chez Antoine Perisse (p. 40-46).

RÉPONSE DE
TIMANDRE.
À
LA JEUNE IRIS

Lettre ſixieme.

Je vous pardonne de bon cœur des Vers que vous avez faits contre moy ; cette ſatyre ſi ſine & ſi bien tournée vous doit attirer mes louanges plâtoſt que mon reſſentiment. J’avoue que j’ay tout le tort imaginable d’avoir ſait monter l’Amour ſur voſtre viſage ; c’eſt l’avoir fait paroiſtre avec trop d’éclat, & il devroit prendre comme vous le dites ſort bien, des routes plus détournées.

Ouy, je n’ay pas raiſon, jeune Iris, je l’avonuë,
le devois mieux placer l’Amour ;  :
Quand on le ſait monter, ce n’eſt pas ſur la jonë,
Il ſaut luy ſaire prendre un plus joly détour.
Pour aller dans un cœur à petites journées,
L’obſcurité lui plaiſt, le grand éclale perd,
Il ſait choiſir ſur tout les routes : detournées
Et le petit chémin couvert.

Je gage que vous ne penſiez : pas avoir tant de raiſon que vous en aviez. L’envie que vous me marquez d’eſtre inſtruite en tendreſſe eſt admirable ; il eſt bon de ſatisfaire une curioſité qui vous doit eſtre ſi naturelle ; mais ne vous en prenez pas à moy, ſi vous n’avez pas ſenty on me voyant, ce trouble que je reſſens toûjours à voſtre abord ; ſi vous n’aviez donné votre cœur cons me je vous ay donné le mien, vous auriez reſſency la meſine émotion que moy, & ſi vous l’aviez laiſ ſé un moment en ma diſpoſition, Je vous répons qu’il auroit recens bien du plaiſir à ſuivre thes leçons. Souffrez done que je réponde à vos Vers ſur les meſmes rimes.

Fris pour vous donner la prompte experience
De ce trouble du cœur ſi charmant : & ſi doux,
Et pour chaſſer toute vostre indolence,
Souſſrez quelques momens Timandre auprés de vous ;
Je répons qu’il vous ſera naiſtres.
Ce deſodre charmant que vous vous.

lez avoirs
Vous le reſſomirez d’abord ſans le connoiſere,
Et vous verrez qu’il ſora ſor devoir
Et que ſon Eſceliers eſt aux mains d’un bon Maire :
Vous eſtes pour aimer dans la belle ſaiſon
Mais votre amo n’est pas docile
Et que vous ſervira d’avoir un
Matre babile,
Si vous n’entendez pas raison.
Un agreable inſtant chaſſe l’indifference :
Mais vous ne ſçauriez me rebuter
Si dans un doux transport je voulois vous l’oſter,
Vous n’en auriez jamais la patience ;
Pour l’éprouver avantageuſement,
Souſſrez qu’à vos genoue j’étale ma tendreſſe,
Qui auprés de vous je ſoupire ſans ceſſe,

Et pour mieux la ſentir dans tout ſon agrément
Que voſtre ſierté ne vous laiſſe :
Que l’unique reſſentiment
D’avoir recen ſitard cette charmante hôteſſe.
N’en doutez point, je ſçais m’en demeſler :
Si vous voulez n’eſtre plus ignorante,
Donnez moy voſtre cœur & vous ſerez ſçavante :
Puis que l’amour veut s’en meſler
Trop de repos vous embaraſſe,
Il ſaut ſubir enfin la naturelle loy,
Je ne suis pas ſort neuf en ce charmant employ
Et puis que vostre cœur s’offre de bonne grace.
Qu’il vienne entre mes mains, il aprendra pourquoy.

Le déſy eſt particulier à mon tour : Vous avez beau dire que vous me jettez voſtre cœur à la teſte, je n’en croiray rien juſques à ce qu’il ſoit entre mes mains : mais vous avez bien raiſon de dire que vous me trouvez ſort diſpoſé à faire encore une ſois pour vous le chemin. de la Tendreſſe. Cependant aprenez : que je ne ſuis pas d’humeur à marcher ſeul long-temps : C’eſt un chemin où l’on S’ennuye étrangement, & la ſolitude en eſt effroyable ; je ne répondrois pas, de l’humeur dont Je connois mon cœur, qu’il ne ſe laiſſaſt détrouſſer par quelques yeux fripons ; mais ſi le voſtre une fois luy tenoit fidele compagnie ſçachez qu’il défieroit tous es yeux du monde de luy donner la moindre atteinte.

Je ſus long-temps, Madame, ſans la voir, aprés cette Lettre : que je luy ſis tenir, un oncle Abbé ſort devot & ſort chagrin, ſous la conduite de qui elle eſtoit. ne luy. donnoit : pas toute la liberté qu’elle eût voulu avoir. Je peſtay ſou vent contre les chagrins du vieil oncle & d’une tante ſurannée, qui la ſaiſant vivre à ſa mode, ne s’accommodoit nullement à la noſtre. Cependant il falloit prendre patience ; une inquietude un peu trop preſſante commença à me ſaire connoître que ce commerce qui m’avoit paru d’abord un jeu d’eſprie, deviendroit une veritable affaire de cœur pour moy : ce peu de liberté que j’avais de la voir &c de lay parler en augmenta le deſir : ce deſit ſat ſaivy d’une inquietude aſſez piquante & aſſez vive, & cette inquietude me ſue un preſage de ce qui me devoit arriver. Je ne ſentois pourtant pas encore : ces émotions violentes, je croyois toujours badiner ; & ennuyé de ne point rencontrer cette aimable Perſonne, aux lieux meſmes où : noſtre devoir nous appelle rogu- lierement, je luy écrivis cette Lettre