Le Chariot de terre cuite (trad. Regnaud)/Acte I

Traduction par Paul Regnaud.
(tome 1p. 15-61).


ACTE PREMIER (1)


LE DÉPOT DE PARURE




Maitreya, arrivant sur la scène avec un manteau à la main. — Il va, dit-il, inviter un autre brahmane… Et cependant, Maitreya, mon ami, tu es bien obligé d’aller à la recherche des invitations (2). Hélas ! me voilà au niveau de ma condition (3) ! Au temps de la prospérité de Chârudatta, je me gobergeais de friandises dont la saveur délicieuse m’embaumait l’haleine et qu’on passait le jour et la nuit à confectionner à grands soins ; j’étais assis sur le seuil de la maison que voilà ; j’étais entouré de centaines de plats où je piquais du doigt par-ci par-là, puis le secouais dédaigneusement comme fait un peintre avec ses pinceaux, au milieu de ses pots de couleur (4), et je ruminais à mon aise, pareil à un taureau sur la place d’une ville (5). Aujourd’hui, sa pauvreté m’a réduit à rôder de côté et d’autre, mais je reviens toujours ici chercher un refuge comme une tourterelle domestique… J’ai là le manteau de Chârudatta que son cher ami Chûrnavriddha lui envoie tout parfumé de fleurs de jasmin ; je dois le lui remettre, m’a-t-il dit, quand Chârudatta aura rendu ses devoirs aux dieux. Je vais donc chercher à le voir. (Il s’avance en regardant.) Je l’aperçois précisément qui vient ici : il a achevé ses dévotions et jette l’offrande aux divinités domestiques. (Chârudatta, accompagné de Radanikâ, arrive sur la scène de la manière indiquée.)

Chârudatta, levant les yeux au ciel et poussant des soupirs de découragement. — « Autrefois les cygnes et les troupes de grues faisaient disparaître à l’instant l’offrande déposée par moi sur la terrasse de ma maison ; aujourd’hui la poignée de graines que je jette tombe au milieu d’herbes touffues et les vers seuls viennent les souiller de leur bave (6). » (Il s’assied après s’être promené à pas lents.)

Maitreya. — Voici le seigneur Chârudatta ; allons à sa rencontre. (Il s’approche de lui.) Seigneur, je vous salue et vous souhaite toutes sortes de prospérités.

Chârudatta. — Ah ! voilà Maitreya, mon ami de tous les temps ! Ami, sois le bienvenu et assieds-toi (7).

Maitreya. — Je vous obéis, seigneur. (Il s’assied.) Voici un manteau parfumé de fleurs de jasmin que votre cher ami Chûrnavriddha vous envoie ; il m’a chargé de vous le remettre après que vous auriez rendu vos devoirs aux dieux. (Il le lui offre ; Chârudatta le prend et reste pensif.) Eh bien ! à quoi pensez-vous ?

Chârudatta. — Ah ! mon ami,

« Le bonheur qui survient après l’infortune est comme un flambeau qui s’allume au sein d’une nuit profonde. Si l’homme, au contraire, tombe de la félicité dans la misère, il cesse d’exister, bien qu’il ait toujours un corps et qu’il paraisse vivre. »

Maitreya. — Que préférez-vous de la mort ou de la pauvreté ?

Chârudatta. — « La mort, mon ami, me semble préférable à la misère : pour mourir on n’endure qu’un instant de douleur ; mais quand on est pauvre, on souffre sans relâche (8). »

Maitreya. — Ne vous chagrinez pas tant. La décroissance de vos richesses, dissipées par vos amis, ressemble à celle de la lune réduite à son dernier quartier pour avoir servi de breuvage aux dieux (9), et prête à recroître : elle est très honorable pour vous et de bon augure.

Chârudatta. — Ce n’est pas, crois-moi, la perte de mes biens qui me rend malheureux :

« Ma peine vient de ce que les hôtes évitent ma maison appauvrie, comme les abeilles vagabondes s’éloignent de la joue de l’éléphant quand la saison du rut est finie et que les traces épaisses de la liqueur qui la couvrait alors se sont desséchées. »

Maitreya. — Ah les fils d’esclaves ! Ils font un déjeuner de votre bien et ils imitent ensuite les petits bouviers qui ont peur des guêpes et vont de place en place pour éviter leurs piqûres (10).

