Le Congrès de la Chambre de Commerce internationale

Maurice Lewandowski
Le Congrès de la Chambre de Commerce internationale
Revue des Deux Mondes7e période, tome 64 (p. 916-934).
LE CONGRÈS
DE LA
CHAMBRE DE COMMERCE INTERNATIONALE
À LONDRES

La Chambre de commerce internationale a tenu, à Londres, du 27 juin au 1er juillet, son premier Congrès annuel. Cette imposante Assemblée a groupé 566 délégués, appartenant à 28 pays représentés qui formaient une élite de commerçants, d’industriels et de financiers, venus de tous les points du monde pour échanger leurs vues sur les grands problèmes économiques, dans un désir de loyale coopération.

Partie des Etats-Unis, le pays des grandes initiatives, cette jeune institution, âgée de deux ans à peine, avait pris tout d’abord, en 1920, son vol vers Paris, dans un sentiment de piété et de gratitude envers la France victorieuse. Aujourd’hui, elle vient se poser sur cette vieille terre de la liberté commerciale, sur cette place de Londres, qui est le plus ancien, comme aussi le plus puissant marché du monde.


Le Congrès de Londres s’était assigné un vaste programme de travail, dont l’exécution a été répartie entre cinq comités spéciaux, dans lesquels chaque nationalité était représentée et qui avaient respectivement comme objet : Finances, Production. Distribution, Transports et communications postales, télégraphiques et téléphoniques, Régions dévastées.

Les Assemblées générales étaient présidées par M. A. J. Hobson, ancien président de l’Association des Chambres de commerce d’Angleterre, assisté de M. Clémentel, président de la Chambre de commerce internationale, qui a été, avec ses collaborateurs de la délégation française, l’un des principaux organisateurs de ce Congrès. Pour indiquer tout de suite, par un simple trait, son caractère, il suffira de signaler sa composition. Sur les 566 délégués présents, 268 étaient venus des Etats-Unis et 123 représentaient la Grande-Bretagne ; la France comptait 46 délégués, la Belgique 21 et l’Italie 20 : ce qui souligne bien l’intérêt tout spécial que les Anglo-Saxons attribuent à ces grandes manifestations.

Par le nombre comme par la qualité de leurs délégués, les États-Unis ont témoigné qu’ils ne se désintéressent aucunement des questions européennes. Dès le début de la session, M. A. C. Bedford, président de la délégation américaine, a tenu à déclarer, que celle-ci n’était pas là seulement pour impressionner par sa masse, mais pour attester son désir de mieux comprendre nos difficultés actuelles, et sa ferme volonté de concourir à leur solution. Cette affirmation a été également exprimée par M. Edward A. Filene, ancien président de la Chambre de commerce de Boston, par M. John H. Fahey, ancien président des Chambres de commerce des Etats-Unis, et par M. Joseph H. Defrees, président de cette puissante Association, qui groupe 1 400 Chambres.

L’Angleterre, avec sa délégation de plus de cent membres, a manifesté les mêmes sentiments de confraternité international. Dans la séance inaugurale, le lord Chancelier, vicomte Birkenhead, en souhaitant la bienvenue aux délégués des nations représentées, les a invités à faire régner entre eux cette confiance générale, qui est si nécessaire pour le relèvement des affaires. Parlant de l’augmentation de la production, le lord Chancelier a émis le vœu que les querelles passées fussent de plus en plus écartées, afin de permettre à tous les Etats, sans exception, de participer au mouvement de reprise, en augmentant leurs débouchés. Cette simple indication montre que l’Angleterre reconnaît maintenant, sous la pression des événements, la solidarité qui l’unit aux autres nations, puisqu’il est bien démontré aujourd’hui qu’aucune d’elles ne peut fonder sa prospérité sur l’appauvrissement de pays moins fortunés.

Le Président de la Chambre de commerce internationale ne pouvait qu’enregistrer, avec la plus grande satisfaction, ces intéressantes déclarations qui permettaient d’espérer que l’œuvre du Congrès ne serait pas vaine. Aussi, M. Clémentel a-t-il parlé le même langage, en affirmant que tous les membres du Congrès s’inspiraient de ce sentiment d’intérêt général. Le fait de grouper, dans une étroite collaboration d’idées et d’action, des hommes d’affaires de tous les pays, ayant parfois des points de vue différents, mais animés d’un même esprit d’entente cordiale, ne pouvait qu’aboutir à une meilleure compréhension des grandes questions économiques, et faciliter le retour aux conditions normales d’avant-guerre.

Rendre compte de tous les travaux du Congrès, dépasserait les limites d’un article. Nous voudrions seulement esquisser la physionomie de cette grande assemblée, donner une idée de ses méthodes de travail et de l’ampleur de ses discussions. Nous nous limiterons donc aux délibérations de l’un des cinq Comités spéciaux, et aux sujets qui intéressent le plus directement la restauration économique du monde.

