Le Comte Louis-Philippe de Ségur (1753-1830)

Le Comte Louis-Philippe de Ségur (1753-1830)
Revue des Deux Mondes5e période, tome 43 (p. 241-280).
LE COMTE
LOUIS-PHILIPPE DE SÉGUR[1]
(1753-1830)

Être né à la veille de la guerre de Sept Ans et mort au lendemain de la révolution de Juillet ; avoir été tour à tour colonel et diplomate sous l’ancienne monarchie, ambassadeur extraordinaire sous la Révolution, conseiller d’Etat sous le Consulat, sénateur et grand maître des cérémonies sous l’Empire, pair de France sous la Restauration, entre temps voyageur, poète, historien, dramaturge et membre de l’Académie ; avoir vécu dans l’intimité familière de Louis XV, de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de Washington, du grand Frédéric, de Catherine II et de Napoléon, sans compter tous les satellites gravitant autour de ces astres : une existence aussi remplie donne tous droits à un homme pour écrire ses Mémoires et toutes facilités pour les écrire intéressans. Le comte Louis-Philippe de Ségur a usé de ces droits et profité de ces facilités ; ses Souvenirs et anecdotes sont universellement connus. Par malheur, cet ouvrage, pour des raisons que je dirai plus bas, s’interrompt brusquement au beau milieu de sa carrière ; la seconde moitié de sa vie, qui n’est guère moins curieuse que l’autre, est donc à peu près ignorée. Le nouvel éditeur des Mémoires de mon trisaïeul s’adresse à moi pour combler cette lacune, et j’aurais mauvaise grâce à décliner une offre aussi flatteuse ; toutefois le but assigné à cette simple notice en fixe d’avance les limites : ce qu’on trouvera ici n’est donc pas le portrait en pied, qui, peut-être, un jour à venir, pourra tenter ma plume, mais une modeste esquisse où, de l’époque que Ségur a contée lui-même, je ne dirai que ce qu’exige la clarté du récit, me réservant d’appuyer davantage sur la période qu’il a laissée dans l’ombre, et m’efforçant de rester à distance du double écueil qui guette toute biographie familiale, la complaisance dans l’éloge et l’irrespect dans la critique.


I

L’après-midi du 10 décembre 1753, un seigneur polonais, de passage à Paris, se présentait à l’hôtel de Ségur, situé rue Saint-Florentin, et trouvait porte close. Le suisse, interrogé, répondait que sa maîtresse, la marquise de Ségur, était accouchée le matin même, que son mari était près d’elle, et qu’une consigne expresse défendait l’accès du logis. Instances du visiteur, alléguant qu’il se trouve à la veille du départ et qu’il vient pour prendre congé d’un excellent ami. Il entre enfin et, dans un cabinet contigu au salon, il voit, debout près d’un berceau, le nouveau père fort occupé à contempler son premier-né. Stanislas-Auguste Poniatowski (c’était le nom de l’étranger), avec sa cordiale bonhomie, embrassait alors dans ses langes le jeune Louis-Philippe de Ségur ; et trente-cinq ans plus tard, en son palais de Varsovie, le roi de Pologne rappelait à l’ambassadeur de Louis XVI de quelle originale façon tous deux jadis avaient noué connaissance.

L’enfant qui, ce jour-là, faisait son entrée dans la vie allait grandir sous de favorables auspices. Son père, Philippe-Henri marquis de Ségur, avait conquis à vingt-cinq ans, par de glorieuses blessures, le grade de maréchal de camp ; sa mère, née Anne-Madeleine de Vernon, jolie, d’esprit charmant, héritière d’une grosse fortune, était fort appréciée à la cour de Versailles ; son aïeule paternelle, fille légitimée du Régent, vivait dans une étroite liaison avec le Duc et la Duchesse d’Orléans. Au rejeton de cette lignée, tout promettait, ainsi qu’on voit, une brillante et facile carrière. De fait, et malgré la sévérité d’une éducation dirigée d’après les vieux principes, de sa première jeunesse Louis-Philippe conserva toujours le plus heureux souvenir. Un frère cadet rapproché d’âge, Joseph-Alexandre, partageait ses jeux, ses études, et le suivit, un peu plus tard, dans le métier des armes, qu’il embrassa dès son adolescence, suivant la tradition constante de tous ceux de son nom. Ses Mémoires nous content ses débuts dans la vie militaire, l’année 1767 : le marquis de Ségur commandait le camp de Compiègne ; il prit pour aide de camp son fils aîné, qui avait alors quatorze ans. Louis XV, à l’issue des manœuvres, vint souper sous la tente du général en chef ; Louis-Philippe le servit à table et, par sa gentillesse et sa vivacité, s’attira les bonnes grâces du Roi, qui causa gaiement avec lui. « A la fin du repas, lit-on dans son récit, il me demanda quelle heure il était ; je lui répondis que je n’en savais rien, n’ayant pas de montre : Ségur, dit-il à mon père, donnez sur-le-champ votre montre à votre fils. Il eût peut-être été plus naturel de me donner la sienne. »

Le fils d’un lieutenant général, gouverneur de province, bientôt après ministre de la Guerre et maréchal de France, ne pouvait guère manquer d’avoir un avancement rapide. Lieutenant de cavalerie à seize ans, capitaine à dix-huit, Louis-Philippe commande, à vingt-deux, le régiment d’Orléans-dragons et tient garnison dans les Flandres, ce qui, d’après l’usage reçu, ne l’empêche pas de passer l’hiver à Paris. Le prince de Ligne, qui le connut alors, a tracé de lui un portrait dont je citerai quelques fragmens : « Il est quelquefois trop jeune et quelquefois trop vieux ; ce trop de jeunesse l’empêche de voir tous les charmes de l’existence qu’il aura, et ce trop de vieillesse, quand il les voit, les lui fait mépriser... Il a deviné tout ce qu’il n’a pas eu le temps d’apprendre ; il sait ce qu’il ne peut savoir. Il y a de l’agrément, de l’élégance, de la douceur dans sa figure, et de la grâce dans ses manières, parce qu’il ne la cherche pas... L’originalité de son langage tient à celle de son esprit ; il dit autrement et mieux qu’un autre ; il donne à tout un tour distingué ; il plaira à tout le monde quand il en aura envie, et même quand il ne l’aura pas. »

Sans nier la ressemblance de ce joli croquis, il y faut cependant ajouter quelques traits. Sérieux de goûts et cultivé d’esprit, épris de poésie et de littératures, séduit aussi par cette philosophie et ces idées nouvelles qui lui semblaient, dit-il, « devoir assurer le triomphe de la raison sur la terre, » le jeune homme ne dédaignait pas les jouissances moins austères et se laissait volontiers entraîner dans le « tourbillon des plaisirs. » Quelques bonnes fortunes remarquées, — passagères aventures dénouées avec une désinvolture élégante, — le mirent de bonne heure à la mode ; quelques duels heureux firent le reste, entre autres celui qu’il soutint contre le prince de Nassau, duel qui se termina par une réconciliation publique et à la suite duquel les adversaires devinrent, comme ils disaient, « frères d’armes » et inséparables amis. Comme à ces éléments de succès Ségur joignait un physique agréable, une conversation spirituelle, un don réel de reparties, on ne s’étonnera pas qu’il devint l’un des favoris des belles dames de ce temps, telles que la duchesse de Choiseul, la maréchale de Luxembourg, qui l’appelait « son garçon, » la comtesse Jules de Polignac, dont l’amitié de Marie-Antoinette faisait une précieuse protectrice. C’est à la sortie d’un souper chez la comtesse de Polignac qu’eut lieu l’incident pittoresque rapporté par le prince de Ligne : Ségur et lui quittaient au petit jour le salon de la comtesse, qui demeurait rue de Bourbon ; ils trouvent un temps épouvantable, point de fiacre, personne pour en chercher : « Faisons semblant de nous battre, disent-ils ; une patrouille du guet passera, on nous arrêtera et on fera venir un carrosse pour nous mener chez le commissaire. » Là-dessus, flamberge au vent, et des cris : « Ah ! ah ! Es-tu blessé ? — Es-tu mort ? — Non ? — Recommençons. » Le guet passait et repassait auprès du Pont-Royal, mais se gardait bien d’approcher. Si bien que, de guerre lasse, mourant de rire, de froid, de lassitude, les deux jeunes fous furent obligés d’arrêter le combat et de rentrer à pied au logis.

Ces sociétés légères n’absorbaient d’ailleurs pas tous les loisirs de ce colonel de vingt ans. Avec la variété de goûts qui le distingua de tous temps, souvent il délaissait « les plus aimables coquettes de Paris » pour passer ses soirées chez la vieille Mme du Deffand ou chez la vieille Mme Geoffrin, prenant part aux causeries littéraires ou philosophiques, écoutant surtout avidement les récits et les anecdotes de ces deux célèbres causeuses, évocatrices d’un passé disparu, de même que plus tard, en Russie, il recherchera le commerce d’une spirituelle nonagénaire, la comtesse Romanzoff, qui lui contera ses souvenirs de soupers en compagnie de Louis XIV et de Mme de Maintenon, ses amours avec Pierre le Grand, et la pose de la première pierre de la ville de Saint-Pétersbourg[2].

Dans ces milieux divers, Ségur avait pour compagnon son cadet, Joseph-Alexandre, connu sous le nom de vicomte de Ségur, que des Mémoires récemment publiés[3] dépeignent en ces termes : « Sa figure était agréable, sa taille élevée, leste et dégagée ; la gaieté brillait dans ses traits et dans toute sa personne et se communiquait par un charme presque irrésistible. Ses saillies vives et brillantes, son ton enjoué, la tournure plaisante qu’il donnait à tout, son persiflage léger exempt d’amertume, tiraient encore un nouveau sel de l’air de nonchalance, presque de simplicité, dont il les accompagnait. » Le comte et le vicomte, dans les salons qu’ils fréquentaient ensemble, étaient aimés et recherchés à l’égal l’un de l’autre : « Chacun, écrit Mme Necker, eût désiré les avoir pour fils, frères ou amis. » Avec Narbonne, Lauzun et quelques autres, ils constituaient ce groupe brillant que Fontanes surnommait « les princes de la jeunesse, » ceux qui donnaient le ton et dont on redisait les mots. Une affection étroite unissait les deux frères, et jamais, par la suite, les divergences d’idées, les diversités de carrières, n’altérèrent leur intimité et leur mutuelle tendresse ; jamais non plus la supériorité des talens de l’aîné, ses succès plus retentissans, ne provoquèrent chez le cadet l’ombre d’envie ni d’amertume : « Je pourrais en être jaloux, disait-il de son frère, j’aime mieux en être fier. »

L’heureuse étoile qui, en cette phase de son existence, veillait sur Louis-Philippe mit sur sa route une des seules femmes, sans doute, qui fût capable de fixer, — si l’on néglige quelques faiblesses inhérentes à son siècle, — un cœur naturellement volage. Fille du marquis d’Aguesseau et petite-fille du fameux chancelier, à tous les dons de l’esprit et de l’âme Marie d’Aguesseau joignait une beauté dont le pinceau de Mme Lebrun nous a transmis la délicieuse image. La voir, l’aimer et demander sa main fut tout un pour Ségur. Le mariage se fit à Paris le 30 avril 1777 ; et, à bien des années de là, voici en quels termes l’époux se félicitait de son choix : « Il me faudrait[4] une femme dont le cœur fût chaud et la tête froide, qui eût de l’esprit sans amour-propre et de la raison sans pédanterie, qui fût sévère pour elle-même et indulgente pour les autres, que tous les hommes vertueux désirassent pour épouse et qu’aucun n’espérât pour maîtresse... Il faudrait encore, pour prévenir l’inconstance, que le temps respectât tous ses agrémens et préservât, pendant une longue suite d’années, la fraîcheur de son teint, la vivacité de ses yeux, l’émail de ses dents, la gaîté de son esprit et l’égalité de son humeur... Cette femme, le Ciel me l’a donnée. Si le sort m’enlève la jeunesse, la santé, la grandeur et la richesse, tant que je conserve ce bien, je n’ai rien perdu ! »


Malgré cette bonne entente et le charme de son foyer, ce fut un sursaut de joie chez Ségur quand, en avril 1782, il apprit sa nomination de colonel au régiment de Soissonnais et reçut l’ordre d’embarquer pour rejoindre son nouveau corps, qui faisait campagne en Amérique, dans l’armée de Rochambeau. C’était l’accomplissement d’un rêve anciennement caressé. Avec Lafayette et Noailles, ses proches parens et ses plus chers amis, il avait conçu ce projet dès le début de la guerre de l’Indépendance. Seul du trio, Ségur n’avait pu le réaliser, son père, ministre de la Guerre, s’y étant opposé longtemps. Malheureusement, la permission arrivait maintenant un peu tard, et à Rochefort, où il se morfondait en attendant l’heure du départ, les lettres de Paris laissant prévoir une paix prochaine le faisaient frémir d’anxiété : « Il serait dur, mandait-il à sa femme, de quitter tout ce qu’on aime et de faire 2 000 lieues, pour apprendre là-bas qu’on a fait un voyage inutile !.., Nous nous trouvons placés entre deux ridicules : celui de revenir à Paris sans avoir été en Amérique, et celui d’aller en Amérique pour y apprendre la paix[5]. » Bientôt toutefois les négociations échouèrent, et quand l’Aigle mit à la voile, emportant, avec Ségur, le prince de Broglie, les deux Lameth et le duc de Lauzun, tous ces jeunes cœurs étaient gonflés des plus belles espérances.