Chârudatta. — « Crois-moi, mon ami, mon tourment n’est pas causé par la perte de ma fortune, car les richesses vont et viennent au gré du sort, mais j’éprouve du chagrin de voir que les liens de l’amitié se relâchent quand les ressources dont on disposait sont épuisées. Du reste, la pauvreté rend timide ; l’homme livré à la timidité perd son énergie ; quand on manque d’énergie on se voit méprisé ; le mépris dont on est l’objet jette dans le découragement et le découragement dans le désespoir (11) ; une fois en proie au chagrin, l’intelligence s’altère et l’affaiblissement de l’intelligence entraîne la perte totale. La pauvreté, hélas ! est la source de tous les maux ! »

Maitreya. — Cessez de vous affliger au souvenir de vos biens qui ont servi de régal à vos convives (12).

Chârudatta. — La pauvreté, mon ami, est pour l’homme

« Une source constante de soucis (13) ; elle nous expose aux affronts de nos ennemis, et elle est elle-même une ennemie ; elle nous fait repousser par nos amis (14) ; elle nous fait haïr par ceux qui nous entourent ; elle nous inspire l’idée de partir pour la forêt par suite du mépris de nos épouses (15) ; elle nous met dans le cœur un chagrin ardent qui le torture sans le consumer. »

Mais, pour changer de discours, j’ai fait mes oblations aux divinités domestiques, et je t’engage à aller de ton côté faire les tiennes dans un carrefour aux divinités mères (16).

Maitreya. — Certes, non !

Chârudatta. — Et pourquoi ?

Maitreya. — Parce qu’on a beau entourer les dieux d’hommages, ils n’en sont pas plus favorables pour cela. À quoi cela sert-il donc de leur prodiguer les adorations ?

Chârudatta. — Ami, ami, ne dis pas cela ! L’oblation est une des observances qui doivent être régulièrement pratiquées par un maître de maison (17) ;

« Car les divinités sont satisfaites (18) quand les hommes dont les sens sont apaisés leur rendent un culte régulier par la pénitence, par la pensée, par la parole et par les offrandes ; il n’y a pas à en douter. »

Va donc, je t’en prie, offrir tes oblations aux divinités mères.

Maitreya. — Non, non ; je n’irai pas. Envoyez-y n’importe qui ; pour moi, tout ce qui concerne mes devoirs de brahmane se déplace et s’intervertit, de même que, dans l’image que reflète le miroir, la droite devient la gauche et réciproquement. Du reste, à cette heure tardive, la route royale est fréquentée par des femmes de mauvaise vie, des vitas, des esclaves et des courtisans (19). En me mêlant à ces gens-là, je ressemblerais à la souris qui va se jeter dans la gueule du serpent noir à l’affût des grenouilles (20). Mais vous, que ferez-vous assis là ?

Chârudatta. — Soit ; reste. Je vais vaquer à ma méditation pieuse.


Une voix derrière la scène. — Arrête, Vasantasenâ ! arrête ! (Vasantasenâ apparaît sur la scène poursuivie par le Vita et Samsthânaka accompagné d’un esclave.)

Le vita. — Arrêtez ! Vasantasenâ, arrêtez !

« Pourquoi la frayeur jette-t-elle le trouble dans vos grâces juvéniles ? Pourquoi précipiter le mouvement de ces pieds exercés (21) à marquer le rhythme de la danse ? Pourquoi vous enfuir en jetant çà et là, du coin de l’œil, des regards tremblants, comme une gazelle effarouchée par la poursuite du chasseur ? »

Samsthânaka. — Arrête ! Vasantasenâ, arrête !

« Pourquoi t’enfuir, te sauver, courir en trébuchant (22) ? Quitte ta crainte, jeune fille, on ne veut pas te faire de mal ; arrête-toi, seulement. L’amour met mon cœur au supplice ; il le brûle à petit feu comme un morceau de viande tombé sur un lit de charbons ardents. »

L’esclave. — Arrête ! courtisane, arrête !

