Le Comte Spéranski

Le Comte Spéranski
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 5 (p. 802-835).
LE
COMTE SPÉRANSKI

I. Dostopamiatnié Ludi rousskoi zemli (Hommes mémorables du pays russe), par M. Bantich-Kaminski ; 3 vol., Saint-Pétersbourg 1847. — II. Les Pèlerins russes à Jérusalem, par Mme la comtesse de Bagréef-Spéranski ; 2 vol. Bruxelles et Leipzig 1855.


La Russie a eu des princes de génie et des diplomates consommés ; a-t-elle eu de grands ministres ? C’est une question qui se présente à l’esprit au moment où la conclusion de la paix ouvre une carrière nouvelle à l’empire des tsars. Depuis que Pierre le Grand a créé la nation russe et lui a légué son ambition, les personnages qui ont continué son rôle se sont préoccupés avant tout des succès de la politique extérieure. L’administration de Catherine II et de Nicolas Ier
n’était guère inspirée que par des pensées de conquête. Alexandre II a manifesté le désir d’inaugurer pour ses états l’ère des travaux de la paix ; ce ne sont plus des conquérans ambitieux ni de subtils diplomates qu’il faut à la Russie, ce sont des ministres réformateurs. Développer l’industrie, défricher les steppes, civiliser les Tartares, tracer des routes, rapprocher les distances, établir une administration vigilante et intègre, tirer de ce vaste pays toutes les ressources qu’il contient, effacer les lois iniques et appeler à la dignité d’homme tant de citoyens déshérités, c’est là une partie du programme que doit se proposer le cabinet de Saint-Pétersbourg. Encore une fois, quelles traditions les serviteurs d’Alexandre II trouveront-ils dans leur histoire ? La Russie a-t-elle eu un Colbert, un Turgot, un Robert Peel ? A-t-elle eu du moins des hommes qui eussent pu aspirer à suivre ces grands modèles ? Si elle en a produit, quel a été le prix de leurs efforts ?

Quand on parcourt les annales de la Russie depuis Pierre le Grand, quand on étudie les règnes de Pierre II, d’Anna Ivanovna, d’Elisabeth, de Pierre III, de Catherine II, de Paul Ier, on cherche en vain un personnage que l’on puisse ranger parmi les hommes d’état dignes de ce nom. Des serviteurs habiles, d’ambitieux aventuriers, des courtisans, des favoris, la cour des tsars en est pleine ; un homme d’état, il n’y en a point. Comment un ministre songerait-il à réformer la chose publique, quand il s’agit avant tout de se maintenir au pouvoir en déjouant sans cesse des intrigues de palais ? Vous trouverez bien dans l’histoire des Moscovites un homme de guerre comme le maréchal de Munich, un courtisan comme Menchikof, un politique comme Biren ou Ostermann, sans compter le troupeau des rois de l’alcôve : n’y cherchez pas un homme de la race de Colbert.

C’est seulement à la fin du XVIIIe siècle et au commencement du XIXe que les conseillers sérieux eurent occasion de se révéler. Lorsqu’Alexandre monta sur le trône, la carrière ne fut plus aussi rigoureusement fermée aux innovations salutaires. On sait combien le fils de Paul Ier était prompt à l’enthousiasme ; il fut possible dès-lors à maint esprit d’élite de séduire le monarque et de l’intéresser à de grands desseins. N’était-ce pas l’époque où la révolution française venait de renouveler le monde ? Ses adversaires mêmes n’avaient-ils pas été obligés de lui faire des emprunts ? Catherine II avait eu beau abandonner après 1792 le patronage qu’elle exerçait depuis vingt ans sur la philosophie européenne : ce n’était pas en vain que Voltaire, Diderot, d’Alembert, Beaumarchais, avaient propagé les idées de la France au sein de l’aristocratie moscovite. Figaro en 1784 s’était produit devant le fils de Catherine II, voyageant à Paris sous le nom de comte du Nord, et le comte du Nord avait applaudi à ses définitions de la noblesse, de la politique et de la liberté de la presse[1]. Je sais bien que certains monarques approuvent volontiers dans un état voisin les hardiesses d’esprit qu’ils goûteraient médiocrement chez eux ; il est avéré cependant qu’il existait à Saint-Pétersbourg une tradition libérale, et qu’unie à une sorte de mysticisme chevaleresque, elle se manifesta sous Alexandre. S’il a été permis à un ministre russe de regarder comme possible la réforme de l’état, c’est dans cette période que nous le trouverons ; mais que d’obstacles encore se dresseront sur sa route ! Le cœur d’Alexandre est généreux, sa volonté est faible. Il rêvera le bien et n’osera l’accomplir ; il donnera et retirera sa faveur avec une promptitude effrayante. Entouré de conseillers qui se défendent eux-mêmes en défendant les injustices sociales, il sera la dupe de l’intrigue et de la calomnie. Malheur au sage qui se sera enthousiasmé avec lui pour la régénération de l’empire ! A la première nouvelle des hardies mesures de Turgot en 1775, Voltaire s’effraie pour son illustre ami :

Quel Hercule, disais-je, a fait ce grand ouvrage ?
Quel dieu vous a sauvés ? — On répond : C’est un sage.
Un sage ! Ah ! juste ciel ! à ce nom je frémis.
Un sage ! il est perdu : c’en est fait, mes amis.

Nous pouvons répéter aussi ce cri d’alarme, car le voici qui se lève en Russie, tout seul contre une légion, ce sage, ce fou, ce téméraire ennemi de l’iniquité. Turgot n’écouta pas l’avertissement de Voltaire ; l’homme dont je parle ne l’aurait pas écouté davantage. Il est confiant, il met la main à l’œuvre, il brave tous les périls, et moins heureux que Turgot, ce n’est pas seulement par une retraite forcée qu’il sera récompensé de ses efforts. Dans un pays où le caprice du maître est la suprême loi, les humiliations les plus cruelles devaient succéder pour lui à une faveur inespérée.

Le comte Spéranski est-il donc un de ces génies privilégiés que l’histoire doit ranger parmi les réformateurs des états ? Ce serait fausser le sens des mots que de lui décerner ce titre, ce serait aussi méconnaître son temps et son pays. Le comte Spéranski a exercé ses talens dans un empire où il n’y a pas encore de place pour un tel rôle. Il y a deux classes très distinctes parmi les grands ministres ; ceux qui s’élèvent dans un gouvernement absolu ne ressemblent pas à ceux que produisent les pays libres. Ici, c’est William Pitt ou Robert Peel, c’est-à-dire des hommes qui, par la toute-puissance de l’action, par l’influence de la parole et des idées, font triompher des principes d’où dépend la régénération ou le salut du pays ; là, ce sont de puissans esprits, un Richelieu, un Colbert, un Oxenstiern, délégués non pas de la nation entière, mais d’une volonté unique, et qui, malgré la grandeur de leurs services, participent toujours au caractère et aux défauts de ce pouvoir absolu dont ils sont les agens. On peut appliquer à l’absolutisme ce que La Fontaine dit de la Fortune : il vend ce qu’on croit qu’il donne. Combien d’hommes, au moment où ils tiennent enfin ce pouvoir que leur abandonne le prince, ont sacrifié, pour arriver là, les meilleures inspirations de leur âme ! Ils les sacrifieront encore pour s’y maintenir. De là une différence essentielle entre ces deux catégories de ministres que je distinguais tout à l’heure ; si un homme d’état, au sein d’un peuple libre, ne réussit pas à faire triompher ses idées, il est responsable de sa défaite. Un ministre peut échouer sous une royauté absolue et trouver dans sa chute même les titres d’une grandeur nouvelle. Turgot reste deux ans au ministère et il y est chargé d’une tâche immense : il ne réussit pas, il n’est pas assez puissant pour dominer l’esprit du roi, pour briser la résistance de la cour, il disparaît de la scène ; mais les principes qu’il a proclamés ne s’évanouissent pas avec lui, des événemens terribles lui donnent raison, la révolution le justifie. Les hommes comme Robert Peel sont plus heureux, ils peuvent lutter et triompher ; Turgot tombe sans combattre et ne paraît pas moins grand.

Voilà deux classes de ministres dans l’histoire politique de l’Europe, et il est évident qu’un conseiller des tsars, si influent qu’on le suppose, ne peut appartenir ni à l’une ni à l’autre. Bien que la destinée du comte Spéranski offre quelque analogie avec celle de Turgot, on ne saurait dire que le malheureux ami d’Alexandre ait été le Turgot de la Russie. Turgot est ministre sous un gouvernement absolu, mais c’est un absolutisme tempéré par les mœurs, par la culture générale du pays, par une littérature généreuse et sensée qui est depuis plusieurs siècles une sorte de tribune nationale. En Russie, rien de pareil, point d’esprit public, point de mœurs libérales ; l’opinion, c’est-à-dire la conscience populaire, n’existe pas encore. La France avait conservé des institutions séculaires dont l’appui n’était pas toujours illusoire ; la Russie était la propriété d’un homme, et ne songeait même pas à s’en plaindre. Turgot voulait moraliser une société corrompue, relever une monarchie décrépite ; Spéranski, sans oser peut-être se l’avouer, avait l’ambition d’émanciper un peuple enfant, il prétendait lui apprendre ses droits et lui donner une âme. Qu’était-il pour une telle entreprise ? Où étaient ses ressources, ses moyens d’action ? Il fut quelques années le confident d’un prince enthousiaste ; il se fia à cette amitié, essaya d’opérer des réformes, souleva des haines, et, abandonné par le monarque en un moment de caprice et de peur, se vit exilé comme un ennemi de l’empire. Je ne dirai pas que ce fut un grand ministre dans un pays où un grand ministre est encore impossible ; mais ce fut un esprit généreux, un philosophe religieux et bienfaisant, un homme d’état libéral dans un pays où le libéralisme est une témérité.

La biographie du comte Spéranski ne nous fait pas seulement connaître une noble figure digne de sympathie et de respect, elle éclaire toute une partie de la société russe. Cet homme qui a rêvé pour tous ses compatriotes la protection du droit commun, et qui est frappé au mépris de toutes les lois, cet homme qui s’élance avec tant d’ardeur dans la carrière des réformes, et qui, après un châtiment inique, reprend sa tâche d’administrateur avec une si humble, une si parfaite soumission, ce sont là des contrastes qui en disent plus que tous les commentaires sur l’état moral du pays. On assure que la Russie a bien changé ; on prétend que les événemens récens, les résultats de la guerre, la nécessité de relever dans toutes les directions les forces de l’empire, ont ouvert le sage esprit du fils de Nicolas Ier à des pensées de réforme : le moment est donc opportun pour raconter l’histoire du comte Spéranski. Ce n’est pas un acte d’accusation, c’est un exemple et un conseil tiré des annales même du peuple russe. En rassemblant les faits, presque tous inconnus, de cette douloureuse histoire, en contrôlant les documens russes par les témoignages les plus sûrs, j’ai en vue la gloire d’un homme qui honore les annales des nations slaves. À Dieu ne plaise que ce tableau porte le découragement parmi les hommes qui en Russie pourraient aspirer au même rôle ! Je me promets un résultat tout contraire. La Russie doit admirer chez le comte Spéranski un dévouement inaltérable aux intérêts publics, et en voyant ce qu’il a fait à travers tant de difficultés et de malheurs, elle exigera beaucoup de ceux qui, placés dans des conditions propices et soutenus par un souverain éclairé, sont chargés aujourd’hui de renouveler les ressources de l’empire.