Ce Comité, dans lequel nous avions l’honneur et la charge de représenter l’Union syndicale des banquiers de Paris et de la province, est celui des Finances, où ont été examinées ces trois questions de la plus haute actualité : le change et l’inflation fiduciaire, le règlement des dettes interalliées, les crédits internationaux. Bien entendu, il ne faut chercher dans ces travaux que des idées échangées entre hommes compétents, des vues générales sur les grandes affaires du moment et, finalement, des résolutions votées pour déterminer les divers moyens d’apporter à la crise actuelle les remèdes appropriés. Lorsqu’il s’agit de problèmes de pareille importance, qui se présentent sous des aspects si divers suivant les pays, c’est déjà un résultat appréciable qu’il y ait eu accord sur un certain nombre de points de vue généraux et effort collectif pour trouver un terrain commun d’action.


LE CHANGE ET L’INFLATION FIDUCIAIRE

Le premier sujet traité par le Comité des Finances a été celui du change, avec un exposé des divers éléments du problème à résoudre.

Le président Walter Leaf, exprimant l’opinion anglaise sur la question, avait déclaré : « L’instabilité actuelle des changes étant l’expression des difficultés économiques de l’heure présente en Europe, le Congrès est d’avis que tout palliatif artificiel est condamné à l’échec, et que le seul moyen d’améliorer les conditions actuelles est d’augmenter la production, de mettre un terme à l’inflation fiduciaire, et d’abolir toutes les mesures qui tendent à restreindre la liberté des transactions commerciales. » C’est l’affirmation très nette des principes qui doivent régir l’amélioration du change, sous la réserve toutefois que, dans les circonstances actuelles, il ne suffit pas d’augmenter la production, mais il faut surtout rechercher les débouchés pour combattre l’accumulation des stocks qui est à la base du malaise économique, pour la plupart des grands pays.

Le délégué français exprima l’opinion que cette question de change, comme d’ailleurs toutes les autres, devait être considérée avec un certain optimisme. Nous avons aujourd’hui l’avantage de nous trouver en présence d’une situation vraie et de la regarder bien en face, ce qui est préférable aux illusions dont nous avions été bercés dans la période de prospérité factice, éphémère et surtout dangereuse, où nous étions engagés après l’armistice, pour aboutir à l’inévitable réaction. Il était à prévoir, en effet, qu’à la suite du cataclysme sans précédent qui avait non seulement bouleversé l’Europe, mais encore détruit l’équilibre mondial, l’ancien ordre de choses serait profondément modifié, et qu’il faudrait encore passer par bien des épreuves et les surmonter avec un énergique et patient effort, pour liquider la guerre et gagner la paix.


Après ces considérations, la discussion s’engagea sur la question de l’inflation fiduciaire, dans ses rapports avec le change, c’est-à-dire sur la résolution suivante soumise au Congrès : « Que l’inflation soit enrayée et progressivement diminuée. »

Le professeur Gustave Cassel, de Suède, demanda que la diminution progressive de la circulation des billets ne fût pas envisagée, mais seulement la stabilisation monétaire qui est une condition nécessaire, si l’on veut éviter les trop brusques fluctuations des prix. Pour lui, la politique de déflation consistant à ramener les différentes devises à la parité de l’or, risque d’écraser les budgets nationaux sous le poids des dettes d’emprunts, en même temps qu’elle paralyse le relèvement de l’industrie, en restreignant les moyens d’achat de la consommation. Quel résultat peut-on d’ailleurs attendre de cette politique, au point de vue général, tant que l’on n’aura pas opéré la restauration économique des pays les plus obérés ? Prenant comme exemple les Etats-Unis, le professeur Cassel estime que c’est la donation qui est la cause principale de leur malaise commercial et industriel, car si elle a pu aboutir à une augmentation de la valeur d’achat de la monnaie, elle a, par ailleurs, déterminé une baisse profonde des prix, alors que l’intérêt serait plutôt dans une juste stabilisation.

Ce point de vue a été énergiquement soutenu par M. Mylius, de la délégation italienne, qui a fait entendre la voix du commerce, opposé à la déflation. Il estime que si, aux Etats-Unis, Les matières premières ont baissé de prix, en revanche, le change est resté toujours très élevé, de telle sorte que la situation ne s’est pas améliorée pour l’acheteur étranger, et, par contre-coup, pour l’exportateur américain, dont les stocks viennent s’accumuler sur le marché intérieur

Quant à la délégation américaine, dont le pays était ainsi mis en cause, elle a exprimé l’opinion qu’on pouvait, en effet, se limiter à arrêter l’inflation, avec cette arrière-pensée, sans doute, que si l’on allait plus loin dans cette voie, on risquerait de modifier défavorablement la position du dollar, par rapport à celle des devises d’autres pays étrangers. Cependant, la délégation américaine n’entend pas s’opposer à la déflation sans y apporter un remède. Pour elle, le contre-poison se trouve dans les crédits que l’Amérique est disposée à concéder libéralement à ses acheteurs.

