19. Un groupe de voyageurs vint à passer ; ils envoyèrent leur serviteur chercher de l’eau. Celui-ci fit descendre son seau et s’écria : « Ô bonne nouvelle ! Un enfant ! » Et ils le gardèrent pour en retirer une somme d’argent. Mais Allâh savait ce qu’ils faisaient[14].

20. Ils le vendirent à vil prix, pour quelques pièces d’argent, n’estimant pas haut sa valeur.

21. L’Égyptien, qui l’avait acheté, dit à sa femme : « Traite-le avec honneur. Il se peut faire qu’un jour il nous soit utile ou que nous l’adoptions comme fils. » C’est ainsi que Nous avons établi Joseph en Égypte et que Nous l’avons instruit sur l’interprétation des événements. Car Allâh est tout-puissant pour accomplir Ses desseins ; mais la plupart des hommes sont dans l’ignorance (sur ce pouvoir d’Allâh).

22. Et lorsqu’il fut arrivé à la force de l’âge, Nous lui avons donné (à Joseph) la sagesse et la science. C’est ainsi que Nous rétribuons les justes.

23. Celle, dans la maison de laquelle il se trouvait, le voulut pour sa personne ; elle ferma les portes et lui dit : « Viens ici ! » Mais il répondit : « Que Dieu soit mon refuge ! Mon Maître (Dieu) m’a donné une bonne demeure[15]. » Mais les méchants ne prospéreront point.

24. Ils étaient sur le point de succomber à la tentation[16], lorsqu’il vit un signe manifeste de Son Maître[17]. C’est ainsi que Nous avons détourné de lui le mal et l’opprobre ; car il était de Nos serviteurs sincères.

25. Ils coururent tous deux vers la porte et elle déchira sa robe[18] par derrière. Ils se trouvèrent alors tous deux devant son mari, qui entrait. Elle lui dit : « Quel châtiment mérite celui qui a voulu déshonorer ta famille ? La prison ou un supplice terrible ? »

26. Joseph dit : « Elle m’a désiré pour ma personne ». Alors un membre de sa famille, qui était présent, rendit le témoignage suivant[19] : « Si sa robe est déchirée par devant, c’est elle qui dit la vérité, et lui n’est qu’un menteur.

27. « Mais si sa robe est déchirée par derrière, c’est elle qui ment et c’est lui qui dit la vérité. »

28. Quand (le mari) vit que la robe était déchirée par derrière, il dit : « Certainement, c’est une de vos ruses ; en vérité, grande est votre ruse. »

29. « Joseph ! Éloigne-toi[20] ! Et (toi, femme) demande pardon pour ta faute ; car tu as péché. »

30. Dans la ville, les dames disaient : « L’épouse de l’Azîz[21] a désiré son adolescent pour sa personne ; il l’avait rendue folle d’amour pour lui. » En vérité, Nous l’avons vue dans une erreur manifeste.

31. Lorsque (l’épouse) eut appris leurs médisances, elle leur envoya une invitation, et leur fit préparer un festin, en donnant à chacune d’elles un couteau. Puis elle dit (à Joseph) : « Viens auprès d’elles. » Lorsqu’elles le virent, elles furent dans l’admiration au point de se faire des coupures aux mains[22]. Elles disaient : « Quelle exception ! Par Dieu ! Ce n’est pas un mortel ; c’est un ange plein de noblesse. »

32. (L’épouse) dit : « Voilà celui qui m’a valu vos blâmes. Je l’avais voulu pour sa personne ; mais il s’est refusé à mes désirs. Mais, s’il ne fait pas ce que je lui ordonne, il est certain qu’on l’emprisonnera et qu’il sera parmi les misérables[23]. »

33. (Joseph) s’écria : « Ô Mon Maître (Dieu), la prison m’est préférable à ce que (ces femmes) me sollicitent à commettre. Mais si Tu ne détournes de moi leurs ruses, je céderai par entraînement à leurs instances, et je serai du nombre de ceux qui agissent avec stupidité. »

34. Et Son Maître (Dieu) l’exauça : Il détourna de lui leurs ruses. En vérité, c’est Lui qui entend et qui sait !

35. Cependant il leur[24] parut bon, quoiqu’ils eussent vu les signes (de son innocence), d’incarcérer (Joseph) un certain temps.