I

Aux premières années du règne de Catherine II, un humble prêtre de campagne appelé Gramatine venait de s’établir dans un petit village du gouvernement de Vladimir, l’une des provinces de la Russie centrale. On sait que, dans l’église grecque, les membres du clergé séculier sont tenus de contracter mariage avant de pouvoir être admis à recevoir le sacrement de l’ordination. Le pope de Tcherkoutino (c’est le nom du village) vivait avec sa femme dans sa modeste résidence, uniquement occupé des devoirs de son ministère. Cette union fut bénie ; le 1er janvier 1772, Dieu envoya au pope un fils qui devait s’élever par le travail aux plus hautes dignités de l’état. On l’appela Michel. Dirigé par une mère pieuse et dévouée, par un père d’un esprit ferme et droit, le jeune Michel Gramatine développa de bonne heure les dons de son heureuse nature, et quand il sortit du séminaire, à l’âge de douze ans, tous ses maîtres étaient émerveillés de sa précoce intelligence. Le jour où les enfans de la bourgeoisie viennent de traverser les premiers degrés de l’instruction, au moment de commencer des études plus sérieuses, un usage singulier, mais fort répandu en Russie, leur permet de prendre un nouveau nom. Quelquefois ce nom est symbolique, et ce sont les professeurs eux-mêmes qui en font choix ; alors c’est mieux qu’un nom, c’est un titre, et cette récompense morale, en même temps qu’elle résume le passé de l’enfant, contient un engagement pour l’avenir. C’est ce qui arriva pour le jeune fils du pope. Frappés de la vivacité de son esprit, de l’ingénuité et de la noblesse de son cœur, les maîtres de Michel Gramatine conçurent pour lui l’espoir d’une destinée peu commune ; ils voulurent que cette pensée fût sans cesse présente à l’esprit de leur élève, et le plaçant en quelque sorte sous l’invocation de l’espérance, ils lui donnèrent le nom de Spéranski.

Il y a à Saint-Pétersbourg un monastère célèbre, qui est en même temps un grand établissement d’instruction, une sorte d’université ecclésiastique : c’est le couvent de Saint-Alexandre Nevski. Ce monastère a été fondé par Pierre le Grand sur l’emplacement même où le prince Alexandre Nevski, que l’église grecque a élevé au rang de ses saints et que l’histoire russe compte parmi ses héros, remporta en 1239, sur les Suédois, les Danois et les chevaliers teutoniques, la mémorable victoire de la Neva. Transformé en université, le couvent de Saint-Alexandre s’ouvre tous les ans aux élèves les plus distingués des séminaires de l’empire. Le séminaire de Vladimir, en 1784, proposa comme candidat le jeune Michel, qui, accueilli après de brillans examens, se plaça tout d’abord au premier rang, et ne le quitta plus. Neuf ans après, à peine âgé de vingt et un ans, il passait des bancs des disciples dans la chaire du professeur, et devenait une des lumières de l’université. Il y enseignait à la fois les mathématiques, la physique et la littérature. Ses leçons sur l’éloquence, où l’exemple du maître complétait la théorie, attirèrent un public nombreux. Celui qui devait s’asseoir un jour dans les conseils du tsar débuta par les plus enivrans triomphes du professorat public. C’était chose nouvelle à Saint-Pétersbourg. Le jeune orateur du couvent de Saint-Alexandre inaugurait en Russie des habitudes et des succès littéraires qui rappelaient les grandes écoles de l’Allemagne et de la France. Sa belle figure, cette passion du bien et du vrai qui était l’âme de sa parole, tout, jusqu’à la mélodie d’un organe privilégié, ajoutait chez lui au prestige de la science. Recueilli par ses auditeurs, ce cours d’éloquence fut conservé comme un titre d’honneur dans les archives du couvent. On obtint bientôt la permission d’en prendre des copies ; les pages du jeune professeur devinrent un manuel qui réforma l’enseignement et donna une impulsion féconde à la littérature. Publiées en 1844 par un disciple fidèle, elles n’avaient rien perdu de leur éclat. Après un demi-siècle d’incontestables progrès, après un mouvement littéraire qui avait renouvelé la langue et la théorie de l’art oratoire, les leçons qui attiraient la foule sous Catherine II ont été accueillies de nos jours avec la même faveur.

Un grand seigneur passionné pour les lettres, le prince Alexis Kourakine, avait été un des auditeurs de Michel Spéranski ; il voulut l’attacher à sa personne comme secrétaire et lui confier l’éducation de son fils. Ce n’était pas chose facile. Sous Catherine encore plus qu’aujourd’hui, l’état ecclésiastique était impérieusement héréditaire ; les enfans des prêtres séculiers ne pouvaient renoncer au sacerdoce que pour faire leurs vœux dans un cloître. L’académie de Saint-Alexandre, à titre d’institution ecclésiastique, se trouvait placée sous la direction immédiate du saint-synode, et le saint-synode, gardien des droits et des privilèges de l’église, ne se dessaisissait pas volontiers de ses maîtres ni de ses disciples. Lui enlever Michel Spéranski, n’était-ce pas lui dérober un de ses trésors ? Le prince Kourakine était puissant, le synode comprit qu’il lutterait en vain contre un tel adversaire, et ce fut au jeune homme de décider lui-même. Aussi quelle diplomatie pour le retenir dans le cloître ! Il était déjà l’orgueil de la communauté ; les plus hautes dignités de l’église l’attendaient : que lui fallait-il pour devenir archimandrite, évêque, archevêque ? Encore quelques années de solitude claustrale, et il recueillerait le prix de son sacrifice. Exhortations pieuses, promesses de puissance et de gloire, souvenirs des traditions de famille, tout fut mis en œuvre auprès du jeune moine. Spéranski était une imagination ardente ; amoureux de la lumière, de l’action, il se sentait appelé sur un plus grand théâtre. Ici sans doute c’était le calme, l’étude paisible, une carrière marquée par des triomphes certains, là c’était la lutte, le danger, des écueils sans nombre ; mais aussi quelles occasions de jouer un rôle utile, un rôle glorieux peut-être dans les destinées de l’empire ! L’hésitation du moine ne fut pas longue. Affranchi de ses liens par le prince Kourakine, il quitta ce couvent, asile de sa studieuse jeunesse, et s’élança sans peur sur la scène qui lui réservait des triomphes si éclatans et de si douloureux revers.

Michel Spéranski avait environ vingt-quatre ans quand il sortit du cloître. J’ai dit que le prince Kourakine était un des personnages considérables de l’empire. Le jeune moine n’était entré à son service que pour entrer plus vite au service du gouvernement. Un an après, en 1797, nous le trouvons activement employé dans les affaires publiques ; le prince, qui, sous le titre de procureur-général, était préposé à l’administration de la justice[2], l’avait associé à ses travaux. L’ambition de Michel Spéranski était loyale et généreuse ; on ne surprend chez lui aucun de ces calculs diplomatiques sans lesquels on ne réussit guère dans le monde où il entrait. Sans nom, sans fortune, il aurait dû, en habile homme, ne songer qu’à son avancement. N’est-ce pas une faute grave, aux yeux de certains politiques que de se marier trop tôt, et surtout de se marier par amour ? Spéranski, malgré son ambition, était de ceux qui commettent naturellement ces fautes-là. Il voit un jour une jeune Anglaise dans un salon de Saint-Pétersbourg, et, ravi de sa beauté, il jure qu’elle sera sa femme. Mme de Staël, parlant de cette impétuosité de passions qu’elle a remarquée dans la société moscovite, dit énergiquement qu’un désir russe ferait sauter une ville ; la passion de Michel Spéranski eut ce caractère soudain et impérieux. La jeune fille qu’il avait choisie appartenait aux Planta de Reichenau, vieille famille patricienne du comté de Coire[3], dont une branche avait suivi en Angleterre la reine Charlotte, femme de George III, et s’y était naturalisée. Associée depuis longues années à la haute aristocratie d’Angleterre et d’Allemagne, la famille où il voulait entrer opposait plus d’un obstacle à ses vœux ; mais on ne résistait pas à la grâce de Michel Spéranski, à ce charme impérieusement doux qui, plus tard, subjugua tant de fois ses violens adversaires : le fils du pope de Tcherkoutino finit par triompher des préjugés de caste. Imaginez le roman le plus suave, un roman où une âme simple et ardente déploie naïvement ses trésors : ce sera son histoire pendant toute cette année. Sa carrière publique en profita ; quelle nouvelle ardeur au travail ! quel désir de gloire et d’honneurs ! Sa future compagne ne lui apportait pas la richesse, il fallut que le jeune collaborateur du prince Kourakine se créât maintes ressources. Il suffit à tout. Cette puissance de travail, qui a été dans la suite un des traits distinctifs du comte Spéranski, se développa au feu de la passion. On s’étonnera plus tard de le voir initié à tous les grands services de l’état ; c’est l’amour qui avait doublé l’énergie de son âme et donné à ses facultés ce remarquable essor. Levé chaque matin avant le jour, étudiant les lois, les finances, l’administration, saisissant tout avec promptitude, il savait bien qu’il se rendrait indispensable au milieu de ces brillans gentilshommes occupés surtout de leurs plaisirs. Enfin, après un an d’efforts, ses vœux furent comblés ; il épousa la belle jeune fille qui avait été, on peut le dire, l’inspiratrice de son génie. Heures charmantes ! heures trop rapides, hélas ! dans cette vie laborieuse I L’année suivante, Mme Spéranski lui était enlevée par la mort et ne lui laissait pour consolation qu’une fille au berceau. Cette passion si profonde grava dans son cœur une empreinte ineffaçable ; il en garda un culte chevaleresque pour les femmes, sans que jamais aucune considération de fortune, aucun calcul d’ambition politique ait pu ébranler sa fidélité à celle qu’il avait perdue. Seul avec sa fille, il reporte sur elle toute son affection ; privé de la compagne qui était la meilleure force de son âme, si la haine et la violence brisent un jour sa carrière, il n’aura d’autre soutien contre l’infortune que sa foi religieuse et son courage.

Spéranski demanda au travail les distractions dont sa douleur avait besoin. La piété du moine reparut chez l’homme public. Parti de si bas et déjà monté si haut, investi de la confiance des ministres, membre de maintes commissions où se débattaient les plus grands intérêts de l’empire, il se dévouait à sa tâche avec une sorte d’inspiration religieuse. Sa constante pensée était l’amélioration du sort de ses semblables. C’est pour répandre partout des semences de progrès qu’il multipliait son activité. Une commission instituée par Catherine II s’occupait à coordonner les lois de l’empire ; Spéranski prit part à ses travaux pendant les dernières années du règne de Paul Ier, et il y révéla dès-lors les principes qui devaient inspirer plus tard les créations de son âge mûr : dans cette reconstruction de l’unité législative, il employa tout son zèle à conserver autant que possible les libertés particulières des provinces. La Russie n’avait pas encore de législateur, mais elle avait trouvé enfin un jurisconsulte politique, et ce travail, après avoir honoré sa jeunesse, repris et agrandi à la fin de sa carrière, devait être le couronnement de sa vie.

Alexandre Paulovitch venait de monter sur le trône en 1801, on sait après quelle horrible tragédie. De pareilles catastrophes amènent toujours des perturbations profondes : ce fut toute une révolution dans les rangs du pouvoir. Spéranski et ses protecteurs se tinrent quelque temps à l’écart afin de voir quelle tournure prendraient les choses. Avec un empereur de vingt-cinq ans, inconnu encore à ses sujets et accusé de n’être pas resté étranger au meurtre de son père, cette abstention chez un homme tel que Spéranski n’était pas seulement un calcul de prudence personnelle. Toutefois il ne crut pas devoir renoncer aux affaires : il y avait en dehors de la politique bien des fonctions utiles à remplir. Nommé membre d’une commission qui était chargée de pourvoir aux approvisionnemens de Saint-Pétersbourg, il accepta cette tâche et prouva de nouveau les ressources multiples de son intelligence. L’ancien professeur du couvent de Saint-Alexandre était décidément au premier rang parmi les plus utiles ouvriers de la chose publique ; sa remarquable aptitude inspirait une confiance méritée. Quelques mois après, les premiers actes du gouvernement d’Alexandre ayant manifesté les généreuses intentions qui l’animaient, Spéranski n’eut plus aucun motif de demeurer à l’écart. Dès la fin de 1801, le prince de Troschtschinsky, ministre des affaires étrangères, l’appela comme directeur dans son administration. Il y avait beaucoup de confusion à cette époque dans les attributions des fonctionnaires supérieurs. Le jeune jurisconsulte, qui devait mettre fin à ce désordre, en profita d’abord pour porter son activité sur tous les points. On le verra passer d’un ministère à l’autre, et souvent garder une position active dans deux administrations différentes. Il avait su se rendre indispensable ; dès qu’une affaire grave se présentait, on avait recours à lui. À peine fut-il placé auprès du prince Troschtschinsky, que le comte Victor Kotschubey, ministre de l’intérieur, lui confia aussi une direction de son ministère ; en même temps il était appelé avec voix délibérative dans ce conseil de l’empire dont il allait bientôt régulariser et conduire les travaux. C’est ainsi que les ministres se disputaient sa collaboration avant qu’il les dominât tous du haut d’une position exceptionnelle.