Le programme de la résistance à toute nouvelle inflation et celui de la déflation progressive ont été brillamment soutenus, au nom de la délégation anglaise, par sir Félix Schuster, président de l’Association des banquiers. Il a pris, à juste titre, non pas l’exemple américain, mais celui des pays de l’Europe centrale qui avaient poussé, le plus loin, la politique d’inflation, pour montrer que ce n’est pas sur l’excès présent de leur circulation de billets que peut se fonder le rétablissement de leur situation financière. D’autre part, il est tout naturel que les Etats qui étaient, avant la guerre, au régime de l’étalon d’or, aient le ferme vouloir de le rétablir par la déflation, pour retrouver leur ancienne condition monétaire, et c’est là une politique à laquelle les banquiers du Royaume-Uni donnent leur pleine adhésion. Assurément, il faut prévoir du temps, et même beaucoup de temps, pour réaliser ce programme, sous un régime de diète sévère, mais ce que sir Félix Schuster affirme, c’est qu’il n’y aura pas de stabilité de change, ni de stabilité dans les affaires, bref aucune harmonieuse relation commerciale entre peuples, suivant sa propre expression, tant que les monnaies ne seront pas réglées sur la base d’un étalon commun, qui ne peut être que l’or.

En résumé, la ligne de conduite qui s’impose à tous les Etats ayant subi les effets de l’inflation, c’est d’abord de mettre leurs budgets en ordre, et d’éviter toute nouvelle émission de billets. Après ce premier effort, interviendra la déflation progressive, au cours de laquelle ils pourront obtenir le bénéfice de ces crédits internationaux, si nécessaires au relèvement du commerce, mais qui ne pourront être consentis qu’aux pays orientés vers une politique financière d’assainissement.

Après la délégation américaine, qui s’est finalement ralliée à ces vues, le délégué français s’est, à son tour, prononcé contre toute nouvelle inflation. La France veut, avant tout, restaurer son change et la déflation graduelle en est l’un des plus puissants moyens. Sur ce point, le Gouvernement, comme la Banque de France, a pris nettement position, en accord avec l’opinion des milieux financiers. Confiance la plus absolue dans le billet, et valorisation progressive du franc à l’extérieur, telles sont les lignes essentielles du plan monétaire d’un peuple victorieux qui entend mettre son crédit au-dessus de toute discussion.

Après cet ensemble de considérations, la proposition du professeur Cassel a été finalement écartée, et la résolution volée telle que la présentait le Comité des Finances, c’est-à-dire en marquant que « l’inflation devait être enrayée et progressivement diminuée. »


LE RÈGLEMENT DES DETTES INTERALLIÉES

Au cours de son examen des conditions du rétablissement normal des changes, le Comité des Finances a dû prendre position sur une question du plus grand intérêt, au point de vue politique et financier, et dont dépend la solution de beaucoup de nos difficultés actuelles. Cette question était comprise dans un vœu soumis au Congrès, tendant à élaborer un plan d’action pour la solution des problèmes que soulève le règlement des dettes interalliées.

La discussion s’est ouverte, sur cette importante résolution, par la déclaration suivante de M. F.-O. Watts, au nom de la délégation américaine :

« En ce qui concerne la solution des problèmes soulevés par la question des dettes interalliées, nous demandons qu’elle ne donne lieu à aucun acte, pour le moment. En faisant ainsi, le Comité américain ne prendra pas position sur le bien fondé de cette résolution : il exprime seulement l’opinion que le moment ne lui paraît pas opportun pour un tel examen.

« Tous les membres du groupe financier de la Chambre de commerce internationale seront d’accord qu’il n’est pas dési- rable que cette corporation fasse aucun acte de nature à dimi- nuer l’intégralité des obligations entre les nations, ou entre les particuliers dans l’ordre international.

« Le Comité américain est d’avis que ceux qui soutiennent la proposition d’une révision des dettes inter-gouverne mentales désirent seulement qu’on arrive, d’un commun accord, à une entente résultant de la conviction qu’un tel acte est juste et nécessaire à la restauration d’un état normal du commerce et du crédit, pour le bien de tous.

« Dans l’état actuel des esprits aux Etats-Unis, la proposition, telle qu’elle a été formulée, ne pourrait être approuvée par l’opinion publique, ni admise par le Gouvernement.

« Le public américain comprend très bien l’importance de la restauration du commerce et de l’industrie dans le monde et est prêt à coopérer pleinement pour atteindre ce but. Il s’intéresse beaucoup aux arrangements prochains en vue de différer les paiements pour éviter de troubler les changes, pendant qu’ils sont encore dans un état incertain. Aussi le Comité exprime-t-il, en toute confiance, l’espoir que les intérêts des contrées créditrices et débitrices se trouveront à ce point associés et en harmonie qu’un règlement de leurs dettes s’effectuera avec le temps, sans sérieuses difficultés. »

Opinant dans le même sens, M. George Roberts, vice-président de la « National City Bank, » a rappelé, ce que l’on oublie trop volontiers, que rien ne peut être fait pour ces règlements, si ce n’est par le Congrès et les représentants directs du peuple américain. Or, actuellement, s’il y a aux États-Unis des partions d’une transaction, sous la forme la plus large, la masse n’est nullement convaincue, jusqu’à présent, que la justice vis-à-vis de ses associés exige qu’elle prenne la charge supplémentaire de ces dettes de guerre, ou même que la situation rende une annulation nécessaire pour permettre à ces pays de revenir à des conditions économiques normales. En revanche, l’opinion publique approuvera tout règlement amiable qui n’écrasera pas ces Etats et ne paralysera pas leur relèvement.

