Le Chemin de fer transsaharien

Le Chemin de fer transsaharien
Revue des Deux Mondes4e période, tome 154 (p. 83-120).
LE CHEMIN DE FER
TRANSSAHARIEN

La France s’est taillé en Afrique un colossal empire ; définitivement délimité par les conventions internationales de 1890, 1898 et 1899, il s’étend, dans sa plus grande longueur, d’un peu plus haut que le 37e degré nord jusqu’au 5e degré sud, et, dans sa plus grande largeur, du 20e degré de longitude est de Paris au 20e degré ouest ; ainsi, quarante-deux degrés du nord au sud, quarante degrés de l’orient à l’occident ; plus de 4 600 kilomètres dans un sens, et près de 4 000 dans l’autre, telles sont les dimensions de nos colossales dépendances africaines. Sans doute, nous prenons ici les mesures extrêmes, et il s’en faut que dans toutes ses parties notre domaine africain y atteigne ; mais, tout en ne formant pas une figure géométrique régulière, il est tout au moins continu ; les divers morceaux se tiennent sur la carte les uns aux autres ; il ne dépend que de nous qu’ils forment un tout. Sans doute encore, les diverses régions de cette immensité de territoire n’ont qu’une valeur agricole très inégale ; quant à leur valeur économique, qui comprend, comme facteur important, la valeur minérale, personne n’est actuellement capable d’en juger, les territoires les plus arides et les plus ingrats à la surface, comme le désert d’Atacama au Chili, les hauts plateaux désolés de l’Afrique du Sud, les anciens fonds de mer de l’Australie et de l’Asie Centrale, ayant tout à coup révélé à l’homme des richesses de cette nature, soit tout à fait de premier ordre, soit tout au moins très appréciables, et notre Sud algérien et tunisien venant, à l’improviste, avec ses bancs indéfinis de phosphates, de nous procurer, il y a quelques années, une aubaine du même genre. Bien superficiel et singulièrement ignorant des facteurs économiques modernes serait celui qui, parce qu’une contrée se prête mal à la culture, déclarerait que l’homme n’en pourra jamais rien tirer.

Que nous ayons dans notre domaine africain une très grande quantité de « terres légères, » suivant le mot que lord Salisbury prononçait à la Chambre des pairs pour s’excuser d’avoir signé la convention de 1890, cela est incontestable. Mais il en est ainsi de tous les grands empires continentaux. La Sibérie, que nous sachions, ou la Transcaspie, ou le Canada, ou même l’Afrique du Sud, pour ne pas parler de l’Australie, renferment une énorme proportion de terres peu propres à la culture ; il n’est pas jusqu’aux États-Unis qui ne soient dans ce cas. Notre lot africain, pour n’être pas tout entier de choix, n’a donc rien de tout à fait exceptionnel à ce point de vue. Les parties manifestement bonnes y tiennent assez de place pour qu’on se doive accommoder de celles qu’on serait tenté, peut-être sans assez de connaissance de cause, de déclarer irrémédiablement mauvaises.

Cet empire de la France, dans le nord, dans le centre et dans l’ouest de l’Afrique, a été le produit beaucoup plus de circonstances contingentes que d’un dessein prémédité. Un coup d’éventail donné par un souverain barbare à notre représentant et le besoin de rendre de l’éclat à une monarchie défaillante nous ont amenés à Alger ; quelques pillages de la part de tribus montagnardes et une dispute pour un chemin de fer de banlieue nous ont introduits à Tunis ; nos petits et séculaires comptoirs côtiers de l’Afrique occidentale ont dit à un officier du génie entreprenant, Faidherbe, et à toute l’école qu’il a formée à sa suite, de devenir la tête de ligne d’une prodigieuse pénétration à l’intérieur, sans que le gouvernement de la métropole en fût quasi avisé, parfois même malgré ses désirs, et quelquefois en dépit de ses instructions formelles ; plus au sud, l’ardeur d’un officier de marine, né étranger, le lieutenant de vaisseau de Brazza, explorateur excellent et humain, nous fit cadeau un beau matin d’une vaste partie du Congo. Bref, c’est pour ainsi dire, à toute une légion de cadets de Gascogne, agissant sans ordres, cherchant à se surpasser les uns les autres dans une sorte de prodigieux jeu de sport patriotique et de prouesses d’exploration, que nous sommes redevables de la possession de ces immensités. Jamais l’ambition d’un homme d’État, si épris fût-il de colonisation, n’aurait, il y a trente ou quarante ans, conçu un tel rêve ; la réalité a dépassé ce que l’imagination aurait pu concevoir. Mais cela même n’est pas exceptionnel ; c’est l’histoire normale de la colonisation. Tous les grands empires coloniaux, celui de l’Espagne, celui du Portugal, celui de l’Angleterre même, ont été fondés, non par l’action réfléchie et systématique des gouvernemens, mais par l’audace d’une ou deux générations d’aventuriers privés ou de soldats excédant leurs ordres. Si ce sont, toutefois, des particuliers hardis, des « individualités sans mandat » ou dépassant leur mandat, qui fondent les colonies, le gouvernement seul peut les conserver et leur assurer les conditions générales de développement. Cet empire français africain, qui s’est ainsi constitué en dehors ou au-delà de toute conception gouvernementale, comment le gouvernement va-t-il s’y prendre pour le consolider, lui garantir la durée, et en rendre l’exploitation possible ? Il ne suffit pas qu’il l’ait fait reconnaître par la diplomatie.


I

Si notre nouvel empire africain constitue une unité cartographique, la soudure s’étant effectuée entre l’ouest et l’est par la convention de 1890 et entre le sud et le nord par celle de 1899, il s’en faut, cependant, du tout au tout qu’il forme une unité réelle. Pour qui jette les yeux sur une carte, nos possessions, — ou plutôt les attributions qui nous sont reconnues sur le continent africain, — se composent de trois vastes tronçons, qui n’ont jusqu’ici aucun lien entre eux. Le premier de ces tronçons, le moins étendu, mais le plus important politiquement, est celui du nord, qui est formé par l’Algérie et la Tunisie. Le second est celui de l’ouest, que constituent notre vieille possession du Sénégal et ses récens prolongemens du Soudan, de la Côte d’Ivoire, du Dahomey, tout ce que nous détenons dans la Boucle du Niger et au delà de ce fleuve, jusqu’au lac Tchad. Le troisième tronçon enfin, le plus lointain, le moins exploré et, dans plusieurs de ses parties importantes, le moins possédé, consiste dans le Congo, et ses prolongemens septentrionaux, sur le Chari, l’Oubanghi, le sud et l’est du lac Tchad. Une grande partie de cette même région, dans les limites reconnues par la convention de 1899, ne constitue jusqu’ici pour nous que des possessions nominales.

Il en résulte que nominal aussi est notre empire africain ; on voit des disjecta membra, en trois groupes distincts ; il est impossible d’y trouver soit une tête, soit une charpente. Les trois massifs sont complètement isolés l’un de l’autre ; ils ne peuvent se soutenir ; ils ne pourraient communiquer entre eux que de la façon la plus précaire, la plus lente, la plus intermittente.

On l’a bien vu lors de l’incident de Fachoda, ce fut pour nous une cause irrémédiable de faiblesse. Quand la petite colonne de Marchand, ayant passé du bassin de l’Oubanghi dans le bassin du Bahr-el-Ghazal, eut planté notre drapeau sur le haut Nil, elle se trouva aussi perdue, aussi éloignée de toute aide et de toute correspondance avec la mère patrie que si elle eût campé aux antipodes. Cette situation, — quoique nos limites dans la direction de l’est de l’Afrique aient été reportées de dix degrés de latitude en arrière, — peut se représenter demain, ou dans dix ans, ou dans vingt ans. Supposez qu’un jour, dans le Ouadaï ou dans le Borgou, pays dont la possession nous a été attribuée par la convention de 1899, une de nos colonnes soit en danger, il nous sera aussi impossible de la soutenir qu’il l’eût été d’appuyer Marchand à Fachoda. Faire monter des secours ou des munitions, ou des approvisionnemens, à l’est du Tchad par la voie du Congo, de l’Oubanghi ou du Chari, ou bien encore les faire venir du Sénégal, à travers toute l’énorme étendue du Soudan central, en longeant la lisière des possessions anglaises du Sokoto et du Bornou, c’est une impossibilité absolue. Dans le premier cas, il faut faire descendre par mer les troupes de secours à cinq degrés au sud de l’équateur, pour les faire remonter sous les tropiques jusqu’aux 12e, 15e ou 18e degrés nord. Les lenteurs, les frais, la mortalité qu’entraîneraient des expéditions de ce genre dépassent tout calcul ; dans le second cas, de Saint-Louis au Ouadaï ou au Borgou, il faudrait traverser près de quarante degrés de latitude, sur la lisière du désert, et dans le voisinage immédiat des possessions anglaises ou des États protégés de l’Angleterre.

On doit ajouter que, de nos trois massifs du continent africain, celui de l’ouest, le Sénégal-Soudan, et celui du sud et du centre, le Congo-Oubanghi-Baghirmi-Ouadaï, sont ceux qui offrent par eux-mêmes les ressources les plus limitées. Le Congo et l’Oubanghi, contrées tropicales, ne contiennent et ne contiendront jamais que peu de blancs ; ils seront toujours pauvres en articles de ravitaillement et de munition pour des troupes mi-partie européennes, à moins qu’ils ne reçoivent directement et sans interruption ces articles de la métropole. Quoiqu’un peu moins dépourvu à ce point de vue, notre Sénégal-Soudan, par la nature de ses productions, par l’obstacle qu’offre le climat à la résidence prolongée et au travail extérieur des blancs, est assez dans le même cas. Tout ce dont aurait besoin une troupe opérant dans le Baghirmi, dans le Ouadaï, dans le Borgou devrait donc venir de France. Or, en cas de guerre en Europe, du moins avec l’Angleterre, nos communications entre la métropole et le Sénégal ou le Congo seraient absolument fermées ; nos colonies de la côte occidentale et du centre de l’Afrique se trouveraient complètement coupées ; n’ayant que peu de ressources par elles-mêmes, en troupes blanches du moins, et médiocrement douées en approvisionnemens et en munitions, ne pouvant d’elles-mêmes les renouveler, bloquées en outre du côté de la mer, elles auraient la plus grande difficulté à se défendre : à plus forte raison, ne pourraient- elles aucunement soutenir celles de nos colonnes qui pourraient se trouver dans ces possessions lointaines, destinées à être parmi les plus importantes et les plus riches de notre domaine d’Afrique, le Baghirmi, le Kanem, le Ouadaï. La situation de Fachoda se représenterait indubitablement : massacre ou capitulation, c’est à peine si nous aurions le choix.

Notre prétendu empire continental africain, qui fait un si bel effet sur les cartes, est donc la plus fragile des agglomérations de territoires ; tel quel, il est et restera toujours amorphe, sans vie commune, sans relations entre ses trois membres, sans possibilité d’action concertée et de soutien mutuel entre eux. On peut considérer que, sauf la réalisation de la grande œuvre dont nous allons parler, il est voué à l’anémie d’abord, à la dispersion ensuite.

Par une rare fortune, qu’il dépend de notre sagacité et de notre énergie d’utiliser, le troisième massif de nos possessions continentales africaines, celui du nord, l’Algérie et la Tunisie, est dans des conditions autrement fortes que ceux de l’ouest, le Sénégal-Soudan, et du centre, le Congo-Oubanghi. Il ne s’agit plus là de contrées équatoriales ou tropicales, rebelles au séjour prolongé et à la multiplication des blancs, dépourvues, en outre, des approvisionnemens et articles divers nécessaires au soutien de colonnes expéditionnaires. L’Algérie et la Tunisie sont et resteront, sans doute, la première colonie européenne de l’Afrique. Quel que soit l’éclat que jettent sur les possessions britanniques de l’Afrique australe les mines de diamant et les mines d’or, on peut être assuré que, par sa situation d’abord, puis par ses ressources agricoles, notre domaine nord-africain l’emporte et l’emportera de plus en plus sur le domaine sud-africain de la Grande-Bretagne. Nous ne sommes pas, dans l’Afrique méditerranéenne, campés comme au Sénégal et au Congo, nous y sommes solidement et puissamment établis. Outre 5 millions et demi de population indigène, soumise et paisible, sinon dévouée, nous y comptons plus de 600 000 Européens, dont les trois cinquièmes appartiennent à notre nationalité. Nous y entretenons plus de 60 000 hommes de troupes à l’état permanent, dont les quatre cinquièmes sont européennes.

