Le Collier des jours/Chapitre XXIX

Félix Juven, Éditeur (p. 106-108).




XXIX




D’où la coquetterie m’était-elle venue ? Elle ne s’accordait guère avec mes allures de gamine et je me souviens très peu de m’être préoccupée de ma toilette, sauf dans le cas où quelque déchirure terrible me faisait prévoir une redoutable semonce.

Cependant, un certain matin de Pâques, dans une tenue mirobolante et très infatuée de ma splendeur, je sortis de la maison, pour aller à la grand’messe. J’étais seule, les tantes n’avaient pas pu me tenir plus longtemps, et, comme elles n’étaient pas prêtes, elles me laissaient aller en avant en me recommandant de ne pas marcher trop vite.

J’avais un jupon garni de broderie anglaise, une robe de soie bleu ciel à plusieurs volants, les cheveux tournés en boucles, des bas à jours et des petits souliers couleur de hanneton.

Mais plus que tout cela, ce qui me rendait si fière, c’est que, pour la première fois, j’avais une ombrelle. Peut-être, quelque atavisme oriental me faisait deviner la majesté symbolique du parasol, puisque ce petit dôme de soie, abritant ma tête, me donnait tant d’orgueil. Il faisait un soleil radieux et je marchais sur la route, en me dandinant, évitant l’ombre des verdures neuves, pour mieux jouir de mon ombrelle.

Des personnes venaient derrière moi, et très certainement m’admiraient. — Qu’auraient-elles pu faire de mieux ?… — car elles chuchotaient entre elles.

Cependant quelque chose m’inquiétait, et me faisait regretter ma trop grande hâte à m’échapper d’entre les mains des tantes. On avait oublié mes jarretières !… Peu à peu les bas à jours glissaient ; je les sentais mollir, s’affaisser, me chatouiller déjà les genoux. Ces inconnus, qui me suivaient, n’allaient pas s’apercevoir de cela, je l’espérais bien, le reste de ma toilette avait de quoi distraire l’attention, la détourner de ce fâcheux détail.

Je fus brusquement détrompée par une remarque, exprimée à haute voix, et qui me fit froid dans l’estomac.

— Quel dommage qu’une petite fille, aussi coquettement habillée, ait des bas aussi mal tirés !

Je reçus le coup sans broncher, sans me retourner, continuant à marcher, comme parfaitement étrangère à ce qui motivait cette observation, mais profondément mortifiée. De pas en pas, le désastre s’aggravait, j’avais beau raidir mes mollets, la spirale s’affaissait progressivement et je sentais l’air souffler sur ma peau nue. Pour rien au monde je ne me serais arrêtée, pour remonter mes bas, il me semblait qu’il eût été déshonorant d’avoir l’air de m’apercevoir qu’ils tombaient et d’entendre les remarques, de plus en plus narquoises et piquantes.

Ces mauvaises personnes me dépassèrent pour me voir en face et jouir de ma confusion ; je me cachais à temps derrière mon ombrelle, et, tournant les talons, je me mis à courir vers la maison, où je repris mes jarretières.

Mais en ressortant, je n’étais plus aussi pimpante ; l’humiliation avait abattu l’orgueil, et je pus, dès ce jour-là, juger de la vanité des joies humaines.