La traversée fut rude : presque au sortir du port, une épouvantable tempête mit les navigateurs à deux doigts du naufrage : « Broglie et Lameth, raconte Ségur, étaient si accablés du mal de mer, que, lorsque j’allai leur dire que nous étions en danger de périr, ils me dirent que cela leur était bien égal. Je les aurais battus ! » Il fit, à ce propos, sur Lameth une chanson dont le succès fut vif à bord :


Quel objet s’offre à mes regards ?
C’est un guerrier que j’aime.
Lameth, au milieu des hasards,
Brillant, quoiqu’un peu blême,
En vérité ressemble à Mars,
Mais à Mars en carême !


Cette bonne humeur ne se démentit pas durant tout le cours d’une campagne qui, pour n’avoir été marquée par aucun grand fait d’armes, ne fut pourtant exempte ni de labeurs, ni de périls. Il n’y a point de forfanterie ni d’exagération dans ce tableau que le comte de Ségur, la paix conclue et l’expédition terminée, traçait, dans une lettre à sa femme[6], de ses aventures d’outre-mer : « Jouer quatre ou cinq cents fois sa vie à croix ou pile, avoir huit ou dix tempêtes, un combat presque sans exemple d’une frégate contre un vaisseau de 74, poursuivis par huit vaisseaux ennemis ; entrer dans le Delaware sans pilote, y échouer, y perdre la moitié de notre monde et de nos effets ; traverser l’Amérique septentrionale seul, sans secours, sans hardes, sans escorte ; porter ainsi les dépêches les plus importantes à la barbe de l’ennemi, s’embarquer à Boston, être en perdition sur la côte d’Arcadie pendant trois jours, de là entrer dans la zone torride, passer entre deux armées anglaises, et arriver sur des côtes barbares, sans pilote, en voyant périr sous nos yeux un de nos meilleurs vaisseaux ; nous trouver ensuite dans un lieu sauvage, brûlé par le soleil et couvert de reptiles, de bêtes hideuses, y attendre dans l’ignorance absolue ou la paix ou l’ordre d’aller à la Jamaïque ; voilà ce qu’on appellera à Paris un voyage tout simple, auquel on refusera le nom de campagne militaire. »

Ces fâcheux pronostics ne se justifièrent point. Ségur, à sa rentrée en France, se vit l’objet d’un intérêt et d’une sympathie bienveillante, qui s’adressaient sans doute un peu au fils d’un ministre en faveur, mais qui allaient aussi au combattant d’une cause glorieuse, au compagnon de Washington. La Heine le voulut voir dès son arrivée à Versailles, le combla d’attentions ; ce fut de ce jour qu’elle l’admit dans sa société familière, lui témoignant une grande confiance, remployant comme intermédiaire dans les conflits, assez fréquens, qui éclataient entre elle et le maréchal de Ségur, dont l’humeur un peu rude se pliait mal aux fantaisies de la souveraine et de son entourage. Comme le dit justement Sainte-Beuve[7], le retour d’Amérique marque pour Louis-Philippe « l’entrée dans la vie déjà sérieuse et dans la seconde jeunesse. Jusqu’alors, il n’avait fait qu’entremêler aux agrémens les camps et la Cour, cultiver la littérature légère et arborer les goûts de son âge ; » maintenant, avec l’ambition, s’éveillent en lui le courage du travail et le désir d’apprendre. Il s’associe à la lourde besogne que l’administration de la Guerre impose au maréchal, il dépouille, pour les lui soumettre, les innombrables plans de réformes dont des novateurs échauffés encombrent, sans trêve ni répit, le bureau du ministre. Et ce labeur ne fait point tort aux occupations littéraires. Je n’entends pas seulement par là les chansons, les quatrains, les madrigaux, les épigrammes, toute cette poésie facile qui semblait couler de sa plume et qui, presque dès le collège, attirait au précoce rimeur une réputation de salons. Sans délaisser ces amusemens, il s’essaie à présent en des genres moins frivoles, contes moraux, éloges historiques, comédies en prose ou en vers. Ces productions, soumises à la censure des grands critiques du temps, lui valaient les encouragemens de Suard, de Delille, de La Harpe. L’un des plus beaux jours de sa vie fut celui où il lut ces lignes de d’Alembert, auquel Chastellux avait montré quelques morceaux de son jeune parent : « L’auteur mérite que tous les honnêtes gens l’aiment, l’estiment et s’intéressent à lui. Quelle distance de lui à presque tous les jeunes gens de son état ! Je l’aime et le respecte sans le connaître ; et grâce au sentiment de vertu dont il me paraît pénétré, je crois n’avoir pas besoin de faire pour lui la prière de Cicéron pour César dans Rome sauvée :


Dieux, ne corrompez pas cette âme généreuse ! »


II

Cette existence agréable et remplie contentait pleinement tous ses vœux. Aussi fut-ce avec plus de surprise que de joie qu’il apprit un matin la proposition imprévue que M. de Vergennes, qui dirigeait alors les Affaires étrangères, était venu soumettre à son collègue, le ministre de la Guerre. Il ne s’agissait de rien moins que de changer en diplomate le jeune colonel de dragons, en lui donnant, pour poste de début, le titre et les fonctions de « ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire-du Roi en Russie. » Quitter, pour bien longtemps sans doute, Paris, Versailles, sa famille, ses amis, sa plume et son épée, s’en aller, au bout de l’Europe, dans un pays presque barbare, traiter de graves affaires de commerce et de politique, et travailler enfin au maintien de la paix, tandis que, comme il le confesse, au fond du cœur il souhaitait ardemment la guerre, ces craintes, ces regrets, ces scrupules, agitèrent si fort son esprit que son premier mouvement fut de décliner un emploi, singulièrement flatteur pourtant pour un homme de son âge. Il fallut, pour le décider, l’injonction formelle de son père et la promesse qu’à son retour il retrouverait sa place dans les rangs de l’armée. Au mois de décembre 1784, accompagné d’une suite nombreuse, il procédait à son départ. Sa femme, que de cinq ans il ne devait revoir, le conduisait jusqu’à Forbach et revenait ensuite avec ses enfans à Paris, tandis que, mélancoliquement, il prenait la route de Berlin.

Sur le séjour de Ségur à la cour du Grand Frédéric, comme sur les événemens de son ambassade en Russie, je ne redirai pas ce que content si bien ses Mémoires. Je voudrais seulement ajouter à son intéressant récit quelques détails qu’on ne trouvera pas sous sa plume. La mission confiée par Vergennes au diplomate improvisé ne comportait aucun programme précis ; mais, entre les deux cabinets de Versailles et de Pétersbourg, régnait depuis plusieurs années une assez grande froideur, qui aurait pu, à un moment donné, se tourner en hostilité ; le but proposé à Ségur était de dissiper ce long malentendu et d’amener, si possible, le rapprochement des deux pays. Il s’y employa de son mieux, mais il prétendit davantage, et toute sa politique visa, du début à la fin, à établir entre la France et la Russie une véritable alliance, dont la préface serait la signature du traité de commerce que, depuis quarante ans, poursuivait sans succès notre diplomatie, toujours contrecarrée par la victorieuse influence de la diplomatie anglaise.

La réussite de l’entreprise paraissait si douteuse que M. de Vergennes commença par blâmer, en termes assez durs, l’initiative de son ambassadeur, lui signalant le risque qu’il courait de compromettre à la légère, par une démarche hasardée, la dignité du roi de France. À cette méfiance de la cour de Versailles correspondait, à la cour de Saint-James, une incrédulité mélangée d’ironie. Le projet de traité et son présomptueux inventeur y étaient raillés sans merci. Le chevalier de Metternich rapporte l’entretien qu’il eut sur cette affaire avec le chef du cabinet anglais[8] : « J’ai parlé de ce projet avec le ministre ; il en a ri, et m’a dit : Nous sommes sans inquiétude à cet égard, et nous n’avons cru devoir faire aucune démarche pour l’empêcher. Votre comte de Ségur est un homme aimable, plein d’esprit et d’agrémens, mais beaucoup plus propre à faire un traité d’amour qu’un traité de commerce... Nous laissons M. de Ségur jouir de tous ses succès à la cour de Russie ; nous savons que c’est à ses qualités aimables qu’il doit sa réussite ; il a francisé les dames moscovites, il leur a donné du goût pour les plaisirs de la société, qu’elles ne connaissaient pas encore. L’Impératrice, qui a elle-même infiniment d’esprit, n’a pu se refuser à rendre justice à votre représentant. Mais il y a une grande différence entre l’homme aimable et l’homme d’Etat. M. de Ségur est le premier ; il ne sera jamais le second... »

L’événement démontra bientôt que, fût-ce pour mener à bonne fin un traité commercial, l’esprit, la courtoisie et l’élégance de formes peuvent être d’utiles auxiliaires, surtout dans un pays de pouvoir absolu, dont le sceptre est aux mains d’une femme. La machine gouvernementale, en Russie, était alors exclusivement conduite par deux personnalités toutes-puissantes : d’abord, l’Impératrice elle-même, puis le prince Potemkin, son favori et son premier ministre. Ségur mit tout son art à les conquérir l’un et l’autre. Potemkin, autant qu’il paraît, fut le moins aisé à gagner : comblé d’honneurs, de pouvoir, de richesse, dégoûté de toutes choses pour en avoir joui sans mesure, le prince était le plus mobile et le plus capricieux des hommes, le plus difficile à fixer. « Au milieu de la paix, il ne songeait qu’à la guerre, et, dans un camp, il ne rêvait qu’à la paix. Quelquefois, il soupirait pour la retraite et les douceurs de la vie monacale et quittait ses occupations ministérielles pour se livrer aux disputes des Églises de Grèce et de Rome[9]. » Ce penchant pour la scolastique et la théologie fut la voie détournée que Ségur résolut de suivre pour arriver jusqu’à son cœur. A tout propos, dans leurs causeries, avec une adresse insidieuse, il le mettait sur son thème préféré, l’écoutait disserter pendant des heures entières sur l’origine du schisme grec et les décisions des Conciles, n’opposant d’objections que ce qu’il jugeait nécessaire pour donner plus de prix à la victoire de son contradicteur ; et peu à peu, par un insensible progrès, il avançait dans sa confiance, s’insinuait dans son affection, et supplantait dans ses bonnes grâces les ambassadeurs d’Angleterre et d’Autriche, seuls admis jusqu’alors en son intimité.