« Pourquoi t’enfuir épouvantée à ma vue (23) comme la femelle du paon en été, alors que sa queue est munie de toutes ses richesses ? Quant au puissant seigneur, mon maître, il se trémousse (24) comme un jeune chien (25) courant dans la forêt. »

Le vita. — Arrêtez ! Vasantasenâ, arrêtez !

« Pourquoi vous enfuir en tremblant comme un jeune bananier, sous votre tunique écarlate dont les bords sont agités par le vent, ô vous qui, pareille à une mine d’arsenci rouge attaquée par la sape, surpassez en éclat les boutons d’un bouquet de lotus rouges (26) ? »

Samsthânaka. — Arrête ! Vasantasenâ, arrête !

« Tu as porté au paroxysme mon délire, ma passion, mon amour ; pendant la nuit tu chasses le sommeil loin de la couche où je repose. Mais tu t’enfuis (27), et dans l’épouvante qui fait trébucher tes pas et les rend chancelants, te voilà tombée en mon pouvoir comme Kuntî tomba aux mains de Râvana (28). »

Le vita. — Ah ! Vasantasenâ,

« Pourquoi, faisant précéder mes pas des vôtres (29), vous enfuyez-vous pareille à un serpent (30) que terrifie le roi des oiseaux (31) ? Je pourrais arrêter le vent lancé dans sa course rapide et je n’aurai pas besoin de grands efforts pour vous saisir, ô ma belle fugitive ! »

Samsthânaka. — Maître, maître (32) !

« Je l’ai traitée d’outil (fouet) dont se sert Kâma (le dieu de l’amour) pour dérober les pièces de monnaie (33), de mouche à viande (34), de bayadère, de camuse, de femme qui perd une famille (35), de libertine (36), d’assiette du dieu de l’amour (37), d’hôtesse d’une maison de prostitution (38), de courtisane qui sert d’échafaudage à de belles parures (39), de maîtresse de maison de débauche (40). Et, quoique je l’invoque par ces dix appellations (41), elle ne veut pas de moi. »

Le vita. — « Pourquoi vous enfuir épouvantée comme la femelle du héron qui tremble au bruit des grondements du tonnerre dans le nuage et, pareille à une vînâ que pince l’ongle d’un vita (42), dans votre course précipitée faire fouetter vos joues par vos pendants d’oreilles ? »

Samsthânaka. — « Pourquoi t’enfuir au cliquetis confus de tes parures (43) comme Draupadî se sauvant devant Râma (44) ? Mais je te tiens et je te saisirai de vive force comme Hanûmant s’emparant de Subhadrâ, la sœur de Viçvâvasu (45). »

L’esclave. — « Accorde ton amour à l’ami du roi et tu auras à manger du poisson et de la viande. Les chiens qui ont du poisson et de la viande ne courent pas après la charogne (46). »

Le vita. — « Pourquoi, ô Vasantasenâ ! vous enfuir précipitamment et effrayée, entraînant avec vous la ceinture bruyante qui entoure vos hanches et jette un éclat semblable à celui des étoiles (47) et, pareille à la divinité protectrice de la ville, montrant un visage qui a l’aspect d’orpiment pilé avec des poudres odoriférantes (48) ? »

Samsthânaka. — « Nous te poursuivons avec l’ardeur de chiens qui chassent dans la forêt une femelle de chacal ; et toi, tu t’enfuis promptement, rapidement, éperdûment en emportant mon cœur avec la membrane qui l’enveloppe (49). »

Vasantasenâ. — À moi ! Pallavaka, Parabhritikâ (50) !

Samsthânaka, effrayé. — Maître, maître ! un homme !

Le vita. — Ne craignez rien ; il n’y a aucun danger.

Vasantasenâ. — À moi ! Mâdhavikâ.

Le vita, riant. — Fou que vous êtes ! elle appelle ses gens.

Samsthânaka. — Maître, maître ! c’est une femme qu’elle appelle (51) !

{Le vita. — Sans doute.

Samsthânaka. — Des femmes ! J’en exterminerais un cent. Ne suis-je pas un héros ?

Vasantasenâ, ne voyant arriver personne. — Hélas (52) ! mes gens ont disparu. Je ne puis compter que sur moi seule pour me sauver.

Le vita. — Cherchez-la, cherchez la !