La résolution ainsi mise en discussion ayant été établie et présentée par le Comité spécial des Changes, il était difficile, en séance, de la retirer purement et simplement, bien qu’elle soulevât une grave question, d’ordre politique autant que financier, et en tout cas, d’ordre gouvernemental. Au reste, était-il possible d’aborder dans toute son ampleur le problème du change, sans faire entrer en ligne de compte et en bonne place ce règlement des dettes interalliées, qui pèsent si lourdement sur certains pays, comme la France, par leur énorme montant et l’imprécision de leurs conditions de remboursement ? La délégation française ne l’a pas pensé. Sans vouloir entrer dans le fond du débat, elle a cependant affirmé que si mention était faite du paiement des dettes interalliées, celui-ci devait évoquer, en toute équité, un autre règlement, celui de l’indemnité allemande et sa mobilisation.

Afin de tenir compte cependant des vues de la délégation américaine et d’éviter le rejet de la résolution, un ajournement de la discussion fut décidé, en vue d’arriver à un accord sur un autre texte. C’est ainsi qu’à la séance suivante, l’assemblée fut saisie d’une nouvelle rédaction qui, écartant la formule d’un plan d’action, lui substituait celle plus générale d’une étude sur la position présente des dettes alliées, comme aussi sur le paiement et l’utilisation de l’indemnité allemande.

A l’appui de cette rédaction, le délégué français crut devoir exposer la nature et l’origine de ces dettes interalliées, qui sont le lourd fardeau que portent les nations les plus éprouvées par la guerre, alors que ces charges ont été contractées en vue du salut commun, et dans l’intérêt de tous.

Pour ne parler que de la France, il est bon de rappeler qu’avant 1914, elle avait une épargne de 40 milliards de francs placés à l’étranger, et qu’elle était, avec l’Angleterre, le banquier du monde, alors qu’aujourd’hui, victime de la guerre qui s’est déroulée sur son propre sol, elle est débitrice des Etats étrangers d’environ 85 milliards de francs. Or, à qui la France doit-elle cette somme ? A ses amis : 3 milliards de dollars aux Etats-Unis, plus 500 millions de livres à l’Angleterre, dettes qui, lorsqu’on les traduit en francs, au cours actuel du change, ont plus que doublé dans l’ensemble, depuis qu’elles ont été contractées.

Des chiffres d’une pareille grandeur montrent toute la presnon qu’exercent sur le change le poids de ces dettes interalliées et leur rapport étroit avec le problème monétaire. Ceci ne veut pas dire que la France tende la main pour recevoir quittance de ces dettes, mais il est de toute justice que cette question ne soit point posée devant un Congrès, puisque tel est le cas, sans faire intervenir aussi cette autre question interalliée de l’indemnilé allemande et de sa mobilisation, établissant ainsi une solidarité de fait, un front unique dans les règlements financiers, comme dans les règlements politiques.

Après cet échange d’explications, M. F.-O. Watts s’est déclaré d’accord sur le texte d’une résolution comportant « qu’une étude soit faite de l’effet sur les changes internationaux de la position actuelle des dettes interalliées et des remèdes possibles, ainsi qu’une étude de même nature sur le paiement et l’utilisation de la dette allemande. »

A cette résolution votée à l’unanimité, il convient de joindre celle qui a été discutée par le Comité des Régions dévastées, en vue d’appliquer également une part des bons allemands représentant l’indemnité, au paiement des travaux de restauration.

Afin de donner plus de force à ces deux résolutions, il a été également décidé qu’un Comité international financier serait spécialement formé pour continuer, d’une façon permanente, l’étude du règlement des dettes interalliées et de la réparation des régions dévastées, dans leurs rapports avec l’indemnité allemande et sa mobilisation. Mais ce vaste programme n’est assurément pas de ceux qu’on peut réaliser en un jour, surtout si l’on veut sortir de la phase actuelle des promesses pour trouver des remèdes efficaces, avec de puissants moyens financiers. Or, c’est là que commence l’ère des véritables difficultés. Après avoir obtenu le règlement de l’indemnité allemande, sous la forme de Bons, comment les utiliser, et sur quel marché, pour les transformer en argent comptant ? C’est là toute la question.

Voici la réponse américaine : M. F.-O. Watts et M. George Roberts se sont trouvés d’accord pour déclarer que si les États-Unis ont considéré avec satisfaction l’engagement de payer pris par l’Allemagne, en revanche, ils ont accueilli, avec la plus grande réserve, le projet, venu de divers pays, en vue d’offrir sur le marché américain les Bons de réparation créés en représentation de cet engagement [1].

Suivant l’opinion des deux délégués, ces Bons ne doivent pas être émis trop hâtivement, c’est-à-dire tant que l’on n’aura pas expérimenté, sur ce point, la capacité de paiement de l’Allemagne. Il ne faut pas oublier, en effet, que ce débiteur ne peut payer qu’avec le produit de ses exportations, et qu’il importe que celles-ci ne viennent pas encombrer le marché des autres pays, ou concurrencer leurs propres exportations, et c’est là une considération qui parait primer toutes les autres pour les Etats-Unis. En tout cas, ces Bons ne devraient être utilisés que comme garantie pour des emprunts émis directement par les Etats intéressés.