L’Algérie et la Tunisie sont, d’ailleurs, des contrées plantureuses, produisant à foison toutes les denrées de l’Europe méridionale et de l’Europe centrale. Non seulement elles se nourrissent et s’approvisionnent elles-mêmes, ainsi que les troupes qui les gardent, mais elles exportent des quantités énormes de produits agricoles et de matières brutes diverses, nécessaires à l’industrie ; dans les années normales, ces exportations portent sur trois ou quatre millions de quintaux de blé, quatre ou cinq millions d’hectolitres de vin, plus d’un million de moutons, soixante ou quatre-vingt mille bœufs, près d’une centaine de mille quintaux de laine, puis du tabac en quantité, du minerai de fer, du minerai de zinc, de plomb, etc. Voilà donc des pays qui sont très avancés en culture, qui fournissent dans des proportions exubérantes, croissant chaque jour, toutes les denrées d’approvisionnement ; il serait facile d’y installer, pour compléter leur force au point de vue militaire, quelques fabriques de poudre et d’armes. L’Algérie est, en outre, absolument inattaquable du dehors ; on peut se livrer contre quelques-unes de ses villes à ces opérations d’ostentation que l’on appelle des bombardemens ; mais aucune force européenne ne saurait se risquer à effectuer une descente et à agir dans l’intérieur. La Tunisie, dont les côtes sont basses et où la population française est moindre, ne se trouve pas autant à l’abri de toute incursion de l’étranger ; néanmoins, appuyée sur la solide charpente de l’Algérie, pourvue aussi d’un réseau de chemins de fer qui s’étend chaque jour, elle offre une assez grande force défensive.

Ces deux contrées qui se joignent et, sauf des différences administratives, n’en font qu’une, l’Algérie et la Tunisie, constituent la base naturelle et nécessaire de notre empire continental africain ; c’est chez elles que se trouvent les ressources abondantes, quasi inépuisables, en hommes et en approvisionnemens. Fussent-elles coupées de la métropole pendant un an ou deux, elles continueraient à vivre de leur vie propre ; elles souffriraient dans leur commerce et dans leurs intérêts économiques, mais elles se trouveraient toujours largement pourvues de tous les objets dont les hommes en général et les blancs en particulier ont besoin. Les effectifs considérables que nous entretenons d’une façon permanente dans ces pays se prêtent à des prélèvemens pour une action au dehors. Si la France était en paix avec l’Europe, rien ne serait plus aisé que de prélever 12 000 ou 15 000 hommes sur les 60 000 ou 65 000 qui sont établis dans le nord de l’Afrique pour soutenir celles de nos colonnes qui seraient en péril sur un autre point de ce continent. Alors même que nous nous trouverions en guerre avec une puissance européenne, surtout avec une puissance maritime comme l’Angleterre, il serait encore possible de prélever 12 000 ou 15 000 hommes sur nos effectifs algériens ; en effet, l’appel de la réserve de l’armée active et de la garde territoriale parmi nos colons fournirait un effectif au moins égal, qui pourrait prendre la place de celui que l’on enverrait sur un autre théâtre de guerre.

L’Algérie et la Tunisie, la première surtout, voilà donc notre grande réserve, la colonie mère qui peut effectivement assister toutes nos autres colonies africaines ; il suffit de lui frayer une issue pour transporter là où il en est besoin et le superflu de ses soldats et le superflu de ses approvisionnemens. Notre situation dans l’Afrique méditerranéenne est infiniment plus forte que celle de l’Angleterre eu Égypte ; nous nous y trouvons aussi bien plus voisins de l’Afrique du centre, car, si Alger, Philippeville, Bône, Bizerte, sont de cinq à six degrés plus au nord qu’Alexandrie, d’autre part, une ligne quasi droite nous conduit de l’un de nos ports africains au centre du Soudan, tandis que, du Nil, il faut traverser vingt degrés de latitude pour y parvenir.

Par une singulière méprise, nous n’avons pas su, depuis près d’un demi-siècle, tirer un parti quelconque de notre admirable position nord-africaine. Maîtres de Laghouat dès 1852, nous sommes restés plus de vingt ans pour franchir une nouvelle étape vers le sud ; un raid de cavalerie, sous le commandement du général de Galliffet, nous a conduits, en 1873, à El-Goléa ; puis une inexprimable timidité nous a empêchés d’aller plus loin ; nous ne pouvons considérer, en effet, comme témoignant d’une poussée vers le sud l’établissement des petits forts de Mac-Mahon et Miribel où, inactifs et languissans, nous nous sommes simplement terrés. C’est de nos colonies de la côte occidentale et centrale, le Sénégal et le Congo, plus éloignées du contrôle de la métropole, et où nos soldats, nos explorateurs, se sentaient plus à l’aise et plus libres, que s’est effectuée, avec une héroïque audace et une inattendue persévérance, notre pénétration du continent ; mais combien plus faibles sont ces deux bases de notre action africaine !

Si nous n’avons rien fait du côté du nord, si, manifestement, nous avons, dans cette région, manqué à notre mission, la politique électorale est la cause principale de cette condamnable inertie. Pendant plus d’un quart de siècle, on ne s’est appliqué, en Algérie, qu’à satisfaire les clans politiques qui avaient pris possession du corps électoral ; on ne pensait qu’à leur donner des places, des terres, des subventions pour des buts mesquins, et l’on n’avait aucune vue d’avenir. On a administré et vécu, en Algérie, dans le plus bas prosaïsme ; or la prose, unie et grossière, ne convient pas aux colonies ; il faut à celles-ci un peu d’idéal, un plan d’expansion ; toute la colonisation britannique, dans le passé et dans le présent, sur tous les théâtres, en Asie comme en Afrique, témoigne de cette vérité.

L’inertie de notre politique algérienne a été la principale cause de notre échec de Fachoda ; elle est responsable aussi de l’isolement actuel de nos trois tronçons africains et de la grande faiblesse de deux d’entre eux, le Sénégal-Soudan, le Congo-Oubanghi-Tchad. Comment, en partant de ces deux insuffisantes bases d’action, eussions-nous pu soutenir à des distances énormes la dizaine d’officiers français et la centaine de soldats sénégalais campés sur les bords du Nil ? Comment aurions-nous pu nous maintenir longtemps dans le Bahr-el-Ghazal et comment aussi pourrions-nous rêver, en partant du Sénégal et du Congo, de jamais soumettre et de maintenir en paix le Ouadaï et le Borgou ? Autant vaut renoncer dès maintenant à ces contrées, si nous n’avons d’autre voie d’accès pour nous y conduire, pour y asseoir notre autorité.

Ces réflexions sur notre trop certaine impuissance dans l’Afrique centrale me vinrent à l’esprit, l’automne dernier, quand l’Angleterre, avec tant de hauteur, mobilisa sa flotte et nous somma d’évacuer sans discussion Fachoda. Alors, un grand et vieux projet, très étudié, prêt, dans ses lignes générales, à être exécuté, et que, sans en être l’auteur, j’avais soutenu il y a près de vingt ans, se représenta à ma mémoire : c’est le célèbre projet du chemin de fer transsaharien. Sa nécessité politique et stratégique m’apparut avec un caractère d’évidence.

Le grand instrument de conquête, le grand instrument de défense, comme le grand instrument de civilisation et de commerce, c’est la ligne ferrée. Les Romains construisaient des routes d’un bout de l’Empire à l’autre ; Napoléon n’hésita pas à en sillonner les Alpes ; aujourd’hui, le chemin de fer remplit le même office. Qui a de grandes vues militaires ou politiques doit commencer par poser une voie de fer ; la sauvagerie de la contrée à traverser, sa pauvreté en ressources propres, ne doit pas empêcher un peuple prévoyant, animé d’une ambition civilisatrice, de construire une voie ferrée : le chemin de fer transcaspien, et, sinon le transsibérien, du moins le chemin de fer de Mongolie, traversant des régions qui sont parmi les plus ingrates du globe, en fournissent la preuve. Si donc nous voulons que notre empire africain devienne une vérité ; si nous tenons à ce que, de nos trois tronçons isolés, deux, du moins en grande partie, le Sénégal-Soudan et le Congo-Oubanghi-Tchad, dans leurs prolongemens, ou ne se dissolvent pas ou ne tombent pas dans des mains ennemies : si nous voulons aussi, au point de vue économique, qu’ils aient quelque chance de se développer, il faut construire ce chemin de fer transsaharien.

Supposez qu’on l’eût exécuté en 1879, quand l’opinion publique fut, pour la première fois, saisie sérieusement du projet, et qu’on l’eût fait plonger du centre de notre Algérie au centre de la région entre le Niger et le lac Tchad, tout l’avenir colonial de la France, et l’on peut dire aussi son avenir politique, en eussent été changés. Ces riches contrées du Soudan central, qui sont considérées comme les meilleures du continent africain, le Sokoto, le Bornou, n’étaient pas encore tombées sous la domination de l’Angleterre : la voie ferrée nous les eût données.

Admettons même que, avec la lenteur habituelle de nos résolutions, cette lenteur qui nous fait ressembler à l’Autriche, — toujours en retard d’une année et d’une armée, — nous eussions exécuté ce grand projet, sinon vers 1880, du moins vers 1890, et que le travail eût été terminé en 1899, on peut être certain que l’incident de Fachoda n’eût pas pu se produire. Notre ligne ferrée, de Philippeville ou d’Alger aux environs du lac Tchad, eût pu porter en quelques semaines 12 000 ou 15 000 hommes, tirés de notre armée d’Afrique, sur la frontière du Sokoto et du Bornou, pays auxquels la Grande Bretagne attache avec raison beaucoup de prix. Ce n’est plus sur mer, c’est sur terre que nous eussions eu à nous mesurer avec la Grande-Bretagne, et nous eussions disposé de toutes les ressources qu’aurait eues disponibles notre armée d’Afrique qui compte plus de 60 000 hommes, de tous les approvisionnemens en blé, en vin, en bétail, en fourrages, en fer et en plomb, que possèdent l’Algérie et la Tunisie qui sont parmi les plus grandes exportatrices qu’il y ait au monde de tous ces produits.

La Grande-Bretagne eût alors baissé le ton ; elle eût discuté paisiblement et raisonnablement avec nous, sur un pied d’égalité, les choses d’Afrique, comme elle discute aujourd’hui avec la Russie, sans airs comminatoires, les choses de Chine. C’est que, pour pouvoir causer librement avec l’Angleterre, il faut pouvoir l’aborder non pas sur mer, mais sur terre. Le chemin de fer transsaharien, dans un cas quelconque de conflit avec la Grande-Bretagne, nous donnerait des gages, le Sokoto, le Bornou, même les contrées anglaises de la Boucle du Niger et peut-être aussi le Bahr-el-Ghazal. Avec cette voie ferrée, nous aurions une prédominance manifeste sur quelque puissance européenne que ce soit, dans toute l’Afrique du nord et du centre. Bien plus, le grand instrument de protection de notre empire colonial, non seulement sur le continent africain, mais dans le monde entier, ce ne doit être et ce ne peut être que le chemin de fer transsaharien. Si nous avons à défendre Madagascar, le Tonkin ou nos intérêts au Siam et en Chine, c’est avec le Transsaharien et dans l’Afrique centrale que nous y arriverons, parce que, là, nous avons des gages qu’il nous serait aisé de saisir et que nous ne rendrions que contre des compensations ou des restitutions équitables.

