Le Christianisme dévoilé/Chapitre V

CHAPITRE V.

De la Revelation.

Comment, sans le secours de la raison, connoître s’il est vrai que la divinité ait parlé ? Mais, d’un autre côté, la religion chrétienne ne proscrit-elle pas la raison ? N’en défend-elle pas l’usage dans l’examen des dogmes merveilleux qu’elle nous présente ? Ne déclame-t-elle pas sans cesse contre une raison prophane, qu’elle accuse d’insuffisance, et que souvent elle regarde comme une révolte contre le ciel ? Avant de pouvoir juger de la révélation divine, il faudroit avoir une idée juste de la divinité. Mais où puiser cette idée, sinon dans la révélation elle-même, puisque notre raison est trop foible pour s’élever jusqu’à la connoissance de l’être suprême ? Ainsi, la révélation elle-même nous prouvera l’autorité de la révélation. Malgré ce cercle vicieux, ouvrons les livres qui doivent nous éclairer, et auxquels nous devons soumettre notre raison. Y trouvons-nous des idées précises sur ce dieu dont on nous annonce les oracles ? Saurons-nous à quoi nous en tenir sur ses attributs ? Ce dieu n’est-il pas un amas de qualités contradictoires, qui en font une enigme inexplicable ? Si, comme on le suppose, cette révélation est émanée de Dieu lui-même, comment se fier au dieu des chrétiens, qui se peint comme injuste, comme faux, comme dissimulé, comme tendant des piéges aux hommes, comme se plaisant à les séduire, à les aveugler, à les endurcir ; comme faisant des signes pour les tromper, comme répandant sur eux l’esprit de vertige et d’erreur[1] ? Ainsi, dès les premiers pas, l’homme, qui veut s’assurer de la révélation chrétienne, est jetté dans la défiance et dans la perpléxité ; il ne sait si le dieu, qui lui a parlé, n’a pas dessein de le tromper lui-même, comme il en a trompé tant d’autres, de son propre aveu : d’ailleurs, n’est-il pas forcé de le penser, lorsqu’il voit les disputes interminables de ses guides sacrés, qui jamais n’ont pu s’accorder sur la façon d’entendre les oracles précis d’une divinité qui s’est expliquée.

Les incertitudes et les craintes de celui qui examine de bonne foi la révélation adoptée par les chrétiens, ne doivent-elles point redoubler, quand il voit que son dieu n’a prétendu se faire connoître qu’à quelques êtres favorisés, tandis qu’il a voulu rester caché pour le reste des mortels, à qui pourtant cette révélation étoit également nécessaire ? Comment saura-t-il s’il n’est pas du nombre de ceux à qui son dieu partial n’a pas voulu se faire connoître ? Son cœur ne doit-il pas se troubler à la vue d’un dieu, qui ne consent à se montrer, et à faire annoncer les décrets, qu’à un nombre d’hommes très-peu considérable, si on le compare à toute l’espece humaine ? N’est-il pas tenté d’accuser ce dieu d’une malice bien noire, en voyant que, faute de se manifester à tant de nations, il a causé, pendant une longue suite de siécles, leur perte nécessaire ? Quelle idée peut-il se former d’un dieu qui punit des millions d’hommes, pour avoir ignoré des loix secrettes, qu’il n’a lui-même publiées qu’à la dérobée, dans un coin obscur et ignoré de l’Asie ?

Ainsi, lorsque le chrétien consulte même les livres révélés, tout doit conspirer à le mettre en garde contre le dieu qui lui parle ; tout lui inspire de la défiance contre son caractere moral ; tout devient incertitude pour lui ; son dieu, de concert avec les interprêtes de ses prétendues volontés, semble avoir formé le projet de redoubler les ténébres de son ignorance. En effet, pour fixer ses doutes, on lui dit que les volontés révélées sont des mysteres, c’est-à-dire, des choses inaccessibles à l’esprit humain. Dans ce cas, qu’étoit-il besoin de parler ? Un dieu ne devoit-il se manifester aux hommes, que pour n’être point compris ? Cette conduite n’est-elle pas aussi ridicule qu’insensée ? Dire que Dieu ne s’est révélé que pour annoncer des mysteres, c’est dire que Dieu ne s’est révélé que pour demeurer inconnu, pour nous cacher ses voies, pour dérouter notre esprit, pour augmenter notre ignorance et nos incertitudes.

