Le Chien du jardinier
Traduction par Jean-Joseph-Stanislas-Albert Damas-Hinard.
Théâtre de Lope de VegaCharpentiertome 1 (p. 75).

NOTICE.


Le proverbe dit du chien du jardinier qu’il ne mange ni ne laisse manger. Il était ingénieux et piquant, bien que d’une galanterie équivoque, de représenter cette situation sous le personnage d’une femme de haut rang qui, éprise de son jeune secrétaire, n’ose pas se marier avec lui et ne veut pas qu’il se marie avec une autre.

Le caractère de la comtesse est bien peint, et il y a beaucoup de vérité et de grâce dans ces irrésolutions, ces combats, cette lutte continuelle de l’amour et de l’honneur, d’autant mieux que l’on sent chez la comtesse la vivacité et l’ardeur italiennes. Le caractère de Théodore, qui aime tout à la fois la maîtresse et la suivante, et qui va tour à tour de l’une à l’autre selon qu’il espère ou désespère de réussir auprès de la grande dame, est également fort bien tracé. Quant à Tristan, nous avons admiré son esprit plein de ressources et de malice ainsi que son incomparable audace, et l’on doit, selon nous, le regarder comme un des plus heureux types de ces valets fripons que l’on voit sur tous les théâtres.

Parmi les détails de la composition l’on remarquera sûrement le début de la pièce si vif, si animé, et l’interrogatoire des femmes à la première scène du premier acte. La manière dont cette scène est conduite montre chez le poète un art consommé.

Quelques censeurs rigides pourront blâmer le dénoûment comme immoral. À nous, les choses gaies ne nous ont jamais paru fort dangereuses. Puis, ce qui était l’essentiel, la comtesse est instruite par Théodore lui-même sur la véritable situation de son secrétaire ; et quant au vieux comte Ludovic, on le voit si heureux d’avoir un fils, qu’on éprouverait vraiment quelques scrupules à le désabuser. Rien n’était d’ailleurs plus facile à Lope que de faire retrouver à son jeune homme, à la fin de sa pièce, des parents illustres, comme dans toutes les comédies latines. Mais cela lui aura paru un peu trop commun ; il aura mieux aimé inventer quelque chose de nouveau et d’amusant, et, selon nous, il a bien fait.

Enfin, aux personnes qui trouveraient les mœurs de la pièce un peu barbares, nous rappellerons que la scène se passe en Italie, au seizième siècle.

Le Chien du jardinier et une autre comédie de Lope intitulée les Miracles du mépris (los Milagros del desprecio), et que nous nous proposons de traduire, ont inspiré à Moreto la délicieuse comédie de Dédain contre dédain (el Desden con el desden), de laquelle Molière a tiré la Princesse d’Élide.

Molière est, de plus, redevable à cette comédie de quelque chose qui vaut beaucoup mieux : la charmante scène du raccommodement des deux jeunes gens dans le Tartuffe. Cette scène est évidemment imitée de la scène troisième de la seconde journée, où Théodore et Marcelle se raccommodent ensemble sous les auspices de Tristan. Dans le Tartuffe, Tristan est remplacé par Dorine.

Le Chien du jardinier se trouve parmi les pièces déjà nombreuses dont Lope a donné la liste dans la préface du Peregrino, publié en 1603. Cette pièce appartient donc à la première moitié, et l’on pourrait dire aux commencements de sa carrière.