Le Chemin des ombres heureuses/Ménodote

Édition du Mercure de France (p. 67-68).

MÉNODOTE


Sais-tu pourquoi dans la nature
toute chose s’efforce à l’emporter et lutte ?
Comprends-tu le mystère de ces champs de bataille
que sont la terre et le ciel et la mer
où toujours le plus faible nourrit de son cadavre
son impitoyable vainqueur, vaincu demain ?
Tu devines pourtant que la nécessité
en menant l’univers par un sanglant chemin
tend à réaliser la suprême unité,
la Force consciente, immuable et parfaite.

Du suc des plantes et de la chair des bêtes

qui d’abord s’entredévorèrent,
tu tires l’aliment nécessaire à ton corps.
Sous les jardins en fleurs doit pourrir un terreau,
et il faut des martyrs pour qu’un héros se lève.

La part de la victime est la plus glorieuse ;
qu’à l’holocauste saint elle s’offre avec orgueil.
La révolte est vaine folie et sacrilège.
Ne parle pas de la justice ;
tu invoques ce mot pour fuir ton sacrifice.
Ce que tu nommes juste est peut-être l’injuste.
Justice ? Où la vois-tu ? Et tout marche à son but.

Innocent du crime qu’on m’impute,
moi, Ménodote, je péris.
Dans la cité, ma mort a ramené la paix.
Infime citoyen, je sers dans ma mesure
à la grandeur de ma patrie,
puisque ainsi je la satisfais.