Le Conflit austro-serbe

Le Conflit austro-serbe
Revue des Deux Mondes5e période, tome 37 (p. 638-668).
LE
CONFLIT AUSTRO-SERBE

Quand les grandes puissances, au Congrès de Berlin, eurent réglé le sort des petits peuples balkaniques et procédé souverainement au découpage des territoires et à la répartition des âmes, elles purent s’imaginer avoir fondé pour longtemps l’équilibre selon la formule de lord Beaconsfield. Ainsi les hommes d’État, dans leurs assises solennelles, se flattent de disposer de l’avenir, mais la vie est plus forte que leurs calculs, et la réalité déjoue leurs combinaisons trop subtiles. On n’avait stipulé, à Berlin, que dans l’intérêt des grands États ; on avait savamment équilibré leurs ambitions, dosé leurs avantages ; les politiques auguraient que la Bulgarie, émancipée par la guerre de 1878, ne pourrait devenir qu’une sorte de prolongement de la puissance russe, tandis que la Serbie, plus voisine de l’Autriche et de la Hongrie, en rapports plus étroits avec elles, ne saurait manquer de rester dans la mouvance de l’Empire des Habsbourg. « Je suis Russe à Sofia, Autrichien à Belgrade, » disait Bismarck. Les petits États, trop faibles pour se défendre eux-mêmes contre un retour offensif du Turc, seraient condamnés à rester en lu telle, à ne vivre que par la grâce de l’Europe et dans la mesure où elle leur en laisserait la faculté. Les Anglais appréhendaient que la Bulgarie ne devînt un avant-poste russe vers Constantinople, et ils avaient exigé le dépècement en trois morceaux de la Grande-Bulgarie de San Stefano ; les Allemands au contraire espéraient que la Serbie serait une étape sur la route du Drang nach Osten vers la mer Egée ; mais ni les uns ni les autres, ni ceux qui l’auraient redouté, ni ceux qui auraient pu le souhaiter, n’imaginaient pour la Bulgarie ou pour la Serbie un destin autonome et un avenir indépendant.

On eut bientôt l’occasion de regretter que la préoccupation exclusive d’un équilibre européen fondé sur l’équivalence des satisfactions accordées aux grandes puissances, ait fait oublier que le seul ordre durable est celui qui s’appuie sur les vœux des populations et sur leurs affinités réciproques ; cette émancipation incomplète des nationalités balkaniques, qui ne les soustrayait au joug turc que pour les mettre sous la férule européenne, devait fatalement engendrer de prochaines complications : les États inachevés que l’on créait dans la péninsule devaient tendre à s’agglutiner les élémens qui avaient avec eux une parenté de race ou une communauté d’histoire. Si la Russie et l’Autriche avaient compté sur le sentiment de la reconnaissance pour maintenir dans l’orbite de leur influence les petits États balkaniques, elles avaient fait un faux calcul : pour les peuples comme pour les individus, la reconnaissance ne vaut que par la spontanéité, mais dès que le bienfaiteur prétend l’imposer, dès qu’il réclame ses honoraires, même légitimes, il ne récolte que de l’ingratitude. Dans l’émancipation des chrétientés balkaniques, au XIXe siècle, la pression de l’opinion publique, en Russie notamment, ou les sentimens généreux d’un souverain comme Alexandre II ont eu leur part, mais « les intérêts des princes, » comme on disait au XVIIe siècle, sont toujours restés l’élément déterminant et directeur. Les nations des Balkans ont su garder, pour les services réellement rendus, la gratitude qui convient, et, quelles que soient les querelles des gouvernemens, le souvenir des fraternités d’armes, de sang et de religion subsiste très vivace et crée, par-dessus les ministres et les diplomates, une solidarité réelle des peuples. Mais il était inévitable que ces jeunes États travaillassent à l’achèvement de leur indépendance avec une énergie redoublée par les efforts mêmes que l’on multipliait pour les retenir dans les liens d’une demi-vassalité ; une évolution naturelle les entraînait à affirmer leur personnalité et à s’agréger les élémens de même race et de même sang : cette double tendance régit l’histoire de la péninsule des Balkans depuis le traité de Berlin. Le principe des nationalités, issu de la Révolution française, est loin d’avoir épuisé, en Orient, toute sa force libératrice, toute sa puissance de résurrection. De Vienne au Bosphore, l’Europe est encore inachevée ; elle est en travail d’une Europe nouvelle. D’une part, les nationalités tendent à s’agglomérer pour constituer des unités fortes, et, d’autre part, les grandes puissances, dans leur lutte pour la prépondérance, ont pris la péninsule pour champ clos, et l’antagonisme de leurs ambitions intervient dans le lent travail des populations, tantôt pour l’accélérer, tantôt pour le contrarier. On sait comment, moins de dix ans après la guerre de 1878 et le Congrès de Berlin, la Bulgarie, du même coup, s’annexait la Roumélie orientale et s’affranchissait de la protection russe. Ces derniers mois nous ont permis d’assister, en Serbie, à une évolution de même nature : sous les dehors d’un conflit économique avec l’Autriche-Hongrie, c’est en réalité une lutte politique qui s’est déroulée devant nous. Le roi Pierre et ses ministres viennent d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’émancipation des peuples slaves des Balkans. C’est sous cet aspect qu’il convient de regarder, pour en bien comprendre la signification, le conflit austro-sorbe, dont nous voudrions ici retracer les grandes phases.


I

Ce n’est point assez, pour qu’un État vive, d’inscrire son existence dans les traités ; il faut encore que sa constitution organique et sa situation dans le monde lui permettent de respirer, de se défendre, de se développer. Le congrès de Berlin, en taillant le royaume de Serbie, tel qu’il est actuellement, l’a mal préparé au combat pour l’existence ; il n’est guère, en Europe, de configuration moins avantageuse. Nulle part l’État serbe ne s’approche de la mer ; pour entrer en contact avec le reste du globe, il a besoin d’emprunter le territoire de ses voisins. Du côté de l’Adriatique, aucune communication directe par chemin de fer, mais d’épais massifs de montagnes, l’Albanie sauvage, la Bosnie et l’Herzégovine occupées par les Autrichiens ; pour rejoindre le Monténégro, dont la population est serbe de race et de langage, il faut traverser, sans routes ni chemins de fer, l’ancien sandjak de Novi-Bazar où l’Autriche entretient trois garnisons. Du côté du Sud et de la mer Egée, une voie ferrée descend vers Salonique par Nisch et Uskub ; c’est le chemin le plus direct pour atteindre la mer ; mais la ligne est longue, elle traverse la Macédoine où la sécurité est mal assurée, et elle appartient, sur tout le territoire turc, à la Compagnie des chemins de fer orientaux dont les capitaux et l’administration sont autrichiens. À l’Est, le Danube, dont les traités ont fait une voie neutre et internationale, et les chemins de fer bulgares et roumains conduisent vers la Mer-Noire, mer lointaine et fermée à double tour par le Bosphore et les Dardanelles. Pas de limites naturelles ; une capitale, où le gouvernement siège à bonne portée de canon de la frontière ; un territoire qui est loin d’embrasser l’ensemble des pays peuplés de Serbes ; partout, sauf au Nord, des voisins moins riches ou aussi pauvres ; voilà quelques-unes des conditions défavorables qui ont rendu plus pénible et retardé le développement économique et politique de la Serbie.

Dans une telle situation, il paraissait naturel que la Serbie demandât à la monarchie austro-hongroise l’appui politique et le concours économique indispensables à son existence ; plus Danubienne que Balkanique, elle cherchait ses relations plutôt vers les États chrétiens du Nord que vers les plaines ravagées de la Macédoine turque ; elle trouvait dans les villes de l’Autriche et de la Hongrie un marché où vendre ses porcs, son bétail, son blé, ses volailles, mais elle payait ces avantages par une étroite dépendance vis-à-vis de Vienne et de Budapest. L’Autriche-Hongrie, avant le conflit actuel, accordait à ses produits agricoles des tarifs de faveur qui constituaient en fait, entre le grand empire et le petit royaume, une véritable union douanière qui, pour l’un, comportait des profits politiques, et, pour l’autre, des profits commerciaux. Presque toute la production serbe, 80 p. 100 du total des exportations, franchissait la frontière hongroise et trouvait, de l’autre côté du Danube et de la Save, une vente assurée et des prix rémunérateurs. À un tel régime, le royaume serbe gagnait la sécurité, indispensable aux premières années de sa vie autonome, mais il risquait de perdre le goût de l’effort et de s’endormir dans la routine. Bien qu’en menaçant de fermer la frontière aux porcs, qui sont le principal article de l’exportation serbe, le cabinet de Vienne était sûr d’arrêter net, à Belgrade, toute velléité d’émancipation politique ; pour réduire les Serbes à sa merci, l’Autriche n’avait pas besoin de mettre en mouvement ses bataillons, elle n’avait qu’à mobiliser ses vétérinaires : et, sous prétexte d’épizootie, à prohiber l’entrée des porcs et des bœufs. Ainsi tout acte, toute tendance politique contraire aux volontés du gouvernement de Vienne pouvait avoir pour répercussion immédiate des représailles économiques auxquelles la Serbie n’était pas en état de résister. La « guerre des porcs « était le moyen pratique dont se servait la politique autrichienne pour maintenir en tutelle le royaume des Obrenovitch ; elle ne permettait à la Serbie qu’une demi-autonomie, elle la considérait presque comme un pays vassal de la monarchie des Habsbourg. Tous les ressorts du gouvernement serbe étaient aux mains des agens autrichiens ; ses actes étaient directement suggérés par le Ballplatz. C’est l’Autriche qui, en 1885, poussa la Serbie à entreprendre cette guerre contre les Bulgares qui a créé entre les deux peuples un antagonisme si déplorable ; c’est elle aussi qui, après la défaite, arrêta les vainqueurs. Les rois ne régnaient, les ministres ne gouvernaient qu’avec la permission et selon les intérêts de l’Autriche ; par l’argent ou par la crainte, ses agens faisaient la loi aux partis politiques ; ils tenaient tous les fils du gouvernement ; ils avaient la main dans les intrigues qui mettaient aux prises les partisans des Obrenovitch et ceux des Karageorgevitch ; ils savaient adroitement tenir en bride les velléités d’indépendance de l’une des dynasties en la menaçant de l’autre, susciter les fils contre les pères, renverser les ministres ; les partis vaincus trouvaient en Autriche un secours, les rois détrônés un asile, les condamnés politiques un refuge : ainsi se prolongeait une anarchie qui paralysait le développement du pays, mais dont les intérêts autrichiens profitaient.