Qu’on ne se méprenne pas, d’ailleurs, sur nos intentions ; toute pensée de guerre agressive, toute idée même de jalousie à l’endroit de la Grande-Bretagne est très éloignée de notre esprit. A aucun degré nous ne sommes anglophobe ; nous serions plutôt anglophile ; nous ne rêvons aucunement de dérober aux Anglais leurs possessions ; nous voudrions seulement ne pas perdre les nôtres ; nous ne voulons pas, d’autre part, nous contenter d’un simple domaine nominal, comme celui du Kanem, du Ouadaï, du Borgou et du Baghirmi. Le Transsaharien ne serait pas seulement pour nous un instrument essentiel de lutte, il constituerait un porte-respect. Nous avons la certitude qu’une fois pourvus de cet outil, nous trouverions l’Angleterre beaucoup plus courtoise et plus cordiale dans les démêlés qui pourraient surgir entre nous.

Le projet du Transsaharien doit donc rallier l’adhésion de tous ceux que l’on appelle les coloniaux, de tous ceux aussi qui ont la fibre patriotique un peu sensible, et enfin des sages et des gens paisibles qui pensent que la France peut accomplir, pour la mise en exploitation d’un bloc important de continent, une grande œuvre, comme le fait, sur deux théâtres différens. une nation infiniment moins riche que n’est la nôtre, la Russie.

Il ne nous en coûterait que la dixième partie de ce que la Russie dépense dans ses deux lignes ferrées transcaspienne et transsibérienne. Avec 230 à 250 millions, peut-être moins, une pure bagatelle, on aurait exécuté une entreprise dont les conséquences militaires et politiques sont immenses et certaines, et dont les effets économiques seraient vraisemblablement considérables. Etrange puérilité de nos hommes d’État et incroyable routine de notre opinion publique ! Nous voulons nous épuiser, par crainte d’un conflit avec l’Angleterre, en constructions de cuirassés qui, le jour d’une déclaration de guerre avec la Grande-Bretagne, seraient complètement inefficaces et n’auraient guère d’autre ligne de conduite à suivre que de se tapir prudemment et patiemment dans nos ports. Nous gaspillons des centaines de millions en armemens maritimes où nous reproduisons exactement la fable de la grenouille et du bœuf. Et tandis que nous nous livrons à ce jeu coûteux et stérile, nous dédaignons et nous repoussons le seul instrument, le chemin de fer transsaharien, qui nous mettrait en état de lutter victorieusement avec la Grande-Bretagne ; qui ne coûterait pas plus qu’une douzaine de cuirassés, et qui enfin à son utilité politique et stratégique de premier ordre, joindrait des avantages économiques et coloniaux des plus importans !

Pour que cette apathie ne fût pas coupable, il faudrait que le Transsaharien apparût comme une œuvre impossible. Tout démontre, au contraire, — et les grandes entreprises analogues faites avec succès dans d’autres parties du monde aussi ingrates par des peuples doués d’initiative, et l’étude même des régions à traverser, — qu’il s’agit d’une œuvre simple, ne sortant aucunement des données connues et n’offrant aucuns risques spéciaux.


II

La recherche de la paternité des idées est toujours délicate. Bien des hommes ont, à des périodes plus ou moins distantes, tantôt avec netteté, tantôt simplement dans ses lignes générales, la conception d’une grande œuvre. L’idée du Transsaharien est assez ancienne ; elle date tout au moins de quarante ans. Le premier qui l’ait formulée sans ambiguïté est le général Hanoteau, en 1839, alors chef de bataillon du génie et commandant supérieur à Dra-el-Mizan. Dans la préface d’un livre très spécial, un Essai de grammaire de la langue tamachek, il s’exprimait ainsi : « La première caravane de R’at (Ghat), sous l’escorte des Imouchar (Touareg), arrivait à Alger précisément au moment où commençaient les premiers travaux du chemin de fer d’Alger à Blidah. Cette coïncidence, toute fortuite sans doute, n’est pas moins d’un heureux présage, et qui sait si, un jour, reliant Alger à Timbouctou, la vapeur ne mettra pas les tropiques à six journées de Paris ? »

Laissons de côté, pour le moment, la question de tracé, que nous traiterons plus loin ; voilà donc quarante ans qu’un officier du génie de notre armée d’Afrique, futur officier général, très au courant des populations indigènes du Sahara, a non seulement prévu et annoncé le chemin de fer transsaharien, mais a trouvé la formule décisive : « les tropiques à six jours de Paris. » Encore ces six jours sont-ils de trop : treize heures, qui seront bientôt réduites à douze, de Paris A Marseille, vingt-six à vingt-sept heures de Marseille à Philippeville ou à Alger, ensemble quarante, puis, avec les lignes ferrées déjà existantes, environ 3 000 kilomètres pour arriver dans la région du lac Tchad, soit, à la vitesse modérée de 32 kilomètres à l’heure, quatre-vingt-quatorze heures, en tout cent trente-quatre, cela ne fait que cinq jours et demi ; dans ces conditions, les tropiques seraient, non seulement à moins de six jours de Paris, mais même à moins de six jours de Londres. Supposez que, un peu plus tard, avec quelque développement de vitesse qui ne serait pas bien prodigieux, les 3 000 kilomètres environ de Philippe ville ou Alger à la région du Tchad puissent être franchis au train de 40 kilomètres à l’heure en moyenne : il ne faudrait que 75 heures pour cette partie du parcours, plus quarante heures de Paris à Philippeville ou à Alger, en tout cent quinze heures ; les tropiques seraient ainsi à moins de cinq jours de Paris. à cinq jours de Bruxelles, et à cinq jours trois ou quatre heures de Londres.

Nous attirons l’attention sur ce point : les prétendus sages, personnes en général très superficielles et observateurs légers, se demandent parfois ce que pourrait produire un chemin de fer transsaharien. Il est facile de répondre à ces sceptiques impuissans qui incarnent l’esprit de négation : il ne se trouve pas, sur l’ensemble du globe, une situation semblable, où l’on puisse mettre une des parties les plus riches des tropiques, le Soudan central, à cinq ou six jours de distance des contrées les plus riches et les plus peuplées de la zone tempérée et des plus grandes capitales du monde. Croire que, dans ces conditions, une voie ferrée ne serait pas productive, qu’elle n’aurait pas, sinon du jour au lendemain, du moins au bout de peu d’années, un courant abondant non seulement de marchandises, mais surtout de voyageurs, cela n’est possible qu’à des hommes dont le cerveau est absolument fermé à la conception des conditions générales de productivité des travaux publics.

Un des plus pénétrans observateurs des phénomènes économiques et sociaux qu’ait produits la science allemande, Roscher, a fait remarquer que, toutes circonstances égales, une ligne ferrée qui suit le méridien est dans de meilleures conditions de rendement qu’une ligne ferrée qui suit le parallèle, parce que la première réunit des climats différens et des productions différentes ; elle dessert donc des besoins intenses d’échanges et de relations.

Sans entrer dans des calculs détaillés (nous en ferons cependant quelques-uns plus loin), il suffit de cette brève formule, que le chemin de fer transsaharien mettrait une partie très peuplée et très riche des tropiques à cinq ou six jours de Paris, Bruxelles et Londres, pour emporter la conviction d’une productivité certaine, et notamment d’un important trafic de voyageurs de toute catégorie, commerçans, fonctionnaires et employés divers, curieux et oisifs. Pour atteindre les tropiques par l’Egypte, il faut deux fois et demie plus de temps et deux fois et demie plus de dépenses.

Il est dans la nature du développement des idées, même de celles qui visent une application pratique, d’exiger une longue période d’incubation, puis, tout à coup, après qu’on les a crues perdues, et que personne ne paraît y songer, de surgir avec éclat et d’attirer l’attention générale. Un explorateur, Soleillet, chargé d’une mission au Touat par la Chambre de commerce d’Alger, en 1874, par la bien de jeter un chemin de fer à travers le Sahara, mais cet appel n’eut pas de retentissement. Il s’écoula vingt ans après la déclaration si remarquable du commandant Hanoteau, jusqu’au livre, qui fit un moment tant de bruit, de l’ingénieur en chef Duponchel, sur le Chemin de Fer transsaharien. Cet ouvrage parut en 1879. L’auteur, avec une grande science technique, un admirable élan patriotique, une foi communicative, des vues très vastes sur l’avenir de la France, signalait l’utilité, la praticabilité, l’exécution même facile et relativement peu coûteuse de l’œuvre qui s’imposait, suivant lui, et s’impose encore, suivant nous, à notre patrie. Il voyait dans le Soudan central, entre le Niger et le Tchad, dans cette région de Sokoto, Kano, Gando, Kouka, sur lesquelles la Grande-Bretagne n’avait pas encore glissé sa main, les futures « Indes françaises. » C’est là que nous devions porter notre activité, trouver, à nos portes, à ces cinq ou six jours de distance de Paris, ce domaine tropical que les autres nations ne peuvent obtenir qu’à des semaines ou des mois d’éloignement de leurs côtes. Plût au ciel que la voix de Duponchel eût été alors entendue ! Nous fûmes de ceux qui, dès la première heure, lui firent écho et recommandèrent son projet au public. S’il eût été alors réalisé, toutes les destinées de la France s’en fussent trouvées agrandies. Communiquant, dès 1889 ou 1890, parterre avec le Soudan central, nous eussions possédé tout le nord de l’Afrique, et il nous eût toujours été facile de faire respecter nos droits en Égypte. Les péchés d’omission, dit-on, sont les plus graves pour les hommes politiques ; l’occasion négligée ne se représente jamais complètement ; rien ne se répare, mais au moins peut-on éviter des négligences nouvelles. Actuellement, l’Angleterre s’est faufilée sur le Sokoto et le Bornou, et il ne peut plus être question de nous attribuer ces belles contrées ; mais ce qu’on nous a laissé autour du Tchad et les domaines que nous nous sommes nous-mêmes taillés dans toute la région environnante valent encore un grand effort, et le Transsaharien ne nécessite qu’un médiocre effort ; ce serait à peine, dans l’état actuel du monde, une très grande œuvre.

L’appel si éclatant de M. Duponchel frappa l’un des hommes qui ont le plus longtemps détenu le gouvernement depuis 1870, M. de Freycinet. Il était alors ministre des Travaux publics ; ingénieur, lui aussi, de profession, et homme à projets, il conçut qu’il y avait là pour la France et pour lui-même une occasion qu’on ne devait pas laisser perdre. Il constitua une grande commission officielle pour étudier l’utilité, la possibilité et le tracé d’un chemin de fer transsaharien. Chose curieuse, cette commission officielle travailla, fit de bonne besogne et, autant qu’il dépendait d’elle, aboutit. Diverses missions furent envoyées dans le Sud-algérien du côté de l’ouest et du côté de l’est. L’ingénieur des ponts et chaussées Choisy dirigea cette dernière ; il parcourut 1 250 kilomètres en quatre-vingt-dix-sept jours, et ramena tous ses hommes sains et saufs ; cette exploration parut décisive pour la première partie du trajet, et la ligne de Biskra-Ouargla fut recommandée comme le point de départ du chemin de fer transsaharien. Il restait à étudier toute l’énorme zone s’étendant entre nos avant-postes dans le sud et le Soudan même. On jugea qu’il convenait de confier cette tâche à un officier expérimenté ; on la donna au lieutenant-colonel Flatters, parfaitement maître de la langue arabe, ayant occupé longtemps le poste de commandant supérieur du cercle de Laghouat. Ses instructions portaient qu’il devait « diriger une exploration avec escorte indigène pour rechercher un tracé de chemin de fer devant aboutir dans le Soudan, entre le Niger et le lac Tchad. » Il lui était recommandé de se mettre en relations avec les chefs touareg, de chercher à obtenir leur appui, et de conserver à l’expédition un caractère essentiellement pacifique. La mission, outre le colonel, se composait de neuf membres : quatre officiers, quatre ingénieurs et un médecin. A la fin de janvier 1880, elle était à Biskra, en partait pour Ouargla, où elle recrutait quatre-vingt-quinze hommes de service, ordonnances, guides et chameliers. Jusqu’au 24 avril, elle s’enfonça dans la direction du sud-est, passant par El Biod, Timassinin, la vallée des Ighargharen, longeant le lac Menghough, nappe d’eau de 4 kilomètre de long, 400 à 200 mètres de large, 4 de profondeur, abondant en poissons et en hérons ; poussant un peu plus au sud-est, elle arriva à 120 kilomètres de Ghat. À ce point, elle trouva une hostilité déclarée de la part des Touareg ; il fallait livrer bataille, les provisions s’épuisaient ; ces circonstances, ainsi que ses instructions toutes pacifiques, décidèrent Flatters, le 21 avril, à se replier sur Ouargla, où il rentrait sans perte le 17 mai. Quoique la mission eût obliqué un peu trop à l’est et qu’elle eût dû rebrousser chemin un peu hâtivement, elle avait eu en somme du succès ; elle rapportait des observations intéressantes et des renseignemens précieux.