36. Deux jeunes gens entrèrent avec lui dans la prison. L’un d’eux dit : « Il m’a semblé[25] que je pressais du vin. » Et l’autre dit : « Il m’a semblé[26] que je portais sur la tête du pain, que les oiseaux mangeaient. Donne-nous l’interprétation (de ces songes) ; car nous avons vu que tu fais le bien. »

37. (Joseph) répondit : « Avant qu’on vous apporte votre nourriture habituelle, je vous donnerai l’explication de ce qui vous arrivera. C’est ce que Mon Maître (Dieu) m’a enseigné. Car j’ai abandonné la religion de ceux qui ne croient pas en Dieu et qui nient la vie future[27]. »

38. « J’ai suivi la religion de mes pères, Abraham, Isaac et Jacob. Il ne nous est pas permis d’associer à Dieu qui que ce soit. (Cette religion), nous la devons à la bonté de Dieu envers nous et envers les hommes. Mais la plupart d’entre eux ne (Lui) en rendent pas grâces.

39. « Ô (mes) compagnons de prison ! Est-ce que plusieurs Seigneurs (Dieux) valent mieux que Dieu L’Unique, Le Tout-Puissant ?

40. « Ceux que vous adorez à côté de Lui (Dieu) ne sont que des noms que vous avez imaginés[28], vous et vos pères ; Dieu ne leur a accordé[29] aucune autorité. Le jugement vient de Dieu seul ; Il vous a ordonné de n’adorer que Lui. C’est là la vraie religion ; mais la plupart des hommes ne la connaissent pas.

41. « Ô (vous) mes compagnons de prison ! L’un de vous, sans aucun doute, servira du vin à son seigneur. Quant à l’autre, il sera crucifié, et les oiseaux mangeront de sa tête. Telle est la décision (divine) prise sur la question que vous m’avez posée. »

42. Il dit à celui dont il pensait qu’il serait remis en liberté : « Souviens-toi de moi auprès de ton seigneur. » Mais Satan lui fit oublier tout souvenir auprès de son seigneur, de sorte que (Joseph) resta plusieurs années en prison.

43. Le roi dit (un jour) : « En vérité, j’ai vu sept vaches grasses que dévoraient sept (vaches) maigres ; et (j’ai vu) sept épis verts et sept autres desséchés. Ô mes seigneurs ! Expliquez-moi ma vision, si vous êtes capables d’interpréter un songe. »

44. Ils répondirent : « Ce n’est qu’une confusion de songes, et nous ne sommes pas des savants versés dans leur interprétation. »

45. Celui des deux (prisonniers) qui avait été élargi, s’étant souvenu (de Joseph) après un long espace de temps, dit (alors) : « Moi, je vous ferai connaître l’interprétation : laissez-moi faire[30]. »

46. (Il se rendit auprès de Joseph et lui dit) : « Ô Joseph le véridique ! Apprends-moi (ce que signifient) les sept vaches grasses que dévorent les sept (vaches) maigres et les sept épis verts et les sept autres desséchés. Ainsi pourrai-je peut-être retourner (auprès de mon seigneur), et saura-t-il la solution. »

47. (Joseph) dit : « Vous sèmerez sept années, selon la coutume, et ce que vous moissonnerez, vous le laisserez dans les épis[31], sauf le peu que vous consommerez.

48. « Il arrivera après cela sept années dures, qui dévoreront tout ce que vous avez mis de côté auparavant en vue d’elles, à l’exception du peu que vous avez réservé (pour les semailles).

49. « Après cela, viendra une année de pluies, pendant laquelle on pressera (le raisin et l’olive)[32]. »

50. Le roi dit alors : « Amenez-moi (cet homme). » Et lorsque le messager vint auprès de (Joseph), Joseph lui dit : « Retourne auprès de ton maître et demande-lui de quel esprit étaient animées les femmes, qui se firent des coupures aux mains. En vérité, Mon Seigneur (Dieu) connaissait leur astuce[33]. »

51. (Le roi) dit (aux femmes) : « Que pensiez-vous, lorsque vous avez désiré Joseph pour sa personne ? » Elles dirent : « Que Dieu nous garde ! Nous ne savons sur lui rien de mal. » Et l’épouse de l’Azîz dit : « Maintenant, la vérité m’apparaît. C’est moi qui l’ai désiré pour sa personne. Quant à lui, il est parmi les véridiques. »

52. (Lorsque Joseph apprit cela, il dit) : « Eh bien ! Que mon maître sache que je ne l’ai pas trompé en secret. Dieu ne dirige pas la fraude des perfides.