L’esprit souple et le caractère peu scrupuleux du roi Milan s’accommodaient sans répugnance d’une dépendance qui lui assurait à lui-même la joie de vivre et le plaisir de régner ; il se faisait volontiers le ministre des volontés du gouvernement austro-hongrois. Il paraît certain qu’une convention secrète fut signée en 1882 par laquelle l’Autriche-Hongrie lui garantissait son royaume et sa dynastie, et obtenait, en retour, pour ses troupes, l’autorisation d’emprunter le territoire serbe pour aller, si l’occasion s’en présentait, « remettre l’ordre » en Macédoine et à Salonique. Les velléités d’indépendance du jeune roi Alexandre ne furent étrangères ni au retour du roi Milan en 1898, ni à la tragédie du 11 juin 1903. Le roi Pierre Ier est monté sur le trône avec l’agrément et l’appui du gouvernement de Vienne, mais ce n’est pas sans intentions éventuelles que l’on élève, à Budapest, un fils adultérin du roi Milan, dernier rejeton connu de la tige des Obrenovitch,

Ainsi tous les ressorts de la vie politique, tous les organes de la vie nationale serbe semblaient destinés à rester toujours sous la dépendance étroite du gouvernement austro-hongrois. Les troupes serbes ne pouvaient songer à une lutte contre l’armée impériale qui, de tous côtés, enserre le royaume dans un immense réseau militaire : en Bosnie, en Herzégovine, dans le sandjak de Novi-Bazar, les Autrichiens ont des troupes ; dans le sandjak d’Uskub, ce sont les officiers autrichiens qui ont été chargés de la réorganisation de la gendarmerie turque ; un cercle de fer s’étend autour de la Serbie, sans qu’elle puisse compter sur l’appui d’aucun allié, surtout depuis que l’Extrême-Orient et les difficultés intérieures ont distrait l’attention de la Russie des événemens balkaniques. Il semblait donc que le petit royaume dût se résigner à subir la loi de son puissant voisin. L’expérience faite en 1896 avait paru concluante : des difficultés politiques ayant amené une rupture économique, le malaise fut bientôt si général en Serbie qu’il parut nécessaire de céder et d’obtenir la réouverture de la frontière au prix d’une amende honorable. Ainsi la question paraissait jugée et la Serbie semblait, par sa situation géographique et la nature de sa vie économique, condamnée à ne se développer que comme un satellite de l’Autriche et de la Hongrie et dans les limites seulement où il plairait à celles-ci de le lui permettre.


II

L’avènement du roi Pierre Ier malgré les graves difficultés inhérentes à son origine, a donné, au gouvernement et à la vie politique de la Serbie, une allure et un caractère nouveaux. La monarchie a cessé d’être personnelle pour devenir constitutionnelle. Le roi Milan et le roi Alexandre appelaient au ministère les hommes en qui ils avaient personnellement confiance, sans tenir compte de l’opinion publique ou de la majorité parlementaire. Le nouveau roi, lui, a cherché à s’appuyer réellement sur le pays et à gouverner en tenant compte de ses vœux. À la vérité, l’éducation politique d’un pays où la majorité de la population est illettrée ne saurait être encore très avancée, mais elle est en sensible progrès, et l’on est fondé à dire que la politique et les tendances du grand parti radical modéré, actuellement au pouvoir, répondent bien réellement au vœu de la majorité éclairée[1] du pays et que les doctrines et les procédés d’un gouvernement vraiment constitutionnel sont appliqués par le roi avec un souci méritoire de correction parlementaire.

L’ordre a été remis dans les finances, grâce à une économie sévère et à une surveillance constante de la bonne gestion des deniers publics. La prodigalité et le gaspillage, sous les rois Milan et Alexandre, conduisaient le pays droit à la banqueroute : de 1881 à 1895, l’État s’était endetté de plus de 362 millions de francs sur lesquels il n’avait effectivement touché que 260 millions ; on avait eu recours à des emprunts ruineux dont le taux réel dépassait parfois 20 pour 100 ; le grand emprunt de 1895, pour la conversion et l’unification de toute l’ancienne dette, dont le montant nominal était de 353 292 000 francs à 4 pour 100, l’ut émis au cours moyen de 69,57, ce qui portait à 5,78 pour 100 le taux réel de l’intérêt. En moyenne, on peut calculer que l’État serbe avait émis ses emprunts à un cours qui dépasse à peine 71 pour 100, ce qui, le taux de l’intérêt étant nominalement de 5 pour 100, donne un taux réel de plus de 7 pour 100. Le change atteignit, à certains momens, jusqu’à 16 pour 100. Une dette flottante très lourde pesait sur le crédit de l’État. Aujourd’hui, ces conditions se sont singulièrement améliorées. L’Administration autonome des monopoles, créée en 1895 pour gérer les revenus que l’État serbe affectait comme gage à son grand emprunt, a beaucoup contribué à rétablir l’ordre dans les finances ; le conseil d’administration des monopoles se compose de six personnes, dont quatre Serbes et deux étrangers désignés par les porteurs d’obligations : l’un d’eux est actuellement un Allemand, l’autre un inspecteur français des finances, M. Sallandrouze de Lamornaix, dont les Serbes se plaisent à reconnaître les éminens services. Cette administration a la haute main sur les monopoles du tabac, du sol, du pétrole, des allumettes, du papier à cigarettes, sur le timbre et la taxe de consommation ; les revenus nets des douanes sont versés dans ses caisses ; elle est chargée de faire le service des arrérages de la dette, et le surplus de ses recettes est versé au Trésor. Ces revenus, grâce à l’accroissement de la consommation et à une gestion prudente, sont passés, de 1896 à 1905 de 18 à 38 millions ; si bien que non seulement ils ont suffi à payer les annuités de l’emprunt de 1895, mais qu’ils ont pu servir à gager l’emprunt de 60 millions contracté en 1902 pour la consolidation de la dette flottante, et que c’est encore sur eux que va être gagé le nouvel emprunt que l’Etat serbe, ainsi que nous le verrons, est en train de conclure[2].

La dette totale de l’État serbe était au 1er janvier 1905 de 465 millions 666 339 francs, et l’annuité, nécessaire au service de cette dette, s’élevait à 23 605 600 francs ; les revenus de l’Etat se montant, pour 1905, à 88 millions, il en résulte que le service de la dette absorbe 27 pour 100 du total des revenus publics. Les deux derniers budgets se sont soldés par des excédens de recettes ; le crédit s’est amélioré, le change a disparu ; la stabilité relative du gouvernement, sa politique prudente ont donné confiance aux financiers. Après le court passage aux affaires du Cabinet formé par les « jeunes radicaux » et présidé par M. Lioubomir Stojanovitch, dont la bonne volonté inexpérimentée avait apporté quelque trouble dans les finances, le ministère présidé par M. Pachitch et où M. Patchou détient le portefeuille des Finances, s’est trouvé en mesure d’aborder, dans de meilleures conditions, la question du nouvel emprunt dont les besoins de l’armée et des travaux publics rendaient la conclusion nécessaire.

Stimulée par les pouvoirs publics et facilitée par une plus grande stabilité politique, la prospérité matérielle du pays est en voie d’accroissement rapide. Grâce au développement des coopératives rurales, qui remédient dans une certaine mesure aux inconvéniens d’une petite propriété très morcelée[3] et permettent d’introduire des perfectionnemens dans les procédés de culture et d’élevage, ce pays essentiellement agricole a vu s’accroître sa production. La surface cultivée en céréales, qui n’était que de 1 013 933 hectares en 4 900 était déjà de 1 216 107 hectares en 1904, sans compter les vignobles, jardins, vergers, prairies et pâturages. Les races d’animaux ont été améliorées par des croisemens et des sélections dont les heureux résultats se feront sentir de plus en plus dans la qualité des porcs, du bétail et des volailles. La sériciculture, qui existait à peine, il y a quelques années, exportait déjà, en 1904, plus de 56 000 kilogrammes de cocons de vers à soie. Partout l’intervention du gouvernement a entrepris l’éducation des paysans ; il faut une longue habitude de la sécurité pour développer, dans une race si longtemps opprimée, l’amour et le goût d’un travail dont les fruits, autrefois, lui échappaient presque toujours ; peu à peu le Serbe, naturellement peu laborieux, prend goût à l’économie et au travail, défriche les champs qu’il n’éprouvait pas le besoin de cultiver et regarde vers l’avenir avec le visage confiant d’un homme enfin sûr du lendemain. C’est au milieu de ce travail d’éducation et de progrès que la crise austro-serbe est venue mettre à l’épreuve la solidité des finances de la Serbie et l’énergie de ses gouvernans.


