Traduction par Jean Brignon.
(p. 72-77).


CHAPITRE XIV.
De ce qu’il faut faire, lorsque la volonté sensible est vaincuë, & hors d’état de résister à l’apétit sensitif.

S’Il vous semble quelquefois que votre volonté est trop foible pour résister à l’apétit inférieur, & à d’autres ennemis qui tachent de s’en rendre maîtres, & si alors vous ne vous sentez pas assez de courage & de résolution pour soutenir leurs attaques, ne laissez pas de tenir ferme, n’abandonnez point le combat, puisque vous devez croire que vous êtes victorieux, tandis qu’il ne paroit pas que vous soyez tout-à-fait vaincu. En effet, comme votre volonté n’a pas besoin du contentement de l’apétit inférieur pour prendre tel parti qu’il lui plaît : aussi quelque violence qu’elle souffre, du côté de cet ennemi domestique, elle conserve toujours l’usage entier de sa liberté. Car le Créateur lui a donné un pouvoir & un empire si absolu, que quand tous les sens, tous les Démons, toutes les Créatures ensemble auroient conspiré contre elle, rien ne pourroit l’empêcher de faire, ou de ne point faire ce qu’elle veut, ou ce qu’elle ne veut pas autant de fois, & aussi longtems, pour telle fin & de telle maniere que bon lui semble.

Que si quelquefois la tentation vous presse, desorte que votre volonté foible & presque vaincuë, semble n’avoir pas toute la force nécessaire pour y résister, gardez-vous bien de perdre courage, & de mettre les armes bas. Criez, au moins, & défendez-vous en disant au Tentateur : Retire toi d’ici Satan ; car je mourrai mille fois plutôt que de consentir à tes sugġestions infâmes. Faites comme un homme qui étant aux prises avec un ennemi opiniâtre, & ne pouvant le percer de son épée, le frape avec le pommeau partout où il peut ; voyez comme il tache de se dégager, comme il recule de quelque pas, & comme il revient sur son adversaire, pour lui donner le coup de la mort. Cela vous aprend à vous retirer souvent dans vous-même, pour considérer que de votre fonds vous n’êtes rien, & que vous ne pouvez rien ; pour vous animer ensuite d’une généreuse confiance en la Toute-puissance de Dieu ; pour attaquer & pour vaincre enfin avec sa grace la passion qui vous domine. C’est alors que vous devez dire : Aidez-moi, Seigneur mon Dieu, aidez-moi, Jesus & Marie, n’abandonnez point votre serviteur : ne permettez pas que je succombe à la tentation.

Mais quand l’ennemi vous en donne le loisir, appellez votre entendement au secours de la volonté ; fortifiez-la par diverses considérations propres à lui relever le courage & l’animer au combat. Si vous êtes, par exemple, ou persécuté injustement, ou affligé de quelqu’autre sorte, & que dans une profonde tristesse vous vous sentiez violemment tenté d’impatience, jusqu’à ne pouvoir, ou à ne vouloir plus rien souffrir, tachez de prendre cœur, en faisant une sérieuse réflexion sur les articles suivans, ou sur d’autres semblables.

1. Voyez si vous ne méritez point le mal que vous endurez, & si vous ne vous l’êtes point attiré vous-même. Car s’il vous est arrivé par votre faute, la raison veut que vous souffriez patiemment une playe que vous vous êtes faite de vos propres mains.

2. Mais au cas que vous n’ayez rien à vous reprocher là-dessus, jettez les yeux sur vos désordres passés, dont la Justice divine ne vous a pas encore puni, ou que vous n’avez pas expiés par une juste pénitence. Et voyant que Dieu par sa miséricorde, change la peine que vous avez méritée, qui devroit être ou fort longue en dans le Purgatoire, ou éternelle dans l’Enfer, qu’il la change, dis-je, en une autre & plus légere & plus courte, recevez-la non-seulement avec patience mais même avec joye & avec action de graces.

3. Que si vous croyez, quoique sans raison, avoir commis peu de fautes ; & fait beaucoup de pénitence, souvenez-vous qu’on ne peut entrer dans le Royaume du Ciel, que par la porte étroite des tribulations.

4. Songez de plus, que quand vous pourriez y entrer par une autre porte, la Loi seule du pur amour devroit vous en ôter, & le desir & la pensée ; parce que le Fils de Dieu & tous les Saints après lui, y sont allés portant leur Croix, & par un chemin tout couvert d’épines.

5. Mais ce qu’il faut que vous envisagiez principalement ici, & en toutes choses, c’est la volonté de Dieu, qui vous aime tant, qu’il prendra un plaisir extrême à vous voir faire des Actes héroïques de vertu, & répondre par ces preuves de votre courage & de votre fidelité à l’affection qu’il vous porte. Sçachez au reste que plus la persécution que vous souffrirez sera injuste du côté de son auteur, & par conséquent plus insuportable du vôtre, plus le Seigneur estimera votre constance ; puisqu’au milieu des afflictioms vous adorerez ses jugemens, vous vous soumettrez à la Providence, qui tourne en bien les évenemens les plus facheux, & fait servir à notre salut la haine de nos ennemis.