II

Chargé simplement d’une direction ministérielle auprès du comte Kotschubey, M. Spéranski, en réalité, était déjà ministre dès 1801. Parfaitement initié à la situation de l’Europe, attentif à tous les progrès de l’administration en Angleterre et en France, il voulait que la Russie marchât de pair avec les puissances de l’Occident. C’était l’heure où le premier consul réorganisait la France, c’était le moment où Pitt faisait manœuvrer avec tant de vigueur et de gloire la constitution de la vieille Angleterre ; ces grands exemples excitèrent l’émulation de Spéranski. Il inaugura son œuvre de réforme par la réorganisation du ministère de l’intérieur, et tous les ministères de l’empire se réglèrent bientôt sur ce modèle. Il s’efforça de substituer partout le droit commun au privilège, la loi à l’arbitraire. Il voulait créer des serviteurs dévoués comme il l’était lui-même. Pour cela, il fallait que l’avancement fût régulier, que des récompenses certaines fussent assurées aux services rendus. L’amour de la justice anime toutes les mesures dont il a été le promoteur. Avide de lumière, il réforma aussi la langue de l’administration. Jusque-là, les actes des ministères étaient encore rédigés dans un jargon informe ; il donna l’exemple et imposa l’habitude d’un style net, précis, du vrai style des affaires. Il attachait un prix singulier à la forme, sachant bien que les injustices et les abus peuvent se dissimuler plus aisément sous la barbarie du langage. On affirme que ses rapports, ses circulaires, ses ordonnances, même dans les questions les plus simples, sont des modèles d’élégance et de clarté. Tel fut de 1801 à 1808 le rôle de Michel Spéranski. L’esprit généreux du tsar Alexandre était pour lui un stimulant continuel ; il savait que ses innovations les plus hardies ne seraient pas désavouées.

Cependant le réformateur n’avait pas encore eu de relations personnelles avec le souverain dont le caractère bien connu encourageait son zèle. C’est seulement en 1808 que Spéranski fut admis dans l’intimité d’Alexandre. Le comte Kotschubey venait de tomber subitement malade un jour qu’il devait travailler avec le tsar ; Spéranski le remplaça auprès du maître. L’extérieur du jeune fonctionnaire, sa physionomie sereine et expressive, le feu de sa parole, cette espèce d’exaltation religieuse qui soutenait chez lui l’ardeur de l’homme d’état, tout cela devait charmer un esprit aussi impressionnable que celui d’Alexandre. Les entrevues devinrent fréquentes, et l’attrait fut de part et d’autre irrésistible. Spéranski avait trouvé le souverain idéal que rêvait son imagination ; Alexandre avait trouvé son ministre. Spéranski ne fut pas un conseiller ordinaire ; une amitié cordiale d’un côté, respectueuse de l’autre, s’établit entre le tsar et son conseiller. L’intimité devint plus étroite de jour en jour. La confiance de Spéranski était sans bornes ; il s’y livra avec la chaleureuse expansion de son âme. Presque tous les jours le tsar et son conseiller passaient ensemble une partie de la soirée, et les plus graves sujets de la science politique alimentaient la causerie familière. Que de rêves ! que de plans merveilleux I On sait comment Mme de Krüdener, six ans plus tard, s’empara de l’imagination d’Alexandre ; qu’on se le figure dans la première ardeur de son règne auprès d’un homme qui n’est pas seulement un généreux illuminé, mais une intelligence rompue à la pratique des affaires !

La grande idée à laquelle ils revenaient sans cesse dans ces conversations enthousiastes, c’était la nécessité de fonder enfin une législation uniforme. Le tsar venait d’augmenter les attributions de son ami. Spéranski avait été adjoint comme collègue au ministre de la justice et nommé président de la commission qui devait terminer le code des lois impériales. Ce n’était pas tout cependant. À peine nommé président de la commission législative, un de ses premiers actes avait été de réorganiser le conseil de l’empire, d’imposer une règle sérieuse à ses travaux, et le tsar, pour le récompenser, l’avait installé auprès de ce conseil en qualité de secrétaire. Les fonctions étaient plus importantes que le titre ; l’influence du secrétaire était immense. Le conseil de l’empire, composé des ministres et des principaux directeurs des services publics, délibérait sur les questions d’administration générale ; le secrétaire, placé comme une sorte d’intermédiaire entre le souverain et le conseil, indiquait les matières à traiter, conduisait la discussion et la résumait dans un rapport au tsar. Malgré la supériorité de ce rôle, Spéranski était encore arrêté par maintes entraves ; les ministres, si empressés naguère à invoquer son concours, commençaient à deviner en lui un censeur incommode et contrariaient ses plans. Spéranski avait besoin d’une autorité plus haute. Le 30 août 1810, jour de la fête du tsar, Alexandre institua pour son ami des fonctions exceptionnelles : Spéranski devint secrétaire, non plus du conseil seulement, mais de l’empire. Qu’était-ce donc au fond que ce secrétaire de l’empire ? Un ministre suprême, chargé de remanier de fond en comble tout le système administratif. Spéranski avait été secrétaire du conseil de 1808 à 1810 ; du 30 août 1810 au 17 mars 1812, il fut secrétaire de l’empire. C’est la période de sa puissance.

Faut-il raconter en détail les réformes accomplies ou préparées par le secrétaire de l’empire ? Dirai-je à quels scandales il a mis fin dans l’administration des finances, comment il a fait disparaître le papier-monnaie, comment il a réglé la perception de l’impôt, comment il a soumis les fonctionnaires à un contrôle, trop souvent encore éludé, mais redoutable cependant, et qui a produit d’heureux effets ; comment enfin, ne pouvant affranchir les serfs, il a assuré du moins la condition des paysans libres ? Parlerai-je de sa réforme des universités, de son règlement des examens, des efforts qu’il a faits pour populariser l’instruction primaire ? Le montrerai-je à l’œuvre, payant de sa personne, surveillant l’exécution de ses arrêtés ? Ce récit exigerait un volume, car on apprécierait mal le rôle de Spéranski, si en face de ces innovations on n’indiquait pas quel avait été jusque-là le désordre des affaires administratives et civiles[4]. Sans entrer dans ce dédale, il suffit, je crois, de marquer avec précision les principes du réformateur. Il voulait surtout l’égalité devant la loi. Il la voulait sans doute autant que le comportaient les mœurs et les préjugés du pays, il n’essayait pas de lutter contre une aristocratie qui fait la loi au tsar lui-même ; mais dans les limites où cette égalité était possible, il s’y attachait résolument. La répartition proportionnelle de l’impôt était un principe qu’il avait emprunté à la société occidentale ; il rêvait aussi la destruction des privilèges dans l’admission aux emplois publics, et de là ce règlement des examens qui souleva tant de colères. Avant lui, le fils d’un prince ou d’un comte n’avait pas besoin de diplôme pour entrer dans un ministère et s’y préparer à d’importantes fonctions ; les arrêtés de Spéranski exigeaient ces diplômes, et le règlement des examens faisait en sorte que la garantie fût sérieuse. Ce fut là sa première attaque aux privilèges de l’aristocratie moscovite, en même temps que l’établissement d’un contrôle financier exaspérait des milliers de fonctionnaires.

Quand on parle d’un réformateur politique, quand on sait surtout que ce réformateur a été investi pendant dix-huit mois d’un pouvoir presque, dictatorial, on est exigeant avec lui. On lui demande pourquoi il n’a pas fait davantage ; on s’étonne que son œuvre n’ait pas eu une durée plus longue. C’est le sentiment que j’éprouvais en lisant la vie du confident d’Alexandre dans le récit trop bref d’un écrivain russe, M. Bantich-Kaminski. Rappelons-nous pourtant la situation ; cette espèce de dictature ministérielle accordée par le tsar à Spéranski rencontrait sans cesse des obstacles. Les deux plus grands, après la résistance de l’aristocratie, c’étaient les mœurs mêmes du pays et les caprices du tsar. Toutes ces réformes faisaient partie d’un système unique ; il fallait les publier ensemble après y avoir préparé les esprits. Le tsar approuva les plans de son confident ; mais, à la fois impatient et timide, il ne voulut ni différer l’exécution de certaines mesures ni promulguer du même coup le système tout entier. Grande faute assurément : il est des réformes qu’il ne faut pas exécuter à demi. L’aristocratie des vieux Russes apprit qu’on la craignait encore, et Alexandre, à partir de ce moment, fut trop souvent le jouet des intrigues de sa cour. Quant à Spéranski, s’il eût été moins aveuglé par sa confiance, il eût pu pressentir dès-lors quels dangers le menaçaient. Il comprenait mieux la faute commise par le tsar, lorsque, cinq ans plus tard, au milieu des tristesses de l’exil, il lui écrivait cette lettre si digne, où l’erreur du souverain est expliquée avec un singulier mélange de respect et d’ironie. « Asseoir l’autorité du gouvernement sur la base des institutions et des lois et lui assurer par là une dignité plus haute en même temps qu’une force plus solide, telle était l’inspiration de ce code, dit-il. Il eût été plus avantageux sans nul doute de faire paraître à la fois toutes les dispositions qu’il contenait après les avoir mûrement élaborées, après y avoir peu à peu préparé les intelligences. L’ensemble de l’édifice se serait découvert aux regards dans toute l’harmonie de ses proportions. Les diverses parties de cette vaste réforme étant étroitement liées les unes aux autres, l’unité s’établissait immédiatement ; aucun trouble, aucune incertitude dans les esprits, aucune confusion dans la marche des affaires. Votre majesté impériale ne redouta pas cette confusion et ces incertitudes. J’ose dire que deux craintes différentes dominaient votre pensée : d’un côté, la crainte d’accomplir trop tardivement les réformes que vous souhaitiez avec une si généreuse ardeur ; de l’autre, la crainte de tout bouleverser sur les données d’une théorie abstraite. Votre majesté aima mieux encourir le reproche d’avoir sacrifié la loi de l’unité. » Voilà bien en quelques mots le portrait du tsar Alexandre : enthousiasme et irrésolution, impétuosité et faiblesse. Il partait avant l’heure favorable, et de puériles alarmes l’arrêtaient au milieu de la route. Cette précipitation, ces demi-mesures, compromirent l’œuvre tout entière. Gênée par des rouages qui se contrariaient, la machine était à moitié paralysée d’avance, et les partisans de l’ancienne routine triomphaient de ces embarras. De bons esprits affirment cependant que, sous cette forme incomplète et mutilée, le système de Spéranski révèle encore un sage organisateur. Tout ce qu’il y a de mieux ordonné dans le conseil de l’empire, dans la comptabilité et le contrôle des ministères appartient à l’ami d’Alexandre.