III

Le traité de commerce austro-serbe étant venu à échéance avec l’année 1905, M. Pachitch et ses collègues, depuis leur arrivée au pouvoir, se préoccupaient d’en préparer le renouvellement ; mais ils étaient résolus en même temps à affranchir leur pays, dans la césure où ils le pourraient, de la tutelle de l’Autriche et de la Hongrie. Politique « radicale, » en Serbie, signifie, à l’intérieur, gouvernement constitutionnel et relèvement économique, à l’extérieur indépendance vis-à-vis de Vienne et de Budapest, encouragemens à tous les Serbes qui vivent hors du royaume, tendance à un rapprochement entre tous les pays de langue et de race slave. Discrètement, au cours de l’année dernière, commença une campagne diplomatique destinée à chercher en Europe des appuis pour échapper à l’étreinte économique et politique du voisin austro-hongrois.

C’est à Sofia, d’abord, que les hommes d’Etat de Belgrade trouvèrent de l’écho et, en décembre 1903, l’Europe apprenait que le principe d’une union douanière entre la Bulgarie et la Serbie venait d’être arrêté d’un commun accord : la nouvelle n’était pas faite pour plaire en Autriche. La formation d’une alliance intime entre les trois États slaves des Balkans : Bulgarie, Serbie, Monténégro, serait mal vue à Vienne parce qu’elle créerait, au Sud-du Danube et de la Save, une masse capable de faire contrepoids à l’influence autrichienne dans les Balkans et obstacle à la poussée germanique vers la mer Égée. À cette manifestation d’entente slave, l’Autriche riposta par une note où elle se déclarait résolue à ne pas renouveler le traité de commerce et à fermer sa frontière aux produits serbes si l’union douanière avec la Bulgarie devenait un fait accompli. M. Pachitch répondit avec le calme, la déférence et la fermeté d’un homme décidé à rester conciliant jusqu’au bout, mais sûr de son droit et résolu à le défendre. Au Ballplatz, on pensa que cette attitude méritait une leçon. En juin, la rupture économique était consommée, la frontière fermée au bétail et aux denrées agricoles serbes ; toutefois, les négociations pour le renouvellement du traité de commerce n’étaient pas rompues ; on les laissait traîner en longueur et l’on attendait avec confiance l’heure où la mévente du bétail, des porcs et des blés ramènerait la Serbie pénitente à une plus juste appréciation de sa situation vis-à-vis de l’Autriche-Hongrie et l’obligerait, pour obtenir le traité de commerce, à s’adresser à l’industrie et aux banques autrichiennes pour les commandes d’artillerie et pour la conclusion de l’emprunt qu’elle projetait de faire. En même temps des mouvemens de troupes s’opéraient sur les confins de la Serbie, le long du Danube et de la Save, et en Bosnie ; à Belgrade, les bruits les plus alarmans circulaient ; on redoutait même une occupation militaire de la ville : les pires hypothèses trouvaient créance dans l’opinion publique. M. Pachitch, cependant, ne s’en montrait pas intimidé ; décidé à ne pas céder, il cherchait à mettre dans son jeu des amitiés utiles et à nouer des relations commerciales qui lui permissent de trouver un débouché pour l’exportation serbe.

Le ministre du Commerce, M. Constantin Stojanovitch, fit étudier avec soin la situation économique ; il constata d’abord que près de la moitié des marchandises et du bétail vivant qui franchissaient la frontière n’était pas consommée en Autriche ou en Hongrie, mais bien réexpédiée sur d’autres marchés[4]. Rien n’empêchait de faire parvenir directement, sans passer par le territoire austro-hongrois, ces articles dans les pays de consommation. En même temps, — et c’était le plus difficile, — il fallait chercher un moyen d’assurer l’écoulement des marchandises qui trouvaient d’ordinaire un marché avantageux en Hongrie et en Autriche ; il s’agissait de trouver où vendre, et bien vendre, les 130 000 porcs, les 60 000 têtes de gros bétail, les deux millions de kilogrammes de volailles, dont l’époque d’engraissement arrivait, et qui ne pouvaient attendre, sous peine de ruine pour les paysans serbes dont ces divers élevages constituent le principal revenu. Un crédit de 500 000 francs fut voté pour la recherche et l’étude de débouchés nouveaux : une mission d’études, dirigée par M. Michel Popovitch, fut envoyée dans les ports de la Méditerranée, en Égypte où le développement de la culture du coton, en restreignant l’élevage du bétail, rend nécessaire une importation considérable de viande, à Malte où la garnison anglaise consomme beaucoup de beefsteaks, à Gênes, à Marseille ; partout elle trouva bon accueil, conclut des affaires, amorça de nouveaux courans commerciaux. La saison venue, les exportations purent se faire normalement. Par le Danube, voie internationale et neutre en vertu des traités, les marchandises serbes remontèrent jusqu’à Ratisbonne pour se répandre en Allemagne, ou descendirent vers Galatz et Braïla pour être embarquées sur la Mer-Noire ; le gouvernement bulgare accorda sur ses chemins de fer un tarif réduit pour les transports vers Varna ; sur les voies serbes une réduction de 50 pour 100 fut concédée pour les céréales et de 20 p. 100 pour le bétail vivant ; à qui voudrait expédier des porcs vivans de toutes les gares serbes à Belgrade une diminution de 50 pour 100 fut accordée, à la condition que les porcs abattus seraient exportés ; vers Salonique, enfin, les marchandises serbes trouvaient une voie de sortie par le réseau des chemins de fer orientaux.

Le marché austro-hongrois se trouvant fermé aux denrées serbes, l’occasion parut bonne à d’autres nations commerçantes pour profiter de la rupture et attirer chez elles une partie du commerce. Le Norddeutscher-Lloyd entra en pourparlers avec la Compagnie de navigation serbe pour attirer à Braïla, par le Danube, une partie des marchandises provenant du royaume ; mais, en général, les compagnies allemandes, pressenties, refusèrent, à l’instigation du gouvernement, de supplanter le commerce austro-hongrois pendant la période de rupture : le prince de Bülow trouvait l’occasion de rendre à l’Autriche l’appui qu’il avait reçu d’elle à la Conférence d’Algésiras, et il s’empressait de la saisir. La France n’avait pas les mêmes raisons de s’abstenir ; une attitude de bienveillance et.de sympathie vis-à-vis des petits États balkaniques a toujours été dans les traditions de sa politique ; elle pouvait, cette fois, sur ce libre terrain d’une loyale concurrence économique, venir en aide à la Serbie sans compromettre les bonnes relations qu’elle entretient avec l’Autriche-Hongrie. Avec beaucoup d’à-propos, M. Georges Benoit, comme ministre de France à Belgrade, et M. Roger Clausse, comme chargé d’affaires, saisirent l’occasion de développer nos échanges et notre influence en Serbie ; une grande maison de Bordeaux, la maison Bigeon, conclut avec la « Société anonyme des abattoirs de Belgrade » un traité par lequel elle s’engage à acheter, par an, 160 000 porcs abattus, c’est-à-dire plus que la production annuelle de la Serbie qui n’a guère dépassé jusqu’à présent 150 000 têtes. Les installations de la Société des abattoirs de Belgrade, tout à fait perfectionnées, peuvent soutenir la comparaison avec les plus modernes établissemens d’Amérique ; de toutes les provinces de la Serbie, les troupeaux grognans des cochons velus comme des sangliers, s’acheminent vers l’immense hôtellerie de la mort ; ils y attendent, dans de vastes boxes, la visite du vétérinaire qui, enfonçant sa main dans leur gueule ouverte, au milieu de quels cris ! cherche, au fond de la gorge, les granulations caractéristiques de la maladie et sépare les animaux ladres de leurs congénères bien portans ; l’engraissement s’achève là, et le manque d’appétit est une condamnation à mort : dès que le porc manifeste moins d’empressement à manger, on le pousse dans le couloir ascendant au haut duquel un crochet l’enlève par une patte de derrière, tandis qu’un couteau lui ouvre la gorge ; fendus en deux, dépecés, salés dans des frigorifiques, les porcs sont mis en caisses et expédiés vers Varna ou Salonique, d’où ils viennent faire concurrence, en France et en Angleterre, aux lards et aux jambons américains. Moyennant la garantie d’une certaine quantité de fret annuel, la compagnie marseillaise Fraissinet s’est engagée à envoyer régulièrement ses navires à Braïla pour y prendre les marchandises serbes apportées par la Compagnie roumaine de navigation sur le Danube, à Varna et à Salonique, pour y charger les caisses de porc salé. Aujourd’hui, le courant est établi, les transports organisés : même si la frontière austro-hongroise venait à se rouvrir, une bonne partie des porcs serbes continuerait à être dirigée sur Marseille et Bordeaux et non plus sur Budapest.