53. « Mais je ne m’absoudrai pas moi-même ; car l’âme est encline au mal, à moins que Mon Seigneur (Dieu) n’en ait pitié[34]. En vérité, Mon Seigneur (Dieu) pardonne et exerce la miséricorde. »

54. Le roi dit (alors) : « Amenez-le-moi (Joseph) ; je veux l’attacher entièrement à ma personne. » Et lorsqu’il eut parlé (à Joseph), il lui dit : « En vérité, dès aujourd’hui, tu occuperas auprès de nous un haut poste de confiance. »

55. (Joseph) dit : « Charge-moi de l’intendance des dépôts du pays[35] : je serai un administrateur vigilant. »

56. C’est ainsi que Nous avons établi Joseph dans la terre (d’Égypte) ; il habitera là où il voudra. Nous accordons Notre miséricorde à qui Nous voulons, et Nous ne permettons pas que la récompense de ceux qui font le bien soit perdue.

57. Mais la récompense de la vie future est meilleure pour ceux qui croient et qui craignent (Allâh).

58. Les frères de Joseph vinrent et entrèrent auprès de lui. Il les reconnut, mais eux ignoraient qui il était.

59. Et après qu’il les eut pourvus de ce qui leur était nécessaire, il leur dit : « Amenez-moi votre frère, qui est auprès de votre père[36]. Ne voyez-vous pas que je remplis bien la mesure[37], et que j’exerce bien l’hospitalité ?

60. « Mais si vous ne l’amenez pas, il n’y aura pas de mesure pour vous auprès de moi, et vous ne (pourrez pas) vous approcher de moi. »

61. Ils dirent : « Nous le demanderons instamment à son père, et nous l’obtiendrons certainement. »

62. (Joseph) dit à ses esclaves : « Mettez leur argent[38] dans leurs sacs. Peut-être s’en apercevront-ils, lorsqu’ils arriveront auprès de leur famille, et reviendront-ils auprès de nous (pour nous le restituer). »

63. Lorsque (les frères) furent revenus auprès de leur père, ils dirent : « Ô notre père, on nous refusera (désormais) de nous vendre du blé, si tu n’envoies pas avec nous notre frère (Benjamin), pour que la mesure nous soit donnée. Sois assuré que nous veillerons sur lui. »

64. (Le père) dit : « Vous le confierai-je, comme je vous ai confié autrefois son frère (Joseph)[39] ? Mais Dieu est le meilleur gardien ; Il est le plus miséricordieux des miséricordieux. »

65. Lorsqu’ils ouvrirent leurs bagages, ils trouvèrent leur argent qui leur avait été rendu. Ils dirent (alors) : « Ô notre père ! Que pourrions-nous désirer (de plus) ? Notre argent nous est rendu ! Nous (irons encore) acheter du grain pour notre famille, et nous veillerons sur notre frère ; et nous aurons de plus une charge de chameau. Il nous sera facile de l’obtenir[40]. »

66. (Le père) dit : « Je ne l’enverrai avec vous, que si vous me promettez, devant Dieu, de le ramener auprès de moi, à moins qu’il n’y ait obstacle (absolu). » Lorsqu’ils lui eurent fait cette promesse, il dit : « Dieu est témoin de ce que nous avons dit. »

67. Et il dit : « Ô mes fils ! N’entrez pas (dans la ville) par la même porte, mais entrez par des portes différentes[41]. (Mais) je ne vous serai d’aucune utilité, en quoi que ce soit, sans Dieu[42]. La sagesse ne vient que de Dieu. C’est sur Lui que je m’appuie, et que se reposent ceux qui ont confiance. »

68. Lorsqu’ils entrèrent comme leur père le leur avait dit, cela ne leur servit de rien, en face de (la décision) de Dieu, si ce n’est de répondre au désir de Jacob. En vérité (Jacob) était éclairé par ce que Nous lui avions appris. Mais la plupart des hommes ignorent cela.