Au moment même où s’élaboraient tous ces plans, de grands intérêts politiques enflammaient l’imagination du tsar. C’était en 1809. Alexandre et Napoléon avaient à Erfurt cette solennelle entrevue où se débattirent les destinées du monde. Spéranski accompagnait son maître. Occupé surtout de l’administration intérieure de l’empire, il ne remplissait auprès du tsar aucune fonction particulière, et cependant quelques lignes de Napoléon à Sainte-Hélène attestent que l’influence cachée d’un tel homme ne lui avait pas échappé. L’éloge que lui décerne l’empereur mérite d’être consigné : « C’était, dit-il, le personnage le plus intelligent et le plus probe de la cour de Russie. » Avait-il deviné les confidences que le tsar faisait à son ami ? savait-il que ce personnage si modeste, si prompt à s’effacer dans la foule, redevenait chaque soir un conseiller puissant ? Spéranski encourageait le tsar dans ses projets d’alliance avec Napoléon. On n’ignore pas à quel prix Alexandre avait mis son amitié, et quelles concessions il sut arracher à l’empereur : la Suède dépouillée de la Finlande, les provinces danubiennes enlevées à l’empire ottoman, la Pologne abandonnée, en un mot les meilleurs alliés de la France sacrifiés aux exigences et aux caresses de la Russie, tel a été pour nous le résultat de cette fatale entrevue d’Erfurt. Les exigences du tsar faillirent plus d’une fois rompre les négociations. Spéranski, peu initié sans doute à la politique secrète d’Alexandre, tout absorbé d’ailleurs par ses projets de réforme, n’était pas de ceux qui entretenaient chez le tsar le désir de posséder Constantinople. Il savait mieux que personne tout ce que la Russie avait encore à conquérir sans sortir de ses frontières. Il conseillait donc la modération à Alexandre. Aux yeux du tsar, l’alliance avec le vainqueur de Wagram devait surtout servir la politique extérieure de la Russie ; aux yeux de Spéranski, un rapprochement durable avec la France était une promesse de réformes intérieures. Ce que je dis là n’est pas seulement une conjecture. Comment révoquer ce fait en doute, lorsqu’on voit Alexandre, trois années plus tard, à l’heure de la rupture avec la France, se séparer violemment, cruellement, de l’homme qui avait été pour lui le plus affectueux des amis, le plus dévoué des serviteurs ?

Le concours de Michel Spéranski était tellement indispensable à Alexandre, que le jeune ministre, malgré son goût marqué pour l’administration intérieure, se trouve mêlé à tous les événemens de la politique étrangère. Nous venons de le voir à Erfurt, suivons-le maintenant en Finlande. Quelques mois avant l’entrevue d’Alexandre et de Napoléon, la Suède, dominée alors par l’Angleterre et hostile à Napoléon, avait fourni bien maladroitement un prétexte aux entreprises de la Russie. La Russie était notre alliée ; elle ne devait pas négliger l’occasion de satisfaire d’anciennes convoitises, en prenant les armes contre Gustave III au nom du blocus continental. On sait trop ce qui arriva : la Suède fut vaincue, et le 19 novembre 1808 la convention d’Olkioki fit de la Finlande une province russe. Pendant la première moitié de l’année 1809, la Finlande fut occupée et gouvernée militairement ; à peine revenu de son voyage à Erfurt, Alexandre s’empressa de régulariser sa conquête et de l’incorporer à l’empire. Spéranski fut chargé de cette mission : il partit pour la Finlande, étudia le pays, interrogea son histoire, ses traditions, ses coutumes, et, trouvant là un ensemble de lois et de franchises qui faisaient partie de la vie nationale, il comprit que son devoir était de les respecter. Spéranski fut dans les conseils du tsar le défenseur des lois de la Finlande. La cause était difficile, des influences puissantes combattaient énergiquement ses vues ; il lutta sans relâche et finit par triompher : la noble Suomi[5], tant regrettée des Suédois, conserva ses états, et avec eux la plus grande partie de ses droits et de ses franchises. La Finlande n’a pas oublié son bienfaiteur : les voyageurs qui visitent la ville d’Abo, ancienne capitale de la province, peuvent voir dans la grande salle de l’université le portrait de Michel Spéranski, placé, après la mort du comte, au milieu de ceux des maîtres et des savans qui furent l’honneur de cette illustre école[6].

Tel fut le rôle de Spéranski dans les affaires de Finlande. Ce n’était pas seulement chez lui un acte de condescendance politique ; préoccupé du désir de réformer la Russie et de l’assimiler peu à peu à l’Europe civilisée, il avait une sympathie naturelle pour ces provinces, qui, mêlées depuis des siècles à la société de l’Occident, contenaient précisément les germes de ces institutions meilleures qu’il rêvait pour sa patrie. C’est ainsi que, chargé plus tard de classer les lois et les règlemens des provinces baltiques, il rendit à la Courlande, à l’Esthonie, à la Livonie, le même service qu’il avait rendu à la Finlande. Les pays qu’on appelle en Russie pays de privilèges, c’est-à-dire les provinces administrées par des états ou diètes, ont tous les mêmes obligations à la mémoire de l’intelligent réformateur. Qu’on ne voie pas ici une contradiction chez le ministre qui voulait donner à l’empire des tsars une législation uniforme ; je viens de dire quelles espérances il fondait sur ces semences d’une culture politique plus élevée. En agissant ainsi, il travaillait pour l’avenir. Les esprits vraiment politiques n’obéissent pas aveuglément à des théories absolues, ils s’accommodent aux lieux et aux circonstances. Novateur dans la vieille Russie, conservateur dans les provinces baltiques, Spéranski, malgré des contradictions apparentes, était fidèle à ses pensées de réforme.

Ses ennemis le savaient bien. L’ardeur avec laquelle il marchait à son but, les succès, partiels sans doute, mais si éclatans déjà, qu’il avait remportés sur l’administration routinière, irritaient de plus en plus les défenseurs intéressés du désordre. Une opposition redoutable se forma. Ici, c’étaient les envieux, les courtisans jaloux ; là, c’était le vieux parti moscovite. Les uns étaient de grands seigneurs infatués qui détestaient chez Spéranski un homme fils de ses œuvres ; les autres étaient des boyards, esprits incultes, caractères fanatiques, qui maudissaient comme un impie le représentant de la société occidentale. Toutes ces passions firent alliance. Le parti moscovite était profondément irrité contre le tsar ; mais n’osant s’attaquer au souverain, il le frappa dans son ami. Les coups étaient bien dirigés. Pendant les années 1810 et 1811, il y eut dans les rangs supérieurs de la société russe une guerre de tous les jours contre le ministre novateur. Intrigues, outrages, calomnies, toutes les armes furent employées pour le perdre. On l’appelait le perturbateur du repos public ; on le représentait comme le fléau de l’état ; il était vendu à Napoléon et travaillait à la ruine de la Russie. Plus attristé qu’effrayé de ces fureurs, Spéranski attendait en silence la fin de la tempête. Il espérait que le courage de son maître ne lui ferait pas défaut jusqu’à l’heure où le succès couronnerait son œuvre et imposerait silence aux plus violens. Déjà l’administration suivait une marche plus régulière, l’état des finances s’améliorait, les recettes de l’empire avaient pris un accroissement notable, tandis que le budget des dépenses, grâce à un contrôle vigilant et à de sages mesures d’économie, diminuait d’année en année. Spéranski se croyait sûr de vaincre ; la violence des événemens l’arrêta au milieu de son triomphe.

La guerre de 1812 venait d’éclater. Agitée d’inquiétudes et de pressentimens sinistres, l’imagination d’Alexandre devint plus accessible aux clameurs qui retentissaient autour de lui. Une guerre avec la France rejetait naturellement le tsar du côté de la faction moscovite ; n’était-ce pas là son meilleur point d’appui au moment de demander à la nation des sacrifices de toute espèce ? Les ennemis de Spéranski comprirent leurs avantages ; les accusations redoublèrent avec une fureur inouïe. Spéranski était responsable de tous les dangers qui menaçaient l’empire ; il avait trompé la bonne foi du tsar et endormi sa vigilance. Les uns l’accusaient d’avoir provoqué la guerre, les autres lui faisaient un crime de l’avoir trop longtemps évitée. Malgré ces contradictions de la haine, le but était atteint ; le tsar commençait à se défier de son ami.

Que se passa-t-il dans l’esprit d’Alexandre ? L’histoire a accueilli sur ce point de singuliers renseignemens. C’était l’époque où le grand agitateur de l’Allemagne, le baron de Stein, récemment appelé à Saint-Pétersbourg par une lettre du tsar, jugeait les hommes de la Russie avec une verve foudroyante et toujours au point de vue de son unique passion. Le rôle de Spéranski en 1812 avait dû attirer ses regards. Ne s’en est-on pas trop rapporté aux souvenirs du baron de Stein pour expliquer la catastrophe du confident d’Alexandre ? Le biographe de M. de Stein, M. Pertz, ne le dit pas d’une manière expresse ; mais la peinture qu’il fait de la cour de Russie au moment où son héros vient y continuer son rôle d’agitateur est évidemment empruntée à ses lettres[7]. J’ai cherché partout, j’ai interrogé les écrits des autres témoins du drame, je n’ai rien découvert qui puisse donner quelque vraisemblance aux détails rapportés par M. Pertz. Voici ce que raconte le biographe du baron de Stein. M. Spéranski, s’il faut l’en croire, avait passé peu à peu de la piété au mysticisme, et de là à l’illuminisme le plus extravagant. Un aventurier célèbre dans la littérature allemande, un moine autrichien nommé Fessler, qui avait jeté le froc aux orties, était arrivé en Russie vers l’année 1808 pour y prêcher le protestantisme. Fessler était une imagination fougueuse ; il s’était initié à la franc-maçonnerie, il avait la passion des sociétés secrètes, et il se mit à organiser en Russie une grande communauté moitié mystique, moitié révolutionnaire, d’où il espérait faire sortir un jour la transformation sociale de l’Europe. Subjugué par Fessler, Spéranski s’empresse de prendre un rôle dans cette étrange conspiration philanthropique ; mais bientôt le secret est livré, un traître révèle tout à l’empereur, et le ministre, si puissant la veille, tombe victime de sa folie. Tel est le récit de M. Pertz, et il n’est guère besoin de dire qu’il est absolument inadmissible. L’éditeur des Monumenta Germaniœ historica n’a pas appliqué à l’histoire de nos jours cette sagacité de critique avec laquelle il a si bien débrouillé les chroniques du Xe siècle. Lorsque le baron de Stein répétait cette accusation, forgée sans nul doute dans les salons de Saint-Pétersbourg, lorsque M. Pertz la consigne dans la biographie de son héros, ni l’un ni l’autre n’avait présente à l’esprit la carrière politique de M. Spéranski. Quoi ! ce ministre sur qui tant d’ennemis avaient les yeux se serait ainsi livré à un aventurier ! Pour faire justice d’une telle imputation, il suffit de l’énoncer. Spéranski était pieux, il était le fils d’un pope, il avait été moine dans le couvent de Saint-Alexandre Nevski ; son austérité religieuse, l’ardeur philanthropique de son âme devaient être un sujet de raillerie pour ses ennemis ; Rien de plus naturel que cette accusation de franc-maçonnerie révolutionnaire dans la bouche des hommes pour qui toute réforme était un attentat contre la société. Le baron de Stein s’est borné à répéter des calomnies dont le sens lui échappait. M. Pertz va jusqu’à faire entendre que Spéranski était lui-même un aventurier à la façon de Fessler. « C’était, dit-il, un chanteur qui avait réussi à s’élever aux premiers rangs de l’état. » Il semble en vérité que la faveur dont jouissait le laborieux ministre ait été due à un caprice du maître, et que Spéranski fut un acteur, comme Menchikof un bouffon. De ses succès au couvent Saint-Alexandre, pas un mot ; il n’en reste qu’une allusion perfide à la grâce de sa parole, et l’orateur applaudi est transformé en ténor. M. de Stein reproduit ici, sans le vouloir, la physionomie de l’émeute des salons ; c’est tout ce que je vois d’historique dans le récit de son biographe.