L’été et l’automne sont maintenant passés et l’expérience est faite. Le paysan serbe a vendu ses porcs à un prix suffisamment rémunérateur (0 fr. 80 le kilogramme). Les pruneaux et marmelades de prunes ont été, comme auparavant, exportés sur l’Allemagne. Les blés, seigles, orges, avoines et maïs, qui ne passaient par la Hongrie que pour y être réexpédiés, ont été envoyés directement, par Varna, Braïla ou Salonique, à Anvers, à Rotterdam et dans les ports allemands. C’est pour le gros bétail vivant que la difficulté a été la plus grande : des envois ont été faits par bateaux sur l’Égypte, Malte, les ports de la Méditerranée, mais le transport de bétail vivant est toujours coûteux et comporte de sérieux aléas ; d’ailleurs, l’exportation du bétail serbe est très limitée ; les agriculteurs eux-mêmes demandent qu’elle soit restreinte pendant trois ou quatre ans et le gouvernement annonce l’intention de prohiber l’exportation des vaches et des animaux reproducteurs pour ne permettre que celle des bœufs dont le poids dépassera 1 000 kilogrammes par paire. Sans doute la crise n’est pas passée inaperçue et a causé des souffrances et des pertes : l’État, tout le premier, a dû dépenser une partie du fonds de 500 000 francs, voté pour la recherche des débouchés nouveaux, à payer aux exportateurs des primes destinées à leur permettre de parfaire, pour la satisfaction des paysans vendeurs de porcs, le prix de 0 fr. 80 le kilogramme que les cours normaux de la viande n’atteignaient pas toujours. Les plus mécontens sont les marchands en gros qui achetaient les porcs aux paysans pour les exporter à Budapest : les éleveurs amenant presque tous directement leurs bêtes aux abattoirs de Belgrade, l’intermédiaire s’est trouvé supprimé ; mais les paysans ont peu souffert de la crise ; les impôts sont rentrés normalement ; au 10 octobre dernier, les chiffres de l’exportation serbe, pour 1906, étaient déjà égaux à ceux de toute l’année 1905 ; enfin, la plus-value des monopoles qui avait atteint 12 millions et demi en 1905 et que l’on redoutait de voir baisser, s’est au contraire accrue et elle a atteint 14 millions et demi. Ainsi se trouve assuré, et au-delà, le gage de l’emprunt nouveau que l’État serbe va contracter.


IV

L’armée serbe est actuellement pourvue d’un canon de campagne système de Bange, modèle 1877 ; depuis 1903, le gouvernement serbe annonce l’intention de renouveler ce matériel pour adopter une pièce à tir rapide. Mais, en Europe, un petit nombre seulement d’établissemens sont outillés pour une telle fourniture : auquel la Serbie allait-elle s’adresser ? Les argumens techniques, dans un tel débat, n’entrent pas seuls en jeu, la politique y intervient ; il n’est pas toujours permis aux petits États d’acheter leurs canons, leurs fusils ou leur bateaux là où ils peuvent être le mieux servis : clientèle politique entraîne clientèle économique. Il n’est pas besoin de rappeler à quel point des établissemens comme ceux de Krupp sont ouvertement patronnés par l’Etat et par le souverain lui-même. Une importante commande d’artillerie n’apporte pas seulement un bénéfice considérable à l’usine qui la reçoit, elle constitue un avantage moral et matériel pour le pays auquel appartient l’usine ; elle est comme une consécration de la supériorité de son industrie ; aujourd’hui les rivalités nationales se manifestent, en temps de paix, par des rivalités industrielles et commerciales, et il arrive que les gouvernemens mettent en action toutes les ressources de leur diplomatie afin d’assurer la préférence à leurs nationaux. Une première commission serbe, composée de quatre officiers, partit donc, en août 1903, pour se rendre chez Krupp, à l’usine autrichienne Scoda (près de Pilsen en Bohême), chez Erhardt (à Düsseldorf) et au Creusot. Les conclusions des techniciens furent nettement favorables aux usines Schneider et, dès ce moment, le gouvernement serbe se serait conformé à leur avis, si Krupp et Scoda n’avaient lié partie pour organiser une campagne et assurer quand même aux usines allemandes la commande du gouvernement serbe. Rien ne serait curieux, pour pénétrer, dans sa réalité vivante, l’histoire de notre temps et en connaître les ressorts secrets, comme de suivre toutes les péripéties d’une grande affaire industrielle : malheureusement une telle histoire, difficile à connaître, est impossible à raconter. Campagne de presse, intimidation diplomatique, promesses et menaces, corruption, tout fut mis en œuvre pour retarder la commande, provoquer de nouvelles expériences et assurer la victoire finale de l’industrie allemande. Le Creusot, de son côté, ne négligea pas de défendre ses intérêts. Après de longues tergiversations, le gouvernement serbe finit, en août 1905, par demander de nouveaux essais au polygone et envoya, pour y assister, une commission de dix officiers. Les expériences eurent lieu, au Creusot, du 9 décembre au 14 janvier 1905 ; elles furent marquées par quelques incidens d’importance insignifiante, dus à des modifications récentes apportées à la pièce, mais qui permirent à quelques membres de la commission, et plus tard à l’opposition parlementaire, de se prononcer contre les canons Schneider, bien que les essais chez Krupp et surtout chez Scoda eussent été faits dans des conditions bien moins satisfaisantes. Au retour, les membres de la commission se partagèrent : qu’il nous suffise de dire que les spécialistes des questions d’artillerie furent précisément ceux qui se prononcèrent pour le canon Schneider et que les raisons alléguées par les autres n’appartenaient pas toujours à l’ordre technique. Les intrigues, à partir de ce moment, recommencent avec plus d’âpreté et plus d’acharnement. Les usines d’Essen avaient eu, depuis 1871, une sorte de monopole de fait pour la fourniture des canons aux gouverne- mens étrangers ; mais, en ces dernières années, les progrès de l’artillerie à tir rapide ont été tels, en France, que la Bulgarie, la première, rompant en visière à l’opinion courante, commanda tout son matériel de campagne au Creusot. Le Portugal, l’Espagne, ont depuis suivi son exemple : la Serbie, à son tour, allait-elle déserter les usines allemandes ?

La question devenait d’autant plus délicate qu’elle se liait étroitement à celle de l’emprunt et à celle du traité de commerce. L’Autriche, persuadée que la Serbie ne pourrait supporter longtemps la rupture des relations économiques avec elle et la fermeture de la frontière, faisait de la commande des canons à l’industrie autrichienne une condition de la reprise des négociations pour le traité de commerce. Mais, d’autre part, le gouvernement serbe ayant décidé de contracter un important emprunt, précisément pour payer les nouveaux canons et augmenter son réseau de chemins de fer, ne pouvait se passer ni du concours des financiers français, ni de celui du gouvernement de qui dépend l’admission à la cote de la Bourse de Paris. C’est sur le marché français que tous les emprunts serbes ont été émis et c’est là que, cette fois encore, le gouvernement du roi Pierre trouvait les conditions les plus avantageuses. L’emprunt 5 p. 100 de 1902 avait été émis, à Paris, par les banques, à 90 ; en 1905, les financiers offraient à M. Patchou de lui fournir 110 millions à 4 et demi pour 100, pris brut par les banques à 83,50 ; le premier cabinet Pachitch tomba précisément devant l’opposition faite à son projet, et il fut remplacé par un cabinet de « jeunes radicaux » ou « indépendans, » présidé par M. Lioubomir Stojanovitch ; le nouveau ministre des Finances négocia avec les banques autrichiennes un emprunt de 70 millions à 4 et demi , dans des conditions si désavantageuses qu’elles amenèrent la chute du Cabinet et le retour au pouvoir de M. Pachitch et des « vieux radicaux. » M. Patchou reprit aussitôt les pourparlers avec le groupe français ; mais les financiers mettaient comme condition à l’émission de l’emprunt que le gouvernement de Belgrade se serait au préalable mis d’accord avec celui de Paris pour l’admission du nouveau titre à la cote et pour les commandes à faire à l’industrie française.

M. Pachitch et ses collègues se trouvaient ainsi dans un étrange embarras. S’ils s’adressaient à la France pour la commande des canons, comme ils en avaient toujours manifesté l’intention[5], ils étaient assurés d’y trouver de bonnes conditions pour leur emprunt, mais ils risquaient de se heurter à une porte close, quand il s’agirait de reprendre les pourparlers pour le traité de commerce avec l’Autriche-Hongrie, et de perpétuer le conflit économique ; si, au contraire, ils accordaient la préférence aux usines allemandes, ils retombaient sous la tutelle dont ils avaient espéré s’affranchir. M. Pachitch eut le mérite de savoir prendre son parti et de s’y tenir. À la première note du cabinet de Vienne, nous avons vu qu’il avait eu l’art de répondre en affirmant la liberté, pour la Serbie, de choisir ses amitiés et de faire ses commandes et ses emprunts où bon lui semblerait. Au mois de septembre, le bruit courait à Belgrade que le comte Goluchowski préparait une nouvelle note pour couper court à toute négociation ; mais, à la suite, dit-on, d’un voyage à Vienne du ministre d’Autriche à Belgrade, ce fut au contraire une note de ton conciliant qui fut reçue, le 30 septembre, par le ministre des Affaires étrangères de Serbie. Le gouvernement de Vienne y demandait, pour reprendre les pourparlers sur le traité de commerce, non seulement la commande de l’artillerie de montagne (neuf batteries, avec un approvisionnement de 2 000 coups par pièce, soit une commande de 2 millions et demi de francs environ), mais encore la commande de tout le matériel accessoire de l’artillerie de campagne, caissons et muni lions ; il ne serait resté pour le Creusot que les tubes des canons, c’est-à-dire une commande insignifiante. Cette nouvelle communication, si grandes que fussent les exigences quelle formulait, ouvrait, du moins, la porte à des négociations ultérieures, puisqu’elle demandait que le cabinet de Belgrade y répondît par des propositions qui pussent servir de thème à la conversation. Très résolument, M. Pachitch rejeta ces nouvelles conditions ; il comprit que l’armée serbe ne verrait pas sans inquiétude ni mécontentement fabriquer ses munitions en Autriche et qu’en cédant sur la question des canons, il perdrait tout le bénéfice de la campagne diplomatique qu’il avait conduite. À la suite de nouvelles expériences, faites au Creusot au commencement du mois d’octobre dernier, la commande de quarante-sept batteries de campagne, avec leurs caissons et un approvisionnement de 2 000 coups par pièce, a été définitivement faite aux usines Schneider et Cie. En même temps, le gouvernement serbe poursuivait les pourparlers pour la conclusion de l’emprunt et entamait une négociation pour la conclusion d’un nouveau traité de commerce avec la France. M. Patchou, ministre des Finances, s’abouchait, à Genève, avec les représentans du groupe des banques françaises et de la banque franco-suisse, et la question de l’emprunt était définitivement réglée ; en décembre, la Skoupchtina, après de violens débats où l’opposition multiplia les réquisitoires les plus acerbes contre la politique de M. Pachitch, adopta, par 88 voix contre 55, le projet du gouvernement. L’emprunt de 95 millions à 4 et demi pour 100 va être émis prochainement à Paris ; il est pris, brut, par les banques, à 90 francs ; ce taux, qui constitue un très grand progrès sur les précédentes émissions, témoigne de la prospérité des finances serbes et de l’amélioration du crédit de l’État.