L’Impératrice fut plus promptement séduite, et par des moyens plus légers. Grande travailleuse et faisant son métier royal en conscience, Catherine, sa tâche quotidienne accomplie, aimait à oublier dans des divertissemens frivoles le poids lourd de l’Empire. Ségur se fit pour elle l’ordonnateur des fêtes et le régulateur des jeux. Dans une cour grossièrement luxueuse et mal civilisée, ce Français raffiné introduisit le goût des plaisirs délicats et des distractions littéraires. Il devint comme le directeur et le fournisseur patenté du théâtre de l’Ermitage, et sa verve facile y improvisa tour à tour charades, vaudevilles, proverbes, tragédies, où les spectateurs éblouis n’étaient pas éloignés de voir des espèces de chefs-d’œuvre. Un drame en vers de sa façon, dont le héros était Coriolan, enthousiasma l’Impératrice ; elle en apprit par cœur les plus ronflantes tirades et les voulut réciter à Fauteur, avec plus de chaleur que d’entente de la prosodie. Chaque soir aussi, dans les réunions plus intimes, c’étaient des couplets, des quatrains, des bouts-rimés, des madrigaux, tout un feu d’artifice de louanges élégamment tournées, de galans complimens, qui, en charmant l’esprit de la souveraine, atteignaient le cœur de la femme, touchaient sa sensibilité, plus même, si Fon en croit des récits indiscrets, que ne l’aurait souhaité l’auteur.

Ce fut, d’après Sainte-Beuve[10], dans l’été même qui précéda la signature du traité de commerce que le comte de Ségur eut « à poser lui-même les degrés d’une faveur qu’il ne voulait pas Epuiser. » Invité par Catherine à sa résidence de campagne, il s’aperçut à des indices certains, — parmi lesquels le choix de l’appartement assigné, — que son succès dépassait les limites auxquelles tendait son ambition. Son embarras fut grand. Quels que fussent ses motifs, — morale, fidélité à d’autres sentimens, crainte de la disproportion d’âge, — il résolut de se soustraire au caprice peu dissimulé de la « Sémiramis du Nord. » Mais « comment avertir à temps et avec convenance une fantaisie impérieuse, qui d’ordinaire marchait assez droit au but ? Comment conjurer sans offense cette bonne grâce imminente et son charme menaçant ? » Voici ce qu’il imagina : chaque jour, à la même heure, l’Impératrice parcourait une allée, qu’une simple charmille séparait d’une allée parallèle. Dès le lendemain de son arrivée au château, il s’arrangea de telle façon que l’auguste promeneuse l’aperçut, à travers le léger rideau de verdure, dans une posture tendrement familière avec une jeune dame de la Cour, qui n’était point dans le secret. Catherine passa sans sourciller, mais, au dîner, elle fut froide, taciturne, la parole brève et le visage soucieux ; vers la fin du repas, « s’adressant au jeune ambassadeur, elle lui fit entendre que ses goûts brillans le rappelaient dans la capitale, et qu’il devait supporter impatiemment les ennuis de cette retraite monotone ; à quelques objections qu’il essaya, elle coupa court, d’un mot qui indiquait sa volonté[11]. » Ségur s’inclina, obéit, un peu inquiet des suites de l’aventure ; mais quand, à Pétersbourg, il retrouva l’Impératrice, tout parut oublié, et jusqu’au bout de sa mission, la séduction de sa présence et le charme de son commerce agirent comme un baume efficace sur la plaie de l’orgueil blessé. Plus tard seulement, et lorsqu’il fut loin d’elle, il eut la preuve à ses dépens qu’il est, pour certaines offenses, des rancunes sourdement vivaces et de tardives vengeances.

L’essentiel, pour le diplomate, fut que cet incident fâcheux ne compromit pas le succès des négociations dès lors secrètement engagées. Une note préliminaire, — que l’envoyé de France, par un hasard piquant, rédigea au moyen d’une plume prêtée par l’ambassadeur d’Angleterre, M. de Fitz-Herbert, — jeta les bases d’un accord commercial, qui fut tenu quelque temps encore clandestin ; et, le 17 janvier 1787, fui signé un traité en forme pour une durée de douze années, traité qui assurait aux marchandises françaises des avantages singulièrement précieux et faisait jouir notre commerce de tous les privilèges dont l’Angleterre avait jusqu’alors profité. Si importante que fût cette pacifique victoire, elle ne suffisait pas aux ambitions de l’heureux négociateur, et l’entente commerciale n’était, dans sa pensée, que le prélude d’une entente politique entre deux grandes nations que tant de communs intérêts prédestinaient à s’unir. A la triple alliance récemment conclue entre la Prusse, l’Angleterre et les Provinces-Unies, il rêvait d’opposer la quadruple alliance de la France avec la Russie, l’Autriche et l’Espagne. Quels furent ses longs efforts pour arriver à ce grand résultat, comment, malgré le favorable accueil fait par Catherine et Potemkin aux premières ouvertures, la molle et timide inertie du gouvernement de Louis XVI fit échouer un projet qui, s’il eût abouti, aurait pu entraîner de si décisives conséquences, c’est une histoire qui dépasserait le cadre étroit de cette étude. L’année 1789 vit le définitif échec de cette ingénieuse conception. Dès lors, découragé, mécontent de ses chefs, inquiet aussi des événemens qui commençaient à troubler sa patrie, Ségur ne songea plus qu’à quitter un emploi où il se jugeait désormais inutile.

La prise de la Bastille, dont le récit parvint à Pétersbourg dans les derniers jours de juillet, rendit ce désir plus pressant. L’effet de cette nouvelle en ces lointaines contrées fut vraiment surprenant et le retentissement immense. Parmi les artisans et dans les classes aisées, ce fut un délire d’enthousiasme : négocians, étudians, bourgeois de toute catégorie, s’embrassaient dans les rues, saluaient la chute de cette prison d’État comme l’aube de la félicité et de la liberté du monde. A la Cour, au contraire, l’inquiétude était vive, et l’irritation déchaînée contre le ministère français. Au milieu du conflit des sentimens contraires, l’ambassadeur du Roi était dans une situation étrangement délicate. Ce fut avec une joie sincère qu’il reçut, en septembre, ses lettres de rappel. Son audience de congé ne laissa pas d’être émouvante. Catherine chercha à le retenir en Russie, lui offrant, s’il y consentait, de brillans avantages, « rang, emploi, établissement territorial[12]. » Il refusa avec reconnaissance ; elle insista avec cordialité : « Votre penchant, ajouta-t-elle, pour la nouvelle philosophie et pour la liberté vous portera probablement à soutenir la cause populaire. J’en serai fâchée, car, moi, je resterai aristocrate, c’est mon métier. Songez-y, vous allez trouver la France bien enfiévrée et bien malade. — Je le crains, madame, répliqua-t-il, mais c’est ce qui me fait un devoir d’y retourner. « Le 11 octobre 1789, Ségur quittait Saint-Pétersbourg et en janvier suivant débarquait à Paris.


III

Le bonheur de revoir les siens après cette longue absence fut vite gâté, comme le lui prédisait Catherine, par les soucis de la politique. Partout il trouvait la discorde. Dans sa propre famille, il eut à constater de profondes divergences, non de sentimens, mais d’idées. Le premier entretien qu’il eut avec son père ne lui laissa sur ce point aucun doute. Elevé dans le culte fidèle des institutions monarchiques, le maréchal considérait comme une « folie dangereuse » toute tentative capable d’ébranler le vénérable et antique édifice qui, depuis tant de siècles, avait abrité tant de gloire. Pour la noblesse française, il ne concevait qu’un seul devoir : défendre le trône menacé par une « entreprise de factieux. » Cette même horreur du mouvement révolutionnaire, Louis-Philippe de Ségur la rencontrait encore dans la bouche de son frère, mais sous la forme plus légère qui était propre au vicomte : « Voulez-vous savoir, disait-il, ce que c’est qu’une révolution ? L’explication en est tout entière dans ces mots : Ote-toi de là que je m’y mette[13]. « Il reprochait surtout aux chefs du parti populaire d’avoir détruit cette aménité dans les mœurs, cette douceur dans les formes, qui faisaient de Paris la capitale de l’élégance, de la courtoisie, du bon ton. En attendant le jour où, en compagnie de Suleau, de Rivarol, de Mirabeau cadet, il les attaquerait publiquement dans cette étrange feuille royaliste, les Actes des Apôtres, qui prétendit tuer par le ridicule le monstre grandissant, il se répandait en bons mots, en cinglantes épigrammes, qui divertissaient le public aux dépens des vainqueurs du jour, sans ralentir en rien leur marche triomphale.

A l’autre pôle de l’opinion, Ségur trouvait ses compagnons du Nouveau Monde et la plupart de ses anciens amis, Lafayette, Lauzun, Broglie, les deux Lameth, le vicomte de Noailles, tous ralliés aux idées nouvelles, tous s’efforçant d’attirer cette nouvelle recrue dans leur camp. Ils n’y eurent guère de peine. Imprégné depuis sa jeunesse de l’ « esprit philosophe, » séduit en Amérique par le mirage de la liberté politique, Ségur s’associa sans effort à ceux dont le rêve généreux était de faire fleurir, sur le vieux sol de la monarchie, une ère d’indépendance, de tolérance, d’affranchissement de toutes les servitudes. Mais, sceptique par tempérament, instruit par l’expérience de cinq ans de diplomatie, il était plein de doute sur le succès de cette noble entreprise. « Je partage vos vœux plus que vos espérances, » répondait-il à Lafayette, prophète boursouflé de l’âge d’or. Il se traça dès cet instant la ligne de conduite qu’il comptait suivre constamment pendant la durée de la crise : demeurer, autant qu’il pourrait, spectateur, non acteur, dans la lutte des partis, tout au moins n’y intervenir que pour donner de chaque côté des conseils de modération, et n’employer son influence qu’à concilier et à réconcilier. C’est un rôle honorable, mais rarement efficace, et dont l’ordinaire résultat est d’attirer sur soi les coups de tous les combattans. Et tel fut, en effet, le lot qui échut à Ségur.

Son intimité d’autrefois avec Marie-Antoinette, sa liaison avec Lafayette et les principaux chefs de l’Assemblée nationale, l’habitude qu’il avait des négociations, sans compter ses dons naturels de finesse et de persuasion, tout le désignait pour servir d’intermédiaire officieux, de trait d’union entre la Cour et les meneurs de la Révolution. L’année 1790 fut presque entièrement occupée à des échanges de vues et à des pourparlers où Ségur prit une part active. La Reine, qui depuis quelques mois avait semblé se refroidir, se rapproche subitement de lui, le mande journellement aux Tuileries, et lui témoigne en apparence une confiance sans limite. « Votre ami le candidat à l’Académie mène absolument les affaires étrangères, écrit Mirabeau à La Marck. — Il a vu vingt fois la Reine, riposte ce dernier. — La fréquence des rendez-vous de Ségur, reprend à son tour le tribun, est réellement extraordinaire. Êtes-vous bien sûr qu’ils ne produiront rien[14] ? » Vaudreuil, dans le même temps, mande secrètement au Comte d’Artois : « Savez-vous quels sont les sentimens du comte de Ségur ? Il est ambitieux, plein d’énergie, de talent et d’esprit ; il ne s’agirait que de bien diriger tout cela. Occupez-vous-en avec adresse... Voilà un de ces hommes qu’il faut avoir ; les moyens, je les ignore. » La Marck, de son côté, indique à Mirabeau un plan de séduction pour s’acquérir l’appui de l’ex-ambassadeur, car « une fois engagé, dit-il, il sera scrupuleusement fidèle. » La suite de cette correspondance nous montre ces conseils religieusement suivis. Entre Ségur et Mirabeau, ce sont de constantes entrevues et des dîners en tête à tête, où l’illustre orateur déploie toutes les ressources et toutes les grâces de son esprit ; ce sont aussi des notes confidentielles que Mirabeau fait remettre à la Reine, en sachant qu’elles passeront sous les yeux de Ségur, et où il le couvre de fleurs : « Ségur a l’habitude de négocier, l’esprit juste, le cœur inflammable, le caractère très chevaleresque, et porte, je crois, à un haut degré, le dévouement au Roi et à la Reine. Il leur tient compte, non seulement de leurs bontés, mais, chose rare, de leurs malheurs, sentiment qui n’appartient qu’à une âme noble et à un caractère élevé[15]. »