Voici d’ailleurs un témoin irrécusable. Fessler a écrit ses Confessions[8] ; depuis ses révoltes contre les supérieurs du couvent où il a passé sa jeunesse jusqu’à l’époque où il est ordonné pasteur protestant en Russie par l’évêque finlandais Cygnœus, il nous initie jour par jour à toutes les transformations de sa pensée. Nous le suivons en Autriche, en Galicie, en Silésie, en Saxe, en Prusse, en Russie ; nous le voyons associé au mouvement littéraire de l’Allemagne, et quand il arrive à Saint-Pétersbourg, nous connaissons exactement ses ennemis et ses protecteurs. Or, parmi les personnages qui ont joué un rôle dans cette carrière si agitée, je cherche en vain le nom de Spéranski. Il est impossible que Fessler ne l’ait pas connu ; je trouve dans ses Confessions qu’il a été, comme Spéranski naguère, professeur au couvent de Saint-Alexandre, et que plus tard, forcé de quitter le couvent, où son enseignement excita quelque défiance, il fut nommé membre correspondant de la commission législative dont Spéranski était l’âme ; il paraît bien cependant qu’il n’eut jamais avec lui de relations très intimes, puisqu’il ne le nomme pas une seule fois. Est-ce discrétion ? Ne le croyez pas : Fessler est le moins discret des hommes. Jamais théologien n’a fait une confession si minutieuse et si naïve. Il raconte sans embarras ses accointances avec les francs-maçons, il a des effusions philanthropiques où l’on s’aperçoit bien que tous ses secrets lui échappent ; sur le rôle de Spéranski, pas une ligne. N’oublions pas un fait décisif. Spéranski a été disgracié en 1812 ; à cette époque, Fessler n’habite plus Saint-Pétersbourg ; il réside à Volsk, dans la province de Saratov, occupé à écrire les derniers volumes de son Histoire des Hongrois. En 1810, il avait dû renoncer à sa chaire de littérature orientale au couvent de Saint-Alexandre Nevski ; après sept années de travaux littéraires, après de nombreux voyages à travers les colonies allemandes du Volga, il est chargé par le tsar d’une mission spéciale auprès des protestans de l’empire. Comment admettre qu’au moment où Spéranski expiait sa prétendue complicité avec Fessler, Fessler parcourût si tranquillement la Russie ? Ce Fessler lui-même, étudié de plus près, ne ressemblerait guère à l’étrange aventurier qu’on nous dépeint ; mais à quoi bon entrer dans ce détail ? Spéranski et Fessler n’ont rien à démêler ensemble. La chute de Spéranski s’explique trop bien d’ailleurs par la coalition des haines acharnées contre lui et par la faiblesse d’Alexandre. Le tsar avait soutenu longtemps le confident de ses rêves ; il suffisait que sa bonne foi fût surprise un seul jour pour que cette fortune s’écroulât. La séparation a été brusque, et l’on veut inférer de là qu’elle a été amenée par quelque révélation subite et monstrueuse. En réalité, c’est le caractère d’Alexandre qu’il faut seul accuser ici. Au moment où il venait de signer la ruine de son ami, Alexandre était encore sous le charme ; il pleura dans les bras du ministre. Une fois son parti pris, ne devait-il pas se défendre lui-même contre les entraînemens de son cœur ? Ne sont-ce pas enfin les esprits faibles qui ont le plus besoin de recourir à la violence ?

Voici la scène dans son exacte vérité. Un matin, c’était le 17 mars 1812, Spéranski, comprenant ce qu’avait de grave, à la veille d’une guerre contre Napoléon, une lutte prolongée au sein du ministère, se présenta chez le tsar et le conjura d’accepter sa démission. Le tsar l’accepta, mais en prodiguant à son ami les plus affectueuses paroles. C’était, disait-il, un sacrifice temporaire ; des jours plus heureux viendraient, et le ministre pourrait reprendre alors son œuvre interrompue. Les deux amis, en se séparant, pleurèrent dans les bras l’un de l’autre. Encore tout ému de ces adieux, Spéranski regagne son hôtel et trouve dans son cabinet le plus acharné de ses ennemis, M. de Ballachef, ministre de la police, qui, lui montrant une sentence d’exil signée de la main du tsar, lui ordonne de se préparer à partir. Une kibitke l’attend à quelques pas de l’hôtel. Il va être conduit sous escorte à Nijni-Novogorod ; une demi-heure lui est accordée pour régler ses affaires. Comment peindre la douleur de Spéranski ? Il n’en laissa rien voir. Calme et digne en face de son ennemi triomphant, il fut tout entier au sentiment des devoirs pieux qu’il lui restait à remplir. Il avait chez lui maints papiers qui pouvaient trahir les secrets du tsar ; il s’empressa de les mettre sous cachet et de les envoyer à son maître. Sa fille était dans une chambre voisine ; il craignit de lui porter un coup trop douloureux en lui révélant cette catastrophe, il redoutait pour elle les émotions déchirantes des adieux : il prit une plume, lui écrivit quelques mots à la hâte, lui recommanda la résignation et la prière ; puis, s’approchant de la porte qui le séparait de son enfant, il y posa pieusement ses lèvres et y traça un signe de croix. La demi-heure était écoulée, il fallut partir. La kibitke s’élança au galop à travers les rues de Saint-Pétersbourg et prit la route du sud-est. Cette précipitation de M. de Ballachef en dit plus que tous les commentaires. On se défiait du repentir d’Alexandre ; la haine se hâtait de mettre la main sur sa proie.

Huit jours après, l’enfant que Spéranski avait laissée dans sa maison en deuil venait le retrouver à Nijni-Novogorod. C’était une fille, je l’ai dit, et la digne fille d’un tel père. Elle était âgée de douze ans à peine. Dès qu’elle sut ce qui venait de se passer, elle voulut partir. Rien ne put l’arrêter, elle entraîna sa gouvernante, et malgré les difficultés de la route, malgré la fonte des neiges et le débordement des rivières, inébranlable dans sa résolution, elle parvint à son but et entra comme un rayon de soleil et d’espérance dans la demeure du proscrit. Adouci par la présence de sa fille, ce premier exil du ministre déchu ne fut pas difficile à supporter. C’était un temps de repos plutôt qu’un châtiment ; ce fut aussi pour lui l’occasion d’hommages inattendus. Son calme, sa sérénité, au lendemain d’une catastrophe si cruelle, parurent inexplicables. Dans toutes ses conversations, dans son attitude et ses démarches, pas un mot, pas un signe ne trahissait une pensée amère. Était-il bien tombé de si haut ? N’était-ce pas un plan concerté entre le souverain et son ministre pour déjouer la haine des factions ? N’était-ce pas aussi une mission déguisée, et le confident d’Alexandre n’était-il pas chargé d’observer en personne les dispositions de l’esprit public dans les provinces ? Ces conjectures s’accréditèrent, et Spéranski reçut de toutes parts un accueil plein d’empressement et de respect. Hélas ! la haine de ses ennemis lui envia encore ce triomphe. Napoléon venait d’entrer à Moscou ; le comte Rostopchin avait allumé dans le cœur des Russes ces torches incendiaires où la ville prit feu toute seule[9], et des bandes de réfugiés, fuyant la ville en flammes et la colère des Français, arrivaient chaque jour à Novogorod. Moscou était le foyer du parti qui avait juré la ruine de Spéranski. Exaspérés par les maux de la guerre, les boyards retrouvaient leur ennemi presque aussi puissant dans l’exil que dans le palais du tsar ; leur fureur ne connut plus de bornes. Les derniers outrages lui furent prodigués. On le signala comme un traître, comme un espion des Français. L’opinion publique se déchaîna sans pitié contre celui qu’elle révérait la veille. Sa bienveillance était de l’hypocrisie, sa sérénité était le masque de ses intrigues. Cette explosion de haine fut si violente, que le tsar, pour mettre fin aux soupçons, se crut obligé de condamner Spéranski à un exil bien autrement cruel. De Nijni-Novogorod en Sibérie, la route est bien tracée ; c’est par Novogorod que passent chaque année ces milliers de malheureux qu’on va ensevelir vivans dans les mines de l’Oural. Spéranski avait pu voir défiler plus d’une fois cette procession lugubre. Il suivit aussi la même route ; le tsar le fit déporter dans la petite ville de Perme, à l’entrée de la Sibérie.


III

Menchikof a été exilé à Bérésov, le maréchal de Munich a passé vingt ans à Pélim, les Dolgorouki, les Biren, les Ostermann, les Voinarofski, les Bestuchef, ont été relégués comme des criminels dans d’affreuses solitudes ; la ville de Perme mérite aussi d’être citée au premier rang sur la liste des cachots illustres. Située au milieu des neiges et des marais, elle appartient, comme Pélim et Bérésov, aux horreurs sibériennes. Point de ressources, un isolement sinistre, un climat meurtrier, la misère, la disette, voilà ce que le réformateur de la Russie trouvait dans son exil. Sa fille même lui manquait. Craignant pour elle cette vie de privations et de douleurs, espérant peut-être que les larmes de l’enfant fléchiraient le cœur du tsar, il l’avait envoyée à Saint-Pétersbourg. Que lui restait-il ? Deux choses qui ne lui avaient jamais fait défaut, le travail et la prière.

Perme est la résidence d’un archevêque ; ce fut la seule ressource de Spéranski, ressource précieuse, et dont il profita avec empressement. Cet archevêque était un homme pieux, charitable et instruit ; il accueillit l’exilé comme un frère et mit sa bibliothèque à sa disposition. L’ancien professeur du couvent de Saint-Alexandre revint avec bonheur aux études de sa jeunesse. Il ne regrettait pas d’avoir quitté la robe de moine, puisqu’il avait travaillé utilement à la prospérité du pays, mais il éprouvait de la joie à renouer le fil de ses anciens travaux. Il renouvela ses méditations théologiques, il se remit à l’hébreu ; le sanscrit, dont l’importance littéraire et historique commençait à être mise en lumière, attira son attention, et il parvint bientôt à déchiffrer quelques-uns des monumens de la race arienne. Il étudiait aussi la langue anglaise, qui lui rappelait la compagne de sa jeunesse, et au milieu de ses recherches de linguistique et d’histoire, la littérature du pays de Shakspeare et de Milton était pour lui un délassement ; mais sa meilleure occupation fut l’examen scrupuleux de son cœur et de sa conscience. Une personne qui l’a bien connu, un de ses confidens durant l’exil, interrogé par moi sur ce séjour à Perme, m’écrit ces belles paroles : « Il fit passer par le creuset les motifs de ses actions et de ses croyances, et les ayant purifiées de tout levain d’orgueil, de tout alliage de gloire humaine, il les soumit et se soumit lui-même à la justice de Dieu. Je puis dire qu’il sortit régénéré de cette épreuve ; tout ce que son cœur conservait encore de regrets mondains et d’ambitions terrestres disparut dans le feu de l’holocauste ; son âme ne fut plus remplie que de l’amour de Dieu, de sa patrie et de ses semblables. » Le grand livre de tous ceux qui aiment et qui pleurent, l’Imitation de Jésus-Christ, était son évangile de chaque jour ; il voulut faire jouir tous ses concitoyens des trésors qu’il y avait puisés, et il en donna une traduction en langue russe qui est signalée par les critiques comme un modèle de simplicité et d’onction[10].