La rupture des relations commerciales avec l’Autriche laissait sans bases et sans règles nos relations commerciales avec la Serbie ; nos marchandises jouissaient, en effet, du traitement de la nation la plus favorisée auquel un traité de commerce apportait des modifications pour quelques articles. La nation la plus favorisée étant l’Autriche-Hongrie, l’état de guerre économique, entre elle et la Serbie, nous mettait dans la nécessité urgente de négocier un nouveau traité, d’autant plus que nos relations commerciales tendaient à se développer. La première réunion dos délégués chargés des négociations eut lieu le 1er octobre, le lendemain même du jour où était parvenue à Belgrade la note du cabinet de Vienne. Les négociations viennent d’aboutir et le traité est signé ; le gouvernement serbe nous accorde de sérieux avantages, notamment pour nos vins, nos soieries, nos articles de Paris ; des concessions réciproques permettront le développement des échanges entre les deux pays. La Serbie a déjà, en 1905, traité avec l’Allemagne ; elle vient de conclure avec la Roumanie, la Turquie, le Monténégro ; avec l’Italie, elle est sur le point d’aboutir ; avec la Russie et l’Angleterre les pourparlers sont poursuivis dans de bonnes conditions. Bientôt la Serbie se trouvera armée d’une série de traités de commerce qui lui assureront des marchés pour ses produits d’exportation. Reste l’Autriche-Hongrie. Entre Vienne et Belgrade la conversation continue ; des notes sont échangées à de longs intervalles, témoignant d’un égal souci de ne pas laisser tomber le fil, tout en ne se hâtant pas d’aboutir à une conclusion. Du côté serbe, on a pris d’abord toutes les mesures nécessaires pour démontrer à l’Autriche et à la Hongrie que, si l’on souhaite d’aboutir à une entente, on est prêt, aussi, comme on l’a déjà fait cette année, à s’en passer. Au printemps de 1906, M. Pachitch offrait au cabinet de Vienne de réserver à l’industrie autrichienne des commandes diverses pour un total de vingt-six millions de francs, à condition que la douane austro-hongroise laisserait pénétrer, avant la fin de l’année, 80 000 porcs et 40 000 bœufs ; cette condition n’ayant pas été remplie, M. Pachitch refuse maintenant d’accorder un privilège quelconque à l’industrie autrichienne. À Vienne, aujourd’hui que l’épreuve a montré que la résistance de la Serbie ne serait pas réduite par la seule fermeture de la frontière, on se montre plus traitable vis-à-vis d’elle. La Serbie n’a pas été seule à souffrir des effets du conflit économique : en Hongrie, en Autriche, en Allemagne, le prix de la viande a haussé ; l’absence du bétail serbe n’est, sans doute, que l’une des causes de ce renchérissement si impopulaire ; mais comme c’est l’une des plus palpables, c’est à celle-là surtout que le mécontentement public s’en est pris. Les journaux signalaient, il y a quelques semaines, l’entrée en fraude, sous les yeux, fermés par ordre supérieur, des douaniers hongrois, de plusieurs centaines de têtes de bétail serbe. Nous sommes loin aujourd’hui, on le voit, du ton et des exigences des notes autrichiennes de l’été dernier ; un ministre des Affaires étrangères a donné sa démission, et l’on peut prévoir qu’un accord interviendra entre les deux gouvernemens.

Ainsi, l’expérience est faite et elle a été, somme toute, favorable à la Serbie et à son gouvernement qui redoutaient une crise plus grave et qui n’osaient pas espérer sortir à si bon compte d’une épreuve si redoutable. Le ministère et le parti des vieux radicaux en ont été renforcés ; les « jeunes radicaux » ont violemment attaqué le cabinet sur sa politique financière et sur la question des canons ; mais ils se disent, eux aussi, partisans, d’une politique indépendante en face de l’Autriche-Hongrie. Seuls les « libéraux[6], » qui suivent M. Veljkovitch, ont fait entendre une note austrophile : sans doute, à leurs yeux, il serait souhaitable que la Serbie fût réellement en état de s’affranchir de la tutelle autrichienne, mais ils en ment la possibilité pratique ; il leur semble que les débouchés nouveaux, trop éloignés, ne sauraient, en aucun cas, remplacer le marché autrichien et hongrois ; ils insistent sur les difficultés du transport pour le bétail vivant, sur les frais que le gouvernement a dû faire pour conjurer artificiellement les effets de la mévente des porcs ; ils montrent le caractère provisoire et incertain des relations commerciales avec un pays aussi éloigné que la France, et ils concluent à la nécessité absolue d’une entente avec Vienne pour la conclusion d’un traité de commerce.

L’événement n’a pas donné raison à ces résignés et nul doute qu’eux-mêmes ne soient les premiers à s’en réjouir. L’expérience de 1906 a rendu aux Serbes le grand service de leur donner confiance en eux-mêmes, de les obliger à chercher des débouchés nouveaux pour leur commerce et des amitiés nouvelles pour leur politique ; ils ont eu l’occasion de s’apercevoir que les sympathies ne leur manqueraient pas, et ils ont pu prendre ainsi conscience du rôle que leur pays, si petit qu’il soit, peut jouer dans le monde balkanique et danubien, et la place qu’il peut tenir dans les combinaisons européennes. Ainsi l’Autriche, par ses exigences à l’égard de la Serbie, lui a, en définitive, rendu service.


V

Il serait sans doute exagéré de dire que le cabinet de Vienne, dans son conflit avec la Serbie, a subi un échec, — le mot ne serait pas de mise lorsqu’il s’agit d’une puissance comme l’Autriche-Hongrie en face d’un si faible adversaire, — mais il est certain qu’il a éprouvé une surprise. On a dû se rendre compte, en Autriche, que l’audace inattendue dont les Serbes ont fait preuve en tenant tête à leur redoutable voisin, ne leur a pas été inspirée seulement par l’amélioration de leur situation économique et financière, ni par le succès des mesures adroitement prises pour pallier les inconvéniens d’une rupture ; le patriotisme même le plus ardent, l’habileté même la plus subtile, ne suffiraient pas non plus à l’expliquer. Le cabinet Pachitch a été le bénéficiaire d’une situation générale qu’il n’a pas créée, mais dont il a su prendre conscience et tirer parti. Il a eu le mérite de sonder le terrain, et, l’ayant trouvé solide, d’oser s’y aventurer.

Derrière les apparences bénignes d’un conflit douanier, les puissances européennes, et, parmi elles, l’Angleterre et la France, n’ont pas tardé à s’apercevoir que des questions plus hautes étaient en jeu. L’indépendance, non seulement nominale, mais effective, des petits États balkaniques importe grandement à l’établissement d’un ordre durable dans les Balkans et par suite à l’équilibre et à la paix de l’Europe ; l’absorption des petits États par les grands amènerait la reconstitution, en Orient, d’une ou plusieurs de ces puissances démesurées dont l’existence est une menace pour la sécurité des autres. De même que l’Angleterre, en 1885, avait favorisé l’émancipation de la Bulgarie et son union avec la Roumélie avec l’espoir qu’elle deviendrait une barrière entre la Russie et le Bosphore, de même aussi, en 1906, l’Angleterre et, avec elle, la France et l’Italie, ont compris que l’existence d’une Serbie suffisamment indépendante et forte était une garantie de la stabilité politique de l’Orient et de l’Europe tout entière. L’Angleterre, depuis la tragédie de 1903, donnait à ces sentimens puritains dont l’opinion et la presse font volontiers parade quand l’intérêt britannique n’est pas engagé, la satisfaction de bouder le régime établi après le meurtre du roi Alexandre ; l’été dernier, cinq officiers, connus pour avoir participé à l’attentat, ayant été mis à la retraite, tout en conservant, d’ailleurs, leur influence et l’intégralité de leur traitement, le Foreign Office s’empressa de prendre prétexte de cette satisfaction pour rétablir ses relations diplomatiques avec Belgrade ; un ministre britannique, M. Whitehead, présenta au roi Pierre ses lettres de créance. — Depuis Trieste jusqu’à Salonique, l’Italie, dans la péninsule des Balkans, est en rivalité d’influence avec l’Autriche ; il est naturel qu’elle cherche à fortifier, en Serbie et au Monténégro, un élément slave capable d’opposer une digue à la marée montante du germanisme. La reine d’Italie est la fille du prince de Monténégro, la belle-sœur du roi Pierre Ier, et l’on parlait, tout récemment, d’un mariage entre un prince de la maison de Savoie et la princesse Hélène de Serbie : une telle union ne serait que la manifestation publique des bonnes relations qui existent entre Belgrade et le Quirinal, — Enfin nous avons vu comment le cabinet Pachitch a trouvé, en France, un utile concours pour exporter ses produits agricoles et sortir d’une crise pénible. Ces sympathies, qui venaient spontanément à la Serbie, lui apportaient non seulement un appui matériel, mais surtout un réconfort moral, au milieu des difficultés où elle se débat, et contribuaient à lui faire prendre conscience de la place qu’elle occupe, et surtout de celle qu’elle pourrait tenir, dans la politique danubienne et balkanique.