Trop rompu à la politique pour attacher grande importance à ces flatteries intéressées, Ségur ne s’en prêtait pas moins à des essais de rapprochement qui, pour produire des fruits utiles, eussent exigé chez les divers partis une bonne volonté plus sincère. L’incident qui s’éleva au mois d’octobre de cette même année est instructif à cet égard. L’effort principal de Ségur tendait alors à amener une entente entre Mirabeau et Lafayette ; le génie oratoire de l’un, la popularité de l’autre, eussent pu en s’unissant dominer, pensait-il, l’Assemblée nationale et favoriser le retour aux idées de modération. Après de longues difficultés, un accord secret fut conclu, dont on ignore les bases ; mais Lafayette, d’après ce qu’on peut soupçonner, ne tint pas ses premières promesses, et Mirabeau exaspéré se vengea en maltraitant fort, dans un discours à l’Assemblée, le « héros des Deux Mondes. » D’où une discussion assez aigre entre Ségur et Mirabeau, dont on jugera le ton par ces quelques extraits ; c’est Ségur qui prend l’offensive : « Je ne parlerai pas à M. de Mirabeaii de son discours, écrit-il. Il doit parfaitement savoir s’il a rempli ses engagemens. Il ne peut pas ignorer l’impression qu’il a pu me faire, et il doit concevoir que j’aie lu avec étonnement le mot de modération dans son billet... Comme ses écrits ne sont pas de ceux qu’on oublie, sa modération sera aussi célèbre que son courroux, et l’histoire dira éternellement de qui il s’est rapproché [le Duc d’Orléans], de qui il s’est éloigné [Lafayette] ; mais ce qu’elle ne saura pas, ce sont les raisons particulières que j’ai de me plaindre de lui... Je lui présente mes salutations, et je le presse encore, avec une loyauté qu’il a souvent louée, de cesser de rendre si dangereux ce qu’il peut rendre si utile. »

La riposte de Mirabeau est d’une courtoise habileté : « Si votre lettre n’est pas digne de votre équité, elle l’est du moins de votre franchise. Je dois, dites-vous, savoir si j’ai rempli mes engagemens ; je le sais, en effet, et si je permettais à quelqu’un d’en douter, ce que je ne permets pas, c’est à vous que j’attesterais que je n’avais pas pris, en cette occasion, un seul engagement qui ne fût conditionnel... Je vous attesterais que M. de Lafayette m’a manqué de parole, et j’en donnerais une preuve sans réplique, qui serait celle-ci : M. de Ségur m’a dit que M. de Lafayette lui avait promis de faire telle chose, ainsi cela était vrai.. » Il se défend ensuite vivement de toute alliance avec celui qui s’appellera bientôt Philippe-Egalité, rappelant par allusion le mot sanglant qu’il a dit sur son compte : « On prétend que j’en veux faire mon maître ; je n’en voudrais pas pour mon laquais ! » Et après une diatribe sur la « déloyauté » de Lafayette, il conclut ainsi sa missive : « Croyez-moi, gardez-vous de compromettre votre vertu la plus chère et la plus estimable dans une compagnie si hasardeuse. M. de Lafayette a manqué à la parole qu’il m’avait donnée par votre organe ; je vous en plains, et ne me plains pas de vous, et vous semblez vous plaindre de moi. En vérité, cela serait trop étrange, si une sensibilité si honorable n’était très intéressante ! »

On ne peut nier que, dans cette escarmouche, Mirabeau garde l’avantage. Ségur le sentit bien, et sa dernière réplique témoigne de quelque embarras : « Vous estimez ma franchise. Elle doit vous faire croire que je n’ai pas dit la vérité d’un seul côté et que j’ai fait mes observations à tous ceux qui pouvaient les mériter... Ne parlons plus de ce qui est fait et ne peut plus se défaire. Les réflexions sur le passé aigrissent, les réflexions sur l’avenir sont seules utiles. Et si vous trouvez ma sensibilité honorable, ne me parlez pas de mes amis lorsque vous êtes injuste à leur égard, ou ne m’en dites que ce qu’il me convient d’entendre... Songez à la crise actuelle, au rôle que vous y jouez, et voyez s’il faut sacrifier le bien et le repos public à des ressentimens particuliers, et la gloire de sauver l’Etat au plaisir amer de satisfaire des haines secrètes et mal calculées. »

Après cette vive passe d’armes, les négociations languirent, puis cessèrent bientôt entièrement. Mais il resta chez Mirabeau quelque rancune de la querelle ; lorsque, à peu de jours de là, il fut question de désigner Ségur pour le département des Affaires étrangères, Mirabeau s’opposa très nettement à ce choix : « D’ailleurs, écrit-il crûment, il n’est pas assez stupide pour accepter, » Et il met en avant Moustiers, « lourd, mais sage et sûr. » Le projet n’aboutit pas ; mais l’an d’après, après la mort du grand tribun, ce même dangereux emploi fut, pour la seconde fois, proposé au comte de Ségur. Montmorin s’étant retiré en octobre 1791, Louis XVI et Marie-Antoinette mandèrent au palais des Tuileries l’ancien ambassadeur, et le conjurèrent d’accepter cette lourde succession. L’entretien fut long, pathétique ; ému par l’insistance des malheureux souverains, par leurs protestations de confiance, Ségur finit par se laisser convaincre. « Il a fait, écrit Montmorin, ce qu’il fallait de difficultés pour prouver qu’il connaissait les dangers de la place, et il a fini par dire qu’il ferait ce qu’on voudrait. » Mais, l’audience terminée et « se retirant pour sortir après une troisième révérence, il aperçut dans une glace, en face de laquelle la Reine se trouvait, un geste d’irritation de cette princesse, qui lui rendit toute sa défiance[16]. » Toutefois, il hésitait encore, lorsque, la nuit suivante, un ex-commis des Affaires étrangères, depuis longtemps dévoué à tous les siens, vint l’avertir sous main que le ministère proposé serait un leurre et « une vaine apparence, » qu’un personnage occulte, établi hors de France, serait seul informé des véritables intentions du Roi et de la Reine ; et cet avis fut appuyé par des preuves convaincantes. Dès lors, tristement éclairé, il envoya au Roi sa démission, ou plutôt son refus ; le Moniteur du 31 octobre publia la note ci-après : « M. Louis Ségur, ci-devant ministre à Pétersbourg, avait accepté le département des Affaires étrangères, d’après la démission de M. de Montmorin, mais il est revenu sur cette disposition, on ignore pour quel motif. »

A deux reprises pourtant, pendant cette même période, Ségur consentit à rentrer à titre temporaire dans les affaires publiques, et n’eut pas lieu de s’en féliciter. Ce fut d’abord une ambassade à Rome, en vue de faire accepter par le Pape la constitution civile du clergé et l’annexion du Comtat-Venaissin, tâche ingrate s’il en fut. Il se mit néanmoins en route ; mais, en arrivant à Florence, il y apprit la rupture des deux cours et le refus absolu du Saint-Siège de recevoir « l’ambassadeur de la Révolution. » Il n’était autre chose à faire que rebrousser chemin et regagner Paris, où l’attendait, pour fiche de consolation, le grade de maréchal de camp. De nouveau, quelques mois plus tard, il passait la frontière, mais cette fois la frontière du Nord, comme « envoyé extraordinaire » auprès de la cour de Berlin. Sur cette seconde mission, une singulière légende, fabriquée de toutes pièces par la presse étrangère et celle du parti émigré, s’est répandue parmi les contemporains de Ségur et a depuis trouvé créance auprès de quelques historiens. On l’a représenté comme chargé de corrompre, moyennant trois millions emportés dans ses coffres, les maîtresses et les favoris du roi Frédéric-Guillaume II et de propager en Allemagne l’évangile révolutionnaire ; mais, voyant ses projets déjoués, désespéré de son échec, il aurait, sans y parvenir, demandé au suicide un refuge contre sa détresse et son humiliation. Une gravure, partout distribuée en France et en Allemagne, reproduisit cette scène tragique et popularisa l’histoire.

Albert Sorel, dans une étude approfondie[17], a fait justice de ces belles inventions. Voici, en résumé, d’après les documens et les témoignages authentiques, la vérité sur cette affaire. De Lessart, qui dirigeait alors les Affaires étrangères, désirait obtenir, dans le conflit général redouté, la neutralité de la Prusse et la rallier à la politique de l’Autriche, dont on croyait pouvoir attendre quelque modération. Il fit appel dans cette intention à Ségur, qui accepta par dévouement et sans grande illusion sur ce qu’il pourrait obtenir. Le 26 décembre 1791, il partait pour Berlin, muni des instructions verbales que, dans une longue audience, il avait recueillies de la bouche même du Roi et de la Reine, et disposant, pour toutes les dépenses du voyage, d’une somme totale de 150 000 livres. La Prusse paraissant disposée à se mettre à la tête de la coalition qui s’organisait secrètement contre notre pays, la mission de Ségur, au cas où elle eût réussi, aurait fait crouler par la base le plan du parti émigré et contre-révolutionnaire, qui reposait tout entier sur la guerre. Il y eut donc, dès la première nouvelle, parmi les ultra-royalistes, un déchaînement violent contre lui. Une pluie pressée de dénonciations s’abattit, pendant son voyage, à la cour de Berlin : on dévoilait les « projets de corruption » que l’envoyé français était censé nourrir ; on l’accusait de noirs desseins pour semer l’esprit de révolte parmi les populations d’outre-Rhin ; par une perfidie plus dangereuse, on rapportait à Frédéric-Guillaume quelques propos piquans, plus ou moins authentiques, tenus jadis par Ségur sur son compte à la cour de Russie ; Catherine elle-même, dit-on, en écrivit au Roi et, par cette petite trahison, vengea ainsi sur l’homme d’Etat l’offense jadis faite à ses charmes par le particulier. Pour brocher sur le tout, un entretien confidentiel du diplomate et du maire de Strasbourg, surpris dans une chambre d’auberge par une dame royaliste, la comtesse de Grais, mal entendu sans doute, et à coup sûr dénaturé, fut transmis par elle à Bouillé, pour être redit en haut lieu à Berlin. Bouille, dans ses Mémoires, se vante, sans le moindre scrupule, de s’être acquitté en conscience d’une aussi fâcheuse commission[18].

Précédé de la sorte, Ségur débarquait à Berlin le 9 janvier 1792. Il s’y sentait aussitôt entouré d’une défiance générale. Les ministres prussiens témoignaient une glaciale froideur ; la Cour le traitait en intrus. « Avez-vous déjà vu l’étranger ? » demandait au comte de Reuss Frédéric-Guillaume, qui interdisait à la Reine d’adresser la parole au représentant de la France. L’ambassadeur se sentait espionné, partout suivi, environné de traquenards et d’embûches. Sans se déconcerter pourtant, il exigea et obtint une audience du Roi ; le dialogue, d’abord compassé, s’anima peu à peu : « Vos soldats continuent-ils à refuser toute discipline ? demanda brutalement le Roi. — Sire, répondit Ségur, nos ennemis en jugeront ! » Cette vive réplique termina l’entretien. Il vit aussi plusieurs fois les ministres, s’expliqua franchement avec eux sur toutes les calomnies qu’on avait lancées sur son compte. Son langage, sa sincérité, la dignité de son attitude, dissipèrent bien des préjugés ; après deux semaines de séjour, le ton et les manières avaient singulièrement changé, et l’envoyé de France était maintenant traité avec la plus grande distinction. Mais le Roi demeurait hostile, personnellement blessé, gardant rancune des propos rapportés.

Somme toute, par son habile patience, Ségur avait sauvé sa situation personnelle ; quant au résultat politique, il ne conservait nul espoir de pouvoir rien obtenir ; tout lui démontrait, au contraire, qu’entre les cours de Vienne et de Berlin il y avait désormais partie liée, que l’esprit belliqueux l’emportait sans réserve et qu’un conflit sanglant était inévitable. Ségur l’écrivit à Paris, déclara sa mission à présent sans objet, demanda son rappel, et ne songea plus qu’au départ. Mais l’impatience, l’énervement, la rigueur du climat, avaient ébranlé sa santé, de tous temps délicate ; sa gorge s’enflamma ; des crachemens de sang survinrent ; il dut se mettre au lit, voir un médecin, se faire saigner. Le soir même, dans la ville, on racontait que l’on avait trouvé l’ambassadeur de France étendu dans son sang, la main crispée sur le manche d’un poignard. M. de Moustiers, son prédécesseur à Berlin, brave homme, mais de cervelle épaisse, recueillit l’anecdote, y crut avec candeur, la manda sur l’heure à Paris. Ainsi prit naissance une légende qui, accueillie sans contrôle, exploitée avec empressement en certains milieux politiques, fit promptement le tour de l’Europe.