Il est cependant une circonstance dans laquelle les Etats-Unis sembleraient disposés à recevoir ces Bons avec faveur : c’est, par exemple, s’ils étaient remis en paiement pour des achats de matériaux de construction faits à l’industrie américaine, en vue de la reconstitution des régions dévastées. Telle est la formule qui concilierait le mieux la sympathie et l’intérêt américains.

En résumé, le problème entier reste à résoudre et nous savons d’ailleurs, par des voix très autorisées, que le marché des États-Unis, qui est lui-même aux prises avec de grandes difficultés d’ordre économique et financier, ne peut accueillir avec empressement une opération de mobilisation de Bons allemands, alors surtout que l’opinion américaine est si peu préparée à souscrire à des placements étrangers.

Mais c’est là une situation qui peut se modifier assez rapidement, si l’on arrive à créer, comme l’a dit à juste titre le lord Chancelier d’Angleterre, cette confiance générale, qui est nécessaire au relèvement des affaires et au placement des capitaux. A chaque année suffit sa peine et, pour aujourd’hui, contentons-nous de noter avec satisfaction que ces questions si controversées ont au moins l’avantage d’être nettement posées et mises à l’ordre du jour des grandes assemblées internationales. Ce que nous apprend, en effet, le Congrès de Londres, c’est que dans des pays comme l’Angleterre ou les Etats-Unis, une élite de bonnes volontés se forme pour étudier, avec les représentants des nations dévastées par la guerre, la France, la Belgique, l’Italie, la Pologne, etc., le principe d’une étroite coopération dans l’œuvre de la restauration. C’est déjà là, pour la Chambre de commerce internationale, un premier résultat, en attendant qu’avec l’art des préparations nécessaires, elle puisse faire passer les résolutions votées à Londres dans le domaine des réalisations.


CRÉDITS INTERNATIONAUX

Parmi les plus importants problèmes dont le Congrès de Londres ait eu à s’occuper, au point de vue économique, il faut citer celui des crédits internationaux pour l’exportation. C’est la grave question mise à l’ordre du jour, dans un certain nombre de pays, afin d’écouler à l’étranger les stocks de matières premières ou les fabrications que ne peut absorber le marché intérieur. Pendant la guerre, et même après l’armistice, le chant national était partout l’hymne à la production. Aujourd’hui, l’antienne est un peu différente, car il ne s’agit plus seulement de récolter ou de fabriquer, il faut surtout exporter pour conjurer la crise économique et même sociale, qui est la conséquence fatale de la surproduction, dont souffrent précisément les grands pays, en raison de leur développement industriel ou commercial.

La prime de la monnaie a créé, en effet, autour de certains États, une barrière prohibitive, qui ne permet plus aux nations moins favorisées, sous le rapport monétaire, de venir s’y approvisionner, dans la proportion de leurs besoins, et c’est là qu’apparaît la nécessité de substituer aux paiements au comptant ou à court terme en usage avant la guerre les paiements à très long terme qui escomptent un retour, encore lointain, aux conditions d’avant-guerre.

Si nous prenons l’exemple des États-Unis, qui s’étaient organisés en vue d’une énorme production industrielle, nous constatons que celle-ci était, au début de 1921, supérieure de 30 p. 100 à la consommation du pays. Or, c’est à ce moment que la diminution des articles exportés a commencé à se faire très sérieusement sentir ; cette réduction atteint déjà en valeur environ 40 pour 100 pour le premier semestre de 1921.

L’Angleterre est dans le même cas, si l’on en juge par les statistiques de son commerce extérieur, qui accusaient, avant 1914, une exportation d’environ 40 p. 100, à destination du continent européen, représentant annuellement une valeur de 200 millions de livres sterling. Assurément ce n’est pas un moindre chiffre dont il lui faut aujourd’hui assurer l’écoulement.

La France, elle aussi, doit avoir le même programme d’expansion, si elle veut rétablir sa balance commerciale, ce qui est la première des conditions pour la restauration de son change. Les résultats déjà obtenus en 1920 sont d’ailleurs, à ce point de vue, très encourageants, et tous nos efforts doivent tendre à les augmenter, par une nouvelle progression de notre commerce extérieur.

Mais, pour réaliser en grand cette politique d’exportation, il est nécessaire de rechercher des acheteurs étrangers, de plus en plus nombreux, que l’on peut trouver dans les pays appauvris ou dévastés par la guerre, c’est-à-dire ceux dont les besoins sont grands, mais qui n’ont plus qu’un pouvoir d’achat considérablement diminué, en raison de la raréfaction des moyens de paiement internationaux. Ainsi, la salutaire leçon que nous pouvons tirer des événements, c’est que nul peuple, quelles que soient ses ressources, ne peut rester dans l’isolement. La richesse d’un pays ne saurait être fondée sur la pauvreté des autres nations, et c’est en raison de cette interdépendance que l’équilibre économique général ne sera pas rétabli, tant que la puissance de consommation de la Russie, de l’Allemagne, de l’Autriche et des nouveaux États de l’Europe centrale n’aura pas été restaurée sur des bases normales.