Samsthânaka. — Invoque, invoque tant que tu voudras (53), ô Vasantasena, la femelle du coucou, les nouveaux bourgeons et le printemps lui-même (54) ; personne ne peut te soustraire à ma poursuite,

« Ni Bhîmasena (55), ni le fils de Jamadagni (56), ni le fils de Kuntî (57), ni même le monstre aux dix têtes (58). J’imiterai Duhçâsana (59) et je te saisirai par les cheveux (60). »

Puis vois !

« Ma chère épée bien affilée est là pour te trancher la tête ou te faire passer de vie à trépas (61)… Allons ! cesse de t’enfuir : est-ce vivre que de s’exposer ainsi à la mort ? »

Vasantasenâ. — Seigneur ! je ne suis qu’une faible femme.

Le vita. — C’est pour cela même qu’il vous est fait grâce de la vie (62).

Samsthânaka. — C’est pour cela même que tu ne seras pas mise à mort.

Vasantasena, à part (63). — Il m’effraie même en voulant me tranquilliser. Mais, soit ; voyons ce qu’il en résultera. (Haut.) Seigneur, que réclamez-vous (64) ? Sont-ce mes bijoux que vous voulez ?

Le vita. — Que les dieux nous en préservent (65), Vasantasenâ ! Nous ne pensons pas à vos bijoux. Est-ce qu’il est permis de cueillir les fleurs des lianes qui décorent un jardin (66) ?

Vasantasenâ. — Que me veut-on donc ?

Samsthânaka. — Que tu m’aimes, moi qui suis un homme divin, un Vâsudeva (67) sous les traits d’un mortel.

Vasantasenâ, avec colère. — Allons donc ! Laissez-moi ! Vous me demandez une chose déshonorante.

Samsthânaka, riant et battant des mains (68). — Maître, maître ! vois-tu cela ? Dans l’intervalle cette courtisane est devenue si aimable qu’elle me dit : « Venez, vous êtes fatigue, vous n’en pouvez plus (69). » Ne crois pas, la belle, que j’arrive de me promener dans quelque village ou quelque ville (70). Non, j’en jure par la tête du vita et par mes pieds (71), c’est seulement en m’attachant à vos pas, mademoiselle (72), que je me suis fatigué et exténué.

Le vita, à part. — L’idiot, elle a dit blanc et il a compris noir (73). (Haut.) Vasantasenâ, vos paroles s’accordent peu avec ce qu’on dit de la maison d’une courtisane. Ne savez-vous pas

« Qu’elle est le refuge hospitalier de la jeunesse et qu’une courtisane comme vous ressemble à une liane plantée sur le bord de la route ? Votre corps, l’amie, étant vénal et s’achetant à prix d’or, vous devez accueillir également celui que vous aimez et celui qui vous déplaît. Dans le même lac se baignent le fou et le sage, le brâhmane et l’homme appartenant à la dernière caste (74) ; la liane fleurie se courbe (75) sous le poids du corbeau aussi bien que du paon ; sur la barque qui porte le brâhmane, le kshatriya et le vaiçya (76) passent également les autres hommes. Ne ressemblez-vous pas au lac, à la liane et à la barque, et n’êtes-vous pas au service de tout le monde ? »

Vasantasenâ. — C’est le mérite et non pas la violence qui fait naître l’amour.

Samsthânaka. — Maître, maître ! cette fille d’esclave (77) s’est amourachée d’un pauvre hère appelé Chârudatta qu’elle a vu dans le jardin du temple de Kâmadeva (78), et c’est pour cela qu’elle ne veut pas de moi. La maison de Chârudatta est là à notre gauche ; prends tes dispositions pour qu’elle n’échappe pas de nos mains.

Le vita, à part. — L’imbécile ! Il dit justement ce qu’il aurait fallu taire (79). Ah ! Vasantasenâ s’est amourachée du digne Chârudatta. Le proverbe est bien vrai : la perle s’unit à la perle. Laissons aller les choses et foin de l’idiot ! (Haut.) Vous dites donc, seigneur (80), que la maison de Chârudatta est à gauche ?

Samsthânaka. — Sans doute !

Vasantasenâ, à part. — Quoi ! la maison de Chârudatta est là à gauche ? Vraiment ! ce méchant homme, tout en essayant de me nuire me facilite une entrevue avec mon amant (81).