Les derniers jours de février, le prétendu suicidé, encore malade et grelottant la fièvre, quitta la capitale prussienne : « Le comte de Ségur, écrit le 1er mars un des correspondans de Bouillé[19], est parti dans un état pitoyable ; je ne sais s’il pourra faire la route sans s’exposer à périr, car, la veille de son départ, il a encore craché le sang. » La dernière dépêche de Ségur est datée du 25 février ; il y prédit la guerre prochaine, et termine par ces mots, empreints d’un sombre pessimisme : « Nous sommes dans une crise effrayante ; la destinée des Français dépend de leur conduite. Si le désordre continue, si le gouvernement n’a pas la force qui lui est nécessaire, on nous regardera à la fois comme des voisins dangereux et comme une proie facile, et, dans cette supposition, toute la valeur française ne pourrait nous préserver des plus grands malheurs. »


IV

Rentré en France, sa santé compromise l’obligeait avant tout à chercher le repos. Il partit avec sa famille pour Fresnes, demeure de son beau-frère, le marquis d’Aguesseau, à sept lieues de Paris. Ce fut dans cette retraite que vinrent le trouver les nouvelles des tragiques événemens qui se succédaient coup sur coup : les journées du 20 juin, du 10 août, les égorgemens de septembre. C’est là aussi qu’il vit un jour, avec une pénible surprise, son nom inscrit sur la liste des émigrés. Une protestation immédiate, insérée dans le Moniteur, fit constater que ni lui, ni son père, ni son frère le vicomte, n’avaient passé à l’étranger[20]. Il fit plus, il revint s’établir à Paris, auprès du maréchal, avec sa femme et ses enfans. Cette décision faillit lui coûter cher : à deux reprises, dans les mois qui suivirent, il fut mis en arrestation. La première fois, l’influence d’un ami parvint à l’arracher des mains des terroristes ; la seconde fois, il ne dut son salut qu’à lui-même ; désigné pour monter la garde à la porte du Temple, où Louis XVI était prisonnier, il refusa nettement d’obéir ; dénoncé sur-le-champ, appréhendé, traduit devant le comité de sa section, il s’expliqua avec une sincérité courageuse. « J’ai été, dit-il à ses juges, l’ambassadeur de ce malheureux prince ; il m’a comblé de ses bontés ; je ne pouvais me joindre à ses geôliers, m’exposer à tirer sur lui, s’il avait tenté de briser ses fers. » Ce langage étonna le tribunal improvisé ; il s’éleva dans le public un cri d’approbation ; « le dénonciateur troublé, stupéfait, se vit honteusement chassé, « tandis que l’accusé était ramené chez lui, aux acclamations de la foule[21].

On ne pouvait néanmoins espérer être toujours aussi heureux. Contre l’anarchie grandissante, il fallut chercher un asile. Le précepteur des deux fils de Ségur, le sieur Lugardon, originaire du bourg de Châtenay, près de Sceaux, indiqua cette localité comme spécialement tranquille et d’esprit pacifique. Sur la place du village était une petite maison de campagne, avec un parc, de trente arpens, autrefois habitée par le père de Voltaire et où s’était écoulée, disait-on, l’enfance du philosophe. L’acquisition fut réalisée sans délai. Le maréchal, sur l’instante prière de son fils, consentit à s’y installer avec lui. Le départ de toute la famille eut lieu le 21 janvier 1793. Jusqu’au dernier moment, Ségur, avec quelques amis, avait multiplié démarches et prières pour sauver la tête de Louis XVI. La veille encore du jour fatal, Vergniaud, pressé et conjuré par lui, avait pris en ce sens un engagement formel, que son vote renia le lendemain. Quand tout espoir cessa, le maréchal et le comte de Ségur, dont l’hôtel avait vue sur la place de l’exécution, résolurent d’échapper à l’horreur du spectacle. Le matin même, à l’aube du jour, ils quittaient leur logis et s’établissaient à Châtenay.

Les premiers mois de ce séjour furent relativement calmes. La pénurie d’argent, qu’on croyait passagère, n’influait pas sur la sérénité d’esprit. Comme l’hiver était rude, les enfans s’occupaient à ramasser du bois mort dans le parc, « en soufflant dans leurs doigts glacés[22] ; » ils cultivaient aussi des légumes et des pommes de terre, dont ils payaient le prix de leurs leçons. Leur père, de son côté, écrivait des vaudevilles, des comédies légères, dont il comptait tirer profit, quand à l’orage succéderait l’éclaircie. Mais ce répit fut de courte durée. Un homme que le maréchal avait obligé autrefois, maintenant jacobin forcené, découvrit sa retraite, fit décerner un mandat contre lui. Un beau matin, l’on vit débarquer à Châtenay les commissaires de la Convention, venant arracher le vieillard à sa famille en larmes. Il fallut bien céder devant la violence, le laisser emmener à Paris. Septuagénaire, dévoré de la goutte, privé d’un bras laissé sur les champs de bataille, il fut mis à la Force, dans un cachot infect, où il languit six mois, sans autres soins que ceux de quelques ouvriers, ses compagnons de détention, qu’avait émus son infortune.

Son petit-fils Philippe, — celui qui fut plus tard l’historien de la Grande Armée, — avait été témoin de la scène de l’arrestation ; dix ans plus tard, le hasard fit qu’il se retrouvât face à face, dans l’antichambre de son père, avec le dénonciateur, fonctionnaire de l’Empire et courtisan servile. L’empoigner au collet et le jeter dehors, non sans lui avoir fait éprouver en chemin « les rudes effets de son indignation, » fut le premier soin du jeune homme. Cette exécution faite, il le provoque en duel pour le lendemain. Mais, le soir même, on sonnait à sa porte : c’était l’ex-terroriste qui venait, « encore tout meurtri, » présenter ses humbles excuses et implorer le silence de son agresseur, Ce fut l’épilogue de l’histoire.

Le vicomte de Ségur, ainsi qu’on pouvait s’y attendre, avait de quelques mois précédé le maréchal dans les vengeances de la Révolution. Enfermé dans les murs de l’ex-abbaye de Port-Royal, — qu’on avait dénommée Port-Libre pour en faire une prison, — il attendait la guillotine en bonne et nombreuse société, chansonnant ses geôliers, madrigalisant pour les dames et, sous la menace du couperet, conservant sa gaîté et son humeur galante. Il échappa pourtant à ce qui paraissait un sort inévitable. Comme quoi un ancien comédien, qui jadis avait joué ses pièces et tenait à présent l’emploi de secrétaire au Comité de Salut public, parvint à prolonger, par une ruse ingénieuse, l’existence du vicomte et celle du maréchal, je n’ai pas à conter ici ce romanesque et curieux épisode. Thermidor vint à temps pour les rendre à la liberté. Bientôt après, toute la famille fut de nouveau réunie à Châtenay, où, par une chance inespérée, Louis-Philippe de Ségur, échappant aux périls du transfert dans la capitale, était resté, pendant toute cette période, prisonnier sous son propre toit, surveillé par un commissaire et deux paysans sans-culottes, dont il s’était fait des amis.


Après l’affreuse tourmente, c’était beaucoup sans doute d’avoir le droit de vivre, mais encore fallait-il en trouver les moyens, et c’était là le difficile. Les pillages, les confiscations, la suppression de toutes pensions, avaient successivement détruit toutes les ressources, et la détresse était complète. Dans cette crise effrayante, le comte et le vicomte, unis dans une même pensée, recoururent à leur plume ; le passe-temps des années heureuses devint le gagne-pain des années de misère. Parfois séparément, le plus souvent en collaboration, les deux frères firent représenter dans les divers théâtres de la capitale des vaudevilles, des proverbes, des piécettes, d’une verve facile, bourrées d’allusions politiques, et dont l’actualité assurait le succès. L’époque était propice à ce genre d’entreprises : les deux Ségur, écrit Viennet, « vendirent des distractions à ceux qui cherchaient à s’étourdir sur la misère publique, ou qui avaient conservé assez du caractère français pour rire au milieu des tombeaux. » Souvent, pour égayer les soirées de Châtenay, on essayait entre deux paravens l’effet des compositions paternelles[23] ; l’auteur, sa femme et ses enfans se partageaient les rôles, et l’on avait pour spectateurs le maréchal, quelques vieux serviteurs, parfois aussi de rares amis, échappés au désastre. De ces essais sans prétention, les deux frères s’élevèrent graduellement à des ouvrages d’un genre plus relevé, libretti d’opéras, comédies en vers ou en prose, auxquels le public des Français, de l’Odéon, de l’Opéra-Comique, firent le meilleur accueil, et dont plusieurs, pendant de longues années, restèrent au répertoire. Le jeune Philippe de Ségur, entrant dans la même voie, ne tarda pas à faire concurrence à son père ; à dix-sept ans, il fit jouer un vaudeville qui lui rapporta 1 500 livres, une fortune pour l’époque. Il versa cette somme tout entière dans la caisse familiale, et elle assura plusieurs mois la subsistance de ses parens. C’est à cette même époque que le comte de Ségur fit paraître l’ouvrage qui, sous le nom de Politique de tous les cabinets de l’Europe sous Louis XV et Louis XVI, eut une vogue éclatante et valut à l’auteur un commencement de célébrité.

Parmi ce labeur opiniâtre et ces occupations variées, les journées coulaient rapidement ; et cette période de privations, où Ségur et les siens ne durent la vie qu’à leur travail, resta plus tard dans leur souvenir comme particulièrement heureuse. Quand il recouvra par la suite la richesse, l’influence, tout ce qu’il avait cru disparu pour jamais, c’est avec une juste fierté que le héros de cette étude évoquait la mémoire de ces temps de noble indigence : « Comme vous, écrira-t-il à Mme Dufrénoy[24], j’ai perdu ma fortune ; ma plume m’a procuré le peu d’argent qui donna du pain à mon père, à mes trois enfans et à l’ange que le Ciel m’accorda pour femme....le n’ai jamais éprouvé une plus vive jouissance que dans l’instant où, pour la première fois, je reçus du libraire les vingt-cinq louis qui nourrirent ma famille. »

En se consacrant de la sorte à la littérature, Ségur n’avait pas entièrement dit adieu à la politique. Resté en commerce assidu avec certains de ses anciens amis, il les soutenait dans leur lutte généreuse pour restaurer en France l’ordre et la liberté. Nombre d’articles de journaux portent sa signature ; plus fréquemment encore, c’étaient des encouragemens, des conseils des notes et des éclaircissemens sur toutes les grandes questions du jour, par le moyen desquels il s’efforçait d’aider à l’œuvre pacificatrice. « J’ai peu de crédit, lit-on dans une de ses lettres, écrite à cette époque, car je ne suis d’aucun parti. Je combats les passions des autres, et les miennes, et je dis la vérité à tout risque. » Quand les circonstances l’exigèrent, il sut payer de sa personne. Le 1er prairial an III, dans cette journée fameuse où la salle de la Convention fut envahie par une horde de scélérats, portant au bout d’une pique la tête du malheureux Féraud, Ségur, prévenu l’un des premiers, mit l’épée à la main, groupa quelques hommes résolus, pénétra à leur tête dans l’Assemblée terrorisée, et contribua ainsi, non seulement à sauver les jours de son ami Boissy d’Anglas, mais à assurer la victoire de la légalité sur l’anarchie sanglante.

Cette attitude publique, sa notoriété grandissante, et son refus formel, en dépit de flatteuses invites, de donner son concours aux chefs du Directoire, le désignèrent, le 18 fructidor, à ceux qui prétendirent alors ressusciter le régime révolutionnaire. Averti du danger, il chercha un asile, aux portes de Paris, chez un ami dévoué, qui le cacha pendant les premiers jours de cette nouvelle Terreur. Ce fut là qu’il apprit sa proscription et celle de la plupart de ses amis. S’il échappa aux horreurs de l’exil, ce fut, cette fois encore, dit un de ses biographes, « grâce à une de ces amitiés affectueuses qu’il sut inspirer jusqu’à son dernier jour aux hommes et aux femmes des partis les plus opposés. » Son nom fut rayé de la liste. Il reprit son train laborieux, persévérant à demander aux lettres à la fois les consolations et les ressources de la vie. Il atteignit ainsi l’ère réparatrice de Brumaire. Nul ne salua d’un cœur plus chaud, d’un enthousiasme plus sincère, l’aurore de l’astre éblouissant qui, soudainement émergé des ténèbres, d’un bout à l’autre du pays allumait une flamme d’espérance. Aussi accepta-t-il les offres du Premier Consul avec autant d’empressement résolu qu’il en avait montré naguère pour décliner celles de Barras.


