Le Clavecin de Diderot/Le clavecin de Diderot

Éditions surréalistes (p. 7-9).

À ANDRÉ BRETON
ET PAUL ÉLUARD

LE CLAVECIN DE DIDEROT

Lénine, dans Matérialisme et Empiriocriticisme, constate, dès l’introduction, que : Diderot arrive presque aux vues du matérialisme contemporain, d’après lesquelles, les syllogismes ne suffisent pas à réfuter l’idéalisme, car, il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’arguments théoriques. Lénine, qui ne craint pas d’apporter ses preuves, met à ample contribution L’Entretien avec d’Alembert.

À notre tour de citer parmi ce qui a été cité : Supposez au clavecin de la sensibilité et de la mémoire, et, dites-moi s’il ne répétera pas, de lui-même, les airs que vous aurez exécutés sur ses touches ? Nos sens sont autant de touches qui sont pincées par la nature qui les environne et se pincent souvent elles-mêmes.

Et d’abord, il importe de noter que si un terme de comparaison, celui-là et pas un autre, s’est imposé au maître des encyclopédistes, pour une fois, le symbole n’a pas perdu son homme. Mais, au contraire, l’homme a réhabilité son symbole. Je veux dire qu’un instrument dont le rôle habituel était de nous la faire au petit évocateur, enfin, nous apparaît décapé de tout pittoresque d’époque. Tarabiscotage, vernis martin écaillé, musique aux bougies, clairs de lune aristocratiques, Trianon et ses trois marches de marbre rose, fichus et bergerie Marie-Antoinette, et ron et ron petit patapon et s’ils n’ont pas de pain qu’ils mangent de la brioche plaisir de vivre et bagatelles, de Louis XV cette pourriture satinée, au comte d’Artois ce dadais, de la Pompadour pédante, phtisique et corsetée à la du Barry née Bécu, du moindre nobliau cul-terreux au prince de Ligne, ce premier des grands Européens, les êtres, les choses qui ont prêté à tant d’évocations abominablement exquises, marquises, abbés de cour, soubrettes, chevaliers, Camargos et tutti quanti, ces bibeloteries, fadaises, fêtes galantes ou non, toute cette pacotille, tous ces accessoires de cotillon, pas un pouce de la belle surface lisse du clavecin de Diderot ne s’en est trouvé sali. Au contraire, tel que nous le recevons des mains de Lénine, il abolit, de sa masse exacte, propre, ces répugnants petits menuets de souvenirs verlainiens. Sa lumière a eu raison des maquillages symbolards, de leur opacité. L’écrivain fait sa métaphore, mais sa métaphore dévoile, ici éclaire, son écrivain. On respire, après tant de nuages de poudre aux vœux et de poudre de perlimpinpin. Non qu’il s’agisse d’ailleurs de se féliciter, à la manière des critiques en mal de conclusion : On cherche un écrivain et on trouve un homme.

Cette formule, nous la laissons à tous les mijoteurs, cuiseurs, distributeurs, amateurs du Gâteau Littéraire dont elle est le four banal.