Samsthânaka. — Maître, maître ! l’obscurité est grande (82) et Vasantasenâ a disparu comme une boulette d’encre tombée dans un tas de haricots (83).

Le vita. — C’est vrai les ténèbres sont épaisses et

« Mes yeux quoique tout grands ouverts et doués d’une grande puissance visuelle (84) sont comme fermés par elles et frappés de cécité. On dirait que l’obscurité s’attache aux membres comme un onguent et qu’elle tombe du ciel sous forme de collyre ; la vue m’est devenue aussi inutile que les services rendus à un méchant homme (85). »

Samsthânaka. — Maître, maître ! je suis à la recherche de Vasantasenâ.

Le vita. — Il est certams signes qui pourraient vous mettre sur sa trace.

Samsthânaka. — De quoi veux-tu parler (86) ?

Le vita. — Du cliquetis de ses bijoux ou des effluves parfumées qu’exhalent les guirlandes de fleurs dont elle est ornée.

Samsthânaka. — J’entends bien le parfum de ses guirlandes de fleurs, mais je ne vois pas distinctement le son de ses bijoux parce que l’obscurité remplit mes narines (87).

Le vita, bas à Vasantasenâ. — « L’obscurité du soir vous dérobe bien aux regards, ô Vasantasenâ ! et vous ressemblez à l’éclair qui s’éteint dans le sein du nuage ; mais l’odeur parfumée que répandent vos couronnes et les colliers bruyants que vous portez aux pieds risquent de (88) vous trahir. »

M’avez-vous entendu ?

Vasantasenâ, à part. — Entendu et compris. (Après avoir ôté ses colliers et ses guirlandes elle fait quelques pas et tâte la muraille avec la main.) Je trouve bien la porte latérale en tâtant le mur, mais je sens au toucher (89) qu’elle est fermée.


Chârudatta. — Ami, ma prière à voix basse est terminée. Va t’en maintenant faire l’oblation aux divinités mères.

Maitreya. — Non, non, je vous l’ai déjà dit, je n’irai pas.

Chârudatta. — Hélas !

« Quand vous êtes pauvre vos proches ne vous adressent plus la parole (90), vos amis les plus chers se détournent de vous, l’adversité s’accroît (91), les forces morales s’affaiblissent, le brillant éclat de votre vertu s’obscurcit et l’on vous impute jusqu’au mal commis par autrui (92). Personne ne recherche votre société, nul ne vous témoigne de respect ; si vous venez prendre part à un festin dans la demeure d’un riche on vous regarde avec mépris ; vous êtes mal vêtu (93) et par un sentiment de honte vous vous éloignez de la foule : à mon avis, la pauvreté peut être à juste titre considérée comme le sixième des péchés capitaux (94). Je déplore ton sort, ô pauvreté, toi qui trouves en moi un séjour hospitalier, et je me demande où tu iras quand mon malheureux corps aura cessé de vivre (95) ! »

Maitreya, avec confusion. — Eh bien, ami, s’il faut y aller, je voudrais que Radanikâ m’accompagne.

Chârudatta. — Radanikâ, va-t’en avec Maitreya.

Radanikâ. — Je ferai comme vous ordonnez, seigneur.

Maitreya. — Allons ! Radanikâ, prends l’offrande et la lampe ; je vais ouvrir la porte latérale. (Il ouvre la porte.)

Vasantasenâ. — Tiens ! voilà la porte qui s’ouvre comme pour m’accueillir (96). Entrons ! (Elle aperçoit de la lumière.) Ah (97) ! une lampe. (Elle l’éteint avec le bord de sa tunique et entre dans la maison.) (98)

Chârudatta. — Eh bien ! Maitreya, qu’y a-t-il donc ?

Maitreya. — Une bouffée de vent à laquelle l’ouverture de la porte a livré passage vient de souffler la lampe (99). Toi, Radanikâ, tu vas sortir par la porte latérale, tandis que j’irai la rallumer dans l’intérieur de la maison pour revenir à l’instant. (Il sort.)


Samsthânaka. — Maître, maître ! je cherche Vasantasenâ.

