Le Chemin des ombres heureuses/Chélidone

Édition du Mercure de France (p. 27-28).

CHÉLIDONE


Ô mer, j’ai demandé que mon logis funèbre
fût érigé tout auprès de ta grève.
Peut-être que l’amant au regret incertain,
partagé entre la rancune et le chagrin,
comprendra les leçons de ta changeante voix.
Ô mer, combien j’étais pareille à toi !
Tu n’es ni bienfaisante ni méchante ;
tu caresses la digue et soudain tu l’emportes ;
tu n’entends pas les hurlements
des naufragés que tu dévores,
tu n’entends pas non plus les chants
des matelots entrant au port ;

tu berces les vaisseaux et tu les engloutis.
J’étais ainsi :
ma même main blessait et guérissait,
et, vraiment, je ne méritais
ni qu’on me louât d’être bonne,
ni qu’on me reprochât le mal que je faisais.