Autant qu’à leur puissance matérielle, la force des nations se mesure aux espérances qu’elles incarnent et aux revendications qu’elles personnifient : plus encore que de ce qu’elles sont, leur importance dans le monde est faite de ce qu’elles pourraient devenir. Dès qu’on a franchi le Danube et la Drave, on a l’impression de pénétrer dans une Europe qui n’a pas encore pris son assiette définitive ; on marche sur un terrain encore mouvant ; les nationalités semblent inachevées, les frontières provisoires, les États instables ; à chaque instant, des combinaisons nouvelles de peuples peuvent s’y former ; les États, créés sans souci des aspirations nationales, tendent, d’un effort continu, à briser les lisières dans lesquelles les diplomates européens ont prétendu ligotter leur essor, et à créer des unités plus puissantes, fondées sur une réalité ethnique ou historique et disposant par elles-mêmes de tous les moyens de vivre et de se développer. C’est (le cas de la Serbie. Sur la carte, le royaume de Serbie actuel est loin de recouvrir faire occupée par la race, la nationalité ou la langue serbe ; il ne coïncide pas non plus avec l’ancienne Serbie historique ; presque tous les pays qui entourent les frontières arbitraires que les traités lui ont données sont serbes comme lui. Le Monténégro est, autant que la Serbie, un État serbe. Entre le Danube et la Save, cette Syrmie dont on découvre, du haut de la forteresse de Belgrade, les vastes et riches plaines, et au Nord du Danube, plusieurs districts méridionaux de l’ancien banat de Temesvar sont habités par des populations serbes. Au Sud, la Vieille-Serbie, jusqu’au Char-Dagh, est peuplée de Serbes orthodoxes perpétuellement décimés par des Arnautes musulmans ; elle fait partie du vilayet turc de Kossovo. La Bosnie et l’Herzégovine , qui dépendent nominalement de l’Empire ottoman, mais que l’Autriche occupe et administre en vertu du traité de Berlin, sont peuplées de Serbes. Serbe encore, avec un mélange d’Arnautes, l’ancien sandjak de Novi-Bazar qu’administrent les Turcs, mais où les Autrichiens ont trois garnisons. Enfin, les Croates de Croatie qui forment un royaume rattaché à la couronne de Saint-Etienne, les Croates de Dalmatie, dont le pays est une province de la monarchie cisleithane, et les Slovènes eux-mêmes sont, sinon Serbes, du moins Slaves et proches parens des Serbes par la race et la langue. Tout cet ensemble de populations forme la famille des Slaves du Sud-Ouest ou Jougo-Slaves, actuellement émiettée en groupes distincts et parfois ennemis, mais qui tendent à chercher un centre de cristallisation et esquissent, à travers les frontières, des tentatives de rapprochement. L’art des politiques austro-hongrois consiste à entretenir les divisions et à rendre toute union impossible entre les diverses branches du grand tronc jougo-slave. Il y a des Serbes en Serbie, mais il y en a aussi en Hongrie, en Croatie, en Bosnie, en Turquie, au Monténégro ; il y a des Croates en Croatie, mais il y en a aussi en Dalmatie, en Bosnie, et jusqu’en Istrie. La Bosnie-Herzégovine, occupée par les Autrichiens, s’interpose entre la Serbie et les Croates ; le sandjak de Novi-Bazar sert de passage entre la Bosnie et la Macédoine et sépare les Serbes du Montenegro de ceux du royaume ; c’est le nœud politique et stratégique de toute la région ; par là passe la route des invasions, celle qui mène aux champs de Kossovo.

La Bosnie-Herzégovine compte 800 000 habitans orthodoxes, 600 000 musulmans, 300 000 catholiques : tous sont Slaves ; on peut même dire tous sont Serbes si l’on veut se souvenir que Serbes et Croates ne sont que deux rameaux de la même race. Ce sont en général les Croates qui sont catholiques et qui, par ce fait, sont moins rebelles à l’influence de Vienne ; ils peuplent surtout le coin nord-ouest de la Bosnie ; leur religion les attire du côté de l’Occident, tandis que les orthodoxes regardent plutôt vers Belgrade. Les musulmans eux-mêmes sont des Serbes, non pas seulement par leur origine, mais de leur propre aveu : ce sont en général les anciens seigneurs du pays qui, au moment de la conquête, sont passés à l’Islam pour garder leurs fiefs et leurs privilèges féodaux ; il s’est produit là un phénomène comparable à celui qui, dans certains pays de l’Occident, a, au XVIe siècle, incliné la noblesse vers la Réforme. Aujourd’hui ces musulmans restent plus attachés à l’Islam qu’à Constantinople ; beaucoup ne connaissent pas un mot de turc ; tout au plus savent-ils réciter la prière en mauvais arabe ; ils gardent leur situation sociale privilégiée, leurs titres, leurs tchifliks[7] et leurs prérogatives de beys ou d’agas ; mais ils se savent et se disent Slaves. Lors de l’insurrection de 1876, Serbes et Bosniaques se levèrent ensemble pour secouer le joug turc et proclamèrent leur volonté de s’unir tous en un seul État ; mais l’insurrection fut vaincue et réprimée avant que la guerre de 1878 eût affranchi les Balkans. Le traité de San Stefano, qui créait la Grande-Bulgarie, ne faisait rien pour la Bosnie, et c’est du côté du Sud, en Vieille-Serbie, qu’il agrandissait le royaume serbe ; il étendait le Monténégro du côté de la mer, mais il laissait subsister, par condescendance pour le cabinet de Vienne, une Bosnie -turque. Le traité de Berlin, en donnant à l’Autriche-Hongrie l’administration de cette même Bosnie et de l’Herzégovine, et en lui permettant de mettre des garnisons et d’avoir des routes militaires dans le sandjak de Novi-Bazar, trompa les espérances des patriotes Bosniaques et, du même coup, fit dévier la politique serbe en lui fermant le chemin de l’Est et en la séparant du Montenegro. Désormais, entre le royaume de Serbie et l’Adriatique, il y eut une ceinture continue de provinces gouvernées, administrées ou occupées par l’Autriche-Hongrie ; la politique de Vienne chercha à détourner l’activité serbe vers la Macédoine et la frontière bulgare : la guerre de 1883 sortit de là. Ainsi l’Autriche jetait la division parmi les Slaves du Sud pour mieux assurer parmi eux sa prépondérance ; en même temps, tout en administrant et en réorganisant la Bosnie-Herzégovine, elle travaillait à y implanter sa domination et à l’y rendre indestructible.

Il faudrait de longues pages pour étudier les procédés et les résultats de l’administration autrichienne dans les provinces que le traité de Berlin a confiées à ses soins ; sans nous en rapporter à de violens réquisitoires qui ont été écrits en ces derniers temps, il faut bien constater que le sentiment public, en Bosnie et en Herzégovine, est peu favorable à la domination autrichienne ; tout au moins ne saurait-on contester que la majorité serbe des habitans, — qu’elle soit orthodoxe ou musulmane, — répugne absolument à l’établissement d’une sujétion directe à l’Autriche. On l’a bien vu au cours de l’année 1906. Durant tout l’été dernier, le bruit courut et les journaux annoncèrent que l’empereur François-Joseph viendrait assister aux grandes manœuvres qui auraient lieu en Bosnie, et qu’à cette occasion il proclamerait l’annexion de la Bosnie et de l’Herzégovine à la monarchie cisleithane ou, tout au moins, que des pétitions en ce sens étaient préparées et lui seraient remises par des députations de la population catholique. Si peu vraisemblables que fussent de tels projets, ils trouvèrent créance en Bosnie, en Serbie et dans toute la presse européenne. L’occasion pouvait paraître tentante, au moment où la Russie était occupée chez elle et où l’Allemagne, par la bouche du prince de Bülow, avait, après la Conférence d’Algésiras, solennellement promis à son alliée de lui prêter, le cas échéant, un concours efficace. Quoi qu’il en soit, que l’on ait voulu ou non, à Vienne, faire une expérience, elle est faite, et elle est concluante. L’irritation de la population sorbe se manifesta d’une façon tellement significative qu’au dernier moment, l’Empereur averti, dit-on, que des manifestations peu sympathiques étaient préparées contre lui, renonça à son voyage et délégua à sa place l’archiduc héritier qui reçut pour instructions de se borner à un rôle strictement militaire.

