Le Collectivisme, Tome I/Chapitre I

Imprimerie Louis Roman (Tome Ip. 3-6).

I

Pour mieux caractériser le collectivisme, il est utile de montrer tout d’abord ce qui le différencie des diverses conceptions socialistes avec lesquelles, par ignorance souvent, mais plus souvent par tactique, ses adversaires le confondent pour mieux pouvoir le conspuer et le honnir.

On peut affirmer que les conceptions socialistes ont été les phases de croissance d’une idée qui est arrivée à maturité à une époque relativement récente.

Il a fallu que la graine ait germé, qu’une tige se soit élancée, que des feuilles aient surgi, que des fleurs se soient épanouies : désormais les fruits sont noués et le jour de la récolte est proche.

Ces fleurs, se sont les belles et radieuse utopies des Fourrier, des Saint-Simon, des Cabet ; ces fruits, se sont les systèmes organiques, rationnels et positifs des Colins, des Comte, des Malon.

Avant d’aboutir à ces systèmes, à la fois complexes et harmoniques, il était à prévoir que des projets informes et irréalisables seraient proposés et proclamés, que des essais infructueux et stériles seraient tentés.

C’est ainsi que l’humanité n’a cessé de procéder en toutes matières, physiques et intellectuelles. Il serait parfaitement ridicule de soutenir qu’un individu parle mal une langue parce qu’il a commencé par la baragouiner péniblement. Or, c’est là ce que les contempteurs du collectivisme ont inventé de plus ingénieux pour le discréditer.

Une confusion fréquente et tout particulièrement injuste est faite par eux entre le collectivisme et le communisme. Le communisme a pour règle essentielle de permettre à chaque individu de jouir de toutes choses à sa guise, selon ses besoins et selon ses caprices ; une telle règle est concevable en une contrée d’une étendue et d’une fertilité exceptionnelles, habitée par une population nomade ou pastorale excessivement réduite.

À notre époque de population dense, une seule chose, avec l’air, est encore commune dans le sens absolu de ce mot : c’est la haute mer, où il est libre à tout homme de jeter ses filets à son gré.

Le collectivisme a pour but d’assurer à la collectivité la possession éminente de tous les moyens de production et de circulation, mais aucun de ses adeptes n’a jamais réclamé pour chaque membre de la collectivité le droit d’user de ces moyens à sa fantaisie.

D’autres déclarent que le collectivisme est le partage égal des biens, et de compendieux chapitres ont été écrits pour mentionner l’embarras du petit mangeur devant sa pitance obligatoire, indigeste pour son estomac trop étroit, et la souffrance du gros mangeur, réduit à la portion congrue, alors que son appétit réclame et proteste.

Le collectivisme entend laisser à chacun le produit intégral de son travail et lui permettre de satisfaire librement ses besoins le plus complètement possible ; aucune distribution forcée ne sera organisée ou préconisée. C’est de nos jours que de telles choses se voient, dans les réfectoires des prisons et des casernes, et aux portes des hospices.

Enfin, on s’imagine volontiers que le collectivisme fera prévaloir la réglementation outrancière, imaginée par les socialistes étatistes et défendue par certains hommes qui espèrent ainsi pouvoir composer avec les tendances nouvelles et conserver le pouvoir à leur profit et au profit des leurs.

C’est là encore une erreur que les développements ultérieurs de notre étude rendront apparente et certaine. Le collectivisme n’a nul désir de revenir aux formes corporatives ou serviles de jadis : lui seul saura concilier le développement des services publics avec leur autonomie la plus large et la plus indépendante.