Le Conseiller des femmes/9/Des Femmes auteurs

DES FEMMES AUTEURS.


Il est certains mots de notre langue auxquels l’usage donne une toute autre acception que celle qui semblerait leur être propre si l’on consultait leur étymologie véritable ; par exemple, lorsque, dans le monde vous entendez donner à telle ou telle personne l’épithète de dévote, votre imagination vous peint, non point la femme qui s’énivrant d’amour céleste puise à la source du christianisme les préceptes de la charité chrétienne, et remplit son ame des beautés de la morale évangélique, mais la fausse dévote, celle qui revêtant un masque d’hypocrisie, veut le faire servir de voile à ses vices ; ou bien celle qui se couvre du manteau de la religion pour distiller avec plus de sécurité le fiel qui déborde son cœur ; ainsi telle dénomination de dévote qui devrait attirer la bienveillance et l’estime est devenu parmi nous l’équivalent d’une injure pour la personne à qui elle est adressée.

Il est une autre désignation qui porte encore avec elle je ne dirai point le ridicule, notre siècle commence à faire justice de ce reste de barbarie, mais bien un sentiment dédaigneux que je ne saurais qualifier, qui tient le milieu entre l’étonnement et l’ironie, qui semble dire : vous pourriez avoir raison, mais je vous condamne d’avance, c’est plutôt fait. Cette qualification qui entoure d’une atmosphère d’étrangeté la personne qui en est l’objet, surtout en province, est celle qu’on jette à la femme qui écrit. On ne saurait parler dans le monde d’une femme auteur sans se la représenter prétentieuse et pédante, comme s’il n’était pas aussi simple de confier ses rêves et sa pensée à une innocente feuille de papier, que de les dire au milieu d’un salon ou dans une intime causerie ? On peut répondre, il est vrai, que les causeries de salon ne sont recueillies que dans la mémoire de quelques amis, tandis que les feuilles seront livrées aux commentaires du public ? Eh bien ! où est le mal si ces pages, écrites dans un but moral, ont le pouvoir de recréer ou d’instruire ? Et on n’en compterait qu’une sur cent capable d’effectuer un progrès sur l’intelligence humaine que l’utilité du but serait démontrée.

Dira-t-on encore que les femmes, pour conserver leur modestie, doivent rester ignorées et se tenir dans l’ombre ? Je crois, dans la sincérité de mon cœur, qu’une telle précaution, à part ce qu’elle a d’offensant pour notre sexe, n’a servi jusqu’à ce jour qu’à faire des hypocrites ou à livrer sans défense de pauvres créatures ignorantes du monde et des abus de la société, où elles sont appelées à vivre, et qu’on semble avoir muselées à plaisir afin qu’elles puissent plus sûrement servir de pâture au crime toujours impuni de la séduction.

Cependant, il faut l’avouer, nous ne sommes plus au temps où l’épithète de femme bel-esprit, n’était qu’une sanglante raillerie.

Molière, ce grand peintre de mœurs, a stigmatisé, dans la comédie des Femmes savantes, celles qu’on appelait alors improprement de ce nom.

Molière avait raison dans le 17me siècle : il a saisi avec bonheur un des ridicules de l’époque, mais autres temps, autres mœurs ; ces épigrammes contre le sexe sont passées de mode dans la bonne compagnie, et d’ailleurs ne conviendraient plus à notre civilisation avancée ; car, depuis ce temps les femmes ont réellement progressé ; beaucoup d’entr’elles sont instruites sans être pédantes ; elles ont prouvé qu’elles étaient capables d’aborder la poésie, de se livrer à la littérature sans tomber dans le pathos et l’affectation des Belise du siècle passé.

Pourtant, il serait à désirer que toutes voulussent faire justice de cette prévention fâcheuse, survivant encore dans un certain monde contre les personnes du sexe qui écrivent ; elles le pourraient facilement en protégeant de leur approbation active les femmes qui se livrent à ce genre de travail, et ce serait là un grand progrès ; car, lorsqu’elles comprendront généralement le besoin de se prêter un mutuel appui, et qu’elles mettront celle maxime en pratique, les femmes auront fait un pas immense dans la route épineuse qu’elles doivent parcourir avant d’arriver à cette vie d’amélioration qui sera un jour le fruit de leurs courageux efforts.

Louise Maignaud.