« Spéranski, dit encore le témoin que j’invoque, passa deux années ainsi, accablé de tous les opprobres de la terre, récompensé par toutes les grâces du ciel. » Lui-même, dans une période plus heureuse, il aimait à se rappeler les luttes et les victoires intérieures dont Perme avait été pour lui le théâtre. Parcourant un jour comme gouverneur-général cette Sibérie où il avait tant souffert, il arriva dans cette triste ville de Perme, qui devait, à ce qu’il semble, éveiller dans son âme de douloureux souvenirs ; non, il date de Perme une lettre à sa fille, et, après lui avoir retracé ses pieuses méditations, il termine par ces mots : « .Ç’a été l’époque de ma véritable grandeur, l’époque de l’élévation religieuse de mon âme. » Pendant ce temps-là, le tsar Alexandre jouait un rôle immense dans les affaires de l’Europe. Chef de la coalition qui venait de renverser Napoléon, il semblait le maître du monde. À Paris, à Londres, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, il était enivré d’hommages et d’adulations. Avait-il le temps de penser à celui qu’il avait naguère honoré de son amitié et qui languissait dans l’exil ? La fille du proscrit avait déployé vainement mille efforts pour faire parvenir une supplique entre les mains du tsar ; une ancienne amie de l’infortuné, Mme Krehmer, fut plus heureuse et accomplit enfin cette œuvre de miséricorde. Encore quelques mois d’angoisses, et le père et la fille purent se retrouver. Spéranski possédait un petit domaine dans le gouvernement de Novogorod, le tsar lui permit de s’y rendre : doux exil assurément, si on le compare à celui d’où il sortait. Sans doute Spéranski avait encore à lutter contre la misère ; cette petite terre où il était confiné suffisait à peine aux premiers besoins de la vie. Qu’importe ? il n’avait plus à monter et à descendre l’escalier de l’étranger ; il habitait sous son toit, sa fille était près de lui. Cette fille si chère, le seul souvenir d’un bonheur trop rapide, ce n’était plus un enfant. Celle qui, toute jeune encore, s’était associée si vaillamment à sa douleur pouvait s’associer maintenant aux travaux de son esprit. L’illustre exilé prit plaisir à former cette précoce intelligence, déjà si bien préparée par les vicissitudes de la vie. L’étude de la religion et des littératures modernes remplissait leurs journées. L’amour de la nature se mêlait aux enchantemens de l’esprit, et ce petit domaine de Novogorod se transformait pour la jeune fille en une sorte de paradis terrestre.

Pourquoi craindrais-je d’insister sur ces détails ? Ils peignent bien l’âme dévouée de l’ancien ministre, et ils viennent d’être consacrés dans un ouvrage qui honore les lettres françaises à l’étranger. Ouvrez un livre dont un épisode a paru ici même[11], les Pèlerins russes à Jérusalem, par Mme la comtesse de Bagréef-Spéranski ; vous y trouverez une touchante histoire, le Moine du Mont-Athos, où cette rustique villa des environs de Novogorod est décrite avec un profond sentiment de poésie. L’auteur embellit la scène, il agrandit le château, il idéalise les bois et les montagnes ; mais ces naïfs mensonges sont plus vrais que la réalité, puisqu’ils nous retracent les impressions d’une âme qui s’ouvre à l’enthousiasme et au bonheur. Après ces longues années de misère, le printemps est plus doux dans le champ paternel, les fleurs sont plus parfumées, les chants des oiseaux plus mélodieux ; le petit cours d’eau qui arrose la prairie semble plus beau que les flots de l’Archipel ou les torrens du Mont-Athos.

Deux années s’écoulèrent pour le père et la fille dans ces solitudes aimées. Spéranski ne demandait plus rien aux hommes ; désabusé des grandeurs, il ne souhaitait que l’oubli du monde et la paix, lorsqu’un ukase impérial, en changeant une fois encore le lieu de son exil, annonça de la part d’Alexandre un commencement de réparation : Spéranski était nommé gouverneur de Penza. Le texte vraiment extraordinaire de l’ukase mérite d’être cité. Le tsar ne craint pas d’avouer son erreur, et il s’exprime ainsi : « Ayant cru devoir, à cause de circonstances particulières, éloigner M. Spéranski des affaires de l’état, nous avons eu depuis cette époque le loisir d’examiner attentivement les motifs de sa disgrâce. Assuré maintenant qu’aucun soupçon ne peut s’attacher à sa conduite, nous lui donnons le moyen de se réhabiliter en le nommant gouverneur de notre province de Penza. » Ce poste était si inférieur à ceux qu’il avait occupés avant 1812, qu’on ne pouvait guère y voir qu’un adoucissement, et non une révocation de sa peine. Le gouverneur de Penza était toujours sous le coup d’une sentence d’exil : non-seulement il lui était interdit de reparaître à Saint-Pétersbourg, on lui défendait même de franchir les limites de son gouvernement. On conçoit tout ce que cette situation offrait d’embarras et d’ennuis. La province de Penza se résignait difficilement à être gouvernée par un proscrit dont la réhabilitation était encore si incomplète. Spéranski fut reçu avec défiance, mais on sait déjà quelles étaient les séductions de son cœur et de son esprit. Il parut à peine remarquer la malveillance publique ; simple, affable, dévoué aux intérêts de tous, il triompha des préventions, et il était déjà pour ses administrés un objet d’affection enthousiaste lorsque, deux années après, en 1819, le tsar l’appela au gouvernement de la Sibérie.

Quel contraste ! Sept ans auparavant, il languissait, tra la perduta gente, comme dit Alighieri, dans l’une des plus tristes solitudes de cette terre de douleurs ; le voilà maintenant qui règne sur ces contrées immenses. Ces talens d’administrateur qu’il avait déployés à Saint-Pétersbourg vont s’exercer sur un théâtre où il faut tout faire et tout créer. Cette fois la réhabilitation est complète. Songez quels trésors de courage étaient nécessaires pour purger ce malheureux pays des malversations et des crimes qui le désolaient ! Aujourd’hui la Sibérie est divisée en deux gouvernemens distincts ; Spéranski la gouvernait tout entière, et des montagnes de l’Oural à la frontière chinoise, sa vigilance devait tout embrasser. Plus d’un cœur énergique eût reculé devant ce travail ; lui-même, malgré son dévouement, il lui arriva en maintes rencontres de pousser un cri de désespoir. J’ai sous les yeux une lettre qu’il écrivait au ministre Arackchef : « Qu’ai-je donc fait, s’écrie-t-il avec une sorte de lassitude et d’effroi, pour qu’on m’impose une pareille tâche sans me donner la force matérielle qu’elle exige, sans m’investir de pouvoirs assez étendus pour l’accomplir ? » Mais ce découragement ne durait pas ; cette tâche effrayante, il la réalisa en partie, grâce à ce mélange de force et de bonté qui est le trait distinctif de son génie. Il aimait ardemment la Russie, une philanthropie chrétienne animait tous ses actes ; ce furent là ses talismans. Si les défenseurs des abus s’étaient déchaînés contre lui à Saint-Pétersbourg à l’époque où, confiant dans l’amitié du maître, il semblait assuré de la toute puissance, on devine aisément les luttes que l’ancien proscrit fut obligé de soutenir contre une armée de fonctionnaires prévaricateurs. Je lis ces mots dans une lettre qu’il écrit à sa fille au commencement de son séjour à Tobolsk : « Je n’ai pour moi que le peuple et les condamnés, tout le reste a juré ma ruine. » Le peuple et les condamnés ! voilà les amis du gouverneur de la Sibérie, et il ne craint pas de le dire avec orgueil ; n’est-ce pas là un trait qui dévoile ce grand cœur ?

Peu à peu cependant il sut rallier ce qu’il y avait de meilleur dans le camp ennemi. Ne pouvant révoquer de leurs fonctions les agens supérieurs, il en gagna un certain nombre par l’ascendant de sa pensée, il les associa à son œuvre de civilisation et d’humanité, et paralysa ainsi les efforts désespérés des autres. Son activité était prodigieuse ; deux années lui suffirent pour parcourir dans tous les sens ces immenses espaces de la Russie asiatique et porter sur tous les points la consolation et l’espérance. Ni périls ni fatigues ne l’arrêtaient : il voyageait en traîneau à travers la neige et la tempête. Voulant tout voir par lui-même, il surprenait ses agens par des apparitions soudaines au moment où on le croyait à trois ou quatre cents verstes. Son nom était dans toutes les bouches ; partout où gémissaient des opprimés, on l’invoquait comme un envoyé de la Providence. Ces bénédictions sont demeurées attachées à son souvenir, et il n’est pas de Sibérien, jeune ou vieux, pour qui le bon Spéranski ne soit un objet de vénération et d’amour. Il y a quelques années, Mme de Bagréef était en pèlerinage à Jérusalem ; elle y rencontre un Sibérien et lui demande, sans se faire connaître, si l’on se souvient encore dans son pays de l’ancien gouverneur-général. « Si l’on se souvient de lui, madame ! répond le jeune homme les larmes aux yeux ; c’est notre bienfaiteur à tous, et nos pères nous renieraient, si nous n’avions un culte pour sa mémoire. J’étais enfant à l’école de Tobolsk quand il vint assister à notre examen ; comme j’étais le premier de ma classe, il posa sa main sur ma tête et m’exhorta à toujours bien servir ma patrie, qui me donnait l’instruction à ses frais. Jamais je n’oublierai ses paroles ; jamais le son de sa voix, son sourire, son front blanchi qui rayonnait au-dessus de nous comme le front d’un saint, ne s’effaceront de mon souvenir. » Et comment les Sibériens l’oublieraient-ils en effet ? Ils jouissent encore de son œuvre : le règlement général, le Sibirskye oustar, rédigé par le réformateur, n’a pas cessé de servir de base à l’administration du pays. On s’étonne moins des gracieux tableaux tracés par les derniers voyageurs européens en Sibérie, quand on interroge la vie et les actes du gouverneur-général. Le Norvégien Hansteen, le Prussien Erman, l’Anglais Hill, le Finlandais Castrén, sont d’accord pour signaler, de Tobolsk à Nertschinsk, les progrès de l’administration et l’humanité des mœurs. — Ces progrès constatés par des témoins si divers, on sait maintenant à qui on les doit.

Pendant que Spéranski exerçait en Sibérie sa bienfaisante action, deux hommes administraient la Russie dans un esprit bien opposé à celui-là : c’étaient le ministre Arackchef et l’archimandrite Photius, l’un orthodoxe jusqu’au fanatisme, l’autre ennemi déclaré de toute inspiration libérale. Spéranski avait terminé sa tâche en Asie ; il sollicita la grâce de rentrer à Saint-Pétersbourg, non par ambition assurément, mais pour goûter le repos qu’il avait si bien mérité et finir ses jours au milieu de ses amis. La Sibérie n’avait plus besoin de sa présence, il lui laissait tout un système de lois et une administration fortement constituée. Alexandre ne se refusa pas au vœu de son ancien ami. C’était en 1821. Après onze ans d’exil, Spéranski, grandi encore par l’infortune, illustre aux yeux de tous par son gouvernement de la Russie asiatique, rentrait enfin à Saint-Pétersbourg, aussi modeste en son triomphe qu’il avait été résigné dans la hibitke du proscrit. L’esprit public était bien changé. On sait combien les guerres européennes de 1812 à 1815 avaient, répandu d’idées nouvelles chez les peuples du Nord. Par l’Allemagne, la France et l’Angleterre, la Russie était initiée au mouvement de la société occidentale ; la jeune noblesse avait rapporté de Paris et de Londres des espérances qui l’enivraient. Le joug d’Arackchef était odieux ; ce système d’immobilité et d’arbitraire, supporté pendant l’effervescence de la lutte, irritait les intelligences d’élite ; on voulait des institutions qui associassent les classes éclairées aux intérêts publics, et l’exilé dont le nom éveillait le souvenir des premières tentatives libérales de la Russie fut accueilli avec transports. Spéranski ne se fit pas illusion. Alexandre, il le savait bien, n’était plus le réformateur qu’il avait si tendrement aimé ; le chef de la sainte-alliance était devenu le chef de la réaction illibérale en Europe. Arackchef et Photius étaient les ministres qui lui convenaient ; Spéranski ne pouvait plus être pour lui un conseiller intime, c’était un serviteur éminent dont il devait utiliser le dévouement et la science, mais à qui il était impossible de confier la direction des affaires. L’exilé de 1812 fut comblé d’honneurs. Nommé chef de la commission administrative de la Sibérie, il put de loin consolider son œuvre. Il eut rang dans le conseil de l’empire, sa fille fut placée auprès de la tsarine Elisabeth ; mais Alexandre évitait de rencontrer l’homme qui avait été l’ami et l’inspirateur de sa jeunesse. Sa présence lui était comme un reproche.

