Le Commencement du XIXe siècle (tr. Nerval)

Traduction par Gérard de Nerval.
Garnier frères (p. 361-362).


LE COMMENCEMENT DU XIXe SIÈCLE


À ***

Ô mon noble ami ! où se réfugieront désormais la paix et la liberté ? Un siècle vient de s’éteindre au sein d’une tempête, un siècle nouveau s’annonce par la guerre.

Tous liens sont rompus entre les nations, et toutes les vieilles institutions s’écroulent… Le vaste Océan n’arrête point les fureurs de la guerre ; le dieu du Nil et le vieux Rhin ne peuvent rien contre elles.

Deux puissantes nations combattent pour l’empire du monde ; et, pour anéantir les libertés des peuples, le trident et la foudre s’agitent dans leurs mains.

Chaque contrée leur doit de l’or : et comme Brennus, aux temps barbares, le Français jette son glaive d’airain dans la balance de la justice.

L’Anglais, tel que le polype aux cent bras, couvre la mer de ses flottes avides, et veut fermer, comme sa propre demeure, le royaume libre d’Amphitrite.

Les étoiles du sud, encore inaperçues, s’offrent à sa course infatigable ; il découvre les îles, les côtes les plus lointaines… mais le bonheur, jamais !

Hélas ! en vain chercherais-tu sur toute la surface de la terre un pays où la liberté fleurisse éternelle, où l’espèce humaine brille encore de tout l’éclat de la jeunesse.

Un monde sans fin s’ouvre à toi ; ton vaisseau peut à peine en mesurer l’espace ; et, dans toute cette étendue il n’y a point de place pour dix hommes heureux !

Il faut fuir le tumulte de la vie, et te recueillir dans ton cœur… La liberté n’habite plus que le pays des chimères ; le beau n’existe plus que dans la poésie.