Traduction par Jean Brignon.
(p. 217-224).


CHAPITRE XLIV.
De l’Oraison.

SI la défiance de nous-mêmes, la confiance en Dieu, & le bon usage de nos puissances sont des armes nécessaires dans le Combat spirituel, comme on l’a fait voir jusques ici, l’Oraison que nous avons mis la derniere est encore d’une plus grande nécessité, puisque c’est par elle qu’on obtient de Dieu, non-seulement ces vertus, mais généralement tous les biens dont on a besoin. C’est par ce canal que découlent toutes les graces qu’on reçoit d’en haut : c’est elle qui fait que le Tout-puissant vient du Ciel à notre secours, & que par des mains aussi foibles que les nôtres, il détruit nos plus redoutables ennemis. Pour nous en servir comme il faut, voici ce que nous avons à faire.

1. Nous devons avoir un véritable desir de servir Dieu avec ferveur, & en la maniere qui lui sera la plus agréable. O ce desir s’allumera dans notre cœur, si nous considérons attentivement trois choses. La premiere est, que Dieu mérite infiniment d’être servi & honoré, à cause de l’excellence de son Etre souverain, de sa bonté ; de sa beauté, de sa sagesse de sa puissance, & de toutes ses perfections inefables. La seconde est, ce que Dieu fait homme n’a cessé durant trente-trois années de travailler pour notre salut, qu’il a bien voulu panser de ses propres mains les horribles playes de nos pechés, & qu’il a eu la bonté de les guérir, non pas en y versant du vin & de l’huile, mais en y appliquant son Sang précieux & sa Chair très-pure, toute déchirée par les fouets, par les épines & par les cloux. La troisiéme est, qu’il nous importe extrêmement de garder la Łoi, & de nous bien acquitter de nos devoirs, puisque c’est l’unique moïen de nous rendre Maître de nous-mêmes, victorieux du démon & enfans de Dieu.

2. Nous devons avoir une foi vive, & une ferme confiance que Dieu ne nous refusera point les secours nécessaires pour le bien servir, & pour opérer notre salut. Une ame pleine de cette sainte confiance, est comme un Vase sacré, où la divine Miséricorde répand les trésors de sa grace ; & plus il est grand, plus est grande aussi l’abondance des bénédictions célestes que l’Oraison y attire. Car comment un Dieu, à qui rien n’est impossible, & qui ne trompe personne, pourroit-il ne pas nous communiquer ses dons, lui qui nous presse de les demander, & qui nous promet son S. Esprit, pourvû que nous le demandions avec foi & avec persévérance ?

3. Nous devons prier par le seul motif de faire ce que Dieu veut, & non pas ce que nous voulons, desorte que nous ne nous apliquions à la priere, qu’à cause que Dieu nous le commande, & que nous ne desirions d’être exaucés qu’autant qu’il lui plaît ; qu’ainsi nous ayons purement en vûe de conformer notre volonté à la sienne, & non pas d’accommoder sa volonté à la nôtre. La raison de ceci est, que l’amour propre ayant perverti & corrompu notre volonté, nous ne sçavons le plus souvent ce que nous ne demandons ; au lieu que la volonté divine ne peut faillir, étant essentiellement juste & saine. Aussi doit-elle être la regle de toute notre volonté, & c’est s’égarer que de ne la pas suivre. Prenons donc garde à ne demander à Dieu que des choses qui lui agréent, s’il y a lieu de craindre que ce que nous souhaitons, ne soit pas conforme à sa volonté, ne le demandons qu’avec une entiere soumission aux ordres de sa Providence. Mais si les choses que nous voulons obtenir, ne peuvent lui être que très-agréables, comme des graces & des vertus, demandons-les plûtôt pour lui plaire, & pour servir la divine Majesté, que pour toute autre considération, quelque spirituelle qu’elle soit.

4. Si nous voulons que nos prieres soient exaucées, il faut que nos œuvres s’accordent avec nos demandes ; il faut qu’avant l’Oraison & après, nous travaillions de toutes nos forces pour nous rendre dignes de la grace que nous desirons obtenir. Car l’exercice de l’Oraison & celui de la mortification intérieure, ne doivent jamais aller l’un sans l’autre ; parce que c’est tenter Dieu que de lui demander une vertu, & de ne pas se mettre en peine de la pratiquer.

5. Avant que de rien demander à Dieu, rendons-lui de très-humbles actions de graces pour tous les biens qu’il lui a plû de nous faire. Nous lui pourrons dire : Seigneur, qui après an’avoir créé, m’avez racheté par votre miséricorde, & m’avez ensuite délivré une infinité de fois de la fureur de mes ennemis, venez maintenant à mon secours, & oubliant mes ingratitudes passées, ne me refusez pas la grace que je vous demande. Que si lors même que nous voulons obtenir quelque vertu en particulier, nous sommes tentés du vice contraire, ne manquons pas de remercier Dieu de l’occasion qu’il nous donne d’exercer cette vertu car ce n’est pas une petite faveur.

5. Comme l’Oraison doit toute sa force & son efficace à la souveraine bonté de Dieu, aux mérites de la Vie & de la Passion de notre-Seigneur & à la promesse qu’il nous a faite de nous exaucer, nous mettrons toujours à la fin de nos prieres, une ou plusieurs des conclusions suivantes : Je vous conjure, Seigneur, par votre divine miséricorde, de m’octroyer cette grace. Accordez-moi par les mérites de votre Fils, ce que je vous demande. Souvenez-vous, ô mon Dieu, de vos promesses, & exaucez mes prieres. Quelquefois il sera bon d’employer auprès de Dieu l’intercession de la Sainte Vierge & des autres Saints. Car ils ont au Ciel beaucoup de pouvoir & Dieu prend plaisir à les honorer, à proportion de l’honneur qu’ils lui ont rendu pendant leur vie.

7. Il faut de plus persévérer dans cet exercice, parce que le Tout-puissant ne peut résister à une humble persévérance dans la priere. Que si l’importunité de la Veuve de l’Evangile pût fléchir un méchant Juge, comment nos prieres ne toucheroient-elles pas un Dieu infiniment bon ? Et ainsi quand il tarderoit à nous accorder nos demandes, quand il sembleroit ne vouloir pas même nous écouter, nous ne devrions pas pour cela perdre la confiance que nous avons en son infinie bonté, ni de cesser de le prier, parce qu’il a dans le souverain degré tout ce qui est nécessaire pour pouvoir, & pour vouloir nous faire du bien. Si donc il ne manque rien de notre côté, nous obtiendrons infailliblement ce que nous demanderons, ou quelque chose de meilleur, & peut-être même l’un & l’autre. Au reste, plus nous croirons être rebutés, plus il faut que nous concevions de mépris & de haine pour nous-mêmes ; de telle sorte néanmoins qu’en considérant nos miseres, nous envisagions toujours la divine miséricorde ; & que bien loin de diminuer notre confiance en elle, nous l’augmentions, dans la pensée que plus nous demeurerons fermes parmi les sujets de défiance, plus nous aurons de mérite.

Enfin ne cessons jamais de remercier Dieu ; bénissons également sa sagesse, sa bonté, sa charité, soit qu’il nous refuse, ou qu’il nous accorde nos demandes ; & quoiqu’il arrive, demeurons toujours tranquilles, contens & soumis en tout à sa Providence.