69. Lorsqu’ils furent entrés auprès de Joseph, celui-ci prit à part son frère (Benjamin). Il lui dit : « Me voici, moi, ton frère. Ne sois pas attristé de ce qu’ils ont fait (autrefois)[43]. »

70. Lorsqu’il les eut pourvus de provisions (de voyage), il mit une coupe dans le sac de son frère (Benjamin). Alors un héraut[44] cria : « Ô gens de la caravane ! En vérité, vous êtes des voleurs. »

71. Ils dirent, en retournant en arrière : « Que cherchez-vous ? »

72. (Les Égyptiens) dirent : Nous cherchons la coupe du roi. Celui qui la rapportera recevra la charge d’un chameau : j’en suis garant[45]. »

73. Ils répondirent : « Par Dieu ! Vous savez déjà que nous ne sommes pas venus pour faire du mal au pays, et que nous ne sommes pas des voleurs. »

74. (Les Égyptiens) dirent : « Et quelle sera la punition (du coupable), si vous êtes des menteurs ? »

75. (Les frères) répondirent : « Le châtiment de celui dans le sac duquel sera trouvée la coupe, ce châtiment, ce sera lui-même[46]. C’est ainsi que nous punissons ceux qui font le mal[47]. »

76. (Joseph) commença (à fouiller) dans leurs sacs, avant (de visiter) le sac de son frère (Benjamin). Ensuite, il tira (la coupe) du sac de son frère. C’est ainsi que Nous (Dieu) avons suggéré cette ruse à Joseph. Autrement il n’aurait pas pu prendre son frère, d’après la loi du roi (d’Égypte), à moins que Dieu ne l’eût voulu[48]. Nous (Allâh) élevons par degrés qui nous voulons. (Allâh) est plus sage que tous les sages.

77. (Les frères) dirent[49] : « Si (Benjamin) a volé, son frère (Joseph) a déjà volé auparavant[50]. » Mais Joseph garda cela en lui-même et n’en fit rien connaître devant eux. Il dit (en lui-même) : « Vous êtes dans une mauvaise position[51]), et Dieu sait très bien ce que vous racontez[52]. »

78. (Les frères) dirent (à Joseph) : « Ô Azîz[53], son père est très âgé ; accepte l’un de nous en son lieu et place. En vérité, nous voyons que tu es parmi les bons. »

79. (Joseph) répondit : « Que Dieu me garde ! Nous ne retiendrons que celui sur lequel nous avons trouvé ce qui nous appartenait. (En agissant) autrement, nous serions injustes. »

80. Et lorsqu’ils eurent désespéré (de reprendre avec eux Benjamin), ils se retirèrent pour se consulter. L’aîné dit : « Est-ce que vous ne savez pas que votre père a déjà reçu de vous une promesse (formelle) devant Dieu, (parce qu’) autrefois vous avez mal agi avec Joseph ? Aussi je ne m’en irai pas de ce pays, à moins que mon père ne m’en donne la permission, ou que Dieu ne me fasse connaître son jugement. Car Il est le meilleur des juges. »

81. (Joseph dit :) « Retournez vers votre père et dites-lui : » Ô notre père ! En vérité, ton fils (Benjamin) a commis un vol. Nous ne témoignons que de ce que nous savons, et nous ne pouvions nous garder de l’imprévu[54].

82. « Fais une enquête dans la ville où nous étions, interroge la caravane avec laquelle nous sommes arrivés. (Et tu constateras) que nous disons la vérité. »

(Les frères reviennent à la maison paternelle et racontent tout ce qui est arrivé.)

83. (Le père leur dit :) « C’est vous qui avez inventé cette histoire, et la patience m’est bien nécessaire[55]. (Mais) peut-être arrivera-t-il que Dieu me rende l’un et l’autre (Joseph et Benjamin). En vérité, Il est savant ; Il est sage ! »

84. Et (Jacob) s’écarta d’eux en disant : « Oh ! quelle douleur, Joseph ! » Et ses yeux s’obscurcirent par sa tristesse ; car il était accablé de chagrin[56].

