Traduction par Jean Brignon.
(p. 339-343).


CHAPITRE XI.
Des artifices dont le démon se sert pour troubler la paix de notre ame, & comment nous nous en pouvons garantir.

CEt ennemi du salut des hommes, tend principalement à nous tirer de l’état d’humilité, & de la simplicité Chrétienne.

Pour y parvenir, il nous porte à présumer quelque chose de nous-mêmes, de notre diligence, de notre industrie, & à nous faire prendre dans notre pensée quelque préférence au-dessus d’autrui, qui sera bien-tôt suivie du mépris, sous prétexte de quelque défaut.

Il se glisse dans nos ames, par quelqu’un de ces moyens, mais la porte par où il desire le plus d’entrer, c’est la porte de la vanité & de l’estime de nous-mêmes.

Le secret de s’en garantir, est de garder toujours le retranchement de la sainte humilité, sans s’en éloigner jamais ; de nous confondre, & nous anéantir nous-mêmes : si nous sortons de cet état, nous ne nous défendrons jamais de cet esprit de superbe ; & quand il aura gagné notre volonté par cette voye, il y regnera en tyran, & y fera regner tous les vices.

Ce n’est pas encore tout que de veiller, il faut prier : car il est dit, veillez & priez. La paix de l’ame est un Trésor, que ces deux gardes peuvent seules conserver.

Ne souffrons point que notre esprit s’agite, ni s’inquiete pour quelque chose que ce soit ; l’ame humble & tranquille fait toutes choses avec facilité : les obstacles ne tiennent point devant elle, elle fait le bien & y persévere, mais l’ame troublée & inquiete, fait peu de bien ; le fait imparfaitement, se lasse facilement, souffre continuellement, & ses peines ne lui sont d’aucun profit.

Vous discernerez les pensées que vous devez entretenir ou bannir par la confiance, ou la défiance en la bonté & la miséricorde de Dieu : si elles vous parlent d’augmenter toujours de plus en plus cette amoureuse confiance, vous devez les recevoir comme des Messagers du Ciel, en faire vos entretiens & vos délices ; mais vous devez bannir & rejetter comme des soufflets du démon, celles qui tendront à vous donner de la défiance de ces infinies miséricordes.

Le Tentateur des ames pieuses, leur fait paroître les choses ordinaires beaucoup plus grandes qu’elles ne sont, leur persuade qu’elles ne sont jamais leur devoir, qu’elles ne se confessent pas bien, qu’elles communient trop tiedement, que leurs prieres ont de grands défauts ; & il travaille ainsi par tous les scrupules, à les tenir toujours troublées, inquietes & impatientes, & à les porter à quitter leurs exercices ; comme si tout ce qu’elles font, étoit sans fruit, comme si Dieu ne les regardoit pas & les avoit dû toutes oublier, & toutefois il n’est rien de si faux que ces persuasions ; les utilités que l’on tire des distractions & des sécheresses intérieures, & des fautes que l’on commet dans la dévotion, sont innombrables, pourvû que l’ame entende & comprenne ce que Dieu veut d’elle en cet état, qu’elle prenne patience & persevere en son œuvre ; la priere & l’action d’une ame privée du goût de ce qu’elle fait, est un des plaisirs que Dieu prend en sa créature, disoit le grand St. Grégoire, & surtout quand, nonobstant elle seroit froide, insensible & comme éloignée de ce qu’elle fait, elle y persévere avec courage, sa patience prie assez pour elle, & fait beaucoup mieux son affaire devant Dieu, que les prieres qui sont de son goût. Le même Saint dit, que cette nuit intérieure où elle se trouve quand elle prie, est une lumiere qui brille en la présence de Dieu, qu’il ne peut rien venir de nous, qui soit plus capable de l’attirer en nous, qu’elle le force même à nous doņner de nouvelles graces.

Ne quittez donc jamais une bonne œuvre pour quelque dégoût que vous en ayez ; si vous ne voulez faire ce que demande le démon ; & apprenez par la lecture du Chapitre suivant, les grands fruits que vous pouvez tirer de votre humble persévérance dans les exercices de pieté, au tems de vos plus grandes sécheresses.