Alexandre mourut en 1825. L’irritation qui couvait depuis le retour de l’armée éclata à l’avènement de son successeur. On sait quelle fut, en face des insurgés de Saint-Pétersbourg, l’héroïque attitude du tsar Nicolas. L’insurrection vaincue, le jeune souverain eut la pensée d’inaugurer son règne par des lois régulières qui fussent une garantie pour ses peuples. À qui s’adresser pour une telle œuvre ? L’opinion faisait des vœux pour Spéranski. Sa science de jurisconsulte, ses travaux législatifs, tout le désignait au choix du tsar. Spéranski fut chargé de cette grande mission dès le mois de décembre 1825, quelques semaines seulement après le commencement du nouveau règne. Il se mit immédiatement à l’œuvre. L’immensité de la tâche ne l’effraya pas. Il s’agissait, non plus de rédiger des règlemens administratifs, mais de préparer tout un code, de coordonner les lois et les coutumes des Slaves et de les approprier aux mœurs présentes. La clarté, cette bonne foi des philosophes, est la suprême vertu du législateur. Spéranski se préoccupa de la clarté plus que de la concision du langage. Il savait bien quel est le prix d’une brièveté précise ; mais, dans un pays où l’indépendance des tribunaux n’existait pas, il renonça par devoir à la concision des formules, s’appliquant surtout à entrer dans les détails, à donner le plus de garanties possible à l’équité. Sept ans après, au commencement de l’année 1833, le travail de Spéranski, connu sous nom de Svod Sakonov ou Corpus juris russici, parut à Saint-Pétersbourg, en quinze volumes in-quarto. Il ne contenait pas moins de 42,298 articles. Le conseil de l’empire avait été convoqué pour en prendre connaissance ; le tsar lui-même présidait l’assemblée. Ce fut une journée de triomphe. Le tsar manifesta sa joie avec effusion ; il serra Spéranski dans ses bras, et, détachant de son uniforme la plaque de Saint-André, il la plaça sur la poitrine du législateur.

Cet immense recueil n’était que la préparation d’une œuvre plus importante ; le Svod Sakonov était destiné à devenir un code, et Spéranski, impatient de laisser ce monument à son pays, s’y appliquait avec une ardeur fébrile qui épuisa bientôt ses forces. Frappé d’une maladie de langueur, il redoublait encore de zèle comme pour disputer son œuvre à la mort. Cette lutte accéléra l’heure fatale. Le 1er janvier 1839, le tsar lui avait accordé le titre de comte. On pense bien que le réformateur attachait peu de prix à cette distinction, et encore moins aux privilèges qui l’accompagnent. « Ce n’est pas pour moi, disait-il avec son fin sourire, c’est pour mes amis que j’ai été nommé comte. » Il ne jouit pas longtemps de la satisfaction de ses amis : Quelques semaines après, le 11 février, le comte Spéranski s’éteignait à l’âge de soixante-sept ans, en face de son édifice inachevé.

Sa mort fut un malheur public ; ses services, révélés enfin à l’opinion, ses vertus, ses infortunes, avaient fait de lui un héros populaire. Personne n’ignorait ce qu’il avait souffert pour la réforme des abus. On admirait que, frappé si cruellement, il eût conservé cette inaltérable bonté et un dévouement si enthousiaste au bonheur de ses semblables. Pendant tout un jour, une foule immense, admise à l’honneur de saluer sa dépouille, défila respectueusement devant le lit funèbre. Les marchands du Goslinoi dvor[12] fermèrent leurs boutiques. Il avait demandé à être enseveli dans ce couvent de Saint-Alexandre Nevski, où s’était écoulée sa jeunesse. Les mêmes portes qui s’étaient ouvertes cinquante-cinq ans plus tôt au pauvre écolier de Vladimir s’ouvrirent à son catafalque, chargé d’insignes glorieux et suivi d’un peuple en deuil. Le tsar Nicolas assista au service funèbre, et quand le cercueil de son serviteur descendit dans la fosse, de nobles larmes mouillèrent son visage. À son retour de l’exil, Spéranski avait pris pour devise et gravé dans ses armes ces simples ; mots qui résument toute sa destinée : Sperat in adversis. Sa fille ai écrit sur sa tombe : Sperat in excelsis. Il devait rester fidèle, dans la vie et dans la mort, au nom que lui avaient donné ses maîtres.


IV

Quelle a été l’influence du comte Spéranski ? quelles traces a-t-il laissées de son passage aux affaires ? Celui qui sait le fond des consciences juge l’intention et l’effort sans s’inquiéter du résultat ; la postérité ne peut prétendre à cette équité surhumaine. Exigeante, injuste même, elle veut que l’homme d’état dont elle gardera le souvenir ait remporté pour elle des victoires durables : exigence salutaire et qui aiguillonne le génie ! C’est un redoutable privilège que celui de dicter des lois aux hommes ; quand on y participe, à quelque degré que ce puisse être, il faut qu’on sache bien quelle responsabilité on assume et à quel prix s’achète la gloire. Des réformes décisives et vigoureusement pratiquées, de vieilles iniquités détruites, le droit fondé sur une base solide, la dignité humaine efficacement servie, voilà les signes auxquels la postérité reconnaît les grands ministres. Apprécié à cette mesure, le comte Spéranski n’a pas droit a une place dans cette illustre assemblée ; mais l’histoire ne lui refusera pas un souvenir, car si la Russie un jour s’associe complètement à la civilisation libérale, si elle se débarrasse de toutes les traditions que l’Orient lui a léguées, si elle élève et régénère ses peuples, si elle affranchit ses serfs, si elle substitue aux caprices d’un maître l’autorité de la loi, elle vénérera la mémoire de l’homme qui a entrevu de loin cette rénovation du pays, et y a contribué selon ses forces.

C’est dans son gouvernement de Sibérie que le comte Spéranski a été véritablement libre, et le bien qu’il a su y accomplir est attesté par d’irrécusables témoignages. Là point de serfs, point de seigneurs, mais des paysans libres et des commerçans. Cette population active était opprimée jadis par une multitude de tyrans subalternes. Des fonctionnaires de tout ordre avaient essayé de porter dans les provinces d’Asie les habitudes de la Russie d’Europe ; la Sibérie n’ayant pas de boyards, ils prétendaient en tenir lieu. Le comte Spéranski n’avait pas même essayé en Russie de lutter contre les traditions séculaires qui soumettent des milliers de serfs à un petit nombre de maîtres : des monts Ourals à la frontière chinoise, il empêcha cette tyrannie, de s’établir. Les fonctionnaires, ont été soumis à un contrôle régulièrement organiserez les Sibériens, protégés par un code, développent chez eux un esprit libéral et humain qui a frappé d’étonnement des juges désintéressés.

Voilà son meilleur, titre, si l’on n’apprécie que les actes. En Russie, pendant les quatre années qu’il a passées dans l’intimité d’Alexandre, il n’a pu laisser que des projets. Lorsque le tsar Alexandre, en 1811, promulgua une partie des règlemens et décrets préparés par son ami, il annonça à ses peuples que l’empire désormais serait gouverné par la loi. Ce titre d’autocrate (samoderjetz) que les premiers chefs de la Russie prenaient avant de se transformer en tsars au XVe siècle, et que Pierre le Grand avait repris,avec une franchise altière pour l’associer à celui d’empereur, ce titre orgueilleux devait logiquement disparaître. Ce n’était plus la volonté changeante d’un homme qui réglerait les affaires, c’était la loi, une loi bonne ou mauvaise, mais enfin une loi fixe et connue de tous. Nous avons vu que ces promesses ont produit de médiocres résultats ; la faiblesse d’Alexandre paralysait les efforts du secrétaire de l’empire et ses propres intentions. N’importe, la promesse a été faite, cette parole tombée de si haut a dû rester dans plus d’une mémoire, elle germera en silence et produira ses fruits. On n’oubliera pas alors que ce solennel engagement a été pris par le tsar Alexandre sous l’influence des conseils et des exhortations du comte Spéranski.

Si nous jugions ces choses d’après les principes de notre société occidentale, nous pourrions dire dédaigneusement : Qu’est-ce que cela ? Est-ce un titre suffisant pour laisser un nom dans l’histoire ? L’homme d’état digne de ce nom a un idéal qu’il sait réaliser ; il transforme son pays, et par là il prévient les révolutions. Comparez l’ami d’Alexandre à ce Robert Peel dont ici même un historien éminent vient de nous retracer le portrait. Quoi ! le comte Spéranski, sous le titre de secrétaire de l’empire, a reçu un pouvoir supérieur à celui des ministres, il a joui auprès du tsar d’une faveur illimitée, il a été son ami, son confident, plus que cela, soin précepteur politique, et il n’a pu détruire aucune des iniquités qui entravent la marche de ce pays, aucune des traditions barbares qui le séparent comme un abîme de la société romano-germanique ! Quoi ! il a pu rédiger un code, et le servage existe encore ! — Ces objections, fort justes en elles-mêmes, attesteraient un singulier oubli de la situation. Pendant bien des années, il n’y aura de possible en Russie que des réformes administratives et civiles. Les réformes politiques viendront quand le sentiment de la dignité humaine sera éveillé au fond des âmes, et pour que ce sentiment s’éveille, il faut que le peuplé y soit préparé par la culture morale et par la régularité dans les lois. C’est à cela qu’a visé l’ami d’Alexandre : il a travaillé toute sa vie à établir une législation régulière. Il n’avait pas le pouvoir de créer un monde, il s’est appliqué à débrouiller le chaos.

Nous voudrions aussi, avec nos idées libérales, que le ministre eût lutté plus hardiment pour la défense de son œuvre. Attaqué par l’aristocratie moscovite, il a l’air d’ignorer l’attaque ; il oppose à ses ennemis la sérénité d’une conscience droite, au lieu de marcher sur eux et de livrer bataille. Qu’arrive-t-il ? De graves événemens éclatent ; la calomnie qui s’agite dans l’ombre trouve l’occasion propice pour se glisser dans l’esprit du monarque, et le ministre qui se flattait peut-être de transformer la Russie tombe victime d’un guet-apens vulgaire. Est-ce là un homme né pour conduire les hommes ? C’est un sage, un contemplateur ; les yeux fixés sur la lumière d’en haut, il n’aperçoit pas le piège sous ses pieds. Sa grande vertu après l’amour de ses semblables et la passion du bien, c’est la résignation. Dans les sociétés de l’Occident, le vaincu de l’arène politique, s’il a là valeur morale du comte Spéranski, conserve au fond de son cœur un invincible espoir ; il prépare ses armes pour des luttes nouvelles. Tel n’est pas le noble esprit que nous venons d’interroger ; malgré la force de ses convictions chrétiennes, une sorte de fatalisme oriental semble dominer sa conduite. À peine rentré de l’exil, il reprend en silence sa tâche de législateur, pareil à un moine qui sort de la prison du couvent et qui reprend ses pieux exercices au point où il les a laissés. On voit qu’une philanthropie immense le soutient, on ne sent pas chez lui l’enthousiasme de l’espoir. Noble et douloureuse figure ! Je l’ai appelé un sage, on pourrait dire un saint.