85. (Les frères) dirent : « Par Dieu ! Tu ne cesseras de te souvenir de Joseph que lorsque tu seras sur le point de mourir de chagrin ou que tu périras. »

86. (Jacob) répondit : « Je me plains seulement auprès de Dieu de ma douleur et de mon chagrin ; car je sais par Dieu ce que vous ignorez[57]. »

87. « Ô mes fils ! Allez et cherchez des nouvelles de Joseph et de son frère, et ne désespérez pas de la grâce de Dieu. » Il n’y a que les infidèles qui désespèrent de la grâce d’Allâh.

88. Et lorsque (les frères) furent introduits auprès de (Joseph), ils dirent : « Ô Azîz ! La détresse nous a frappés, nous et notre famille, et nous ne sommes venus qu’avec une somme modique. (Mais) remplis-nous la mesure (de blé), et exerce envers nous la bienfaisance. Car Dieu rétribue ceux qui pratiquent la charité. »

89. (Joseph) leur dit : « Est-ce que vous savez ce que vous avez fait à Joseph et à son frère, lorsque vous étiez dans l’ignorance[58] ? »

90. (Les frères)[59] dirent : « Est-ce que tu es vraiment Joseph ! » Et (Joseph) dit : « Je suis Joseph et voici mon frère (Benjamin). Dieu est bon envers nous ! » En vérité, celui qui craint Allâh et qui est patient dans l’adversité[60]… Allâh, en vérité, ne laissera pas périr la récompense de ceux qui font le bien.

91. (Les frères) dirent : « Par Dieu ! En vérité, Dieu t’a déjà élevé au-dessus de nous, qui ne sommes que des pécheurs. »

92. (Joseph) répondit : « Point de reproches contre vous aujourd’hui ! Dieu vous pardonne : Il est le plus miséricordieux des miséricordieux. »

93. « Allez avec ma robe, celle-ci, et mettez-la sur le visage de mon père : il recouvrera la vue. Puis venez vers moi avec toute votre famille. »

94. Et lorsque la caravane fut partie (d’Égypte), leur père dit (à ceux qui l’entouraient) : « En vérité, je sens l’odeur de Joseph, à moins que vous ne pensiez que je délire. »

95. (Ceux qui étaient auprès de lui) répondirent : « Par Dieu ! Tu es (toujours) dans ton ancienne erreur. »

96. Et lorsque le porteur de la bonne nouvelle arriva, il mit (la robe de Joseph)[61] sur son visage, et (Jacob) recouvra la vue.

97. (Jacob) dit : « Ne vous avais-je pas dit que je savais par Dieu ce que vous ignoriez ? »

98. (Les fils) répondirent : « Ô notre père ! Implore pour nous le pardon de nos péchés ; car nous avons péché. »

99. (Jacob) dit : « Je vais implorer pour vous le pardon de Mon Seigneur : en vérité, Il est indulgent ; Il est miséricordieux. »

100. Et lorsque (toute la famille) arriva auprès de Joseph, (celui-ci) accueillit son père et sa mère en disant : « Entrez en Égypte, si Dieu le veut, et (vivez-y) en paix. »

101. Et (Joseph) éleva son père et sa mère sur un trône, et (tous) se prosternèrent devant lui, en s’humiliant. Et (Joseph) dit : « Ô mon père ! C’est l’explication de mon songe d’autrefois. Mon Seigneur l’a réalisé. Il a été déjà bon envers moi, lorsqu’Il m’a fait sortir de prison, et qu’Il vous a fait venir du désert, après que Satan eut déchaîné la discorde entre moi et mes frères. En vérité, Mon Seigneur est bon à l’égard de qui Il veut. Il est savant ; Il est sage. »

102. « Mon Seigneur, Tu m’as donné le pouvoir et Tu m’as instruit sur l’interprétation des traditions. Créateur des cieux et de la terre, Tu es mon patron dans ce monde et dans l’autre. Fais-moi mourir résigné à Ta volonté[62], et unis-moi aux vertueux. »


(Conclusion de la Sourate[63]).

103. Telle est cette histoire (tirée des récits) inconnus que Nous t’avons révélés. Car toi (Mahomet), tu n’étais pas auprès (des frères de Joseph), lorsqu’ils convinrent ensemble de tendre un piège à Joseph. Mais, la plupart des hommes, malgré ton désir ardent (de les convaincre) ne la croiront pas.