Aussi le Congrès de Londres nous a-t-il montré les grands pays préoccupés du sort de ces nations à changes avariés. La Tchéco-Slovaquie, la Pologne ont été considérées avec une particulière sympathie. Cela d’ailleurs n’est pas pure affaire de sentiment de la part de nos amis anglo-saxons, car ce sont en somme, pour eux d’importants clients dont il s’agit de rétablir la faculté d’achat, en attendant que l’Allemagne, l’Orient et surtout la Russie viennent reprendre leur place ancienne parmi les grands marchés de consommation.

C’est dans cette atmosphère spéciale que s’est tenue, au Congrès de Londres, l’importante réunion consacrée aux Crédits internationaux.

Les honneurs de la séance ont été réservés à un projet, sorti de la Conférence de Bruxelles, et qui, depuis, a fait son chemin dans le monde, sous le nom de « projet Ter Meulen, » du nom de son auteur, un banquier d’Amsterdam, représentant de son pays à la Société des Nations.

Le but de cette organisation est de permettre aux nations appauvries de se procurer les ressources nécessaires à leurs importations essentielles, alors qu’elles sont actuellement incapables d’obtenir des facilités de paiement, par le mécanisme ordinaire des opérations de banque. Quant aux voies et moyens, ils peuvent se résumer en un mot : restaurer le crédit international, en permettant à l’emprunteur d’offrir, quelle que soit sa situation monétaire, une base sérieuse de garantie.

En raison de l’importance de ce projet, auquel la Société des Nations a déjà donné son approbation et qui a l’ambition de relever le commerce extérieur, nous croyons devoir en rappeler ici les grandes lignes, d’autant plus qu’il est destiné à subir, très prochainement, l’expérience d’une première réalisation.

Le premier acte consiste dans la formation d’une « Commission internationale, » constituée sous les auspices de la Section financière de la Société des Nations et qui comprendra des banquiers et hommes d’affaires de grande notoriété, dont on ne pourra discuter la compétence ou l’impartialité. C’est devant cette Commission que les Gouvernements désireux d’adhérer audit projet devront faire connaître les gages qu’ils sont en mesure de fournir, pour la garantie des crédits commerciaux susceptibles d’être accordés, soit à eux-mêmes, soit à leurs nationaux, par les vendeurs, dans les pays d’exportation.

Suivant examen de ces gages, la Commission fixera la valeur en or des crédits qu’elle serait disposée à autoriser, et en représentation desquels le Gouvernement intéressé pourra émettre propres obligations, avec indication des garanties matérielles qui leur serviront de nantissement. Les recettes provenant de ces gages, que contrôlera et administrera même, dans certains cas, la Commission internationale, seront définitivement affectées au service des titres ainsi créés, c’est-à-dire à l’achat de devises étrangères pour le paiement du capital et des intérêts, sur la base de la valeur en or.

L’objet du plan Ter Meulen et ses conditions d’exécution étant ainsi définis, voici comment s’effectuera l’opération de crédit qui doit être le résultat pratique de cette organisation.

Après avoir reçu ces obligations d’État, dûment contresignées par la Commission internationale, l’importateur du pays appauvri les donnera, comme garantie de paiement, à l’exportateur du pays de production. A l’échéance du crédit à long terme, qui sera librement discuté entre les parties, l’importateur devra rembourser le montant du crédit, suivant les stipulations du contrat et, dans ce cas, l’exportateur lui remettra les obligations données en gage, qu’il devra aussitôt restituer à son Gouvernement. Dans le cas contraire, l’exportateur n’ayant pas reçu son paiement détiendra les titres jusqu’à l’échéance ou, s’il préfère, il pourra les vendre sur le marché, mais pourvu qu’avant cette vente, un délai raisonnable soit accordé au Gouvernement qui les a émis, afin de les racheter à un prix suffisant pour rembourser l’exportateur.

En traduisant ceci en une formule commerciale, nous pouvons concevoir un acheteur qui remet en paiement à ses vendeurs une lettre de change à long terme, garantie par des obligations Ter Meulen. S’il la rembourse à l’échéance, il rentre en possession de son titre. Si, au contraire, il n’est pas en état de payer la traite, le détenteur doit chercher à négocier son titre, pourvu, bien entendu, qu’il trouve une contre-partie.

Mais là se présente la véritable objection au projet. C’est précisément dans le cas où l’acheteur ne ferait pas honneur à ses engagements que le vendeur étranger aura besoin de s’assurer un procédé facile de réalisation. D’autre part, il faut prévoir que, le plus souvent, ce même vendeur, qui a en main ce titre de paiement pendant toute la durée d’un crédit pouvant atteindre plusieurs années, cherchera, sous forme d’escompte, d’avance ou de vente, à se faire de l’argent pour les besoins de son commerce ou de son industrie. Tout nous ramène donc à la question de la négociabilité de ces obligations, car c’est là que sera la force ou la faiblesse du système, suivant que la Société des Nations pourra créer ou non, sur ces valeurs, un marché régulier.