Les écrits de la fille sont un commentaire lumineux de l’inspiration du père. Témoin et compagne de ses malheurs, élevée par lui dans l’exil, elle a hérité du cœur de cet homme excellent. La foi qui anime son curieux livre, les Pèlerins russes à Jérusalem, c’est la foi du comte Spéranski. Les idées qu’elle répand, ce sont celles de ce maître vénéré. Quelles idées ? Le patriotisme russe et la charité chrétienne. Son patriotisme est éclairé, libéral, et pourtant, il est facile de le voir, elle tient par maintes attaches aux superstitions politiques de sa race. Lisez l’introduction : c’est l’apologie de la nation russe, une apologie écrite avec l’éloquence de l’amour, avec l’exaltation de la foi ; or cet enthousiasme n’empêche pas qu’il n’y ait là un profond sentiment de tristesse. Cette tristesse éclate plus visiblement encore dans les récits dont se compose le livre. Les Pèlerins, une Nuit au Golgotha, le Moine du Mont-Athos, tous ces tableaux de la pensée russe, les uns gracieusement naïfs, les autres pleins de passion et de souffrances, nous révèlent un esprit accoutumé aux méditations les plus hautes, une âme sévèrement initiée à la science de la douleur. La résignation, la prière, le détachement du monde, l’abandon des espérances terrestres, voilà le dernier mot du livre. J’ai comparé le comte Spéranski sortant de l’exil à un moine sortant de l’in pace ; Mme de Bagréef nous fait des couvens du Mont-Athos une description poétiquement passionnée. Après le savant Fallmrayer, qui fut tenté un instant d’y prendre la robe blanche des religieux de Saint-Basile[13], après M. de Grisebach et M. de Mouravief, qui en ont si éloquemment parlé[14], elle glorifie la montagne sainte (hagion oros), et ces monastères sans nombre, et ce peuple de moines qui l’habite depuis le pied jusqu’aux cimes. D’où lui viennent donc ces pensées de découragement ? d’où vient que sa voix s’anime et s’élève quand elle glorifie la solitude du cloître ? Je crois le savoir ; partagées entre le culte presque superstitieux de leur pays et leurs désirs d’une société meilleure, ces âmes d’élite ne peuvent -être heureuses. Sans qu’elles osent se l’avouer, sans même qu’elles s’en doutent, une contradiction douloureuse les agite. Le comte Spéranski, brisé par l’exil, courbe la tête et continue sa tâche ; Mme de Bagréef s’enferme en imagination dans les mystiques retraites du Mont-Athos.

Il y a dans le Moine du Mont-Athos une page où se trahit la secrète pensée du livre ; l’auteur y jette une plainte qui vient du cœur et repousse éloquemment toutes les consolations d’ici-bas. C’est le moine qui parle, le moine sous le nom duquel Mme de Bagréef retrace les méditations de son esprit et les rêves de son âme. Le père dur moine a joué un grand rôle politique ; victime d’une intrigue, il a été frappé comme un coupable, mais l’heure de la réparation est venue. Écoutons le solitaire : « La mort inattendue du principal ennemi de mon père, et par conséquent la chute du parti dont il était le chef, dévoila enfin toute l’intrigue dont il avait été la victime, et son rappel fut aussi subit que son renvoi. On lui offrit tous les honneurs et tous les avantages possibles comme réparation des torts qu’il avait soufferts. Aveugle justice des hommes ! comme si tu pouvais faire reculer la marche inexorable du temps et rendre à ceux que tu as accablés de tes arrêts précipités les années que tu as empoisonnées, la jeunesse que tu as flétrie, l’énergie, la force de volonté, les facultés fraîches et vivaces que tu as paralysées ! Aveugle et tardive justice des hommes ! tu es prompte et sans pitié dans tes jugemens ; tu sais châtier, tu sais punir, mais là aussi s’arrête ton pouvoir. La récompense et la rétribution ne dépendent plus de toi ; celles-là heureusement c’est Dieu qui les distribue… » Ainsi la réparation humaine est impossible ; Dieu seul dédommagera le vaincu. Ne remarquez-vous pas comme cette histoire d’un homme d’état est remplie de tendances monastiques ? L’administration et le mysticisme, la science des affaires et les raffinemens de la vie spirituelle, tout cela se développe ensemble. Là où il y aurait ailleurs un redoublement d’efforts, on aperçoit surtout de nouveaux élans d’ascétisme, Nous ne sommes pas, cela se devine assez, dans l’atmosphère de la société occidentale ; on sent que le despotisme de l’Orient pèse sur des âmes d’élite, ne leur laissant d’autre refuge que la résignation ou l’extase.

Et pourtant, à travers ces tristesses, quel culte ils gardent à la Russie ! Plus ils ont souffert pour elle, plus ils sont portés à l’aimer. Réformateurs sur un point, ils resteront attachés à maintes superstitions de la patrie, à peu près comme ces hommes du XVe siècle qui, en ouvrant les yeux aux premières lueurs de l’esprit moderne, tenaient encore obstinément à d’enfantines rêveries du moyen âge. Un paysan russe, voyant passer un étranger, disait avec une compassion dédaigneuse : « Le malheureux ! il n’a pas de maître ! » Mme de Bagréef rapporte ce mot, et l’explique à l’honneur de ses compatriotes. Le comte Spéranski avait souffert pour la cause du droit commun ; la dernière partie de sa vie a été consacrée à reconquérir l’affection d’un maître, et le tsar Nicolas a pleuré la mort de celui que le tsar Alexandre avait exilé près des glaces de l’Oural. Tout cela est bien russe assurément ; la destinée du comte Spéranski, avec les contrastes dont elle est pleine, serait inexplicable pour un homme de l’Occident, si l’on oubliait d’y voir une révélation sur le peuple que gouvernent les tsars.

Plaçons-nous donc au point de vue de ce peuple, et concluons par un jugement impartial. Le comte Spéranski n’est pas mort tout entier ; il a légué à son pays des ébauches de lois, des projets de réforme, et, ce qui ne vaut pas moins que tout cela, l’exemple d’une vie dévouée et d’un noble caractère. Il y a désormais dans l’administration russe une tradition féconde. Il faut souhaiter pour la Russie qu’elle ne se perde pas. Le comte Spéranski a laissé des manuscrits dont la publication acquitterait une dette nationale, et servirait à l’éducation des esprits. Je ne parle pas seulement de cette collection innombrable de travaux de législation disséminés dans les chancelleries de l’empire-, le public ne connaît guère de lui que sa traduction de l’Imitation de Jésus-Christ, arrivée maintenant à sa sixième édition : on ne lirait pas sans profit les traités de théologie, les essais de littérature, les méditations politiques et morales qui le consolaient des souffrances de l’exil, ou le délassaient de ses rudes labeurs. Il nous a été donné de parcourir quelques-unes de ces pages, et nous y avons admiré, au milieu des effusions d’une âme sainte, un esprit droit, toujours préoccupé de la pratique, et passionné pour le bonheur du genre humain. Un de ces écrits les plus curieux, ce sont les Leçons de Législation, composées pour le prince qui occupe aujourd’hui le trône de Pierre le Grand. Le comte Spéranski avait été chargé par le tsar Nicolas d’enseigner au grand-duc héritier les principes de la législation et du droit ; on devine avec quel empressement il accepta une pareille tâche. Ce jeune prince qu’il devait initier à la philosophie sociale, c’était le neveu du souverain dont il avait été autrefois le conseiller et l’ami. N’était-ce pas comme une réparation que lui offrait la fortune ? et ne semblait-il pas qu’il reprît son œuvre interrompue ? Les chimères, s’il y en avait eu quelques-unes dans les inspirations de sa jeunesse, avaient disparu à la clarté de l’expérience ; ces leçons de droit politique étaient le résumé d’une vie de travail et de dévouement. Une philosophie toute pratique, des principes libéraux appropriés à l’état du pays, y sont exprimés avec cette précision élégante dont il avait le secret.

En somme, quelles que soient ses singularités et ses lacunes, l’étude d’une telle vie produit une impression bienfaisante. Malgré cette résignation un peu molle qui a semblé contredire vers la fin l’ardeur de sa jeunesse, l’espoir n’était pas mort dans le cœur du comte Spéranski, et cet espoir, si ajourné qu’il fût, le soutint dans ses derniers travaux. Cette force secrète qui persistait encore après tant de déceptions se communique naturellement à la pensée de son biographe ; on a confiance dans l’efficacité de ces exemples, on a foi dans les progrès de l’avenir. Espérons donc que la Russie continuera l’œuvre du meilleur et du plus dévoué de ses enfans. Ce n’est pas un des moindres résultats de la guerre de Crimée d’avoir rapproché ce pays de la civilisation occidentale et d’avoir attiré sur lui l’attention du monde entier. La Russie sait que l’Europe veille, elle ne peut plus se faire illusion sur le succès de ses convoitises. Dans le sein même de l’empire, une école s’est formée qui ne porte plus ses regards au-delà des frontières. Les élémens de la grandeur russe sont dans la Russie elle-même ; qu’elle les cherche à la lumière du XIXe siècle, elle les trouvera sans peine. Malgré la force dont elle a fait preuve, elle n’est encore sur bien des points que l’ébauche d’une société digne de ce nom. Le peuple y déploie de rares vertus, ou du moins des dispositions, des aptitudes aimables et généreuses ; a-t-on su profiter de tous ces dons ? a-t-on songé à féconder ces instincts ? la culture morale a-t-elle défriché les landes de l’esprit ? Non certes, et ce ne sont pas seulement d’immenses contrées intérieures que le gouvernement doit s’approprier par le travail ; il lui reste encore à conquérir la meilleure partie de ses peuples. Cette conquête qui élèvera les hommes, qui créera des citoyens, c’était le but constant du réformateur dont je viens de raconter les efforts. Je n’ai pas cédé à une curiosité frivole en essayant de recomposer cette noble physionomie. Le moment était opportun pour rappeler aux conseillers des tsars ces traditions de libéralisme et de justice sociale. Ce gouverneur de Sibérie qui disait avec une fierté sans fracas : « Je n’ai pour moi que les condamnés et le peuple, » doit exciter l’émulation de tous les hommes qui, aux divers rangs de la hiérarchie, dans l’administration et dans les lettres, par la plume et par l’action, peuvent contribuer au perfectionnement de la chose publique. Combien de condamnés en Russie, sans aller les chercher au-delà des défilés de l’Oural ! Ces condamnés, je veux dire les serfs, attendent toujours leur émancipation. Il serait beau, pour le cabinet de Saint-Pétersbourg de réaliser les projets du secrétaire de l’empire ; il serait digne d’Alexandre II de prouver au monde civilisé qu’il n’a pas oublié les leçons du comte Spéranski.


SAINT-RENE TAILLANDIER.

  1. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1853, Beaumarchais, sa vie, ses écrits et son temps, XIe partie, par M. de Loménie.
  2. En Russie, à cette époque, les fonctions de procureur-général étaient à peu près équivalentes à celles de ministre de la justice. L’organisation des ministères, telle qu’elle est établie aujourd’hui, est l’œuvre du comte Spéranski.
  3. Le comté de Coire, en Suisse, fait aujourd’hui partie du canton des Grisons. On sait que ce canton n’est entré qu’en 1799 dans la confédération helvétique ; à l’époque dont nous parlons, il formait lui-même une confédération de trois ligues, dont la plus importante était le comté de Coire.
  4. On peut consulter, sur les travaux de législation du comte Spéranski, l’historiographe actuel de l’empire russe. Voyez Rousskaia Istoria, par M. Oustrialof ; 2 vol., Saint-Pétersbourg 1849.
  5. C’est le nom finnois, le nom national de la Finlande.
  6. Ce portrait a été demandé par l’université d’Abo à la fille du comte Spéranski, Mme la comtesse de Bagréef.
  7. Pertz, das Leben des Minister’s Freiherrn von Stein. Berlin, 1850, t. III, p. 57-58.
  8. Fessler’s Rückblicke auf seine siebsigjahrige Pilgerschaft, 1vol. Leipzig 1851.
  9. Paroles du comte Rostopchin, citées dans les Mémoires de M. Varnhagen d’Ense.
  10. Cette traduction de l’Imitation a été publiée à Saint-Pétersbourg en 1819 ; une seconde édition paraissait l’année suivante.
  11. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1853, Xenia Damianovna, scènes de la vie russe, par Mme de Bagréef-Spéranski.
  12. Bazar des marchands russes.
  13. Voyez Fragmente aus dem Orient'', von Fallmerayer. 2 vol. ; Stuttgart et Tubingue, 1855.
  14. Le premier dans son Voyage au Mont-Athos, le second dans son Voyage aux lieux saints.