104. Tu ne leur demanderas pas de récompense pour cela[64]. Ce n’est qu’un avertissement[65] pour le petit nombre[66] (des élus).

105. Et que de signes dans les cieux et sur la terre[67] ! Mais ils[68] passent près d’eux et s’en détournent.

106. Et la plupart d’entre eux ne croient pas en Dieu, sans Lui associer (d’autres divinités)[69].

107. Sont-ils sûrs que le châtiment divin ne les atteindra pas, et que l’heure (dernière) n’arrivera pas tout d’un coup pour eux, alors qu’ils ne s’y attendront pas ?

108. Dis (leur) : « C’est là ma voie. J’en appelle à Allâh par le moyen d’une démonstration évidente, moi (Mahomet), et quiconque me suit[70]. Louange à Allâh ! Je ne suis pas (du nombre) des polythéistes[71]. »

109. Nous n’avons envoyé avant toi que des hommes, auxquels Nous Nous sommes révélés, du peuple des villes[72]. N’ont-ils pas voyagé sur la terre, et n’ont-ils pas vu comment a été la fin de ceux qui les ont précédés ? Mais l’habitation de l’autre vie est meilleure pour ceux qui craignent (Allâh). Ne le comprenez-vous pas (maintenant) ?

110. Lorsque les apôtres[73] désespéraient et qu’ils pensaient que déjà on les traitait de menteurs, Notre secours vint à eux. Ceux que Nous voulons sont sauvés, et Notre châtiment n’est pas détourné de la foule des criminels.

111. En vérité, il y a eu dans leurs histoires[74] un exemple à méditer pour ceux qui possèdent l’intelligence. Ce n’est pas un conte imaginé[75], mais c’est la confirmation de ce qui a été auparavant entre Ses mains[76] ; c’est la distinction de toute chose[77], le guide et la miséricorde pour le peuple des croyants.