Le vita. — Cherchez-la, cherchez-la !

Samsthânaka, après avoir cherché. — Maître, maître, je la tiens !

Le vita. — Fou que vous êtes ! Ne vous apercevez-vous pas que c’est moi ?

Samsthânaka. — Mets-toi à l’écart, alors ! (Il cherche de nouveau et attrape l’esclave.) Ah ! cette fois elle est prise.

L’esclave. — Non, seigneur, c’est moi, votre esclave.

Samsthânaka. — Maître, place-toi par ici et toi, esclave, par là ; voilà le maître et l’esclave, l’esclave et le maître. C’est bien, tenez-vous de côté tous les deux (100). (Il cherche de nouveau et saisit Radanikâ par les cheveux.) Ah ! maître, la voilà prise !

« Je la poursuivais dans l’obscurité, le parfum de ses guirlandes l’a trahie et je l’ai attrapée par les cheveux (101), comme Draupadî l’a été par Chânakya (102). »

Le vita. — « Ah ! voilà comme vous courez après les fils de bonne famille (103), dans la présomption que vous donne la jeunesse ; et vous vous faites prendre par vos cheveux couronnés de fleurs et faits pour être ornés de bijoux (104) ! »

Samsthânaka. — « La belle, tu as beau crier, pleurer et invoquer de toutes tes forces Çambhu, Çiva, Çankara, Içvara (105), tu n’en es pas moins prise par les cheveux, par les poils, par les crins. »

Radanikâ, effrayée. — Seigneurs ! Quelles sont vos intentions (106) ?

Le vita. — Ce n’est pas le son de la voix de Vasantasenâ.

Samsthânaka. — Maître, maître ! ne vois-tu pas que la fille d’esclave change de voix comme une chatte qui veut de la crème (107) ?

Le vita. — Comment cela peut-il se faire ? C’est surprenant ; et, cependant, toute réflexion faite,

« Elle a pu acquérir ce talent en montant sur la scène, en apprenant à chanter ou en s’étudiant aux déguisements. »

Maitreya, revenant sur la scène. — C’est étrange (108) ! la flamme de ma lampe est agitée par le vent du soir comme le cœur d’un bouc qu’on mène au sacrifice. (Il s’avance et aperçoit Radanikâ.) Hola ! Radanikâ !

Samsthânaka. — Maître, maître ! Voilà un homme !

Maitreya. — Est-ce convenable, est-ce permis que des étrangers s’autorisant de sa pauvreté actuelle s’introduisent ainsi dans la demeure de Chârudatta ?

Radanikâ. — Voyez, seigneur Maitreya, à quelles insultes je suis en butte.

Maitreya. — Toi ? tu veux dire nous.

Radanikâ, avec ironie (109). — Sans doute, vous seul.

Maitreya. — Est-ce (110) qu’on t’a maltraitée ?

Radanikâ. — Je le crois bien !

Maitreya. — Bien vrai ?

Radanikâ. — Ce n’est que trop vrai.

Maitreya, en colère et brandissant un bâton. — Assez comme ça ! Un chien est le maître (111) dans son chenil et à plus forte raison un brahmane comme moi dans sa maison. Je vais casser la tête de ce mauvais sujet sous les coups de ce bambou bien sec qui est tordu comme le sort des gens de mon espèce.

Le vita. — Allons ! grand brahmane, calmez-vous.

Maitreya, apercevant le vita. — Ce n’est pas lui le coupable. (Jetant les yeux sur Samsthânaka.) Voici le fautif. Ah ! ce que vous faites là, Samsthânaka, vous le beau-frère du roi, est d’un méchant homme et bien malséant. Quoique Chârudatta se soit appauvri, ses vertus n’en font pas moins l’ornement d’Ujjavinî ; et cependant vous pénétrez chez lui et vous maltraitez sa servante.

« On ne doit pas mépriser le malheureux ; pour le destin, quel que soit le nom qu’on porte, il n’est pas de malheureux (112) ; l’homme qui se conduit mal peut être riche, il n’en est pas moins malheureux. »

Le vita, avec embarras. — Grand brahmane (113), calmez-vous, calmez-vous ! Tout ceci est le résultat d’une méprise ; il ne s’agit pas d’insulte.

