Le Clavecin de Diderot/Linguistique

Éditions surréalistes (p. 12-15).

LINGUISTIQUE

À la psychanalyse de l’univers, de quel secours pourrait être la linguistique, si cette science, s’agît-il de langues mortes, savait, pour rester ou plutôt devenir vivante, remettre au point du temps qui fut le leur, ces familles de mots, dont, en vérité, elle se contente d’ouvrir les sépulcres, à seule fin de donner à s’extasier sur des cadavres rien que cadavres.

Qu’il entre tant soit peu de dialectique dans l’étude des dialectes (et qu’on ne m’accuse pas de jouer sur les mots, quand, au contraire je joue mots sur table), et le classique jardin des racines grecques et latines, au lieu de faire penser à un dépositoire d’affreux chicots, se repeuplera de ces membres vivants qui vont dans la terre chercher la nourriture des arbres et des plantes, et permettent ainsi, leur maturité aux fruits, à ces grains d’orge dont Engels, dans l’Anti-Dühring constate que des milliers sont écrasés, bouillis, mis en fermentation et finalement consommés. Mais si un tel grain d’orge rencontre les conditions qui lui sont normales, s’il tombe sur un terrain favorable, il subit sous l’action de la chaleur et de l’humidité une métamorphose spécifique : il germe, le grain disparaît comme tel, il est nié ; il est remplacé par la plante née de lui, qui est la négation du grain. Or quel est le cours normal de la vie de cette plante ? Elle grandit, fleurit, est fécondée et produit à la fin, de nouveau, des grains d’orge ; et, dès que ceux-ci ont mûri, la tige meurt ; elle aussi, de son côté est niée. Et, comme résultat de cette négation de la négation, nous avons, de nouveau, le grain d’orge initial, mais multiplié, dix, vingt ou trente fois.

Or l’examen au microscope analytique des vieilles formes culturelles, à quoi s’obstinent ceux qui prétendent consacrer leur vie à l’étude de l’humain, quel élément de vie décèlera-t-il dans les trente fois centenaires épis de Cérès, ou, même dans les très proches fleurs séchées du Romantisme ?

Sous prétexte d’étudier les grains d’orge, on les frustre de la chaleur, de l’humidité indispensables à leur métamorphose spécifique. Deux négations égalent une affirmation : sans doute les grammaires doivent-elles en convenir, mais que cette loi ne se contente pas de régner sur le monde des formes écrites ou parlées, voilà qui décide les spécialistes ès humanités à mettre en conserve ce dont, justement, la faculté de se décomposer sous-entend les germinations futures. Ou encore, et, ici, l’exception confirme la règle, cette faculté de se décomposer, les professeurs dans leurs jours lyriques, en font la vertu intrinsèque d’un temps, d’un lieu, de certains êtres. Ainsi évoquent-ils Néron, l’incendie de Rome, Pétrone qui, et que sais-je encore ?

D’ailleurs, ceux qui se penchent sur les squelettes du langage, pour la plupart pauvres impuissants qui vont chercher dans leurs paléontologies l’oubli de leurs manques, en face du présent et de ses créatures, deviennent amoureux de leurs grimoires, tels, de leurs momies, les archéologues. Et ces scatophages de l’antiquité, non point rats, mais vampires de bibliothèque, se décernent à eux-mêmes des brevets de bons vieux savants inoffensifs.

À la Sorbonne, ce musée Dupuytren de toutes les sénilités, j’en ai connu entre 1918 et 1922, une bonne demi-douzaine taillés et s’enorgueillissant d’être taillés sur le modèle d’Anatole France. Au nom de l’humanisme, de quelle gaîté de cœur ils sacrifiaient, à leurs Thaïs poussiéreuses, l’actuel, le vivant. C’eût été risible, si, de ces marionnettes, les programmes officiels n’avaient entendu (et n’entendent encore) faire les mentors d’une jeunesse, la jeunesse, qui, elle, de toute sa bonne foi cherche l’humain. Sans doute, à ce piège, ne se laissent définitivement prendre que les niais parmi les niais. Aux autres, il faut, en tout cas, un sacré bon grand coup de colère, pour se venger du temps perdu et faire aussi et surtout que nul, dorénavant, n’ait à le perdre.