  1. Cette sourate, qui passe chez les Musulmans pour être la plus belle du Coran est peut-être celle qui offre le plus d’unité de fond et de composition. Elle appartient, d’après Nöldeke, à la troisième période des Sourates de La Mecque. Le verset est généralement court ; mais on y trouve aussi de longs versets, qui sont comme les précurseurs des versets à rédaction très développée des Sourates de Médine.
  2. Lettres plus ou moins mystérieuses. De nombreuses sourates sont précédées de lettres de l’alphabet arabe (que nous indiquons ici par leurs noms) qui paraissent être les initiales de mots (ou de noms propres) sous-entendus. On a pensé que, dans la S. 12, les trois caractères de l’alphabet étaient peut-être l’abréviation de la formule : Amara lî rabbi, Mon Maître (Allâh) m’a dit. Ces mots serviraient d’introduction à une révélation d’une importance toute spéciale (l’histoire de Joseph).
  3. Le Livre sage ne peut être que le Coran, dans lequel est révélée l’histoire de Joseph d’un enseignement si profond.
  4. Le Coran.
  5. C’est Dieu qui parle à Mahomet. Le texte de la fin du verset signifie littéralement : Si tu étais d’avant lui (ce récit), tu étais des négligents, c’est-à-dire : Si tu avais connu auparavant cette histoire, tu n’y faisais pas attention.
  6. D’après le récit biblique (Gen. 37, v. 9), Joseph raconte ce songe à ses frères, avant d’en parler à son père. Mahomet paraît avoir ignoré le premier songe de Joseph (Gen. 87, v. 5-8).
  7. Je rends ainsi la tournure arabe du masdar (ou nom verbal) employé avec le verbe (de même racine) au temps fini.
  8. Mahomet.
  9. Le récit coranique s’écarte ici du récit biblique, où il est dit (Gen. 37, v. 10) que Jacob réprimanda son fils.
  10. Il y a des signes de la Providence divine, pour ceux qui savent les voir.
  11. Dit l’un des frères.
  12. Nous ne lui voulons que du bien.
  13. Dieu annonce à Joseph l’entrevue qu’il aura, dans un avenir encore très éloigné, avec ses frères en Égypte.
  14. En gardant l’enfant trouvé, pour le vendre comme esclave, les voyageurs ignoraient que Dieu saurait changer en bien la mauvaise action qu’ils se proposaient de faire.
  15. Joseph répond à la femme tentatrice : « Dieu, qui me protège, m’a accordé dans ta demeure un trop grand bonheur, pour que je paie par une infamie l’hospitalité qui m’a été donnée. »
  16. Litt. : Et déjà elle était sollicitée à son égard et lui était sollicité à l’égard d’elle.
  17. D’après les commentateurs musulmans, l’ange Gabriel lui était apparu sous la forme de son père, qui aurait frappé violemment la poitrine de Joseph, pour l’arracher au péché qu’il allait commettre. Cette explication est d’origine juive ; on lit dans le Talmud de Babylone (Traité Sotah 36 b) que Joseph aurait péché s’il n’avait vu soudain l’image de son père.
  18. La robe de Joseph.
  19. On trouve la même remarque dans la tradition rabbinique.
  20. Il y a dans le texte : « Éloigne-toi de cela. » Ou bien Joseph est prié de s’éloigner, pour ne pas entendre les reproches du mari à sa femme. Ou bien le sens peut être : « Va, il ne t’arrivera rien ; tu n’es pas coupable. » Ou bien : « Garde le silence sur cette affaire. » Le vague du texte autorise toutes ces interprétations.
  21. Le terme de Azîz, qui signifie puissant, et qui, dans la théologie musulmane et la piété populaire est un des qualificatifs de Dieu, a été longtemps appliqué en Égypte aux gouverneurs de ce pays, aux lieutenants des califes dans cette province.
  22. En coupant les fruits qu’on leur avait servis, tant était grande leur émotion. Même détail dans la tradition rabbinique.
  23. On voit que, dans la tradition coranique, la femme de l’Azîz cherche une seconde fois à séduire Joseph.
  24. À l’autorité égyptienne.
  25. En rêve.
  26. Même remarque qu’à la note 2.
  27. Il s’agit ici des Arabes païens ; Mahomet caractérise en ces termes vagues et imprécis la religion de sa nation avant l’Islam. Sur l’Arabe anté-islamique, voy. J. Wellhausen, Reste arabischen Heidentumes, gesammelt und erläutert (Skizzen und Vorarbeiten, Drittes Heft, Berlin, 1887).
  28. Litt. : que vous avez nommés.
  29. Litt. : Il n’a pas envoyé d’en haut sur eux.
  30. Litt. : envoyez-moi, c’est-à-dire : « Laissez-moi libre d’agir à ma guise », ou « Envoyez-moi auprès de celui qui seul est capable de donner l’interprétation. » Le premier mode d’exégèse suit de plus près le texte.
  31. C’est-à-dire : non battus, dans les granges ou les silos.
  32. D’après la tradition biblique (Gen. 41, v. 14 ss.), Joseph sort de prison avant d’avoir expliqué les visions.
  33. Ce verset semble indiquer que Joseph ne veut pas sortir de prison avant qu’on ait reconnu et proclamé son innocence.
  34. Joseph ne veut pas se faire passer pour plus innocent qu’il ne l’est.
  35. D’après la tradition biblique (Gen. 41, v. 39-40), le roi d’Égypte nomme Joseph administrateur général du pays ; il vient immédiatement après le roi. C’est ce qu’on nommera, dans les temps modernes, un grand vizir.