On sait, — et mon confrère Albert Vandal, dans sa célèbre histoire de l’Avènement de Bonaparte, l’a mis récemment en lumière avec une autorité magistrale, — de quel prix singulier fut de tous temps, aux yeux de Napoléon, le concours de ceux dont les noms se rattachaient à l’ancienne France. L’adhésion sans réserve d’un ambassadeur de Louis XVI, du fils d’un maréchal de France et d’un ministre de la Monarchie, ne pouvait rencontrer chez lui qu’un favorable accueil, dont les effets se firent promptement sentir. Reconnaissons d’ailleurs que Ségur ne négligea rien pour aider la fortune. Membre du Corps législatif, c’est lui qui, en 1802, rompant, par un détour habile, le silence que les lois imposaient à cette assemblée, propose l’ouverture d’un registre où ses collègues et lui consigneront le vœu de conférer à Bonaparte le Consulat à vie : « Ce vœu, s’écriait-il[25], répété bientôt dans toute la République, rassurant tous les amis de la patrie, enlevant toute espérance aux factions, liera constamment notre sort aux destinées glorieuses du conquérant de l’Egypte et de l’Italie, du citoyen courageux qui a terrassé l’anarchie, du héros dont le génie audacieux a franchi les Alpes, désarmé tous nos ennemis, vaincu tous nos préjugés, calmé toutes les consciences, et qui vient enfin de donner la paix au monde ! » Ces mots sont acclamés et, sur une motion de l’orateur, une députation est nommée pour porter ce vœu au Consul. Dès lors, sous le nouveau régime, la carrière de Ségur est brillante et rapide. D’abord, comme conseiller d’Etat, il coopère à la rédaction de nos codes, à l’œuvre immense de réorganisation nationale qui sera la gloire éternelle du génie de Napoléon. Puis, coup sur coup, il est investi des fonctions de grand officier du Palais, de grand maître des cérémonies, de sénateur avec dotation, fonctions qu’il cumulera durant tout le cours de l’Empire.

A dire le vrai, sa carrière naturelle eût été la diplomatie, où l’eussent servi son nom, ses goûts, ses aptitudes et son expérience du métier. Qu’il l’ait ardemment désiré, la chose n’est point doueuse. Lorsque, en 1804, il fut question de donner à Talleyrand une sorte de coadjuteur et de nommer un « sous-ministre des Affaires étrangères, » Ségur se mit sur les rangs. « Les plus grandes probabilités pour cette place sont en faveur de Ségur, » disait Charles de Nesselrode. Mais il semble que, dans cette voie, Talleyrand lui ait barré obstinément la route, craignant peut-être un successeur possible ; du moins est-ce là ce que nous assurent ces mêmes lettres de Nesselrode : « Je ne vous ai fait ce long récit sur M. de Ségur, écrit-il à son fils, que pour que vous appreniez à connaître à fond le caractère d’un homme destiné vraisemblablement un jour à remplacer M. de Talleyrand aux Affaires étrangères. » Il n’en fallait pas tant pour éveiller l’ombrageuse jalousie du prince de Bénévent. Par suite de cette opposition, Ségur resta donc confiné dans des emplois de Cour, dont il s’acquittait, a-t-on dit, « avec cette légère nuance d’ironie qui sauve du ridicule et empêche de voir la puérilité de l’étiquette[26]. » — « Il avait d’ailleurs fort à faire, ajoute le même historien, pour mettre au courant de leurs rôles des acteurs dont beaucoup n’y étaient guère préparés et leur donner le ton et l’allure convenables. On le consultait de toutes parts sur toutes les difficultés d’étiquette ou de préséance. Il rendait des oracles avec une prévenance spirituelle. » Napoléon lui-même, dans les grandes représentations qu’il aimait à donner sur le théâtre de l’Europe, ne manquait pas d’avoir recours au tact et à l’expérience de son grand maître des cérémonies, répétait d’avance avec lui ce rôle difficile de souverain dont son génie lui avait appris le métier, mais dont il ignorait les gestes. C’est dans une parade de ce genre, lors du congrès d’Erfurt, que Ségur lui fit cette réponse d’un heureux à-propos : le grand maître arrivait quelque peu en retard au rendez-vous assigné par l’Empereur ; en le voyant entrer, ce dernier fronça le sourcil ; aussitôt, prévenant le reproche : « Excusez-moi, Sire, dit-il en souriant, je suis tombé dans un embarras de Rois, dont je n’ai pu sortir plus vite ! »

Cédant comme de coutume à son double penchant, Ségur, au début du régime, avait d’abord prétendu concilier sa rentrée dans la vie publique avec ses travaux littéraires. En compagnie de son frère et de Désaugiers, il avait récemment fondé la Société dite du Caveau, qui prit plus tard le nom de Société des dîners du Vaudeville. Il en resta membre assidu jusqu’à la fin du Consulat, apportant aux séances des pièces de vers et des chansons, d’un tour aimable et fin, qu’anime à l’occasion un léger souffle poétique. Certains couplets du comte et du vicomte ne sont pas encore oubliés ; je me borne à rappeler ici la pièce charmante sur le Voyage du Temps, et cette autre chanson dont on cite souvent le refrain sans en savoir l’auteur :


Tous les méchans sont buveurs d’eau,
C’est bien prouvé par le déluge.


C’est vers ce même temps que parut la Décade historique, tableau assez poussé au noir du règne de Frédéric-Guillaume II roi de Prusse. « Si ce roi, dit Sainte-Beuve[27], avait eu avec Ségur des torts de procédé, il les paya dans ce tableau fidèle. Une plume véridique est une arme aussi ; M. de Ségur ne l’a jamais eue si ferme, si franchement historique. » Cet ouvrage valut à l’auteur l’honneur qu’il convoitait dès avant la Révolution, son entrée à l’Académie, récemment réorganisée ; mais il marqua aussi l’arrêt, pour toute la durée de l’Empire, de sa production littéraire. Napoléon n’approuvait guère que les gens de son entourage fissent le métier d’écrire, surtout s’il s’agissait de publications politiques ; s’adressant brusquement à l’historien de Frédéric-Guillaume, il lui demanda certain jour, avec une insistance marquée, « si ce M. de Ségur qui faisait des livres était un de ses parens. » Ségur comprit l’invite et, si sa plume ne demeura pas inactive, du moins ne livra-t-il plus rien à la publicité.


V

Sur la fin de sa vie, dans une chanson où il a mis sa biographie en couplets, Ségur se rend ce témoignage :


Poussé par mes destinées,
Près de dix rois tour à tour
J’ai porté, quarante années,
Une âme libre à la Cour.

Cette assertion peut sembler hasardée sous la plume de celui qui sut conserver jusqu’au bout la faveur de Napoléon. Toutefois, si ce goût pour la liberté, dont se targuait Ségur, fut peut-être parfois chez lui théorique plutôt qu’effectif, on ne peut nier qu’il sut, en certaines occasions, donner des preuves d’indépendance qui, sous ce maître absolu, n’étaient pas exemptes de courage. Chateaubriand, entre autres, eut à lui rendre cette justice, lors du vif incident que provoqua la réception de l’auteur des Martyrs à l’Académie française. Le fameux écrivain venait d’être nommé au fauteuil de Joseph Chénier ; Ségur avait été l’un des plus ardens promoteurs de sa candidature, et il fit partie, peu après, de la commission de douze membres chargés, selon l’usage, d’examiner, avant qu’il fût lu en public, le discours du récipiendaire. Dans le panégyrique de Chénier, son prédécesseur, Chateaubriand louait magnifiquement l’homme de lettres, mais jugeait en termes sévères le jacobin et le régicide. Six membres de la commission, dont Ségur et Fontanes, votèrent pour l’approbation du discours ; six autres, plus timides, opinèrent pour la suppression du passage qu’ils jugeaient dangereux. Devant ce partage par moitié, la question restait en suspens. Le lendemain, à Saint-Cloud[28], Napoléon, apercevant Ségur parmi la nombreuse assistance, marcha vers lui, l’apostropha vivement : « Monsieur, les gens de lettres veulent donc mettre le feu à la France !... Comment l’Académie ose-t-elle parler des régicides, Quand moi, qui suis couronné et qui dois les haïr plus qu’elle, je dîne avec eux et m’assois à côté de Cambacérès ! » Puis, s’animant par degrés : « Vous et M. de Fontanes, ajouta-t-il, vous mériteriez que je vous misse à Vincennes. — Sire, répliqua Ségur, je ne vous crois pas capable de cette injustice. On peut trouver naturel d’entendre blâmer la mort de Louis XVI, sans croire contrarier un gouvernement qui vient de faire dresser à Saint-Denis des autels expiatoires. » À ces mots, l’Empereur, en colère, frappant du pied, s’écria : « Je sais ce que je dois faire, et quand et comment je dois le faire. Ce n’est pas à vous d’en juger... Je ne demande point de conseils. Vous présidez la seconde classe de l’Institut ; je vous ordonne de lui dire que je ne veux pas qu’on fasse de politique dans ses séances. » Puis, d’une voix brève : « Exécutez mon ordre. Allez, et songez bien que, si l’Académie y désobéit, je la casserai comme un mauvais club. » Sur ce, Napoléon sortit ; chacun se retira, évitant soigneusement Ségur et lui faisant froide mine. Duroc seul se risqua à lui adresser la parole.

Le lendemain, au lever, Ségur, l’assemblée terminée, demeura seul avec l’Empereur. Revenant aussitôt sur la scène de la veille, il expliqua avec sang-froid les raisons de son vote, représenta l’inconvénient d’imposer « des chaînes trop pesantes à la littérature, » lit appel au bon sens et à l’équité du souverain. Napoléon l’écouta en silence, puis, d’un air bienveillant : « Je ne vous en veux pas, lui dit-il. Ceci est de ma politique. Je vous ai dit hier ce que je voulais qu’on répétât. Si c’était un autre que Chateaubriand qui eût fait ce discours, je n’y aurais pas pensé ; et voilà ce que, comme homme d’État, vous auriez dû sentir. » Changeant alors de ton : « Avouez aussi, ajouta-t-il gaiement, que, comme homme de goût, M. de Chateaubriand a fait une inconvenance, car enfin, lorsqu’on est chargé de faire l’éloge d’une femme qui est borgne, on parle de tous ses traits, excepté de l’œil qu’elle n’a plus ! » Ce mot fit rire Ségur ; l’Empereur fit chorus avec lui ; et, lorsque la porte s’ouvrit, les assistans les virent tous deux causant amicalement ensemble, d’où subite volte-face et empressement universel auprès du grand maître des cérémonies.

Une lettre de Chateaubriand, pleine de reconnaissance, récompensa Ségur d’un effort méritoire, qui resta d’ailleurs impuissant, car l’Académie consultée se prononça pour la suppression du passage, ce que Chateaubriand refusa d’accepter, s’opposant même à toute atténuation : « C’est, répondit-il à cette dernière demande, comme si l’on me disait : « Ouvrez la bouche et serrez les dents. » Il circula, dit-on, neuf cents copies manuscrites du discours, qui ne fut jamais prononcé. Chateaubriand ne prit séance qu’à la Restauration.