Tel est le projet Ter Meulen, auquel la Chambre de commerce a donné, sa pleine approbation. C’est, en somme, l’organisation d’un Mont de Piété international, chez lequel les Etats pauvres iront déposer leurs gages pour obtenir des crédits, contre garanties réelles. Et comme, en ces temps difficiles, la misère est très bien portée, les grands Etats qui ont besoin des plus petits s’empressent de recruter des clients pour cette nouvelle institution. Ainsi s’explique, du reste, la part éminente prise par l’Angleterre dans la mise en mouvement de cet ingénieux mécanisme de crédit.

Le Congrès de Londres a entendu l’exposé du plan Ter Meulen, fait par la personnalité la mieux qualifiée pour en célébrer les mérites, Sir Drummond Fraser, banquier très connu de Manchester, qui a été investi du mandat d’organisateur par la Société des Nations. Sir Drummond Fraser s’est appliqué à montrer que son programme avait un caractère essentiellement commercial, et qu’il devait comporter tous les avantages d’une proposition bien garantie. Aussi est-il destiné aux pays qui feront parallèlement un effort pour rétablir leur équilibre budgétaire, réduire leur circulation fiduciaire et, par conséquent, donner à leur change, même déprécié, une certaine stabilité. C’est à ce prix seulement que ce plan atteindra son but, qui est de restaurer et développer par des voies normales, et non par des moyens empiriques, le commerce international, en organisant, sur des bases solides, le crédit à long terme.

La première application du projet Ter Meulen doit être faite à l’Autriche qui est bien, en effet, le pays où la détresse économique est la plus profonde, parce qu’il n’en peut sortir par ses seuls efforts et sans que l’Europe lui tende une main secourable. C’est aussi un excellent terrain d’expérimentation pour ce système, car l’Autriche est prête à donner en gage le meilleur de ses ressources : le produit de ses douanes, le revenu de ses exploitations forestières, le monopole des tabacs, etc., et à poursuivre, en même temps, une politique d’assainissement monétaire, en retirant graduellement son ancienne circulation, pour lui substituer les billets d’une nouvelle Banque d’émission.

C’est du moins ce qu’est venu affirmer le délégué autrichien, M. Wilhelm von Offenheim, représentant quatorze des principales industries de la République d’Autriche. Après un tableau de la situation de son pays, sous le jour le plus triste, ce délégué a déclaré que l’Autriche ne manquait ni de capacités ni de ressources matérielles, mais que, ce dont elle avait un besoin urgent, c’était d’abord d’assurer son ravitaillement, puis de se procurer des matières premières pour se remettre au travail, et c’est ce qu’elle attend du plan Ter Meulen. Les représentants de la Tchéco-Slovaquie et de la Pologne ont manifesté la même sympathie pour ce projet, dont ils entendent bénéficier, en vue de rétablir leur production.

Sur ce même projet, la parole a été donnée aux Etats-Unis qui, non moins que l’Angleterre, en raison de leur qualité de détenteurs de grands produits d’exportation, considèrent avec faveur cette nouvelle organisation de crédits internationaux. M. F.-O. Watts a confirmé que la délégation américaine était pleinement préparée à endosser le plan Ter Meulen. Il répond bien aux conditions présentes du commerce avec certains pays, mais il y aura lieu de l’appliquer avec prudence et discernement. La Commission internationale a le devoir de s’assurer que les obligations ne seront remises par les Gouvernements à leurs importateurs que si ceux-ci présentent eux-mêmes de bonnes garanties, de telle sorte que l’opération de crédit puisse se liquider par les voies normales de paiement, et non par une vente de titres.

M. George Roberts s’est montré également favorable à ce plan destiné à faciliter l’exportation des matières premières et produits des Etats-Unis. Pour lui, cette question intéresse beaucoup plus le public américain que celle du règlement des dettes interalliées, qui regarde principalement le Gouvernement. Le malaise présent est dû surtout à l’insuffisance des exportations et le pays est prêt à soutenir toute sérieuse organisation de crédit qui favoriserait le développement de son commerce extérieur. Dans ces conditions, il estime que les obligations Ter Meulen sont assurées de trouver un meilleur accueil aux Etats-Unis que les Bons émis en représentation de l’indemnité allemande, et c’est là une déclaration intéressante à recueillir, concernant les chances de réussite de ce projet.

La délégation française n’avait pas à intervenir au premier rang dans la discussion du plan Ter Meulen, la France n’ayant pas à utiliser les services de cette institution, en aliénant des gages au bénéfice de ses créanciers étrangers. Notre pays a été dévasté par la guerre, et appauvri, mais c’est là une glorieuse misère, qui ne doit nullement affecter son crédit international, ni faire mettre en doute ses possibilités de paiement. Les efforts tentés pour rétablir l’équilibre budgétaire, diminuer l’inflation fiduciaire, développer notre commerce d’exportation et relever finalement le change français, indiquent suffisamment que si nous avons à envisager des crédits pour parer aux nécessités du moment, notre signature n’a pas besoin d’être garantie par une sorte d’hypothèque sur tout ou partie de notre actif national.