  36. Benjamin.
  37. En vendant le blé.
  38. Litt. : leur somme, ce qu’ils ont payé pour le blé.
  39. Jacob veut dire : « Ne lui arrivera-t-il pas le même sort ? »
  40. Ils obtiendront facilement une charge de blé pour le chameau de Benjamin.
  41. Pour passer inaperçus et éviter les tracasseries des autorités.
  42. Sens : « Mais je ne puis rien faire pour vous contre la volonté de Dieu. »
  43. D’après la tradition biblique (Gen. 41, v. 1 ss.), Joseph ne se fait connaître qu’après l’incident de la coupe.
  44. Qui les avait suivis.
  45. Le héraut, sans doute.
  46. C’est-à-dire qu’il sera livré comme esclave.
  47. Ces paroles paraissent faire allusion au droit hébraïque, selon lequel le voleur pouvait être réduit à la condition d’esclave (Voy. Ex. 22, v. 3, etc. ; ces textes se trouvent dans la législation la plus ancienne, celle du Code de l’alliance, 9e siècle). Voy. notre Histoire de la Bible, p. 18-20.
  48. Ce qui revient à dire que la loi égyptienne n’autorisait pas à prendre le voleur comme esclave. Voy. les dispositions de l’ancien droit égyptien relatives aux voleurs dans G. Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, T. I, p. 287, 310-311 et 337. Paris, 1895.
  49. Ils se disaient entre eux, croyant que Joseph ne les comprenait pas.
  50. D’après les commentateurs musulmans, Joseph, dans son tout jeune âge, aurait commis un larcin d’enfant. D’après une tradition rabbinique, Joseph aurait été traité de « fils de voleur », à cause du vol des idoles domestiques (les teraphim) dérobés par sa mère Rachel à son père Laban (Gen. 31, v. 19 ss.).
  51. « Vous êtes plus à plaindre que moi, vous qui m’avez vendu comme esclave » : tel est le sens de la phrase arabe.
  52. C’est-à-dire : « Dieu sait que vous mentez. »
  53. Les frères de Joseph lui donnent le titre indiquant la haute autorité dont il est revêtu. Voy. le sens du mot Azîz au v. 30 (note).
  54. La phrase est ambiguë. On peut traduire aussi : « Nous ne pouvons être garants de ce que nous ignorons. » Il y a donc deux sens possibles : « À l’époque où le fait s’est passé, nous ne pouvions prévoir ce qui était imprévu » ou bien : « Maintenant, nous rendons témoignage de ce que nous savons, mais nous ne pouvons témoigner de ce que nous ignorons. »
  55. Le Coran insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de la patience.
  56. Litt. : Oh ! ma douleur sur Joseph ! Et ses yeux devinrent blancs par la tristesse et lui comprimant (sa douleur).
  57. Il y a de la grandeur morale dans la première phrase de Jacob. Quant à la seconde, elle signifie que dans la pensée du père, Joseph est encore vivant. Même tradition dans le Judaïsme.
  58. Le Coran emploie ici le mot qui désigne spécialement l’état d’ignorance des Arabes païens avant l’Islam. Comme on le voit, en lisant cette sourate, le Prophète ne cesse de projeter en quelque sorte dans le passé patriarcal d’Israël les conditions mêmes de la vie spirituelle arabe à l’époque de la réforme islamique. De là l’emploi dans tout le récit du nom d’Allâh, que nous traduisons par Dieu, toutes les fois qu’un enfant d’Israël prend la parole.
  59. Les frères, en entendant le haut personnage égyptien, devant lequel ils comparaissent, parler de Joseph, ne doutent pas un instant qu’il ne soit lui-même Joseph.
  60. La phrase est inachevée.
  61. D’après les commentateurs musulmans, c’était la robe que Joseph portait quand il était dans la citerne.
  62. Il y a dans le texte arabe : musulman. On peut dire, comme nous l’avons déjà fait observer à propos du v. 89, que la Sourate de Joseph est la projection de l’Islam dans l’antiquité patriarcale hébraïque.
  63. Cette fin se détache si nettement de l’histoire de Joseph qu’on peut la considérer comme formant la conclusion de la sourate. C’est Allâh qui y parle à Mahomet.
  64. C’est-à-dire, ce récit, l’histoire de Joseph.
  65. Litt. : un souvenir.
  66. Litt. : pour les sachants. Ce n’est que le petit nombre des croyants qui comprendra cet avertissement.
  67. De l’unité divine.
  68. La plupart des hommes.
  69. L’association d’autres dieux au Dieu unique, est, dans le Coran, la grande expression pour désigner le polythéisme.
  70. Mes disciples.
  71. Litt. : les associants.
  72. Qu’entend par là le Prophète ? Il semble que ce soit les gens instruits, expérimentés, ceux que le séjour des villes a rendus plus aptes à la mission et à l’apostolat.
  73. Les envoyés d’Allâh, les apôtres du Dieu unique, dans le cours des âges.
  74. Celles des prophètes ou envoyés d’Allâh antérieurs à Mahomet.
  75. L’histoire de Joseph ou le Coran. En tout cas, les qualificatifs de la fin du verset (distinction, guide, etc.) s’appliquent au Coran.
  76. Les mains de Dieu.
  77. La distinction, c’est-à-dire l’explication distincte des choses de la religion.