La spéciale bienveillance que, malgré quelques algarades de ce genre, Napoléon témoigna toujours à Ségur n’était pas uniquement fondée sur une sympathie personnelle ; il y entrait une part de gratitude que l’on peut trouver justifiée. En se ralliant jadis au régime consulaire, l’ancien ambassadeur du Roi avait entraîné dans cette voie ses fils, dont le cadet, Philippe, fut le premier, parmi les jeunes représentans de la noblesse française, à s’enrôler sous les drapeaux de la nouvelle armée, donnant le signal d’un mouvement qui, d’abord vivement critiqué, fut très promptement et très généralement suivi. L’Empereur ne l’oublia jamais ; la carrière militaire du « volontaire de Bonaparte, » servie par une brillante valeur, se déroula, presque du début à la fin, sous les yeux et aux côtés du maître de l’Europe. Quand, à six ans de là, chef d’escadron de cavalerie, il fut blessé et pris dans une escarmouche, en Pologne, c’est par une lettre de sa main, — faveur rare et enviée, — que l’Empereur voulut, en personne, rassurer sa famille : « Monsieur de Ségur, écrivait-il[29], votre fils a été fait prisonnier par les Cosaques. Il en a tué deux de sa main avant de se rendre, et il n’a été que très légèrement blessé. Je l’ai fait réclamer sur-le-champ, mais ces messieurs l’ont fait partir pour Saint-Pétersbourg, où il aura le plaisir de faire sa cour à l’Empereur. Il vous sera facile de faire comprendre à Mme de Ségur que cet événement n’a rien de désagréable et ne doit l’alarmer en rien. Sur ce... »

Deux ans plus tard, un nouvel accident de guerre fut l’occasion d’une scène qui demeura, pour le père et le fils, l’un des plus beaux, l’un des plus émouvans souvenirs de toute leur existence. Percé de coups, criblé de balles, dans la charge héroïque qu’il dirigea sur la redoute de Sommo-Sierra, Philippe, échappé par miracle à la mort, eut ordre de l’Empereur d’apporter à Paris, pour les remettre au Corps législatif, les nombreux étendards conquis au cours de cette campagne. Couché dans une berline, sur un lit de drapeaux, l’aide de camp de Napoléon fit, en janvier 1809, son entrée dans la capitale. Ses graves blessures le retinrent au lit si longtemps que ce fut seulement l’an d’après, le 22 janvier 1810, qu’il fut assez remis pour s’acquitter de sa glorieuse mission. Fontanes présidait la séance, mais, par injonction de l’Empereur, le comte de Ségur fut désigné pour prendre la parole au nom du gouvernement. Le Moniteur nous a conservé le récit de cette solennité, dont la pompe un peu théâtrale, selon le goût du temps, n’exclut ni la grandeur, ni le côté touchant. Dès que la séance est ouverte, Ségur paraît à la tribune ; il annonce l’arrivée « d’un jeune officier, » qui va être introduit dans l’enceinte législative pour présenter, de la part de l’Empereur, les 80 drapeaux « pris en Espagne par ses armées victorieuses. » Après quelques phrases éloquentes, il termine en disant, d’un accent attendri, qu’il ne veut pas, « en prolongeant ce discours, retarder une solennité dont il est également pressé de jouir, comme soldat, comme magistrat, et comme père. » Une clameur enthousiaste salue cette péroraison. Aux accens d’une « musique guerrière, » douze députés introduisent alors dans la salle les grenadiers porteurs des faisceaux d’étendards, en tête desquels s’avance, dit le compte rendu officiel, « M. l’adjudant-commandant comte de Ségur fils, » qui se dirige vers la tribune. Les grenadiers se groupent aux pieds de la statue de l’Empereur. Philippe prend la parole, explique l’objet de sa mission, puis, sa harangue achevée, descend de la tribune et, parmi les applaudissemens, va s’asseoir auprès de son père. Nouveau discours, cette fois du président Fontanes. « Que ces drapeaux teints de son sang, s’écrie-t-il en montrant le fils de son confrère, doivent paraître beaux à sa mère, à son épouse, à son père, qui versent des larmes de joie et sur qui semblent s’arrêter tous les regards de cette assemblée ! » Les acclamations l’interrompent ; l’émotion est au comble ; et la séance levée, un grand banquet offert par l’Assemblée à « MM. de Ségur père et fils, » termine, dans une effusion générale, cette inoubliable journée.

Un bas-relief de marbre, exécuté par ordre de Napoléon, reproduisit, cette scène et décora longtemps l’un des murs du Palais-Bourbon. A vingt années de là, pendant les derniers mois de la Restauration, Philippe, élu le matin même à l’Académie française, était chez le comte de Lobau, son ami, qui demeurait rue de Bourgogne, en face dudit palais. Son attention fut attirée par une équipe d’ouvriers de la ville, qui, au haut d’un échafaudage, brisaient, à grands coups de maillet, des sculptures jugées séditieuses par le gouvernement royal ; et il vit voler en éclats la tête de son père et la sienne.


Unis aux jours prospères, le comte de Ségur et son fils ne séparèrent pas leur fortune à l’heure des catastrophes. L’année 1814 les vit combattant tous les deux pour la défense du sol français contre l’invasion étrangère, l’un colonel des Gardes d’honneur, l’autre chargé, avec le titre de « commissaire extraordinaire, » d’organiser la résistance dans la Bourgogne et dans la Franche-Comté. Le sénateur grand maître des cérémonies, lorsque lui échut cette besogne, se ressouvint de son premier métier, quand il servait sous les drapeaux du Roi. Ses lettres pendant cette mission, conservées de nos jours dans les archives de la famille, montrent l’ardeur et le courage qu’il déploya pour réchauffer le zèle de populations épuisées, lassées de gloire et n’aspirant plus qu’au repos. Elles constituent aussi un triste témoignage de la froideur, parfois même de l’hostilité, qui accueillait presque partout cette suprême tentative. Sans doute, en constatant la vanité de ses efforts, se rappela-t-il le jour où, dans l’intimité d’une causerie familière, Napoléon l’avait ainsi interrogé à brûle-pourpoint : « Que dira-t-on de moi après ma mort ? » Ségur, en phrases grandiloquentes, commençait à s’étendre sur les regrets de la nation : « Pas du tout, interrompit l’Empereur. On dira : Ouf ! » Et d’un geste expressif il souligna l’exclamation. Maintenant, cette prophétie se réalisait à la lettre. Malgré tout le génie du chef et les prodiges d’une poignée de héros, l’invasion triomphante, l’entrée des alliés dans Paris, l’abdication de Fontainebleau, toutes ces nouvelles tombaient sur un peuple découragé, dont de trop longues fatigues et trop de sang versé avaient affaibli les ressorts. Les plus solides fidélités cédaient l’une après l’autre. Le 3 avril, lorsque le Sénat impérial, à la presque unanimité, vota la déchéance de Bonaparte et le rétablissement de la royauté bourbonienne, Ségur ne se refusa pas à suivre ses collègues : « Tout est fini, mandait-il mélancoliquement à son fils. Toute résistance doit désormais cesser. Il n’y a plus qu’à se résigner, à adhérer, à se conformer à l’exemple universel. »

La première Restauration créa le comte de Ségur pair de France. Il siégea sur les bancs de l’opposition libérale, combattant les mesures de colère et de réaction, qui allaient si promptement retourner l’opinion contre un régime dont on attendait l’apaisement et qui, trop fréquemment, pratiqua surtout la vengeance. « En dépit de la conduite plus prudente des princes et de Louis XVIII, écrira Philippe de Ségur, il nous eût fallu, pour vivre supportablement au milieu de ceux qui les entouraient, devenir transfuges de notre drapeau, renégats de notre gloire, traîtres enfin à tous nos souvenirs et à nos compagnons d’armes. » Cette irritation, cette révolte, le père l’éprouvait comme le fils. Pourtant, au retour de l’île d’Elbe, dans le conflit de sentimens qui se combattaient en son âme, il exprima d’abord la volonté de renoncer à tout rôle politique, de garder la neutralité dans la formidable querelle. Son imprudence, ou sa faute, si l’on veut, fut de prétendre expliquer à l’Empereur lui-même les raisons de cette attitude. « Lorsqu’on veut rompre avec une maîtresse impérieuse et longtemps adorée, il ne faut pas affronter sa présence, » remarque à ce propos Sainte-Beuve. Dès qu’il eut revu le grand homme, il subit l’ascendant et il retomba sous le charme[30].,


VI

Si excusable qu’elle pût être, la défection était flagrante, et la seconde Restauration la lui fit justement, bien que durement, payer. Dépouillé de ses dignités, de ses pensions et de son siège à la Chambre des pairs, il dut, une fois de plus, demander à sa plume, plus que sexagénaire, les ressources indispensables à la vie journalière.

C’est de cette période difficile que date la lettre ci-après adressée à ses descendans pour leur expliquer sa conduite, et mise en tête du manuscrit de l’un de ses ouvrages ; j’en donne ici les passages principaux[31] : « Je n’ai pas de fortune à vous léguer. Celle que je tenais de mes pères m’a été enlevée par la Révolution, et j’ai été privé par le gouvernement royal de presque toute celle que je devais à mes travaux et aux services rendus à ma patrie. J’ai préféré cette patrie à tout, et plus elle est malheureuse, plus je l’aime. J’ai été, je suis et je serai toujours dans les rangs de ceux qui ont voulu la défendre, et qui voudront lui rendre son indépendance, sa force et sa gloire... La perte de mes biens et de mon rang ne peut me faire regretter de m’être montré fidèle à un principe que je crois juste, à un devoir qui me paraît sacré. Si les étrangers ne se fussent pas mêlés de nos querelles, ma conduite eût été toute différente, mais je vois en ennemi tout ce qui combat la France sous les drapeaux de l’étranger, en ami tout ce qui s’oppose à leurs armes. Il viendra un temps où il sera plus glorieux d’être tombé en résistant que de s’être élevé en pliant sous l’étranger ; mais cette gloire est un legs que vous ne recueillerez peut-être qu’un peu tard... Une bonne renommée, du moins, est un bel héritage, et je crois que je vous le lègue, car j’ai, dans une longue vie et dans de grandes places, fait du bien à beaucoup de gens et n’ai fait de mal à personne. »

De même que, vingt années plus tôt, pressé par une nécessité pareille, Ségur s’était fait vaudevilliste sous la Révolution, sous la Restauration il se fit journaliste ; et la presse libérale, à qui la loi laissait alors une assez large indépendance, compta parmi ses plus assidus rédacteurs l’ancien grand dignitaire de la Cour, impériale. Il publia dans le même temps deux importans ouvrages : un Abrégé d’histoire universelle, dont la vogue fut assez soutenue pour faire une sérieuse concurrence aux Histoires de Rollin, et un recueil de morceaux détachés, — aperçus littéraires, historiques et philosophiques, réunis sous le nom de Galerie morale et politique, — qui constitue sans doute sa meilleure œuvre littéraire ; au moins est-ce l’avis de Sainte-Beuve : « M. de Ségur, écrit-il[32], prend là sa place au rang de nos moralistes les plus aimables ; on a comme la monnaie, la petite monnaie blanche, de Montaigne, du Saint-Evremond sans afféterie, du Nivernais excellent... Cette causerie plaît surtout par sa grâce courante et s’insinue plus qu’elle ne mord. Son frère le vicomte avait plus de trait et de pointe ; M. de Ségur est surtout un esprit uni, orné, mesuré ; il ne sort pas des tons adoucis... Il ne croit pas pouvoir changer l’homme, mais il le sent tel qu’il est et il tâche d’en tirer parti. »

À ce jugement du grand critique il faut ajouter le récit, fait par un témoin oculaire, des conditions dans lesquelles furent écrites ces dernières pages du vieil homme de lettres ; je laisse la parole à Viennet[33] : « Il est un tableau ravissant qui me pénétra d’une admiration profonde et qui ne sortira jamais de ma mémoire. Le vieillard avait l’habitude de travailler dans son lit ; sa vue affaiblie ne lui permettait plus de tracer sur le papier les pensées qui jaillissaient de sa tête[34], et la dépense d’un secrétaire aurait gêné celui qui, auparavant, en avait tant à ses ordres. Mais il avait une femme qui ne reculait devant aucun sacrifice, qui allait au-devant de tous ses vœux. C’était elle, c’était la petite-fille du grand d’Aguesseau, qui, assise au pied du lit, écrivait pendant six heures sous sa dictée... Quoique moins affaiblie, la vue de cette femme admirable inspirait aussi des inquiétudes, mais elle n’était tourmentée que de la crainte de ne pas la conserver aussi longtemps que pouvaient l’exiger les besoins de sa maison, et son cœur ingénieux lui suggéra de n’écrire que sur du papier vert, pour ménager un organe aussi nécessaire à l’objet de ses adorations... » Ces manuscrits sur papier vert sont en la possession de celui qui écrit aujourd’hui cette étude ; il y est joint une note de la main du comte de Ségur, qui sert de post-scriptum à la lettre de lui que l’on a lue plus haut : « Le temps a changé, non mes opinions, non mes sentimens, mais mon sort. Je suis rétabli dans ma dignité de pair de France, je continue mon travail, et ma femme n’interrompt point ses touchans sacrifices. »

Ces dernières lignes sont datées de 1819. A cette époque, en effet, sous la pression de l’opinion publique, Louis XVIII avait fait une grande « fournée » de pairs composée presque exclusivement de libéraux et de bonapartistes, ce qui alors était tout un. Ségur y fut compris, et retrouva sa place sur les bancs de l’opposition, prenant une part active aux délibérations. C’est à cette rentrée imprévue que fait allusion ce cou})let de la chanson, déjà citée, où il a résumé les principaux faits de sa vie :


Lorsque après vingt ans de guerre
Nous revîmes les Bourbons,
En reprenant leur bannière,
Ils firent pairs et barons.
Mais cette noble pairie
Qu’on devait, suivant nos lois,
Donner au moins pour la vie,
Moi, j’y fus nommé trois fois !


