Le Coran (Traduction de Montet)/Introduction/II

Traduction par Édouard Montet.
Payot (p. 26-31).


CHAPITRE II

ORIGINES DU CORAN


Il y a dans le Coran trois sources de connaissance religieuse.

Il y a d’abord une source juive et chrétienne, à laquelle Mahomet a pu puiser par l’intermédiaire de la tradition orale ; il est absolument certain qu’il n’a jamais eu entre les mains les livres sacrés des Juifs et des Chrétiens.

Il y a ensuite un fond anté-islamique, auquel se rattachent les antiques usages religieux arabes que le Prophète a maintenus.

Il y a enfin l’élément nouveau, l’Islam, introduit par Mahomet.


La religion juive paraît avoir été la principale source de la doctrine coranique. Cela est si vrai que dans les éléments communs au Christianisme et au Judaïsme, dont nous constatons la présence dans le Coran, le texte arabe du Prophète est pénétré de l’inspiration juive plutôt que de l’inspiration chrétienne : c’est la forme juive qui l’emporte. Cela n’a rien de surprenant, Juifs et Arabes étant tous deux d’origine sémitique : il s’agit ici d’une influence de race. Dans le Christianisme, dès la prédication de Jésus et bien plus encore lors de la mission de l’apôtre Paul, le groupe ethnico-chrétien se forme, se développe et finit plus tard par dominer le Christianisme. Or qui dit ethnico-chrétiens dit païens convertis, c’est-à-dire disciples de l’Évangile étrangers au Sémitisme.

Les emprunts faits au Judaïsme par Mahomet l’ont été à la tradition orale juive et à l’haggâdâh ou légende pieuse, d’origine talmudique ou rabbinique.

Un seul passage coranique a été signalé comme ayant pu être pris directement dans le texte biblique. Mahomet dit dans la Sourate 21 au verset 105 :

Nous (Allâh) avons déjà écrit dans les Psaumes, après le souvenir[1], que Mes serviteurs justes hériteront la terre.

Cette citation se trouve au Psaume 37, v. 29, dans le premier hémistiche :

Les justes hériteront la terre.

Mais la précision de ce texte n’implique pas la lecture, par Mahomet, du Psaume ; la tradition orale a pu fort bien, dans ce cas comme dans d’autres, conserver le texte du Psaume. Il est à remarquer, d’ailleurs, que le passage du Coran n’offre pas une citation littérale, mais présente au contraire une variante de texte.

Quant à l’origine juive de la formule islamique si connue et si typique : « Il n’y a pas d’autre dieu qu’Allâh », elle est également contestable. On a voulu la rattacher à la formule analogue, mais différente, du Psaume 18, v. 32 (reproduite 2 Sam. 22, v. 32) :

Car qui est dieu en dehors de Iahvéh[2] ?

La seule chose que l’on puisse affirmer, c’est que nous avons dans l’Islam et dans l’Ancien Testament deux formules apparentées et voisines de l’unité de Dieu ; mais rien ne démontre que la première dépende et dérive de la seconde.

C’est à l’Ancien Testament, en tant que source du Coran, que se rattache le témoignage qu’on a cru trouver dans le poète, contemporain de Mahomet, Omayya ben Abî s-Solt (mort en 630)[3]. Omayya portait le cilice ; il ne buvait pas de vin et ne croyait pas aux idoles ; il avait lu « les livres », et paraît avoir connu les croyances judéo-chrétiennes. Mais, néanmoins, il resta incroyant jusqu’à sa mort, qui eut lieu huit ans après l’hégire. Dans ses poésies sont traités des sujets empruntés aux doctrines du Judaïsme et du Christianisme. Des vers d’Omayya nous ont été conservés par l’auteur du « Livre de la création et de l’histoire », Motahhar ben Tâhir el-Maqdisî, écrivain du dixième siècle de l’ère chrétienne.

On trouve dans ces vers des fragments rappelant d’une manière presque textuelle les passages parallèles du Coran sur le prophète Sâlih et sa chamelle, sur la légende de Loth, sur le déluge, le jugement dernier, le paradis et l’enfer. La ressemblance est telle que ces fragments paraissent très suspects, et que leur origine coranique semble indéniable[4].


Quant au Nouveau Testament, en tant que source du Coran, c’est surtout par la tradition orale que Mahomet doit l’avoir connu. Bien des passages coraniques, où l’histoire évangélique est rappelée, se rapportent aux Évangiles canoniques ; mais plusieurs fois, ce sont les Évangiles apocryphes auxquels Mahomet emprunte les faits et les légendes qu’il raconte.

Le seul passage du Coran qui évoque à tort le témoignage de Jésus sur Mahomet, n’est ni du Nouveau Testament, ni des Apocryphes du Nouveau Testament. C’est le fragment de la Sourate 61, v. 6, où il est dit que Jésus promet qu’après lui Dieu enverra un prophète du nom de Ahmed (Mahomet). Il s’agit ici d’une tradition purement islamique, et qui n’a aucun rapport avec l’Évangile de Jean (15, v. 26-27)[5], où Jésus parle de l’envoi par Dieu du Paraclet, c’est-à-dire du Saint-Esprit.

Le fond juif et chrétien constitue la première source coranique.


La seconde source est le fond anté-islamique. À lui se rattachent la croyance aux djinns (génies bons ou méchants), le caractère sacré de la Ka’ba, les traditions relatives à ’Ad, Thamoûd, etc. De l’ancien paganisme arabe, Mahomet a conservé, en le spiritualisant, c’est-à-dire en lui donnant un caractère monothéiste, le pèlerinage à La Mecque, avec toutes les pratiques qu’il comportait. On peut rattacher aussi au paganisme arabe la doctrine du fatalisme qui paraît dans quelques passages du Coran.


La troisième source enfin est l’élément purement islamique ; ce sont les idées nouvelles introduites par le génie religieux de Mahomet. Nous les exposerons dans le chapitre suivant.




  1. Est-ce une allusion au Pentateuque, à la Loi ou aux livres historiques ? Le vague du mot arabe ne permet pas de préciser.
  2. Dans 2 Sam. il y a « Dieu » au lieu de Iahvéh. La formule islamique se trouve, avec de légères variantes Sour. 20, v. 7 et 14 : « Allâh ! Il n’y a pas d’autre Dieu que Lui » (v. 7).
  3. Voy. Cl. Huart (Journal asiatique, juillet-août 1904).
  4. Voy. Nöldeke, ouvrage cité, t. I, p. 19.
  5. Comp. Jean 16, v. 5-15.