Ces résultats parurent assez encourageans pour que, sans désemparer, on préparât une exploration nouvelle qui, poussée à fond, devait être décisive, pensait-on. Sur le désir exprimé par la commission supérieure du Transsaharien, le colonel Flatters, au mois d’octobre 1880, se remit en route avec un personnel en partie renouvelé et accru. Il emmenait 97 chameaux de monture et 180 chameaux de charge, emportant quatre mois de vivres et huit jours de provision d’eau, outre les instrumens les plus divers ; c’est toujours Ouargla qui fut sa base d’opération. Sauf les fatigues inséparables de la traversée d’un pays sauvage, âpre et inconnu, les débuts furent heureux ; on arriva sans encombre à Amguid, en longeant la vallée de l’Igharghar, suivant une direction plus rectiligne que la fois précédente. On tourna cependant un peu à l’est, pour longer le massif montagneux du Hoggar, gagner la sebkha d’Amagdor, immense amas de sel, et de là, à peu de distance, le puits d’Asiou, à partir duquel on entre dans le Sahara méridional, plus clément que celui du nord et déjà sensiblement influencé par les pluies des tropiques. La marche de l’expédition s’accomplissait normalement et l’on allait sortir de la région dangereuse, quand la trahison du guide targui et un moment d’imprudence du colonel amenèrent le massacre de Flatters et de ses principaux compagnons, le désarroi de la petite colonne qui dut battre en retraite dans de fâcheuses conditions et qui n’ayant plus, à partir de Amguid, pour la commander qu’un maréchal des logis dénué d’autorité et d’expérience, périt tout entière, à l’exception de quelques indigènes qui vinrent conter en Algérie le désastre.

C’est à un puits dénommé alors Bir-el-Gharama, et que M. Fourcau, dans les lettres reçues par la Société de Géographie de Paris sur son expédition en cours, appelle Hassi Tadjenout, que fut massacré Flatters. On venait de franchir le tropique du Cancer, on se trouvait à une dizaine de journées de marche de l’Aïr, sorte de chaîne d’oasis sahariennes relativement hospitalières. Au point de vue des difficultés, la plus grande tâche était achevée ; en ce qui concerne les distances de la Méditerranée au Soudan, on avait fait 1 600 kilomètres environ, 1 300 à partir de la cessation du chemin de fer à Biskra ; il en restait douze à treize cents encore à parcourir, dans des conditions infiniment plus douces. Ainsi l’œuvre, quoique non terminée, était fort avancée. L’accident qui, d’une façon si cruelle, mit fin à l’exploration de Flatters, n’était pas de ceux qui eussent pu décourager un peuple doué de quelque persévérance. L’expérience vient de montrer, par le complet succès de la mission Foureau-Lamy, que, avec des précautions et une force suffisante, assez restreinte même d’une manière absolue, on peut déjouer la fourberie et l’inimitié des Touareg.

Telle est cependant la légèreté française, si peu habitués sommes-nous à persister dans un grand dessein, que la mort de Flatters fit, sans renonciation formelle, délaisser brusquement le projet, si chaleureusement accueilli, de la construction du chemin de fer transsaharien. Si, moins imprudent, l’infortuné colonel eût pu, comme M. Foureau vient de le faire, achever paisiblement la traversée du désert et arriver dans les environs du Tchad, il n’y a aucun doute, dans la disposition d’esprit où l’on était alors, que la construction du Transsaharien n’eût été entreprise, tout au moins amorcée. Les destinées de la France en Afrique en eussent été complètement modifiées, incomparablement agrandies. Depuis dix-huit années, on a laissé sommeiller ce grand projet ; vers 1890, un ingénieur des mines, qui s’est distingué par la création d’oasis dans la partie nord du Sahara, entre Biskra et Tougourt, M. Georges Rolland, l’a vainement repris. A notre tour, l’incident de Fachoda nous a amené à le tirer du sommeil et à le recommander au public ; l’opinion paraît de nouveau lui faire bon accueil. Les raisons qui ont fait constituer la grande commission du chemin de fer transsaharien en 1879 et qui firent entreprendre les explorations que nous venons de mentionner sont plus fortes que jamais ; et vraiment, ce n’est pas le massacre de la petite mission Flatters, à plus de la moitié du voyage, qui a pu diminuer l’utilité de l’œuvre et faire douter sérieusement de la possibilité de son exécution. Les Russes ont éprouvé de bien plus grands mécomptes dans leur carrière d’explorations ; ils ne se sont pas laissé arrêter par de très grands échecs, la disparition d’armées entières, comme celle de la première expédition de Khiva, Nous, parce que, non pas une armée, ni même une colonne, mais une dizaine de Français, accompagnés d’une soixantaine d’indigènes et de moins de trois cents chameaux, ont été tués par trahison, nous abandonnons une œuvre aux immenses perspectives !


III

Immenses, en effet, en pourraient être les résultats, et l’effort serait modique. Il ne faut pas croire qu’il s’agisse là d’une de ces entreprises colossales qui dévorent d’énormes accumulations de capitaux. Dans les temps où nous vivons, et par rapport aux travaux publics qui se font actuellement ou se projettent sur la surface du globe, le chemin de fer transsaharien serait une œuvre à coup sûr originale, mais relativement modeste. Elle ne demanderait qu’une dépense fort restreinte. Tout d’abord, même au simple point de vue de la longueur kilométrique, le chemin de fer transsaharien serait loin de figurer parmi les lignes ferrées les plus longues du globe. De Biskra au Soudan, jusqu’à Sinder par exemple, qui nous appartient et qui est très légèrement à l’est de Biskra, ou bien encore, si on le préfère, au Kanem, c’est-à-dire à la rive septentrionale du lac Tchad, la distance en ligne droite est d’environ 2 400 à 2 500 kilomètres, mettez de 2 700 à 2800, en supposant des déviations exigées par le relief du terrain sur un ou deux points.

Or, pour tout homme qui se tient un peu au courant du train du monde et dont l’esprit n’est pas enfermé dans nos étroites vallées métropolitaines, un chemin de fer de 2 700 à 2 800 kilomètres ne compte plus aujourd’hui parmi les lignes ferrées de première grandeur. Le chemin de fer transsibérien aura 6 000 kilomètres, le Transcontinental Canadian Pacific en a plus de 5 000, et le Transcontinental Pacific américain presque autant ; voilà donc des chemins de fer qui sont deux fois plus longs, sinon davantage, que la ligne qu’il nous faut construire pour faire un tout de nos tronçons disséminés de l’Afrique du nord et du centre. En Afrique même, dans une contrée très désolée et peu fertile de l’Afrique — pour ne pas parler de l’entreprise, qui n’est encore qu’à l’état de formule et de prospectus, du Cap au Caire — le chemin de fer du Cap au Zambèze, aux trois quarts exécuté et pour le reste en construction, ne le cède pas en longueur au futur Transsaharien, et les difficultés d’exécution sont bien autrement grandes dans le premier cas que dans le second.

Ce n’est donc pas l’étendue de la ligne qui doit nous arrêter ; d’autant moins que, si l’on décompose cette étendue, on voit que, même en renonçant à réunir l’Algérie au Soudan, une notable partie des 2 700 ou 2800 kilomètres devra être faite à bref délai, soit au titre de chemins de fer algériens, soit au titre de chemins de fer soudanais. C’est le cas d’abord pour les 370 kilomètres de Biskra à Ouargla, lesquels sont étudiés depuis une quinzaine d’années et qui font l’objet d’un projet ministériel et d’une demande de concession. On peut considérer qu’en tout état de cause ces 370 kilomètres seront construits prochainement.

Il en est de même, quoique l’exécution puisse en être un peu plus différée, de la ligne ferrée devant relier la grande chaîne d’oasis du Sahara méridional, l’Aïr, tout au moins la capitale de cette région, Agadès, à notre Soudan, soit à Sinder, soit à un point voisin. Il est en effet inadmissible que, contrairement à tous les peuples colonisateurs. Russes, Anglais, Belges, nous ayons la prétention de posséder éternellement des territoires fertiles sans y faire de travaux publics. Le voyageur allemand Barth, le plus exact peut-être des explorateurs, a fait de la région de l’Aïr, de ses vallées, de ses productions, un tableau séduisant. La jonction de cette contrée au Soudan par une ligne ferrée s’imposera, quelle que doive être la décision relative au Transsaharien. En me reportant au grand ouvrage de Barth et à la carte de l’Aïr et du Damerghou, qu’il contient, je relève, à partir du 20e degré, et même un peu au-dessus, une suite d’annotations mentionnant de riches vallées, de bonnes eaux, une végétation abondante et constatant soit la richesse, soit les élémens de richesse du pays. Ainsi : Djinninan, schönes Thal mit einem Wald schöner Baüme und Weidegrund von tropischem Ansehen (belle vallée, avec un bois de beaux arbres et des pâturages d’aspect tropical), et cela à guère plus de cent kilomètres au sud du puits d’Asiou ; Thal (vallée) von Selufiet, mit vielen Baümen, Gebüsch und gutem Wasser (avec beaucoup d’arbres, de bosquets et de bonne eau) ; Brunnen von Eghellal, Baumreiches Thal (fontaine d’Egellal, vallée riche en arbres) ; Ausgedehnte Ebene mit guten Weidegrüinden ( plaine étendue avec de bons pâturages) ; Thalï Borhel, gut bevöôlkert und reich an Dumbäumen, Kameelen und Ziegen (vallée de Borhel, bien peuplée et riche en palmiers-doum, en chameaux et chèvres) ; tout cela est au nord d’Agadès, la capitale de l’Aïr ; quant aux environs de celle-ci, Barth les décrit d’un trait : Die Namen um Agades bezeichnen hübsche bewachsene Thäler (les noms autour d’Agadès indiquent de jolies vallées couvertes de végétation) ; et, après avoir traversé pendant un degré géographique une étendue moins favorisée, on retrouve une contrée riche : der Tagama, eine an Rindern, Schafen und Pferden reiche Gègend (abondante en bœufs, moutons et chevaux) ; nombreux troupeaux de bœufs (Grosse Viehheerden), lit-on un peu plus bas sur la carte de Barth ; puis See Gamrek (lac Gamrek) umgeben von üppiger Vegetation (entouré d’une végétation luxuriante) ; Zahlreiche Wassermelonen (abondans melons d’eau) ; anmuthiges Hügelland mit vielen Baümen (gracieuse terre de collines avec beaucoup d’arbres) ; un peu au-dessous du 15e degré, on entre dans le Damerghou ; erste Kornfelder von Damerghu, Ziegenheerde (premiers champs de blés, troupeaux de chèvres) ; offenes fruchtbares Land mit Kornfeldern (pays ouvert et fertile, avec champs de blé) ; un peu plus bas, sur la lisière du Soudan, près de Sinder, qui nous appartient : Schöne Baumtuollen und Tabak-Pflanzungen, belles plantations de coton et de tabac ; cette annotation Baumwollen-Pflanzungen revient à chaque instant sur la carte de toute la lisière du Soudan qui nous est reconnue par les conventions récentes. Tout ce chapelet de notes favorables, et beaucoup d’autres que nous passons pour ne pas allonger inutilement ce travail, s’étend du 20e au 13e 1/2 degré sur la carte de Barth consacrée au Sahara méridional. Cependant, d’après toutes les données courantes et fausses sur le Sahara, on s’est habitué à considérer comme improductives ces étendues de 7 à 800 kilomètres de long, qui sont en réalité parsemées de culture. Les gravures jointes à l’édition allemande ne sont pas moins engageantes que le texte[1]. Les villes sont nombreuses : Tintelloust et Tafidet, entre le 19e et le 18e degré ; Afassas entre le 18e et le 17e ; Agadès enfin, la capitale, presque exactement au 17e degré, place importante et commerçante, ayant des maisons à deux étages et paraissant compter 8 000 à 9 000 habitans. On conçoit qu’il ne soit pas possible, une fois que nous aurons établi notre domination dans cette contrée, de la laisser sans communication par chemin de fer avec le Soudan. Ce serait d’autant plus inadmissible qu’outre les produits agricoles et fabriqués, il y a dans cette région des sources de trafic qui proviennent du transit du sel ; Barth parle du départ d’une caravane de 10 000 chameaux se rendant aux salines de Bilma, situées au nord-est d’Agadès, dans le pays dit de Kaouar. Il reconnaît que le chiffre des chameaux peut être un peu exagéré, mais qu’il n’en résulte pas moins un énorme mouvement. Il semble découler de son texte que plusieurs fois par an des caravanes de ce genre, sinon exactement de cette importance, traversent Agadès ou l’Aïr[2].

