Traduction par Jean Brignon.
(p. 346-350).


CHAPITRE XIII.
Que Dieu nous envoye ces tentations pour notre bien.

NOus sommes naturellement superbes, ambitieux & amis de nos sens ; de-là vient que nous nous flattons en toutes choses, & que nous nous comptons pour beaucoup plus que nous ne valons.

Mais cette présomption est tellement ennemie du progrès spirituel, qu’il n’en faut que l’odeur, pour peu qu’elle soit goûtée, pour nous empêcher de parvenir à la véritable perfection.

C’est un mal que nous ne voyons pas, mais Dieu qui le connoît & qui nous aime, a toujours soin de nous détromper, nous faire revenir de cette illusion de l’amour propre, & nous ramener à la connoissance de nous-mêmes : n’est-ce pas ce qu’il fit à son Apôtre Saint Pierre, quand il permit qu’il le déniât, & qu’il ne voulut pas reconnoître ce qu’il étoit, afin qu’il pût revenir à la connoissance de ce qu’il étoit lui-même, & lui faire perdre cette dangereuse présomption : N’est-ce pas aussi ce qu’il a fait à Saint Paul, quand pour préservatif de cette peste de l’Ame, & de l’abus qu’il pouvoit faire des hautes révélations qu’il avoit eues, il a voulu le tenir sujet à une tentation humiliante, qui lui fit tous les jours sentir sa foiblesse naturelle ?

Admirons la bonté & la sagesse de Dieu, qui agit contre nous-mêmes, pour nous-mêmes, qui nous a fait du bien sans que nous le sentions, & quand même nous pensons qu’il nous fait du mal.

Nous nous imaginons que ces refroidissemens de cœur nous arrivent, parce que nous sommes imparfaits & insensibles aux choses de Dieu : nous n’ayons point de peine à nous persuader qu’il n’est point d’Ame plus distraite & plus abandonnée que la nôtre ; que Dieu n’a point de serviteurs qui le servent si misérablement, & si lachement que nous, & que les pensées qui nous roulent dans la tête, ne viennent qu’à des gens éperdus & abandonnés.

Il se fait donc par l’opération de cette médecine venue du Ciel, que ce présomptueux qui croyoit être quelque chose commence à se croire le plus méchant homme du monde, & n’être pas digne du nom de Chrétien.

Seroit-il jamais descendu de cette élévation de pensée, où nous fait monter la superbe naturelle ? Auroit-il jamais guéri de cette enflure d’orgueil ? Ces vapeurs & ces fumées de vanité auroient-elles jamais quitté sa tête & son cœur sans ce remede ?

L’humilité n’est pas le seul profit que nous tirons de ces tentations, afflictions & désolations intérieures qui mettent notre Ame à sec, & en bannissent tout ce que la dévotion a de sensible : car cet état nous force de recourir à Dieu, de fuir toutes les choses qui lui peuvent déplaire, & de nous remettre dans la pratique des vertus, avec plus d’application qu’auparavant. Ces afflictions nous servent de purgatoire, puisqu’elles nous purgent & nous préparent des couronnes, quand elles sont prises avec humilité & patience.

L’Ame étant persuadée de ce que nous venons de dire, n’a qu’à penser si elle a sujet de perdre sa paix, & de se troubler pour perdre le goût de la dévotion, & se trouver dans les tentations spirituelles, si elle seroit raisonnable d’attribuer à la persécution du Démon ce qui lui est envoyé de la main de Dieu, & de prendre les témoignages de son amour, pour des marques de la haine.

Elle n’a rien à faire quand elle tombe dans cet état, qu’à s’humilier devant Dieu, qu’à perséverer & à souffrir avec patience le dégoût de ces exercices, se conformer à sa divine volonté, & tâcher de se conserver en son repos, par cet humble acquiescement à tout ce qui vient de sa main, puisque c’est la main de son Pere qui est dans les Cieux.

Au lieu de s’abandonner à la tristesse & au découragement, elle doit rendre de nouvelles actions de graces, & demeurer dans l’état de la paix & de son abandon aux ordres de Dieu.