Les incidens de cet été ont révélé le mécontentement sourd qui, depuis longtemps, grandit en Bosnie et en Herzégovine ; les Slaves de Bosnie et ceux de Serbie, luttant au même moment, pour la même cause, contre la prépondérance de Vienne, ont pris conscience plus que jamais de leur solidarité ; l’idée d’une union des peuples jougo-slaves contre la poussée du Nord a fait des progrès dans les esprits et a commencé de s’implanter dans les cœurs. Il n’est pas douteux que les agens secrets de la propagande serbe en aient profité pour redoubler leurs efforts et souffler la haine de l’Autriche dans tous les cœurs slaves[8]. « La Bosnie, c’est notre Alsace-Lorraine, » me disait dernièrement un Serbe : les Serbes de Bosnie ont lutté avec ceux du royaume dans les guerres de l’Indépendance, ils ont versé le même sang pour la même cause et ils ne veulent pas n’avoir échappé au joug des Turcs que pour tomber sous celui des Allemands ; ils revendiquent leur droit à la vie nationale et à la liberté. Indépendance, union avec la Serbie ou le Monténégro, fusion de tous les pays serbes, Grande-Croatie ou Grande-Serbie, la forme reste imprécise, mais le désir d’émancipation est certain. Du haut de son nid d’aigle de Cettigne, le prince de Monténégro, comme le roi de Serbie de son konak de Belgrade, surveillent et encouragent le mouvement : l’un et l’autre attend l’avenir de son pays et de sa dynastie d’une union de toutes les populations serbes, sinon en un seul État, du moins en un seul faisceau.

En Croatie, enfin, au cours de ces derniers mois, il s’est produit une évolution inattendue et caractéristique : nous n’en pouvons indiquer ici que les grandes lignes, mais du moins est-il indispensable de les indiquer. On sait comment une ère nouvelle de l’histoire de la Croatie date du Congrès de Fiume et de la Résolution qu’il a adoptée, le 3 octobre 1905, aux termes de laquelle un esprit d’entente et de concorde doit désormais présider aux relations entre la Hongrie et la Croatie[9]. En même temps que les rapports avec Vienne devenaient de plus en plus difficiles, on sentait, à Budapest, le besoin de se rapprocher d’Agram (Zagreb) et d’oublier les amers souvenirs de cette année 1849 où les Croates, conduits par leur ban Jelachitch, vinrent à la rescousse des Habsbourg et prirent à revers la Hongrie patriote. Les Slaves de Croatie, tenus en étroite lisière par leurs bans envoyés de Budapest, commencèrent à respirer et l’on vit, au printemps dernier, un fait jusqu’alors inouï : d’après les instructions de MM. Weckerlé et Kossuth, les élections se firent à peu près librement dans un grand nombre de circonscriptions et surtout dans les villes. Le résultat fut foudroyant : l’ancien parti de l’oppression ou parti Magyaron qui soutenait le ban Pejacevitch, se trouve réduit, dans la nouvelle diète d’Agram, à trente-quatre membres ; la majorité passe à une coalition de partis favorables, avec certaines nuances, à l’opinion résolutionniste, c’est-à-dire partisans de la politique définie dans la Résolution de Fiume. De Trieste et de Cattaro jusqu’au-delà du Danube, un immense cri de joie retentit : la Croatie fêtait sa délivrance ! À Belgrade, on partagea l’allégresse des frères slaves et, spontanément, des drapeaux parurent aux fenêtres. À ces nouvelles, un frémissement d’impatience passa sur les populations croates de Dalmatie et s’étendit jusque chez les Slovènes de Carniole et de Carinthie ; les uns comme les autres aspirent à plus d’autonomie et se demandent pourquoi le hasard des traités ou des partages les a rattachés à l’Autriche tandis que la grande masse des Croates constitue le royaume de Croatie-Slavonie, rattaché à la monarchie hongroise. Tout le groupe des Slaves du Sud est en effervescence ; des courans, encore parfois indécis sur leur direction, y agitent Ia masse populaire ; partout, depuis l’Isonzo jusqu’au-delà de Belgrade, on a l’impression que d’importans changemens se préparent et que l’aspect de l’Europe orientale va se transformer ; de Laibach aux défilés d’Orsova et de Cattaro à la Drave, une force nouvelle grandit et s’organise, force encore mal consciente d’elle-même, parfois même divisée contre elle-même, et que l’apathie naturelle aux Slaves rend malaisée à discipliner, mais avec qui il serait malavisé de ne pas compter.

On l’a compris à Budapest ; la coalition au pouvoir, si intransigeante qu’elle soit dans son nationalisme magyar, se rend compte que, si elle veut persévérer dans sa politique populaire de résistance au germanisme et d’autonomie, elle devra nécessairement rechercher les sympathies du groupe des Slaves du Sud ; elle s’est déjà résignée à une entente avec les Croates et elle n’est pas éloignée de s’apercevoir qu’un rapprochement avec la Serbie serait dans la logique de son programme. On le voit aussi à Vienne, et c’est précisément le conflit économique avec la Serbie qui a servi à dessiller les yeux. Ainsi, le conflit austro-serbe a pris une ampleur inattendue : commencé à propos de porcs, il a fini par mettre en jeu des peuples ; tout le problème des rapports de l’Autriche avec la Hongrie et avec les Slaves du Sud est venu tout d’un coup compliquer une lutte insignifiante en elle-même. L’intransigeance du Ballplatz risquait de réunir en un seul faisceau toutes les forces slaves que sa politique a toujours cherché à diviser. Le comte Goluchowski dut se retirer devant l’hostilité irréductible des Délégations hongroises et l’échec de sa politique balkanique. Il était curieux de suivre, à cette époque, à Budapest comme à Vienne, le revirement qui s’est produit, dans les journaux et dans l’opinion, depuis le printemps dernier ; naguère encore on réclamait une sévère leçon pour l’audace du petit peuple serbe ; on prend soin de marquer, aujourd’hui, dans les commentaires qu’a provoqués la retraite du comte Goluchowski, que son départ ne doit pas être seulement un changement de personne, mais un changement dans la politique slave et balkanique de l’Autriche-Hongrie, et l’on demande, — particulièrement à Budapest, — que des pourparlers concilians soient poursuivis avec la Serbie pour aboutir à une entente commerciale. On se plaît à espérer, à Belgrade, que l’entrée au ministère du baron d’Æhrenthal, qui passe pour jouir de la confiance de l’archiduc héritier et pour partager ses tendances, marquera ainsi le commencement d’une ère nouvelle, où le petit royaume, tout en gardant son indépendance pleine et effective, sera réconcilié avec le grand empire, et où les Slaves du Sud qui, dans le dualisme austro-hongrois, n’étaient rien, deviendront enfin quelque chose.


VI

Quoi qu’il en puisse résulter pour leurs propres intérêts, il faut bien que les grandes puissances en prennent leur parti : la politique balkanique, ce sont de plus en plus les États balkaniques qui la feront, à leurs risques et périls peut-être, mais aussi à leur profit. Ces nationalités, que l’Europe a réveillées sans les affranchir complètement, ne veulent plus, ne peuvent plus aujourd’hui servir de simple monnaie d’appoint dans les conventions entre les grandes puissances ; elles réclament leur droit à une existence autonome, à l’abri des combinaisons ambitieuses de leurs voisins. La Roumanie et la Bulgarie ont pu, non sans peine, faire accepter cette vérité à Saint-Pétersbourg ; la Serbie à son tour cherche à la faire agréer à Vienne et à Budapest. Et c’est, semble-t-il, la première leçon que l’Europe puisse tirer du conflit qui vient de mettre aux prises un petit État danubien et balkanique avec l’Empire des Habsbourg. Mais il en est une seconde qui est comme la contre-partie de la première.

Les petits États orientaux, qui aspirent à ne relever que d’eux-mêmes et à résoudre par leurs propres forces les questions qui les intéressent, devront aussi ne compter que sur eux-mêmes, et comme ni leur population, ni leurs armées ne sont assez nombreuses pour leur permettre de tenir tête isolément à l’agression d’une grande puissance, fût-ce même de la Turquie, il leur faudra de toute nécessité arriver à une entente entre eux. Ils n’y ont pas réussi jusqu’à présent ; il est vrai que parfois les grandes puissances se sont ingéniées à accroître les malentendus et à envenimer les jalousies. L’Autriche, depuis surtout qu’elle est en conflit avec la Serbie, prodigue à la Bulgarie les procédés les plus amicaux ; c’est ainsi que le baron d’Æhrenthal vient d’accorder au gouvernement de Sofia l’abolition des Capitulations auxquelles l’Autriche seule n’avait pas encore consenti à renoncer. C’est un brillant succès pour M. Stancioff, le nouveau et très distingué ministre des Affaires étrangères du prince Ferdinand, et les Bulgares apprécieront à sa valeur une telle concession ; mais ils s(mt trop avisés pour en être éblouis et pour oublier les raisons permanentes qui les incitent à une entente définitive avec les Serbes. Déjà, au printemps dernier, la Sobranié de Sofia a voté à l’unanimité la ratification de l’union douanière avec la Serbie ; le fait est caractéristique, il manifeste les tendances nouvelles qui l’emporteront sans doute, dans la péninsule, lorsque les nations balkaniques seront laissées libres de suivre leurs vrais intérêts et leurs penchans naturels. Les péripéties du conflit avec l’Autriche ont empêché les Serbes de ratifier, de leur côté, l’entente douanière ; mais l’histoire de cette année leur a trop bien appris combien ils ont besoin de ne pas rester isolés et de chercher un appui chez les autres peuples des Balkans, pour que la leçon puisse être perdue. Les intentions et les désirs du cabinet Pachitch et de la majorité de la Skoupchtina et du peuple serbe les portent à oublier certains souvenirs pénibles pour arriver à une entente avec la Bulgarie ; mais on doit comprendre, à Belgrade, la nécessité, vis-à-vis des Bulgares , d’éviter jusqu’aux apparences de procédés qui, dénaturés et exploités, — comme l’a été l’incident des décorations serbes données à des évêques grecs de Macédoine au moment où les bandes grecques exerçaient les pires violences sur les Bulgares en Macédoine et où les relations étaient rompues entre Athènes et Sofia, — risqueraient de retarder indéfiniment l’heure de l’entente. La Serbie ne saurait faire front de tous les côtés à la fois, et tout l’art de la politique consiste souvent à savoir choisir. Dans l’état actuel de l’Europe, il semble que ce soit vers le Danube et la Save, et surtout vers l’Adriatique, que la Serbie tende à orienter ses vues politiques et à porter toute son attention en prévision des événemens qu’elle y espère. Mais, par là, elle risque de se heurter aux intérêts autrichiens et, dès lors, elle a besoin d’une entente avec le Monténégro et surtout avec la Bulgarie dont elle serait bien avisée en ménageant les intérêts et les susceptibilités nationales en Macédoine.