Indépendamment de tout projet de Transsaharien, il ressort donc comme évident que l’on devra construire une ligne ferrée, reliant l’Aïr, tout au moins à partir d’Agadès, 17e degré, plus probablement à partir de Tintelloust, 18e degré et demi, au Soudan, mettons à Sinder, point assez central ; ce serait une longueur de 600 à 700 kilomètres à déduire de celle du Transsaharien proprement dit, puisqu’elle aurait sa nécessité propre en dehors de toute jonction de l’Algérie avec la région du Tchad. Il est même très vraisemblable que cette ligne ferrée, simplement soudanaise, devrait un jour être prolongée à l’est jusqu’à l’oasis de Bilma, qui approvisionne aujourd’hui entièrement le Soudan de sel. Il y a des chances sérieuses pour que ces lignes soudanaises, desservant la partie tropicale du Sahara, soient rémunératrices.

Si l’on retranche ces tronçons qu’il faudra toujours faire, soit les 370 kilomètres de Biskra à Ouargla et les 600 ou 700 du Soudan central à l’Aïr, on voit que la longueur prévue de 2 600 à 2 700 kilomètres pour le chemin de fer de jonction de l’Algérie et de la région du Tchad, se réduit, en réalité, à 1 600 ou 1 700 kilomètres. Voilà la longueur du Transsaharien à proprement parler ; cette ligne, dont le seul nom épouvante les gens superficiels, se réduit à des proportions vraiment des plus modiques.

Si la longueur n’a rien d’effrayant, la nature du pays peut-elle faire reculer devant l’œuvre ? Il s’agit de traverser le Sahara, c’est-à-dire un désert, ce que le public, d’après la convention, se représente comme une immense étendue de sables mouvans, soulevés et remués en tous sens par les vents. D’abord, l’on se trompe complètement sur ce qu’est un désert et notamment le désert du Sahara ; le sable, les dunes, n’y occupent que des parties restreintes, surtout dans la région qui offre le tracé le plus naturel au Transsaharien. La pierre, le roc nu est beaucoup plus la caractéristique du Sahara, en longeant à l’est l’Hoggar et plus au sud l’Aïr, que le sable. Un ingénieur, qui fut chargé en 1880 de diriger l’une des trois missions pour l’étude sur les lieux du chemin de fer transsaharien, M. Choisy, a heureusement dissipé cette légende : « Le Sahara, écrit-il dans les souvenirs de sa mission, est le pays du monde dont l’imagination altère le plus étrangement les contours et les couleurs... Chacun a son Sahara. Le mien était une grande plaine brûlante, couverte de sable mouvant que le simoun agite... Trois mois entiers, je dus vivre de la vie de caravane, sans cesse entouré d’Arabes du sud, sans autre perspective que des horizons vides. Toute une révolution s’opéra dans mes idées en ces trois mois. Le Sahara pays plat ? quels beaux ravins à pic j’y ai gravis ! — Un ciel de feu ? On gèle rien qu’en songeant à certaines nuits du désert. — Du sable ! J’ai marché de longues journées sans en trouver de quoi sécher une lettre. — Au reste, il y a désert et désert ; désert plat et désert raviné ; il y a même désert de sable. » Mais ce dernier est l’exception, il ne semble guère se rencontrer que dans la partie nord du Sahara, et on trouve, dans cette partie même, un couloir de terrain ferme entre les dunes au sud de Tougourt en suivant le lit du fleuve souterrain l’Igharghar jusqu’au point où l’on atteint un plateau rocheux, de médiocre hauteur d’ailleurs, le Tassili, qui occupe le Sahara du centre.

Le Sahara, en définitive, est beaucoup plus une étendue de roc qu’une étendue sablonneuse. On ne peut dire que ce soit une plaine ; mais le relief n’est nulle part très élevé ; sur cette longueur de 2 600 à 2 700 kilomètres, de Biskra à la région du Tchad, les points culminans, soit dans le plateau de Tassili, soit dans l’Aïr, ne paraissent dépasser nulle part 1 800 mètres, hauteur presque moitié moindre que les points culminans de l’Algérie, et il ne s’agit là que de pics isolés.

La carte jointe, dans les Comptes rendus de la Société de Géographie, aux lettres récemment écrites par M. Foureau, du puits d’Asiou, c’est-à-dire du Sahara méridional, fixe à une hauteur de 1 362 mètres la ligne de partage des eaux entre la Méditerranée et l’Atlantique, au Djebel Ahorrene, à plus de 1 300 kilomètres au sud de Biskra ; rien ne dit qu’on étudiant mieux le pays on ne trouvera pas des cols plus bas. Ce relief modéré, sur un si grand trajet, doit faire considérer le Sahara sinon comme une plaine au sens absolu du mot, tout au moins comme une des contrées, relativement à leur étendue, les plus planes de l’Afrique. Pour se rendre du Cap au Transvaal on gravit de bien autres sommets.

Ainsi, terrain rocheux, plutôt que sablonneux, relief modique du sol, voilà les caractéristiques du pays. Pour l’établissement d’un chemin de fer, pour le coût de construction et d’exploitation, elles sont favorables. Le manque d’eau, il est vrai, est une condition contraire ; mais ce manque d’eau n’est nullement absolu. Dans toute la partie septentrionale, de Biskra à Tougourt, la sonde artésienne a fait jaillir des quantités de nappes et surgir de nombreuses oasis. Au sud de Tougourt jusqu’au de la d’El Biod, sur 700 ou 800 kilomètres, s’étend la vallée de l’Igharghar, et, outre les puits qui s’y rencontrent actuellement, la sonde artésienne en fera certainement trouver d’autres. Le Sahara méridional, recevant d’ailleurs déjà les pluies tropicales, dans la grande section qui va d’Asiou au Tchad et qui représente un bon tiers du tracé du Transsaharien, les puits sont nombreux. Il reste le haut plateau du Tassili, d’une longueur de 400 à 500 kilomètres, formant la chaîne de partage des eaux entre la Méditerranée et l’Atlantique ; là, les puits sont plus rares ; mais il en existe pour alimenter les caravanes assez fréquentes qui traversent cette région, la plus désolée du Sahara. Flatters lui-même l’a parcourue tout entière avec 277 chameaux et une soixantaine d’hommes, sans compter tous les Touareg qui le suivaient et l’épiaient de loin ; et ce ne sont pas les huit jours d’eau que portaient ses chameaux de charge qui ont pu suppléer à celle qui aurait manqué durant ce trajet de 400 à 500 kilomètres. MM. Foureau et Lamy, avec une expédition comprenant un millier de chameaux et plusieurs centaines d’hommes, ont éprouvé de la difficulté à se ravitailler en eau dans une partie du parcours du Tassili ; mais enfin ils y sont parvenus. L’on conviendra qu’il faut moins d’eau pour alimenter quelques trains de chemin de fer que pour des milliers de chameaux et d’hommes. Puis ces eaux ne sont pas aménagées, ces puits ne sont pas entretenus ; l’on peut avoir la certitude que, la science européenne et surtout le soin et la vigilance des Européens aidant, les ressources en eau de cette région seront considérablement accrues.

C’est ce qui est arrivé partout pour les chemins de fer désertiques qui, à l’heure actuelle, foisonnent dans le monde. On en compte plus de 10 000 kilomètres, soit dans le désert d’Atacama, en pleine Amérique du Sud, où se trouvent les gisemens de nitrate, soit dans l’Australie de l’Ouest, de Perth à Coolgardie et à Kalgurli, pays des mines d’or, soit dans le district dénommé Northern Territory, où la colonie de l’Australie du Sud a fait pénétrer un chemin de fer visant le centre de ce continent, soit dans la région de l’Asie centrale, où les Russes, les pionniers de cette sorte de travaux, ont construit le chemin de fer transcaspien, soit dans le désert de Libye, où les Anglais viennent de faire le chemin de fer de l’Atbara pour éviter les cataractes et les méandres du Nil.

Partout le désert reçoit des chemins de fer et les alimente ; nulle part le manque d’eau n’a été un obstacle à la voie ferrée. A Coolgardie, premier siège des mines d’or ouest-australiennes, l’eau, en 1895, se vendait couramment 6 pence le gallon, soit 0 fr. 15 le litre, et, avant sa distillation[3], elle était de plus mauvaise qualité que l’eau que trouvent nos avant-postes dans le Sahara : cela n’a nullement empêché la locomotive d’arriver à Coolgardie et de dépasser même cette station. Dans le Turkestan, les trains font quelquefois 160 kilomètres sans rencontrer une goutte d’eau. Il s’en faut que la situation apparaisse comme aussi défavorable, nous ne disons pas dans le Sahara en général, mais même sur le plateau de Tassili, qui en forme la partie la plus sauvage. La carte de M. Foureau y révèle des quantités d’oueds, et, si à sec qu’ils puissent se trouver dans certaines saisons, il n’y en a pas moins là des ressources que l’on peut aménager, soit par des citernes, soit par des puits artésiens. Dût-on renoncer à cette ressource, les puits actuels, mieux entretenus, suffiraient. Mais il est quasi certain que ces quantités d’eau pourront être considérablement accrues, même sur le plateau de Tassili. Les reconnaissances toutes récentes du capitaine Pein, se rattachant à la mission Foureau, le démontrent. Chef du poste de Ouargla, cet officier, très au courant du Sahara septentrional, ayant poursuivi, il y a un an, un rezzou jusque dans la région de Ghadamès, fut chargé de maintenir le contact avec la colonne Foureau-Lamy et d’assurer les courriers. Il s’avança jusqu’à Tadent, au delà du 23e degré, plus au sud que le point où Flatters avait trouvé la mort, et à plus de 1 000 kilomètres d’Ouargla ; il revint par la sebkha d’Amagdor et Amguid, route différente de celle qu’avait suivie la mission Foureau et moins difficile. D’après ses récits, « il existe, dans cette région, des localités où l’eau est abondante, où les palmiers poussent vigoureusement. Le capitaine Pein a visité l’une d’elles, qui avait plusieurs kilomètres d’étendue. Il serait possible d’y faire des cultures à l’abri des dattiers. Mais l’insécurité du pays est trop grande, et les Touareg ne se soucient guère de cultiver pour les autres. Aussi se contentent-ils, le moment venu, « de récolter les dattes de leurs palmiers sans prendre aucunement soin de ces arbres[4]. » Cette description, il est important de se le rappeler, ne s’applique pas au Sud algérien, où il ne se rencontre pas de Touareg, mais à la région saharienne plus méridionale comprenant le plateau du Tassili. Ainsi le manque d’eau n’apparaît nullement comme un obstacle.