Une révélation qui seroit véritable, qui viendroit d’un dieu juste et bon, et qui seroit nécessaire à tous les hommes, devroit être assez claire pour être entendue de tout le genre humain. La révélation, sur laquelle le judaïsme et le christianisme se fondent, est-elle donc dans ce cas ? Les élémens d’Euclide sont intelligibles pour tous ceux qui veulent les entendre ; cet ouvrage n’excite aucune dispute parmi les géometres. La bible est-elle aussi claire, et les vérités révélées n’occasionnent-elles aucunes disputes entre les théologiens qui les annoncent ? Par quelle fatalité les écritures, révélées par la divinité même, ont-elles encore besoin de commentaires, et demandent-elles des lumieres d’en haut, pour être crues et entendues ? N’est-il pas étonnant, que ce qui doit servir à guider tous les hommes, ne soit compris par aucun d’eux ? N’est-il pas cruel, que ce qui est le plus important pour eux, leur soit le moins connu ? Tout est mysteres, ténébres, incertitudes, matiere à disputes, dans une religion annoncée par le très-haut pour éclairer le genre humain. L’ancien et le nouveau testamens renferment des vérités essentielles aux hommes, néanmoins personne ne les peut comprendre ; chacun les entend diversement, et les théologiens ne sont jamais d’accord sur la façon de les interprêter. Peu contens des mysteres contenus dans les livres sacrés, les prêtres du christianisme en ont inventés de siécle en siécle, que leurs disciples sont obligés de croire, quoique leur fondateur et leur dieu n’en ait jamais parlé. Aucun chrétien ne peut douter des mysteres de la trinité, de l’incarnation, non plus que de l’efficacité des sacremens, et cependant Jésus-Christ ne s’est jamais expliqué sur ces choses. Dans la religion chrétienne, tout semble abandonné à l’imagination, aux caprices, aux décisions arbitraires de ses ministres, qui s’arrogent le droit de forger des mysteres et des articles de foi, suivant que leurs intérêts l’exigent. C’est ainsi que cette révélation se perpétue, par le moyen de l’église, qui se prétend inspirée par la divinité, et qui, bien loin d’éclairer l’esprit de ses enfans, ne fait que le confondre, et le plonger dans une mer d’incertitudes.

Tels sont les effets de cette révélation, qui sert de base au christianisme, et de la réalité de laquelle il n’est pas permis de douter. Dieu, nous dit-on, a parlé aux hommes ; mais quand a-t-il parlé ? Il a parlé, il y a des milliers d’années, à des hommes choisis, qu’il a rendus ses organes ; mais comment s’assurer s’il est vrai que ce dieu ait parlé, sinon en s’en rapportant au témoignage de ceux mêmes qui disent avoir reçu ses ordres ? Ces interprêtes des volontés divines sont donc des hommes ; mais des hommes ne sont-ils pas sujets à se tromper eux-mêmes, et à tromper les autres ? Comment donc connoître si l’on peut s’en fier aux témoignages que ces organes du ciel se rendent à eux-mêmes ? Comment savoir s’ils n’ont point été les dupes d’une imagination trop vive, ou de quelqu’illusion ? Comment découvrir aujourd’hui s’il est bien vrai que ce Moïse ait conversé avec son dieu, et qu’il ait reçu de lui la loi du peuple juif, il y a quelques milliers d’années ? Quel étoit le tempérament de ce Moïse ? étoit-il flegmatique, ou enthousiaste ; sincere, ou fourbe ; ambitieux, ou désintéressé ; véridique, ou menteur ? Peut-on s’en rapporter au témoignage d’un homme, qui, après avoir fait tant de miracles, n’a jamais pu détromper son peuple de son idolâtrie, et qui, ayant fait passer quarante-sept mille israëlites au fil de l’épée, a le front de déclarer qu’il est le plus doux des hommes  ? Les livres, attribués à ce Moïse, qui rapportent tant de faits arrivés après lui, sont-ils bien autentiques ? Enfin, quelle preuve avons-nous de sa mission, sinon le témoignage de six cens mille israëlites, grossiers et superstitieux, ignorans et crédules, qui furent peut-être les dupes d’un législateur féroce, toujours à les exterminer, ou qui n’eurent jamais connoissance de ce qu’on devoit écrire par la suite sur le compte de ce fameux législateur ?

Quelle preuve la religion chrétienne nous donne-t-elle de la mission de Jésus-Christ ? Connoissons-nous son caractere et son tempérament ? Quel degré de foi pouvons-nous ajouter au témoignage de ses disciples, qui, de leur propre aveu, furent des hommes grossiers et dépourvus de science, par conséquent susceptibles de se laisser éblouir par les artifices d’un imposteur adroit ? Le témoignage des personnes les plus instruites de Jérusalem n’eut-il pas été d’un plus grand poids pour nous, que celui de quelques ignorans, qui sont ordinairement les dupes de qui veut les tromper ? Cela nous conduit actuellement à l’examen des preuves sur lesquelles le christianisme se fonde.

  1. Dans l’Ecriture & les Peres de l’Eglise, Dieu est toujours représenté comme un séducteur. Il permet qu’Eve soit séduite par un serpent ; il endurcit le cœur de Pharaon ; Jésus-Christ est une pierre d’achoppement. Voilà les points de vue sous lesquels on nous montre la divinité.