Cette même année fut celle de l’ouverture du salon, jusqu’alors réservé aux intimes, mais où bientôt, à l’appel du comte de Ségur, se réunit ce que Paris comptait d’hommes distingués dans la politique et les lettres. Les habitués avaient nom Lafayette, Boissy d’Anglas, Lameth, Daru, Barbé-Marbois, Viennet, Arnault, Benjamin Constant, Casimir Perier, le général Mathieu-Dumas ; on y voyait aussi quelques femmes aimables et jeunes, dont la grâce égayait cette société un peu sévère. Chaque soir, dans une pièce simplement meublée et à la faible lueur d’une lampe que sa vue fatiguée supportait avec peine, le vieillard se tenait assis, entouré de sa femme, de ses enfans, et des amis fidèles qui se plaisaient dans cette demeure : « Il en faisait les honneurs, rapporte un des familiers du logis, avec une bonne grâce et une courtoisie inimitables. Toutes les opinions, tous les partis, tous les mondes, se retrouvaient chez lui. Dès qu’il élevait un peu la voix, toutes les conversations cessaient ; on faisait cercle pour l’écouter, et il tenait tout l’auditoire sous le charme de sa causerie, semée d’anecdotes, de souvenirs, de réflexions piquantes, et profondes parfois sons une forme légère. Il avait vu tant d’hommes et de choses, et il les racontait si bien, qu’on ne se lassait ni de l’interroger, ni de l’entendre. » — « Nous ne parlions pour ainsi dire que pour le faire parler, dit un autre contemporain, et je lui ai dû, quinze ans, mes plus délicieuses soirées[35]. »

C’est au cours de ces réunions, sur l’instance de ses auditeurs, que naquit le projet d’écrire et de publier ses mémoires. Il avait toute sa vie pris des notes quotidiennes sur les hommes et les événemens auxquels avait été mêlée sa laborieuse carrière ; compléter, rédiger ces notes fut le passe-temps de ses dernières années. Ses Souvenirs et anecdotes parurent en 1824 ; le succès en fut éclatant. « Vous vous souvenez, s’écrie Viennet, avec quelle impatience étaient attendus ces volumes, avec quel empressement ils étaient saisis, et chacun d’eux redoublait la curiosité publique. » La déception fut vive quand, après la troisième partie, interrompue au seuil de la Révolution, la série s’arrêta pour ne jamais reprendre. Vainement son libraire le pressa, offrant 30 000 francs par volume, somme énorme pour l’époque ; Ségur se montra inflexible, et, à l’un de ses vieux amis qui lui demandait ses raisons, il expliqua qu’il ne voulait ni blesser les droits de l’histoire, ni rien écrire qu’on pût interpréter contre Louis XVI, contre Marie-Antoinette, contre Napoléon. « Je dois trop à la vérité, et trop à la reconnaissance ; » ainsi conclut-il l’entretien.


On peut regretter ce scrupule ; car sa plume fine et mesurée aurait sans doute su concilier l’exactitude des faits avec le respect dû à ses illustres protecteurs. Il eût été servi dans cette tâche délicate par la bienveillance naturelle et par l’optimisme souriant qui faisaient le fond de son caractère, et que renforçait, avec l’âge, une indulgence large et voulue, assez voisine du scepticisme : « Que voulez-vous ? écrivait-il au déclin de sa vie à un confrère de l’Institut[36]. On ne sait ce qu’on fait dans ce monde, et il y a tant de petites raisons, de petits penchans, de petites passions, de petits plaisirs, de petites peines, qui vous poussent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, que la ligne droite, qui, selon les géomètres, est la plus courte, selon les moralistes et surtout les politiques, est certainement la plus rare. » Ainsi plaidait-il par avance sa cause auprès de la postérité, en homme qui a traversé trop d’épreuves et vu trop de révolutions pour prendre au grand sérieux la rigidité des formules et l’infaillibilité des credos politiques. Son indifférence était moindre en matière religieuse. Elevé, comme la plupart de ceux de sa génération, à l’école de J.-J. Rousseau, de ses lectures philosophiques il avait au moins conservé, à défaut de croyance à des dogmes précis, un déisme sincère et l’espérance d’une vie future. C’est ce qu’affirme éloquemment ce passage d’une lettre adressée à une chère et ancienne amie[37] : « Je ne suis pas dévot, mais il suffit de sentir son âme, et d’en connaître de sensibles et d’élevées comme la vôtre, pour avoir la ferme conviction qu’il existe une Intelligence suprême qui s’occupe de nous, et dont le spectacle favori est apparemment la lutte de la vertu contre le malheur... Je ne connais rien de plus fol que les hommes qui aiment la gloire, c’est-à-dire qui vivent pour l’avenir, et qui cependant veulent croire que tout meurt avec eux. »

Ces pensées le soutinrent au cours de ses dernières années, qu’attristèrent des deuils de famille, dont le plus cruel fut la mort de sa compagne incomparable[38]. Coup sur coup, tombaient également les compagnons de sa jeunesse, les assidus de son salon. « Que fais-je ici ? dira-t-il tristement à l’un des survivans. Depuis deux ans, vingt-deux de mes amis m’ont quitté pour jamais. N’est-il pas temps de les rejoindre ? » Sa suprême joie fut l’accueil fait par ses confrères à la candidature académique du plus jeune de ses fils, le brillant narrateur de la campagne de Russie. Le vote eut lieu le 28 mars 1830 ; le candidat, seul au logis, attendait les nouvelles ; il vit entrer son père, qui lui tendait les bras : «Viens, criait-il, que j’embrasse mon confrère, nommé à l’unanimité, et le premier académicien devenu le collègue de son père ! » Trois mois plus tard, dans son discours de réception, Philippe rendait un pieux hommage à celui qui, déclarait-il, « fut à la fois mon maître, mon modèle, de qui je reçus plusieurs vies, qui créa tout en moi... En me nommant, messieurs, je le sens avec une double reconnaissance, c’est lui, lui surtout, que votre tendre et unanime affection vient de proclamer une seconde fois votre confrère. »

Cette émouvante séance fut la dernière à laquelle assista Ségur. Atteint depuis longtemps d’un mal inguérissable, il resta depuis lors confiné au logis, sans force et le corps délabré, mais toujours sociable, accueillant, et toujours entouré de quelques amitiés fidèles. C’est de là qu’il suivit, avec un intérêt mêlé de crainte et d’espérance, la lutte des journées de Juillet, et qu’il vit pour la seconde fois crouler la monarchie traditionnelle. Au lendemain de ces événemens, où le triomphe de ses idées lui laissait néanmoins des doutes sur la durée de cette victoire, dans le cabinet de Ségur, quatre vieillards, dont le plus jeune était septuagénaire, causaient, raconte Sainte-Beuve, assis sur le même canapé : c’étaient, avec le maître de maison, le général Mathieu-Dumas, Barbé-Marbois et Lafayette ; ils parlaient des révolutions passées, de celles qu’ils prévoyaient encore, et échangeaient leurs vues sur les destins de leur patrie ; sans illusion sur le présent, ils gardaient, malgré tout, une ferme confiance dans l’avenir. « C’était, dit l’auteur du récit, un spectacle touchant et inoubliable pour qui l’a pu surprendre, que cet entretien prudent, fin et doux, que ces vieillesses amies, dont l’une allait être bien jeune encore et dont aucune n’était lassée... » Quinze jours plus tard, le 27 août 1830, sans souffrance et sans agonie, s’éteignait le comte de Ségur. Le vieux poète Arnault prononça, au nom de l’Académie, un discours sur sa tombe, où je relève ces lignes : « Il réunissait à ce que la culture des lettres peut apporter de plus piquant, ce que les habitudes du grand monde peuvent prêter de plus aimable au commerce de l’homme de lettres. » Cet éloge, semble-t-il, caractérise avec justesse ce que les contemporains du Grand Roi, en termes plus concis, eussent appelé simplement « une figure d’honnête homme. »


SEGUR.

  1. La maison Fayard va publier prochainement une édition nouvelle illustrée des Mémoires ou Souvenirs et anecdotes du comte de Ségur, ambassadeur en Russie sous Louis XVI. Cette édition nouvelle sera précédée d’une introduction, où le marquis de Ségur a résumé les principaux traits de l’histoire de son trisaïeul ; c’est cette notice biographique que nous offrons aujourd’hui aux lecteurs de la Revue.
  2. Galerie Morale, par le comte de Ségur.
  3. Mémoires du marquis de Bouillé.
  4. Recueil de famille.
  5. Lettres publiées par le duc de Broglie dans un volume des Mélanges de la Société des bibliophiles français.
  6. Lettres publiées par le Duc de Broglie dans un volume des Mélanges de la Société des bibliophiles français.
  7. Notice de Sainte-Beuve sur le comte de Ségur.
  8. Le 19 novembre 1735, Lettres du chevalier de Metternich.
  9. Galerie morale, par le comte de Ségur.
  10. Notice sur le comte de Ségur, passim.
  11. Notice sur le comte de Ségur, passim.
  12. Mémoires du comte d’Allonville.
  13. Galerie morale, passim.
  14. Correspondance de Mirabeau avec le comte de La Marck.
  15. Note de Mirabeau pour la Cour du 26 juin 1790. Correspondance de Mirabeau, etc.
  16. Mémoires du général Philippe de Ségur.
  17. La mission de Ségur à Berlin, par A. Sorel. — Temps des 10, 12 et 15 octobre 1818.
  18. Mémoires du marquis de Bouille.
  19. Lettre du général Heymann.
  20. Moniteur du 3 décembre 1792.
  21. Discours de réception de M. Viennet à l’Académie française. — Mémoires du général Philippe de Ségur.
  22. Notes conservées dans les archives de famille.
  23. Recueil de famille.
  24. Adélaïde Dufrénoy, femme de lettres, alors célèbre, à laquelle Ségur fit accorder par l’Empereur une pension de 4 000 livres.
  25. Séance du 22 floréal an X.
  26. Paris sous Napoléon, par Lanzac de Laborie.
  27. Notice, etc.
  28. Sainte-Beuve, dans Chateaubriand et son groupe, a rapporté cet épisode, mais en attribuant à Daru le rôle joué par le comte de Ségur. Je rétablis ici les faits d’après les Mémoires du général Philippe de Ségur, qui en avait été, pour ainsi dire, le témoin.
  29. Lettre du 31 décembre 1806, dont l’original a été légué par le général de Ségur aux Archives nationales.
  30. Quand Napoléon fut relégué à Sainte-Hélène, le comte de Ségur proposa de le suivre dans son exil. L’Empereur n’accepta pas cette offre, mais il en fut vivement touché et, dans les dernières années de sa vie, on l’entendit plus d’une fois parler avec un accent de gratitude de cette marque de dévouement.
  31. Lettre du 1er décembre 1817. Archives de famille.
  32. Notice sur le comte de Ségur, passim.
  33. Discours de réception à l’Académie française, passim.
  34. Ségur avait perdu un œil de la goutte sereine pendant sa campagne en Amérique, et l’autre, à la fin de sa vie, menaçait de refuser ses services.
  35. Notice de Pongerville, Discours de Viennet, passim.
  36. Lettre à Vivant-Denon. Archives de famille.
  37. Lettres à Mme de X... Archives de famille.
  38. La comtesse de Ségur mourut le 6 mars 1828.