Ni l’étendue de la ligne à exécuter, ni la nature des lieux ne sont donc de nature à inquiéter ou à décourager. L’œuvre apparaît comme de proportions modestes et d’une exécution relativement aisée. Serait-ce la dépense qui pourrait faire hésiter ? Peut-être, il y a vingt ans, en eût-il été ainsi. Aujourd’hui, on a fait de très grands progrès dans la construction des chemins de fer en pays neufs. J’ai suivi de près la construction d’une ligne en région désertique, débouchant dans le Sahara septentrional, la ligne de Sfax à Gafsa et aux grands gisemens de phosphates Sud-tunisiens ; j’ai été la visiter ; le succès de cette ligne a contribué à me faire reprendre l’idée du chemin de fer transsaharien. On a construit en dix-huit mois et moyennant 60 000 francs par kilomètre, y compris un matériel des plus importans, destiné à pourvoir à un trafic de 350 000 à 400 000 tonnes, les 250 kilomètres de Sfax aux mines de phosphates, à travers une contrée désertique sur la moitié du parcours. A l’heure actuelle, on trouverait des concessionnaires à 65 000 francs le kilomètre, matériel compris, pour les 370 kilomètres de Biskra à Ouargla ; pour le tronçon suivant, qui se ferait en pays presque plat, de Ouargla à la chaîne du Tindesset, sur un parcours de 600 kilomètres environ, en rehaussant le coût de 10 000 francs, ce qui le porterait à 75 000 francs, il est probable que l’on aboutirait ; la traversée du plateau du Tassili, quoique à partir d’Afara on se trouve sur un terrain qui ne présente plus de hauts reliefs, pourrait, sur 400 kilomètres, coûter une centaine de mille francs ; ensuite on redescend graduellement jusqu’au puits d’Asiou, et la traversée du Sahara méridional semble ne pas offrir de grandes difficultés ; la principale dépense paraît être d’amener les rails sur place, où les matériaux de construction abondent, notamment la pierre et le ballast. On peut admettre une dépense de 90 000 francs le kilomètre pour les 1 300 à 1 350 à parcourir depuis les environs de Tadent jusqu’à la région du Tchad. Récapitulons : les 370 premiers kilomètres à 65 000 francs, prix formant déjà l’objet de projets de convention, les 600 suivans à 75 000, les 400 du plateau du Tassili proprement dit à 100 000, les 1 300 à 1 350 restans à 90 000, ces chiffres donnent une dépense totale, pour les 2 700 à 2 750 kilomètres à construire, de 230 à 231 millions, soit une moyenne de 85 000 francs environ par kilomètre. Encore est-il possible que l’on obtienne une réduction sensible sur ces chiffres. Majorons-les, néanmoins, de 20 millions pour l’imprévu, et l’on arrive à 250 millions.

Ainsi : 230 à 250 millions de francs, c’est à ce chiffre modique que reviendrait le chemin de fer transsaharien. Que l’on n’accuse pas ces évaluations d’être trop basses ; pour le premier tronçon de Biskra-Ouargla, ce ne sont pas des hypothèses, ce sont des certitudes. Nous insisterons toujours sur l’exemple du chemin de fer des phosphates de Gafsa, fait en vue d’un énorme trafic. Les récens chemins de fer tunisiens à voie étroite exécutés par la Compagnie de Bône-Guelma, d’une étendue d’environ 300 kilomètres, n’ont pas coûté plus de 51 000 à 52 000 francs en moyenne de frais de construction. En relevant ce prix de plus de 60 pour 100 pour le chemin de fer transsaharien, on fait, certes, une grande concession, non seulement aux difficultés connues du parcours, mais encore à l’imprévu. Il ne faut pas oublier que la main-d’œuvre ne manquerait pas pour ce travail : sans parler des Kabyles et des Italiens qui ne feraient pas défaut pour la partie septentrionale, on pourrait compter sur un grand afflux de nègres du Fezzan et du Soudan. Ces deux régions renferment des quantités illimitées de bons travailleurs, qui, pour gagner 1 fr. 75 à 2 francs par jour, franchissent d’énormes distances. Ils viennent, depuis une dizaine d’années, en bandes nombreuses en Tunisie ; je les y ai vus souvent dans les voyages annuels que je fais depuis 1885 en ce pays ; ils y rendent des services très appréciés[5]. Il est probable même que dans le Sahara méridional, à partir des premiers villages de l’Aïr et sur un parcours de 630 à 700 kilomètres, on les aurait à bien meilleur compte.

L’exploitation pourrait être très économique : certaines de nos compagnies africaines, celle de Bône-Guelma notamment, ont beaucoup amélioré leurs méthodes à ce sujet. En 1897, les 232 kilomètres à voie étroite exploités en Tunisie par cette compagnie, avec deux trains par jour au minimum dans chaque sens, n’ont pas coûté en moyenne tout à fait 2 000 francs de frais d’exploitation par kilomètre et ont laissé une recette nette de 90 000 francs, quoique ces lignes soient toutes nouvelles et parcourent en général des pays assez incultes et très peu peuplés. Les frais d’exploitation du chemin de fer transsaharien pourraient être très peu élevés, surtout si l’Etat dégrevait le pétrole avec lequel on pourrait chauffer les locomotives. Il y a deux hypothèses pour le Transsaharien : ou il aurait un grand trafic et une exploitation intensive, ce qui n’est nullement improbable, à la longue du moins ; il faudrait alors plusieurs trains chaque jour dans chaque sens, et peut-être des trains de voyageurs distincts des trains de marchandises ; ou bien le trafic sera restreint ; nous regardons la première hypothèse comme plus probable avec le temps ; mais tenons-nous-en à la seconde, qui est la plus désavantageuse pour notre thèse. Dans ce cas d’un trafic réduit, il suffirait d’avoir en chaque sens deux ou trois trains par semaine ; le Transcaspien a actuellement trois trains hebdomadaires. Dans ces conditions, les frais d’exploitation ne devraient pas dépasser 2 000 francs par kilomètre ; car il y aurait quatre à cinq fois moins de trains que sur les lignes tunisiennes nouvelles de la Compagnie Bône-Guelma qui n’arrivent pas tout à fait à cette dépense kilométrique ; certaines dépenses seraient plus grandes dans le désert, mais d’un autre côté, le bien moindre nombre de trains fournirait une compensation aux économies. Il nous paraît incontestable, et nous allons essayer de le démontrer, que ces 2 000 francs de frais d’exploitation par kilomètre seraient très facilement couverts, et bientôt largement dépassés.


IV

Quel pourrait être le trafic du chemin de fer transsaharien ? Il est clair qu’on ne peut l’évaluer avec exactitude, parce qu’il est presque tout entier à créer. Un esprit habitué à l’observation économique et qui sait apprécier l’effet produit par les voies de communication à longue distance entre contrées à climats différens peut, néanmoins, s’en faire une idée. Il ne s’agit pas de prendre les différentes denrées des pays tempérés, situés au nord de la ligne, et des pays tropicaux situés au sud, de les supputer et de faire l’addition du tonnage. Ce procédé est insuffisant et trompeur. Il faut voir les choses de beaucoup plus haut et par grandes masses.

Le trafic du Transsaharien peut être d’abord un trafic de voyageurs et de colis à grande vitesse, en second lieu un trafic de marchandises communes à petite vitesse. La voie nouvelle jouira de l’un et de l’autre.

Le trafic des voyageurs et des colis à grande vitesse sera, sinon dès le lendemain de l’ouverture de la ligne, du moins au bout de peu d’années, considérable, nous n’hésitons pas à le dire. Pour en juger, il suffit de rappeler que le Transsaharien mettra la région la plus riche des tropiques, c’est-à-dire tout le Soudan central, à cinq jours ou cinq jours et demi de Paris, Londres et Bruxelles, à savoir des capitales des trois pays les plus intéressés dans le développement de l’Afrique. Le Transsaharien aura le monopole de tous les transports postaux dans l’Afrique, jusqu’à l’État du Congo inclusivement. Le Transsaharien sera du reste nécessairement prolongé par une ligne ferrée allant, sinon jusqu’au Congo, du moins jusqu’à l’Oubanghi. Déjà l’explorateur Gentil, qui, dans une conférence faite à l’Ecole coloniale à Paris, s’est déclaré le partisan résolu du Transsaharien, prépar » un chemin de fer reliant l’Oubanghi à la partie navigable du Chari. Ainsi, tous les transports par terre, non seulement pour les possessions françaises, mais pour les possessions anglaises, les possessions allemandes et les possessions belges, prendront la voie transsaharienne. Comme, de plus, le chemin de fer transsaharion sera, avec le temps, prolongé par deux lignes transversales dans le sens des parallèles, vers l’est et vers l’ouest, il est possible qu’il offre également la plus courte durée pour les transports postaux à destination de l’Amérique du Sud ; Rio-Janeiro et Buenos-Ayres pourront, au point de vue des correspondances, être de plusieurs jours plus rapprochés de Paris, Londres, Bruxelles et Berlin. Le Transsaharien, plongeant directement du nord au sud dans le centre de l’Afrique, en suivant presque le méridien de Paris, est destiné à devenir la charpente de tout le réseau ferré des deux tiers de l’Afrique. Le trafic postal peut être déjà un élément appréciable de revenu pour une voie ferrée de ce genre ; qu’on pense à l’importance qu’attachent la France et l’Italie au passage de la malle des Indes et à l’ardeur qu’elles mettent à se le disputer ! Toutes les malles pour les trois quarts du continent africain et pour une partie de l’Amérique du Sud suivront le Transsaharien. Cet exemple entraînera tous les colis à grande vitesse, pour lesquels l’économie de trois ou cinq jours à huit ou dix jours de voyage a de l’importance, et ce n’est pas là non plus, quand il s’agit de zones aussi énormes, un élément négligeable. D’autre part, tous les voyageurs à destination de l’Afrique du Centre, Congo compris, emprunteront aussi cette voie ; ces voyageurs sont de genre très divers : fonctionnaires et leurs familles, chefs ou employés d’administration, officiers allant rejoindre, commerçans, planteurs, colons de toute nature, touristes même, — car il n’est pas douteux que le centre de l’Afrique, mis à cinq ou six jours de Paris, Londres et Bruxelles, soit un centre d’attraction, — prendront le Transsaharien. Ils le feront d’autant plus que cette voie procurera une notable économie d’argent relativement à la voie de mer. Il en coûte de 700 francs à 1 000 francs pour se rendre de Bordeaux aux ports de l’Afrique de l’Ouest, Dakar, Konakri et Kotonou, et l’on n’est que sur la côte ; les 3 000 kilomètres de Philippeville ou Alger à la région du Tchad pourraient, en place de luxe, être franchis pour 400 à 430 francs, ce qui porterait la dépense, à partir de Marseille, entre 480 et 530 francs. Est-il exagéré de penser qu’avec toutes les catégories de voyageurs énumérées ci-dessus on arriverait, les deux sens compris, à une dizaine de mille voyages, procurant au Transsaharien environ 3 millions et demi de francs, surcroît de bagages compris, soit, pour chacun des 2 700 kilomètres du Transsaharien proprement dit, 1 300 francs environ ?

