Le Congié d’amours
[LE CONGIÉ D’AMOURS]
… amans malades
Cy apres d’amours le congié,
En la forme de six ballades,
Par Michault fait et abregié.
Puis l’image Pinalion
Devant laquelle il souspira,
Ne puis le temps Deucalyon
Et sa belle femme Pira,
La court d’amours tant n’empira
Qu’a present, quy ses fais carculle,
Et croy qu’a nient l’amer yra,
{{NumVers|8}Pour ce qu’en amours foy n’a nulle.
A la Fontaine le Lion
Tisbé jadis prez depecha,
Pour amer sans rebellion
Piramus ou son cuer ficha
Qui mort pour elle se percha,
Com cilz qui d’amer ne reculle.
Mais telz fais n’avindrent piescha,
Pour ce qu’en amours foy n’a nulle.
On voit regner contre Sanson
La cruaulté de Dalida,
La desloyaulté de Jason
Contre Medee qui l’ayda.
Qui parle de ces fais, hide a.
C’est grant dommage qu’on ne brulle
Telz amans partout, cha et la,
{{NumVers|24}Pour ce qu’en amours foy n’a nulle.
Prince, en la fin le temps venra,
Nonobstant promesse ou cedulle,
Que loyaulté on ne tenra,
Pour ce qu’en amours foy n’a nulle.
Pour bien et loyaulment amer,
On se met en mains grans perilz.
Leandre s’en noya en mer,
Et la fut perduz et periz ;
Et par Helaine et par Paris
Fut destruyte Troye la grant.
Pourtant, mais qu’il ne vous desplaise,
Qui veult, sy soit d’amer en grant,
Je ne veul amer qu’a mon aise.
He ! Me iroye je desesperer,
Comme ces amans de jadis,
Moy complaindre ne souspirer
Aprez l’amoureux paradis ?
Tous telz fais me sont interdis.
Je n’iray plus d’amer morant !
Assez m’est se j’acolle et baise.
Quant est a my, au demourant,
Je ne veul amer qu’a mon aise.
J’ay eu du doulx et de l’amer
En amours jusques aux surcilz.
Je m’ay vollu amy clamer,
Requerant graces et mercis,
Dont j’ay esté peu enrichis
Des dames comme fin amant,
Et pour ce fait, par saint Nicaise,
De ceste heure a Dieu les comant.
Je ne veul amer qu’a mon aise.
Prince, je vous en diray tant :
Qui veult, se s’en courche ou repaise,
Comment qu’il soit d’ore en avant.
Je ne veul amer qu’a mon aise.
Ainsi comme fist Orpheüs
Jadis, maint amans ne font mie ;
Le portier d’Enfer, Cerberus,
Endormy a sa chalemie.
Et reve Erudice s’amie,
Que nuit et jour il acclamoit
En pleurs comme amant qui larmie,
Pour ce que loyaulment l’amoit.
Tous les dyables furent deceuz
Quant ilz oÿrent l’armonie
D’Orpheüs, qui contre et dessus
Jouoit par tresgrant melodie.
Que voullez vous que je vous dye ?
S’amie que il requeroit
Luy rendirent a ceste fie,
Pour ce que loyaulment l’amoit.
Que dirons nous de Narcisus,
Qui sa char ot en bois nourrie ?
On ne puet dire, par Jhesus,
Qu’amours a sur tous seignourie,
Car Echo, la dame jolie,
Se mist, qui honte ne cremoit,
De Narcisus en la baillie,
Pour ce que loyaulment l’amoit.
Prince, une dame qui salie
Si avant, faire ne le doit.
Mais elle fist, c’estoit folie,
Pour ce que loyaulment l’amoit.
Orpheüs jadiz se party,
Et s’amie requerre alla
En Enfer, mais il la perdy
Tost aprez, on scet bien cela.
Et que vault amer cha et la,
Et puis perdre de sy legier,
Ainsy qu’une chose soudaine
S’amie ? C’est pour enragier !
Je n’en puis [plus] prendre la paine !
Et Narcisus, en tel party,
En son temps d’amours abusa,
Car d’orgueil fut sy bien party
Que l’amour Equo refusa.
Mais amours en droit en usa,
Car pour amer le fist noyer
Aprez son umbre en la fontaine.
Ainsi amer fait annoyer.
Je n’en puis plus prendre la paine !
Jamais sans paine et sans soussy
Ne sont amans, — c’est de pieça, —
Ne sans merancolie aussy ;
Car les ungz vont puis cha puis la
Pour ung regard qu’on leur lancha,
Et les autres pour ung baisier
Se mettent a la grosse alaine.
Celles amours sont a laissier :
Je n’en puis plus prendre la paine !
Prince, pour l’amour du dangier
Qui est en amours, nerf ne vaine
N’ay quy y tendra, au vray jugier.
Je n’en puis plus prendre la paine !
Amours a partout grant vertu,
Et par sus toutes gens domine.
Genievre, femme au roy Artu,
Laquelle fut dame et royne,
Lancelot du Lac sans ruyne ( ?)
Jadis furent de ses eslus.
Se tu ne scez ceste couvine,
Les povoirs d’amors n’as pas lus.
Pluto, le dieu d’Enfer en fu
Picquié de l’amoureuse espine
Jadis quant en flambe et en fu
Porta s’amie Proserpine,
Et qu’il luy bailla la saisine
De tous les infernaulx pallus.
Tu n’ez qu’un asne qui busine !
Les povoirs d’amors n’as pas lus.
Et, au demourant, que veulz tu
Que plus je te die en plevine ?
Ne furent pas aussy vestu
De ceste peau — or l’adevine —
Tristran et Yseut la meschine,
Ovide et Sardinapalus ?
A ce que je voy en ton signe,
Les povoirs d’amors n’as pas lus.
Prince, pour savoir la doctrine
De Cupido et de Venus,
Va a l’escolle, tost, chemine !
Les povoirs d’amors n’as pas lus.
Maint one esté d’amours honnis.
Ÿo en vache fut müee,
Et d’amer moru Adonis
Ou geron de Venus l’amee.
Pasiphe en fut mal renommee.
Et pourtant donc que mainte gent
Ont receut mainte laide fronche
Par amours en bon essient,
Sy prens congié et s’y renonce.
Amours, encore je le dis,
A fait mainte layde assemblee.
Venus de Vulcanus jadis
En fut aveucques Mars trouvee,
Dont elle fut fort reprouvee,
Pour ce que le fait n’estoit gent.
Et puis que ces fais cy m’anonce
Paine d’amer, incontinent
Sy prens congié et s’y renonce.
Plus d’amours ne de ses delis
Ne veul. Ma leesse est finee.
Je ne quiers que repos de lis,
Et dormir longue matinee.
Ma char a esté matinee
Assés d’amours en mon jouvent,
Et pourtant qu’au marc et a l’once
Ses denrees trop chier me vent,
Sy prens congié et s’y renonce.
Prince, je suis, quant a present,
Aussy amoureux q’une ronce,
Dont, pour estre d’amer exempt,
Sy prens congié et s’y renonce.
Prince, de degré en degré,
Quel temps qu’il face, froit ou chault,
Pour vo plaisir, prenez en gre
Le Congié d’amours de Michault.