Le Comte d’Essex/Au lecteur

Le Comte d’Essex
Poèmes dramatiquesBordeletTome 5 (p. 443).


AU LECTEUR.



Il y a trente ou quarante ans que feu monsieur de la Calprenéde traita le sujet du comte d’Essex, & le traita avec beaucoup de succès. Ce que je me suis hazardé à faire après lui, semble n’avoir point déplu, & la matiere est si heureuse par la pitié qui en est inséparable, qu’elle n’a pas laissé examiner mes fautes avec toute la sévérité que j’avois à craindre. Il est certain que le comte d’Essex eut grande part aux bonnes graces d’Elizabeth. Il étoit naturellement ambitieux. Les services qu’il avoit rendus à l’Angleterre, lui enflerent le courage. Ses ennemis l’accuserent d’intelligence avec le comte de Tiron, que les rebelles d’Irlande avoient pris pour chefs. Les soupçons qu’on en eut lui firent ôter le commandement de l’armée. Ce changement le piqua. Il vint à Londres, révolta le peuple, fut pris, condamné ; & ayant toujours refusé de demander grace, il eut la tête coupée le 25 février 1601. Voilà ce que l’histoire m’a fourni. J’ai été surpris qu’on m’ait imputé de l’avoir falsifiée, parce que je ne me suis point servi de l’incident d’une bague qu’on prétend que la reine avoit donnée au comte d’Essex pour gage d’un pardon certain, quelque crime qu’il pût jamais commettre contre l’état ; mais je suis persuadé que cette bague est de l’invention de monsieur de la Calprenéde, du moins je n’en ai rien lû dans aucun historien. Camdenus qui a fait un gros volume de la seule vie d’Elizabeth, n’en parle point ; & c’est une particularité que je me serois crû en pouvoir de supprimer, quand même je l’aurois trouvée dans son histoire.