Il y aurait une source non moins abondante de trafic de voyageurs dans le transport des indigènes même du Soudan central aux régions méditerranéennes. Personne n’ignore que les populations primitives aiment beaucoup à se déplacer. Cela se manifeste en Egypte, dans notre Algérie-Tunisie, au Tonkin, en Chine même. Or, la riche région entre le Niger et le Tchad est considérée comme ayant une population d’environ 30 millions de noirs. Ces gens sont assez travailleurs et, du reste, migrateurs. On a vu qu’il en arrive, à l’heure actuelle, en Tunisie, malgré la longueur du chemin, cherchant ce qui est pour eux un haut salaire, à savoir 1 fr. 75 à 2 francs par jour. La main-d’œuvre, pour les travaux publics, ceux des mines et carrières qui deviennent de plus en plus nombreux, ceux même des exploitations agricoles européennes, se fait rare dans nos possessions du nord de l’Afrique. Le Transsaharien pourrait, pour 75 à 80 francs, transporter en quatre jours un noir de la région du Tchad en pleine Algérie ou Tunisie. Dans ces conditions, il est certain que, à la longue, des dizaines de milliers de noirs du Soudan viendraient faire des campagnes de deux ou trois ans dans nos colonies méditerranéennes pour y amasser un pécule et retourner ensuite chez eux.

Ils gagneraient facilement 500 à 600 francs par année dans la région méditerranéenne, dont ils économiseraient au moins la moitié, sinon les deux tiers ; cela leur permettrait de revenir au bout de deux ans et demi ou trois ans avec un pécule de 600 à 700 ou 800 francs nets, frais d’aller et de retour déduits ; au Soudan, c’est là une petite fortune, facilement acquise, étant donnés les goûts migrateurs des noirs. D’après une appréciation très modérée, une quinzaine de mille noirs pourrait chaque année voyager ainsi dans chaque sens, entre le Soudan et la Méditerranée, soit 30 000 en tout, et procurer au Transsaharien une recette d’environ 2, millions à 2 millions et demi par an, soit de 800 à 900 francs par kilomètre. Il faudrait y ajouter le trafic local, qui, dans certaines régions sahariennes, sera important, entre l’Aïr, par exemple, et le Soudan. Avec les transports postaux, qui sont appelés à être très considérables, les petits colis à grande vitesse, les voyageurs blancs de toute catégorie à destination de tout le centre de l’Afrique, les migrations de noirs entre le Soudan, l’Algérie et la Tunisie, paraissent bien devoir fournir ensemble un trafic de 7 à 8 millions au Transsaharien proprement dit, soit de 3 000 francs environ par kilomètre ; ce serait plus qu’il ne faut pour les frais d’exploitation, étant donné que la Compagnie de Bône à Guelma exploite les chemins de fer tunisiens à voie étroite, ayant deux trains par jour dans chaque sens, à un peu moins de 2 000 francs par kilomètre ; les 1 000 francs d’écart compenseraient largement le surcroit de charge qui pourrait résulter du climat et des difficultés locales.

Nous n’avons parlé jusqu’ici que du trafic des voyageurs et des messageries à grande vitesse : il n’est pas douteux qu’il n’y ait, en outre, un important trafic de marchandises ; la profonde diversité des climats, c’est-à-dire des productions, que la ligne rapprochera d’une manière si sensible, doit provoquer de nombreux échanges. Il est tout d’abord un article qui, à lui seul, peut-être, pourrait, même indépendamment des voyageurs, procurer au Transsaharien un trafic rémunérateur ; c’est le sel. On sait que cette denrée indispensable manque à tout le centre africain. Dans certains endroits de cette région, on extrait le sel de la bouse de vache ou de plantes diverses ; ailleurs, on l’apporte laborieusement de l’oasis de Bilma, située au nord-est, où, d’après le voyageur allemand Nachtigal, se rendent chaque année à cet effet 70 000 chameaux[6]. Le sel revient, dans la généralité du Soudan, à 1 franc ou 1 fr. 50 le kilogramme. En France, le sel paie un impôt de 0 fr. 10 et se vend au détail une vingtaine de centimes le kilogramme ; il s’en consomme 330 000 000 kilogrammes, soit 9 kilogrammes à peu près par habitant. Le Transsaharien, en puisant le sel soit à Bilma, soit à la sebkha d’Amagdor, soit dans les chotts algériens, soit même dans les salins méridionaux de la France, pourrait, moyennant un fret de 100 francs par tonne, correspondant à 3 centimes 1/3 par kilomètre sur tout le parcours, — ce qui équivaudrait juste à notre impôt français, — faire baisser le prix du sel au Soudan à une vingtaine de centimes au lieu de 1 franc à 1 fr. 50 ; la consommation, en quelques années, en décuplerait ; en supposant qu’elle ne fût que de la moitié environ de celle de la population française, soit de 5 kilogrammes par habitant au lieu de 9 chez nous, comme la population à alimenter en cet article est d’au moins 30 millions, ce serait un trafic de 130 000 tonnes ; voulût-on le réduire d’un tiers, il resterait 100 000 tonnes, qui, à 60 ou 70 francs en moyenne par tonne, en supposant qu’une partie provînt du milieu du Sahara et le reste seulement du sud de l’Algérie ou de la France, représenterait 6 à 7 millions de francs ou 2200 à 2600 francs par kilomètre, de quoi couvrir, avec un seul article de marchandises, les frais d’exploitation de la ligne.

Nombreuses seraient d’ailleurs les autres sources de trafic : dans le sens du nord au sud, les céréales algériennes à destination de toutes les oasis sahariennes, dont l’importance irait en grandissant et dont le nombre aussi s’accroîtrait, comme on l’a vu plus haut par les réflexions du capitaine Pein sur le pays des Touareg ; tous les produits manufacturés à destination de populations très nombreuses ; dans le sens du sud au nord, les dattes, l’ivoire du Tchad, les peaux d’animaux, l’indigo, l’étain, qui est abondant, les gommes, les dépouilles autres que les peaux d’animaux divers, cornes de rhinocéros et de bœufs, laines, poils, le coton, dont la zone de culture, d’après Barth, est très étendue, le café, les plus précieux parmi les bois exotiques. A peine quelques embryons de ce trafic existent-ils à l’heure actuelle, parce qu’il en coûterait 800 francs à 1 000 francs au moins par tonne pour les effectuer à chameau ; le Transsaharien pourra appliquer des tarifs gradués sur la valeur des marchandises, s’élevant par exemple à 15 ou 20 centimes le kilomètre, ce qui mettrait le trajet du Soudan à la Méditerranée à 450 ou 600 francs la tonne, pour les marchandises d’une grande valeur comme l’ivoire, la poudre d’or et peut-être les plumes d’autruche, mais s’abaissant à 2 centimes ou 2 centimes et demi pour les marchandises de peu de prix. Aux États-Unis, on descend jusqu’à 9 dixièmes de centime pour le charbon. La Compagnie des Phosphates de Gafsa, quoiqu’il ne doive guère y avoir de trafic que dans un sens, pense qu’elle ne dépensera pas 2 centimes par kilomètre.

Il n’est guère de marchandises communes, même le blé, même les métaux, même les minerais un peu riches, qui ne puissent supporter, quand les prix sont relativement bas au lieu de production, un tarif de 2 centimes par kilomètre sur 3 000 kilomètres, soit de 60 francs. Le blé vaut en France en moyenne, dans ces dernières années, 200 à 220 francs la tonne ; la laine, même dans les bas cours, vaut 1 000 francs la tonne ; le coton, 700 francs ; le cuivre, près de 2 000 francs ; le plomb, 350 francs ; le zinc, plus de 600 francs ; l’étain vaut encore davantage ; même les minerais non travaillés, mais ayant une assez bonne teneur, pourraient supporter un tarif aussi modique. Il est très peu de marchandises communes qui ne vaillent pas aujourd’hui 250 à 300 francs la tonne, et qui, par conséquent, étant produites à bon compte au Soudan, soit du fait de l’excellence du sol et du bas prix de la main-d’œuvre, soit par l’abondance de gisemens miniers, ne puissent franchir, dans les conditions que nous venons de dire, les 3 000 kilomètres du Transsaharien et de ses prolongemens en Algérie.

Nous n’avons pas parlé des richesses minérales que le Sahara peut contenir, sauf le sel, qui assurera un énorme trafic. Il est très peu vraisemblable que cette immensité, qui, dans le plateau du Tassili, longeant le Hoggar, et dans l’Aïr, contient de vastes zones de terrains primitifs, ne renferme pas de richesses minières. On sait que déjà le Sud algérien et tunisien a révélé d’énormes gisemens de phosphate et que la même région paraît très riche en minerais de calamine, aujourd’hui infiniment recherchés. Une opinion assez accréditée parmi les savans, c’est qu’il y a de grandes chances de trouver dans le Sahara des dépôts de nitrates. Il a été fait de très instructives études qui, naturellement, ne peuvent être encore qu’hypothétiques, sur les ressources minières sahariennes ? M. A. Souleyre, notamment, a beaucoup éclairé cette matière<ref> Voir ses articles dans la Revue Scientifique, intitulés : les Nitrates de l’Afrique du Nord, 2e semestre de 1893, et Origine et distribution des gîtes de métalloïdes ; Ressources minières du Sahara, n° du 4 mars 1899. /ref>. D’après des observations aussi exactes qu’ingénieuses, il existe une loi de concentration des matières minérales sur des bandes parallèles à l’équateur : c’est ainsi que les phosphates d’Algérie et de Tunisie correspondent à ceux de la Floride et des Carolines, et que l’on pense que dans le massif volcanique du Hoggar, sur le tracé du Transsaharien, à 1 500 kilomètres de la côte d’Algérie, il doit se trouver des dépôts de nitrate analogues à ceux du désert d’Atacama dans l’Amérique du Sud. S’il en était ainsi, les 1 500 kilomètres à franchir, au tarif de 2 centimes, représenteraient seulement 30 francs la tonne sur une marchandise qui vaut 170 francs dans les ports algériens ; à supposer que l’on n’en transportât que 200 000 à 300 000 tonnes par an, ce qui représenterait moins du quart ou du tiers des transports de nitrate au Chili et n’égalerait pas les exportations qui se font actuellement de phosphates d’Algérie et de Tunisie, ce serait un trafic de 4 000 à 6 000 francs par kilomètre.

Il ne s’agit là, sans doute, que de « possibilités, » comme disent les Anglais ; mais, quand ces magnifiques « possibilités » se joignent à de satisfaisantes certitudes, comme celles que nous avons décrites plus haut, c’est assez pour déterminer un grand travail public qui ne doit, d’ailleurs, coûter qu’une somme modique, 230 à 250 millions de francs. Même sans aucun appoint de nitrate et de trouvailles dans le Sahara, autres que le sel, il apparaît comme infiniment probable que le Transsaharien aurait, en voyageurs et marchandises, un trafic minimum de 6 000 à 7 000 francs par kilomètre environ, pour des frais d’exploitation qui ne pourraient dépasser 3 000 francs, soit 50 pour 100 de plus que les frais d’exploitation du nouveau réseau tunisien. Ce trafic minimum de 6 000 francs, on a l’espérance de le voir doubler ou tripler ; il est probable que, même financièrement, le chemin de fer transsaharien sera à la longue une excellente affaire. Néanmoins, comme le gros public n’est pas familier avec des œuvres de ce genre, il serait toujours impossible d’accomplir, sans une garantie d’intérêt de l’Etat, cette grande œuvre qui sera probablement, à la longue, très rémunératrice.

