Traduction par Jean Brignon.
(p. 281-286).


CHAPITRE LVIII.
De l’Oblation qu’il faut faire de soi-même à Dieu.

AFin que cette Oblation soit fort agréable à Dieu, il y a deux choses à observer. La premiere est, qu’on l’ünisse à toutes celles que le Fils de Dieu faisoit ici-bas. La seconde, qu’on ait le cœur entierement détaché de toute affection pour les créatures.

A l’egard de la premiere, il faut sçavoir que Notre-Seigneur pendant qu’il vivoir en ce monde, ne cessoit d’offrir au Pere Éternel, non-seulement sa personne & ses actions particuliéres, mais encore tous les hommes & toutes leurs bonnes œuvres. Joignons donc nos offrandes aux siennes, afin que par cette union les siennes sanctifient les nôtres.

Pour la seconde, prenons garde avant de faire ce Sacrifice de nous-mêmes, que nous n’ayons nulle attache à aucune creature. Ainsi lorsque nous sentons que nos cœurs ne sont pas entierement libres de toute affection impure, recourons à Dieu, & conjurons-le de rompre nos liens, afin que rien ne nous empêche d’être tout à fait à lui. Ce poịnt est très-important : car si un homme qui s’est fait esclave des créatures, prétend se donner à Dieu, il veut lui donner un bien qu’il a déja engagé à d’autres, & dont il n’est plus le maître. Et n’est-ce pas-là se mocquer de Dieu ? De-là vient aussi que bien que souvent nous nous soyions offerts de cette maniere, comme en Holocauste au Seigneur, non-seulement nous ne croissons point en vertu, mais nous tombons en de nouvelles imperfections, & en de nouveaux pechés.

Nous pouvons à la vérité nous offrir quelquefois à Dieu, quoiqu’il nous reste quelque attachement aux choses du monde ; mais c’est afin qu’il nous en en donne de l’aversion, & qu’après cela nous puissions sans nul obstacle nous dévouer à son service : ce qu’il faut faire souvent, & avec beaucoup de ferveur. Que notre obligation soit donc toute pure ; que notre propre volonté n’y ait point de part. N’envisageons ni les biens de la Terre, ni ceux du Ciel : ne regardons que la seule volonté de Dieu : adorons sa Providence, & soumettons-nous aveuglement à ses ordres ; sacrifions-lui toutes nos inclinations, & oubliant les choses créées, disons-lui : Voici, ô mon Dieu & mon Créateur, que je vous offre tout ce que j’ai, je soumets entierement ma volonté à la vôtre : faites de moi ce qu’il vous plaira, soit durant la vie, soit à la mort, soit après la mort, dans le tems, & dans l’éternité.

Si c’est tout de bon & avec sincerité que nous parlons de la sorte, si nous sommes dans ces sentimens, comme le tems de l’adversité nous le fera voir, nous acquererons en très-peu de tems de forts grands mérites, qui sont des trésors infiniment plus précieux que toutes les richesses de la Terre, nous ferons à Dieu, & Dieu fera à nous, puisqu’il se donne toujours à ceux qui renoncent à eux-mêmes & à toutes les créatures, afin de ne vivre que pour lui. C’est-là sans doute un puissant moyen de vaincre nos ennemis. Car si par ce sacrifice volontaire nous nous attachons tellement à Dieu, que nous soyions tout à lui, & que réciproquement, il soit tout à nous, quel ennemi sera capable de nous nuire ?

Mais pour descendre davantage dans le détail, quand nous voudrons lui offrir des jeûnes, ou des prieres, ou des Actes de patience, ou d’autres sortes de bonnes œuvres, il faut d’abord nous ressouvenir des jeûnes, des Prieres, des actions saintes du Fils de Dieu, & mettant toute notre confiance en leur mérite, présenter ainsi les nôtres au Pere Eternel. Que si nous voulons offrir à ce Pere de miséricordes les souffrances de son Fils, en satisfaction de nos pechés, nous le pourrons faire de la maniere que je vais dire.

Nous nous représenterons en général, ou en particulier, les désordres de notre vie, & convaincus que de nous mêmes nous ne pouvons appaiser la colere de notre souverain Juge, ni satisfaire à sa Justice, nous aurons recours à la Vie & à la Passion du Sauveur : nous nous souviendrons que lorsqu’il prioit, qu’il jeûnoit, qu’il travailloit, qu’il versoit son Sang, il offroit & ses actions & ses souffrances à son Pere, dans le dessein de nous ménager une parfaite réconciliation avec lui. Vous voyez, lui disoit-il, comme j’obéis à vos ordres, en faisant à votre justice la satisfaction qu’elle demande pour les pechés d’un tel, & d’un tel, Ayez la bonté de leur en accorder le pardon, & de les recevoir au nombre de vos Elûs.

Il faut que chacun joigne ces prieres à celles de Jesus-Christ ; & qu’il conjure le Pere Éternel de lui faire miséricorde par les mérites de la Passion de son Fils ; cela se peut pratiquer touttes les fois qu’on médite sur la Vie, ou sur la Mort de Notre-Seigneur, non-seulement quand on passe d’un Mystere à l’autre, mais en toutes les circonstances de chaque Mystere, soit qu’on prie pour soi ou pour d’autres.