Mais, si nous ne sommes pas appelés à bénéficier du plan Ter Meulen, nous devons cependant le regarder avec intérêt, en ce qu’il facilitera la restauration d’un certain nombre de pays, qui sont aussi nos clients, et dont le pouvoir d’achat ne peut qu’être augmenté par un retour à la vie normale. C’est à ce sujet que la délégation française a eu à formuler une réserve sur le projet. Celui-ci, en effet, ne vise que les matières premières et objets de première nécessité, alors que la France possède, parmi ses éléments d’exportation, les soieries lyonnaises, par exemple, ou autres produits finis, qui ne rentreraient pas dans la catégorie des articles autorisés, si celle-ci était trop strictement délimitée. Aussi, s’appuyant sur le fait qu’il est assez difficile de définir, dans le monde moderne, ce que l’on entend par objets de première nécessité, la délégation française a demandé que la Commission internationale envisageât tout spécialement l’exportation des soieries, pour être comprise parmi les articles pouvant bénéficier du plan Ter Meulen, et c’est là un point sur lequel l’Autriche et l’Italie se sont déclarées d’accord avec la délégation française.

Enfin, M. Hobson, président du Congrès, a terminé la série des discussions par une considération de haute sagesse, qui reflète l’esprit circonspect de nos amis britanniques. Tout en donnant son approbation au projet et à son éminent organisateur, M. Drummond Fraser, il a marqué qu’il fallait compter avec le temps pour faire entrer dans la pratique des affaires d’exportation les Bons Ter Meulen. En attendant, il a prémuni les importateurs étrangers contre l’illusion d’une amélioration rapide des devises dépréciées, qui pourrait les amener à prendre des engagements trop importants. Il estime même qu’en présence de la situation instable dans laquelle se trouvent certains États, au point de vue monétaire, le mieux est encore d’assurer son change au moment de la conclusion de contrats, ou de n’acheter que jusqu’à concurrence des fonds disponibles.

Nous ne pouvons que souscrire à ces réflexions, qui traduisent assez bien la prudente réserve de la France, concernant la fabrication de crédits internationaux, avec immixtion de l’État dans la création de Bons, pour relever le commerce extérieur, à l’aide de cette nouvelle monnaie d’échange.

Cette revue sommaire des plus importants sujets discutés par le Comité des Finances suffit à montrer la nature des travaux du Congrès de Londres et comment il faut apprécier leur résultat.

Les problèmes qui se dressent aujourd’hui devant le monde ne peuvent être résolus qu’avec un persévérant effort, et par l’entr’aide économique et financière de toutes les nations, puisque c’est une crise générale qu’il s’agit de conjurer. Sur ce point, la Chambre de commerce internationale n’a pas la prétention de détenir des vérités intégrales, mais elle groupe les bonnes volontés pour tracer les lignes indicatrices des solutions possibles et pour mettre celles-ci en mouvement, sous la forme de résolutions qui peuvent s’imposer à l’attention des Gouvernements de tous les pays.

Nous avons, en France, un peu trop l’habitude de traiter les Congrès comme de simples échanges de discours, sans portée efficace, ou même, plus exactement, comme des corvées, auxquelles s’efforcent d’échapper ceux qui pourraient y apporter un concours utile par leur expérience ou leur situation sociale. Il n’en est pas de même à l’étranger, notamment dans les pays anglo-saxons, où l’on assigne à ces réunions beaucoup plus de valeur qu’aux débats des assemblées politiques.

Tout d’abord, le Congrès offre cet avantage de mettre en contact des hommes de professions différentes, mais de grande autorité, chacun dans sa branche professionnelle, et qui peuvent, par conséquent, se rejoindre et se compléter pour l’étude des grandes questions économiques ou financières. C’est un moyen de rassembler des hommes, venus des contrées les plus lointaines, et saisissant volontiers cette occasion pour entrer en relations les uns avec les autres et se mettre à jour sur un certain nombre de points, avec un minimum de temps et un maximum d’effort collectif.

Cela est vrai pour les États-Unis, et non moins certain pour l’Angleterre et ses Dominions qui trouvent, dans ces grands Congrès, une sorte de prétexte annuel pour mobiliser leurs classes dirigeantes, à travers d’énormes distances, en vue de dégager l’opinion du pays sur les affaires d’intérêt national.

Enfin, et c’est ici le point le plus important à retenir, les gouvernements de ces deux nations considèrent eux-mêmes, avec la plus grande attention, les résultats de ces délibérations, précisément parce que ces grandes démocraties s’appuient, non seulement sur la masse, mais plus encore sur l’élite. C’est donc là qu’ils vont chercher souvent des directives pour leur politique, afin d’avoir un point d’appui solide lorsqu’il s’agit de procéder ensuite à des actes de gouvernement.

Parmi tous ces Congrès, ceux de la Chambre de commerce internationale sont appelés à jouer un rôle prépondérant en raison de leur composition très étendue qui leur permet d’aborder tous les sujets d’actualité et de réunir, dans chaque pays, les opinions les plus justifiées. Avec l’autorité que lui donnent ses Comités nationaux, où sont groupées toutes les compétences, elle peut coopérer très utilement à la solution des grands problèmes de l’heure présente.


Maurice Lewandowski.


  1. D’après M. George Roberts, le marché américain aurait absorbé, en 1921, environ 15 milliards de dollars de valeurs nationales, alors que, pour les titres étrangers, le chiffre est à peine de un milliard, ce qui tend bien à démontrer que le public aux États-Unis est encore très peu préparé pour cet ordre de placements.