On dira peut-être que des chemins de fer qui partiraient du golfe de Guinée pour se diriger vers le Tchad, ayant une plus courte distance que le Transsaharien, lui déroberaient une partie de son trafic. D’abord, cette concurrence serait quasi nulle en ce qui concerne la poste, les voyageurs, les colis privés, parce que la durée du transport, tant par terre que par mer, serait deux fois plus longue par la voie de l’ouest que par la voie du nord. En outre, ces chemins de fer seront beaucoup plus difficiles à construire et à exploiter dans ces pays marécageux, fiévreux, où l’Européen a grand’peine à vivre. Enfin, le surcroît de transport terrestre sera largement compensé pour un très grand nombre de marchandises même communes, non seulement par la moindre durée et la plus grande régularité du trajet, mais par l’arrivée des denrées en pleine Méditerranée, à quelques heures de Marseille, de Gênes, de Trieste et à portée démarchés de consommation considérables, la France, l’Italie, la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne du Sud.

Nous sommes naturellement amené à examiner la question du tracé du Transsaharien. Il s’est produit à ce sujet beaucoup de rivalités ; chaque province algérienne, puis aujourd’hui la Tunisie, prétend avoir chez elle le point de départ de la ligne. Ces compétitions n’ont pas été pour peu de chose dans le retard apporté à l’exécution de l’œuvre. La solution, cependant, est facile à trouver et elle s’impose très nettement. N’oublions pas d’abord que le Transsaharien ne doit pas être une œuvre algérienne, ni une œuvre tunisienne ; c’est, dans toute la force du mot, suivant l’expression anglaise, une œuvre impériale. La voie ferrée à construire doit être, en premier lieu un instrument politique et stratégique, reliant les trois tronçons de notre futur empire africain ; cette voie doit constituer définitivement cet empire, nous permettre notamment d’établir notre souveraineté sur le Ouadaï, le Baghirmi, c’est-à-dire qu’il est indispensable qu’elle se rapproche le plus possible de ces contrées encore insoumises et formant, avec nos postes de l’Oubanghi, l’extrême est de notre domaine de l’Afrique centrale. Ainsi, les environs du Tchad, un point qui ne saurait être plus éloigné à l’ouest que Sinder et qui devra peut-être se trouver plus rapproché du grand lac africain, voilà le point d’aboutissement nécessaire du Transsaharien. Il ne s’agit nullement, à l’heure actuelle, d’aller à Tombouctou, qui sera relié à la côte par la voie du Niger, du chemin de fer de Kayes et du Sénégal ; l’écoulement des marchandises de la région de Tombouctou a plus de chances de se faire par la route de l’ouest que par celle du nord. Il n’en résulte pas qu’ultérieurement on ne puisse détacher du tronc transsaharien une voie secondaire aboutissant au Niger, soit à Tombouctou, soit à Bouroum ; mais cela ne presse aucunement ; ce n’est pas l’œuvre essentielle. Au triple point de vue politique, stratégique et commercial, le Transsaharien, du moins le grand tronc, le seul dont il peut être question en ce moment, doit avoir une direction différente. Il doit s’enfoncer en quelque sorte par une ligne droite de la Méditerranée vers la région du Tchad, entre Sinder et ce lac. Voilà le point d’aboutissement très nettement tracé.

Quant au point de départ sur la Méditerranée, il est également facile à trouver. Au point de vue stratégique, le Trernssaharien doit partir d’un des points situés à peu près au centre de notre Algérie-Tunisie, de manière à n’être pas menacé par la puissance inconnue qui, un jour, pourrait posséder soit le Maroc, soit la Tripolitaine. Au point de vue commercial, il faut que le Transsaharien mette le Soudan à la moindre distance possible de Marseille et de Paris : il doit réaliser la formule : le Soudan central à cinq jours ou cinq jours et demi de Paris, à six jours de Londres et de Bruxelles. Il faut, par conséquent, que le Transsaharien aboutisse à Philippeville et à Alger, les points les plus rapprochés de Marseille. Cela est indispensable, notamment si l’on veut que le Transsaharien ait un grand trafic de voyageurs. Oran est beaucoup trop éloigné de Marseille, de Gênes et de Trieste. Oran est bien trop en face de l’Espagne et trop près de Gibraltar, de même que Tunis est trop près de la Sicile et de Malte et se trouve trop à découvert.

Ainsi, le voisinage du Tchad pour point d’arrivée, Philippeville ou Alger, plus exactement l’un et l’autre, comme points de départ, voilà déjà le tracé en grande partie déterminé. Il convient, en outre, que le Transsaharien suive la voie la plus courte entre Philippeville ou Alger et le Tchad ; cette voie, c’est celle par laquelle se sont faites toutes les grandes reconnaissances et les explorations, à savoir la voie de Biskra, Ouargla, Amguid, longeant et laissant à l’ouest le massif volcanique du Hoggar, puis desservant les vallées fertiles de l’Aïr, C’est le tracé le plus court, celui qui a toujours paru le plus naturel ; on y rencontrera les nombreuses oasis de l’Oued Rir, puis les oasis futures que, d’après le capitaine Pein, on pourrait un jour créer ou améliorer, ainsi qu’il a été dit plus haut, en pays touareg ; on longera les contrées qui peuvent contenir des richesses minérales ou minières, la sebkha d’Amagdor ; on aura, sur le parcours méridional, une partie des transports des salines de Bilma ; on pourra également peut-être transporter au Soudan le sel des chotts algériens. Cette voie a toujours été recommandée aussi bien par les militaires que par les civils.

Quelques personnes se laissent séduire à l’idée de faire passer le Transsaharien par les oasis du Touat, qu’il est toujours question que nous prenions. Depuis vingt ans, nous insistons pour l’occupation du Touat ; mais ce n’est nullement par là que doit passer le Transsaharien ; il n’en pourrait être ainsi que si l’on avait Tombouctou pour but. Comme on doit, au contraire, aboutir au lac Tchad, la partie supérieure du chemin, si elle devait parcourir le Touat, serait rejetée beaucoup trop à l’ouest ; on allongerait de 400 à 500 kilomètres au moins la longueur de la ligne entre la Méditerranée et la région du Tchad ; ce serait une faute colossale. Le Transsaharien doit être aussi court que possible : de Philippeville à la région du Tchad, par Biskra, Ouargla, Amguid, la sebka d’Amagdor, l’Aïr, il aura 2 700 à 2 800 kilomètres ; ce serait une folie que de l’allonger en rejetant vers l’ouest la partie supérieure. Il faut imiter les Russes, qui ont cherché pour leur Transsibérien le plus court trajet possible et qui n’ont pas hésité à ne desservir que par un embranchement la ville la plus importante de la Sibérie, Tomsk, afin de ne pas dévier le tronc principal.

Si nous occupons le Touat, on pourra relier ses oasis soit à Oran, soit de préférence à Alger par un chemin de fer spécial qui aura quelques chances non seulement de faire ses frais, mais de donner un petit revenu net ; on pourrait aussi se contenter de le rattacher par un embranchement de l’ouest à l’est au Transsaharien ; mais ce dernier chemin de fer doit nécessairement suivre un tracé plus oriental.

Partant de Biskra, le chemin de fer transsaharien aboutira au nœud de nos voies ferrées nord-africaines ; il sera à portée de Bône, Philippeville, Bougie, Alger même, moyennant la construction d’un court tronçon de Bordj-bou-Aréridj à la ligne de Batna-Biskra ; il pourra même être rattaché à Bizerte par la continuation de la ligne en projet de Gafsa à Tozeur jusqu’aux environs de Tougourt par El Oued. Le tracé Biskra-Ouargla-Amguid s’impose d’une façon absolue.

La question du Transsaharien est maintenant très amplement éclairée. Comment hésitons-nous à entreprendre cette grande œuvre qui était quasi décidée il y a dix-neuf ans ? De toutes parts, Anglais, Américains et Russes ne parlent que d’énormes travaux ; nous, nous ne pensons qu’à de petits chemins de fer côtiers, qui peuvent avoir une utilité régionale, mais qui ne donneront jamais à notre empire africain la charpente dont il a besoin, qui ne mettront jamais les tropiques à quatre jours et demi ou cinq jours de Marseille, Gênes et Trieste, à cinq jours et demi ou six jours de Paris, Londres et Bruxelles. Nous nous complaisons dans les choses mesquines ; ce qui est grand épouvante nos faibles cervelles. Cependant, nos explorateurs font de magnifiques prouesses : Gentil dans la région du Tchad, Marchand sur le haut Nil ; nous les applaudissons, les couvrons de fleurs, puis retournons à nos distractions, à l’insignifiance de notre vie privée et de notre vie publique ; nous ne faisons ni même ne tentons rien pour consolider en nos mains et pour utiliser l’œuvre de ces braves. Prenons-y garde, elle nous échappera ; le haut Nil nous a déjà échappé ; il en sera bientôt de même du Ouadaï, car nous défions que jamais on le soumette et on le gouverne autrement qu’avec le Transsaharien. Le Sénégal et le Congo sont des bases trop fragiles ; l’Algérie-Tunisie seule fournit une base sérieuse à notre action dans le centre de l’Afrique. Ecoutons ce que disait dans la séance du 30 mai dernier le ministre des Affaires étrangères, M. Delcassé, au Sénat, en s’excusant d’avoir abandonné à l’Angleterre le Bahr-el-Ghazal : « Quel homme politique n’ayant pas perdu complètement le sens de la réalité, quel ministre sachant que du Caire on peut en vingt jours amener par le Nil des milliers d’hommes au Bahr-el-Ghazal, tandis qu’il nous faut près d’un an pour y faire parvenir épuisés 200 soldats, qui donc aurait osé venir demander au pays le sacrifice inutile du sang et de l’argent par où l’on aurait pu essayer seulement de disputer ce territoire[7] ? » Le ministre des Affaires étrangères avait raison ; mais la situation va être demain exactement la même pour le Ouadaï ; nous aurons besoin, par la voie du Sénégal ou celle du Congo, sinon d’un an, du moins de huit à dix mois, pour y amener quelques centaines d’hommes. Avec le Transsaharien, nous pourrions, en trois ou quatre semaines, y jeter 10 000 ou 15 000 hommes. Est-il permis d’hésiter ? Le terrible aveu fait par M. Delcassé au Sénat ne doit-il pas ouvrir les yeux ? Ou nous perdrons la plupart de nos possessions du centre de l’Afrique, ou il faut que, sans aucun ajournement, nous construisions le Transsaharien ; c’est l’instrument stratégique indispensable ; c’est, de plus, un instrument économique qui promet d’être très efficace, et cela ne coûterait que 230 à 250 millions ! D’après les déclarations des ministres de la Guerre et de la Marine, les simples mesures de précaution prises au moment de Fachoda auront coûté une centaine de millions de francs ; c’est près de la moitié de ce qu’il faudrait pour construire le Transsaharien. A moins que la France ne se résigne à ne plus compter dans le monde, il faut qu’elle sache et veuille entreprendre cette œuvre, en réalité très modeste, malgré sa longueur, la seule œuvre, vraiment considérable par ses effets, que nous puissions faire encore ; elle nous vaudra, aux portes de la France, la possession paisible et l’exploitation fructueuse d’une immensité de territoire. La postérité flétrirait avec raison la génération qui, après avoir abandonné l’Egypte, n’aurait même pas su faire à temps le Transsaharien.


PAUL LEROY-BEAULIEU.

  1. Reisen und Entdeckungen in Nord and Central Africa, von D’ Heinrich Barth, erster Band, 4e carte, Gotha, 1857, Justus Perthes.
  2. Reisen und Entdeckungen, etc., von Dr Heinrich Barth, t. 1er, p. 467, 468.
  3. Voir dans la Revue du 1er juin et du 1er août 1896, les études de M. Pierre Leroy-Beaulieu sur l’Australie.
  4. Comité de l’Afrique Française, Bulletin mensuel, juin 1899, p. 177.
  5. Une note officielle constatait, il y a quelques jours, à propos d’une rixe entre ouvriers italiens et nègres soudanais, qu’un grand nombre de ceux-ci sont employés aux travaux du port de Bizerte.
  6. Elisée Reclus, Géographie universelle, tome XI, p. 819.
  7. Journal Officiel du 31 mai 1899, p. 689.