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LE PORT APRÈS LA TEMPÊTE

Quand le lieutenant Coquillard revint dans sa cabine, en caressant l’espoir de manger enfin un œuf, un peu durci peut-être et beaucoup refroidi sans doute, mais bien agréable à gober tout de même lorsqu’on n’a rien dans l’estomac depuis le matin, il vit le navrant tableau ci-contre, que nous renonçons à décrire !

Ici, comme en beaucoup d’autres occasions d’ailleurs, la plume s’efface avec plaisir devant le crayon.

Le petit Tom, gorgé de lait, à moitié asphyxié, les griffes toutes douloureuses encore de s’être cramponnées à la nappe, se traînait en gémissant au milieu d’innombrables débris, fruit de ses exploits, sur le tapis du lieutenant.

— Miséricorde ! s’écria le brave Coquillard ; mais ce chat a donc le diable au corps !

Et il ajouta :

— Aurait-on eu tort d’arracher cet animal par trop fantaisiste à l’épave sur laquelle il flottait ? Un bienfait sera-t-il donc perdu ?

Mais le lieutenant songea que le pauvre petit Tom était jeune, bien jeune, qu’il n’était qu’un chat sans éducation, privé de bonne heure de son papa et de sa maman et élevé par des matelots qui, certes, n’étaient pas des professeurs de bon ton et de belles manières.

Il songea encore que, lui-même, après avoir adopté le petit naufragé, il l’avait bien souvent trop gâté, qu’il l’avait laissé seul, livré à toutes les tentations.

Bref, le lieutenant Coquillard prit philosophiquement son parti de la chose, se passa de déjeuner, mit de l’ordre lui-même dans sa cabine, afin de voiler de son mieux les folies de son favori, produites par ses propres négligences et par sa trop grande faiblesse, et se promit de le mieux surveiller à l’avenir.

Puis il monta sur le pont. Le Havre était en vue.

Alors maître Tom, tout moulu, tout contusionné, chercha un bon petit coin pour s’y reposer de ses fatigues jusqu’à l’heure de l’arrivée au port.

D’abord, il essaya de se mettre en boule dans le creux d’un fromage anglais, le stilton, fromage entouré d’un linge mouillé pour en maintenir la pâte humide, et dans l’intérieur duquel on puise avec une cuiller.


D’abord il essaya de se mettre en boule.

Quelle idée étrange !

C’était moelleux comme couchette, mais cela sentait bien mauvais, oh ! bien mauvais !

Aussi, après trois minutes de séjour dans l’intérieur du stilton, monsieur Tom abandonna ce lit baroque et puant, en faisant :

— Pouah !

Il aperçut alors, sur une planche, et par un singulier hasard, tout grand ouvert (encore une négligence du lieutenant Coquillard !), l’étui d’un vieux tricorne que l’officier portait quand il était dans la marine militaire ;


Un étui doublé de flanelle rouge…

Un étui doublé de flanelle rouge du plus engageant aspect et de forme commode, surtout pour un chat !

Monsieur Tom s’y blottit et s’y endormit enfin.

Nous l’y abandonnerons pour l’instant.


FIN