La France, elle aussi, a un enseignement à tirer du conflit austro-serbe. Nous avons vu comment, sans compromettre nos bons rapports avec l’Autriche-Hongrie, nous avons pu, à la faveur des incidens de cette année, remporter pour notre industrie, nos finances et notre commerce, des avantages appréciables. La France n’a, dans les Balkans, aucune ambition particulière ; elle seule, peut-être, n’est pas suspecte, aux yeux des populations indigènes, qu’elles soient slaves, grecques ou roumaines, de rechercher des avantages territoriaux ; elle inspire confiance aux petits États, parce qu’elle est trop loin pour leur porter ombrage et parce qu’ils vénèrent en elle la grande nation émancipatrice. Il est bon qu’on le sache, chez nous : en Serbie, en Bulgarie, en Roumanie, au Monténégro, le Français est aimé, on parle sa langue, on admire sa civilisation, on recherche sa culture, on l’ait volontiers, quand il s’y prête, des affaires avec lui. À nous de profiter de ces bonnes dispositions, comme nous venons de le faire en Serbie, pour servir nos intérêts tout en travaillant à apaiser les discordes et à prévenir les conflits. En aidant, dans toute la mesure où nous le pouvons, au développement légitime des petits États danubiens et balkaniques, nous contribuons à fortifier, au Sud-Est des pays germaniques, l’utile contrepoids que jadis nos rois allaient chercher chez les Turcs ; nous préparons à nos capitaux, à nos ingénieurs, à nos commerçans, un riche terrain d’activité ; et enfin, à notre civilisation, à nos lettres, à nos arts, à nos idées, à notre langue, nous ouvrons un vaste champ d’expansion. N’y aurait-il pas là, en trois articles, le programme de toute une politique ?


René Pinon
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  1. Quarante pour cent des hommes sont exclus du droit de suffrage par le régime censitaire. Une disposition très curieuse de la Constitution est celle en vertu de laquelle, en tête de chaque liste de candidats, doivent se trouver au moins deux diplômés des Universités ; sans cette précaution, les paysans enverraient il la Skoupchtina une majorité de paysans illettrés : la Constitution assure ainsi sa part à « l’intelligence. » Les élections se font avec le système de la représentation proportionnelle ; pour empêcher l’émiettement des députés entre un trop grand nombre de groupes et faciliter la formation de grands partis de gouvernement, les voix données aux listes qui n’atteignent pas le quotient électoral nécessaire pour avoir un élu, sont reportées sur la liste la plus favorisée.
  2. Le montant du produit net des revenus gérés par l’Administration des monopoles, recettes des douanes comprises, a été le suivant :
    Années Francs
    1896 18 307 000
    1901 23 545 000
    1903 28 857 000
    1904 28 838 000
    1905 38 834 000

    Pendant la même période, le service des emprunts s’est élevé seulement de 16 751 000 francs en 1896 à 20 224 000 en 1905. L’excédent net reversé au trésor serbe a donc passé de 1 536 000 à 12 610 000 francs.

  3. RÉPARTITION DU SOL (STATISTIQUE DE 1897)
    Nombre de propriétaires. Etendue de la propriété. P. 100
    160 375 jusqu’à 5 hectares 54,65
    80 822 de 5 à 10 — 27,55
    40 782 de 10 à 20 — 13,87
    7 633 de 20 à 30 — 2,60
    2 138 de 30 à 40 — 0,73
    846 de 40 à 50 — 0,29
    345 de 50 à 60 — 0,12
    198 de 60 à 70 — 0,07
    99 de 70 à 80 — 0,03
    63 de 80 à 90 — 0,02
    37 de 90 à 100 — 0,01
    41 de 100 à 125 — 0,01
    17 de 125 à 150 — 0,005
    17 de 150 à 200 — 0,005
    2 de 200 à 250 — 0,001
    3 de 250 à 300 — 0,001
    3 plus de 300 — 0,001
  4. L’étude des deux tableaux ci-joints le montre très nettement et fait ressortir en même temps l’accroissement rapide de la proportion des denrées réexpédiées.
    ARTICLES LES PLUS IMPORTANS QUE L’AUTRICHE-HONGRIE IMPORTE EN QUALITÉ DE CONSOMMATEUR
    1903 « 1904 « 1905 «
    Quantité Valeur Francs Quantité Valeur Francs Quantité Valeur Francs
    Bœufs et taureaux Pièces 73 000 12 730 000 58 618 8 702 138 60 982 9 320 075
    Porcs gras et mi-gras Pièces 136 000 14 987 000 147 173 14 913 530 121 927 14 630 300
    Volailles vivantes Kilogr. 1882 000 1 726 000 2 091 890 1 731 937 1 804 809 1 413 511
    Fruits naturels Kilogr. 10 322 000 1 066 000 28 797 183 1 479 000 43 704 737 1 988 849
    Total 30 509 000 26 829 605 27 382 735
    ARTICLES LES PLUS IMPORTANS QUE L’AUTRICHE-HONGRIE IMPORTE EN QUALITÉ D’INTERMÉDIAIRE POUR LES EXPORTER AILLEURS
    1903 « 1904 « 1905 «
    Quantité Kilogr. Valeur Francs Quantité Kilogr. Valeur Francs Quantité Kilogr. Valeur Francs
    1. Viande fraîche ou salée 3 919 000 3 117 000 2 944 292 1745 801 3 615 118 2 892 095
    2. Volaille abattue 1 044 000 184 000 621 122 314 683 206 955 165 415
    3. Blé 50 090 000 5 766 000 83 185 396 12 772 147 43 146 686 11 659 089
    4. Seigle 1 131 000 351 000 2 359 039 215 419 4 363 020 418 218
    5. Orge 12 125 000 1 007 000 9 038 593 900 602 17 588 577 1 846 757
    6. Avoine 6 548 000 557 000 7 584 479 621 716 5 129 713 607 234
    7. Maïs 4 348 000 388 000 3 306 131 291 895 20 176 279 1 933 590
    8. Prunes 15 663 000 5 014 000 10 502 388 6 274 544 37 615 986 8 556 341
    9. Marmelade de prunes 6 914 000 1 980 000 15 180 235 3 070 078 16 450 919 3 526 365
    Total 19 227 000 26 209 884 31 635 141
  5. Voyez, sur ce point, les documens publiés dans le Livre bleu serbe : Correspondance diplomatique concernant les négociations pour la conclusion d’un traité de commerce avec l’Autriche-Hongrie du 3-16 mars au 24 juin 1906.
  6. On se tromperait complètement si l’on attribuait à ces dénominations un sens analogue à celui qu’elles ont en France. La répartition numérique des partis à la Skoupchtina est celle-ci : radicaux 90, jeunes radicaux 48, libéraux 18, progressistes 3, socialiste 1.
  7. Sorte de fief ou de propriété seigneuriale.
  8. « En Serbie, ce sont des courans populaires qui sont excités contre l’Autriche-Hongrie et l’on n’a pas pu se dissimuler que des tentatives ont été faites pour nouer en Bosnie des relations avec les élémens mécontens et les exciter. Deux expulsions ont été faites… » (Le baron d’Æhrenthal aux Délégations hongroises, le 11 décembre 1906.)
  9. 45 députes, tous Croates, de Croatie, de Dalmatie et d’Istrie, se sont réunis en congrès à Fiume ; 32 d’entre eux ont voté une sorte de manifeste où ils se déclarent prêts à appuyer la coalition hongroise dans sa lutte » légitime » contre Vienne ; considérant non seulement les rapports historiques des deux peuples, mais surtout leur besoin commun de se défendre pour subsister, ils affirment que : « les députés Croates considèrent comme de leur devoir de lutter d’accord avec le peuple hongrois pour le triomphe de leur droit et de leurs libertés. » En échange de leur concours, les Croates demandent une révision du pacte (nagoda) qui les unit à la Hongrie, des réformes électorales, judiciaires, de presse, et la réunion de la Dalmatie au royaume de Croatie. Quelques jours après, le 17 octobre, les Serbes d’Autriche et de Croatie se réunissaient à leur tour à Zara et publiaient un manifeste favorable à la politique définie à Fiume. Depuis lors, la réconciliation des Serbes et des Croates a fait de nouveaux progrès auxquels le conflit austro-serbe n’a pas peu contribué. Des « résolutions » de Fiume et de Zara, il convient de rapprocher, entre autres, ces paroles de M. François Kossuth : « Nous désirons faire des Croates nos amis, et les Slaves seront nos collaborateurs et nos compagnons d’armes dans notre lutte nationale. » (Cité par M. René Henry, dans les Questions diplomatiques et coloniales du 16 novembre 1905.)