XVI

Or, quelques jours plus tard, messire Gauvain lui-même arrivait à la cour du roi Baudemagu, ramenant les gens de Lancelot. Quand la reine vit son neveu, sa joie fut bien grande, mais plus grand encore son deuil quand elle apprit que son ami était perdu. Gauvain conta comment il avait franchi le pont Sous l’Eau en grand péril de se noyer vilainement, et comment, pour ce que le cœur lui tournait de l’eau qu’il avait bue, il avait défait à grand’peine le chevalier qui gardait le passage ; puis comment il avait rencontré les compagnons de Lancelot, qui les avait quittés la veille, conduit par un nain, en leur commandant de l’attendre ; et comment il l’avait cherché vainement avec eux. La reine s’efforçait de faire bon visage, mais le plus fol eût pu voir qu’à peine avait-elle le cœur de l’écouter. Quant au roi, qui était, très preux, il promit de se mettre lui-même en quête de Lancelot, et dès le lendemain. Messire Gauvain et Keu le sénéchal dirent qu’ils l’accompagneraient.

Mais, après le manger, un valet entra dans la salle et il remit une lettre à la reine, qui pria le roi de la faire lire par un de ses clercs. Et la lettre était du roi Artus, qui la saluait et lui mandait qu’elle revînt avec monseigneur Gauvain et toute sa compagnie, et qu’elle n’attendît pas Lancelot, car il était arrivé sain et sauf à Camaaloth. Grande fut la joie de tout le monde en entendant ces nouvelles, et le visage de la reine, de très pâle qu’il était, devint couleur de rose. Dès l’aube, elle se mit en route avec ceux du royaume de Logres que Lancelot avait délivrés en même temps qu’elle. Le roi Baudemagu les escorta jusqu’aux limites de sa terre ; et là, il les recommanda à Dieu, tandis que messire Gauvain et Keu le sénéchal lui promettaient de le servir comme leur seigneur, et que la reine lui jetait ses deux bras au cou.

Lorsque le roi Artus apprit qu’elle approchait de Camaaloth, il vint au-devant d’elle avec toute sa maison. Et d’abord il lui donna un baiser, puis courut à monseigneur Gauvain et à Keu le sénéchal et demanda des nouvelles de Lancelot.

— Sire, vous en avez de meilleures que nous.

— Par ma foi, je ne l’ai pas vu depuis le jour qu’il occit Karadoc le Grand, seigneur de la Tour Douloureuse !

La reine comprit qu’elle avait été trompée par de fausses lettres : elle frémit de tout son corps, son cœur devint lourd comme une pierre, et elle se pâma entre les bras de monseigneur Gauvain qui se hâta de la soutenir. Puis elle se mit à pleurer sans prendre souci de cacher sa peine, disant qu’elle ne connaîtrait plus jamais la joie, puisque le meilleur chevalier du monde était mort à son service. Le roi Artus résolut de demeurer quelque temps à Camaaloth, parce que cette cité était proche du royaume de Gorre où Lancelot était resté, selon toute apparence. La reine aimait cette ville où jadis son ami avait été armé chevalier.