« Nous courions après une femme...

Maitreya. — Après elle ?

Le vita. — Les dieux nous en préservent !

« — C’est, au contraire, une jeune femme libre (114) ; elle a disparu, nous avons pris celle-ci pour elle et, de là, la faute que nous avons paru commettre avec intention. »

« Recevez-en comme preuve ce témoignage absolu du désir que j’ai de me réconcilier avec vous. (Il jette son épée et tombe aux pieds de Maitreya enjoignant les mains.)

Maitreya. — Relevez-vous, vous êtes un honnête homme. Je me suis adressé brusquement à vous sans vous connaître : maintenant je sais qui vous êtes et je vous demande pardon (115).

Le vita. — Comment donc ? C’est à vous de pardonner : mais je ne me relèverai qu’à une condition (116).

Maitreya. — Parlez.

Le vita. — Vous ne direz rien au seigneur Chârudatta de ce qui s’est passé.

Maitreya. — Je vous le promets.

Le vita. — « Je reçois avec respect, brahmane, les marques de bienveillance que vous me témoignez ; bien que nous portions l’épée. vous avez triomphé de nous avec le glaive de vos vertus (117). »

Sausthânaka, courroucé. — Pourquoi donc, maître, te jeter aux pieds de ce drôle en joignant les mains comme pour l’implorer (118) ?

Le vita. — J’ai peur.

Samsthânaka. — De quoi ?

Le vita. — Des vertus de Chârudatta.

Samsthânaka. — Belles vertus que celles d’un homme dans la maison duquel les visiteurs ne trouvent rien à manger !

Le vita. — Pouvez-vous dire cela ?

« C’est par ses bons procédés (119) envers des gens comme nous qu’il s’est ruiné ; ses richesses ne lui ont jamais servi à humilier personne : il s’est mis à sec comme un lac dont l’eau s’épuise pendant les chaleurs à force d’apaiser la soif des hommes. »

Samsthânaka, avec emportement. — Lui ce fils d’esclave ! qui est-il donc ?

« Est-ce un héros fameux, un Pândava (120), Çvetaketu (121), le fils de Râdhâ (122), Râvana, Indradatta (123) ? Est-il le fils que Râma a eu de Kuntî (124), Açvatthâman (125), Dharmaputra (126) ou Jatâyu (127) ? »

Le vita. — Êtes-vous fou ? Il s’agit de Chârudatta, c’est-à-dire de

« L’arbre qui donne à souhait tout ce dont ont besoin les malheureux et qui ploie sous le poids des mérites qu’il porte pour fruits, de la providence des honnêtes gens (128), du miroir des savants, de la pierre de touche des bonnes mœurs, d’un océan que borne la vertu, d’un bienfaiteur exempt d’orgueil, du trésor des bonnes qualités, d’un homme à l’esprit droit et généreux. En un mot, il est louable entre tous et vit en pratiquant les plus hautes vertus, comme les autres respirent. »

Aussi, mon avis est que nous partions d’ici.

Samsthânaka. — Sans avoir mis la main sur Vasantasenâ ?

Le vita. — Elle a disparu (129).

Samsthânaka. — Comment cela ?

Le vita. — « Comme la vue de l’aveugle, l’embonpoint du malade, la raison de l’insensé, la réussite du négligent ; comme la science suprême de l’homme dissipé et dépourvu de mémoire : à votre approche elle s’est éclipsée comme l’amour à la vue d’un ennemi. »

Samsthânaka. — Je ne m’en irai pas sans l’avoir prise.

Le vita. — Vous n’avez donc jamais entendu répéter cette maxime ?

« On se rend maître d’un éléphant en l’attachant à un pieu, on gouverne un cheval au moyen d’une bride, on captive une femme par le cœur ; sinon, il ne reste qu’à s’en aller. »

Samsthânaka. — Va t’en si tu veux ; pour moi je reste.

Le vita. — Soit, je pars. (Il sort.)

Samsthânaka. — Le maître est allé au diable, comme il l’avait annoncé (130). (S’adressant à Maitreya.) Quant à toi, maître fourbe (131) et mauvais drôle, assieds-toi, assieds-toi !

Maitreya. — On nous a déjà fait asseoir.

Samsthânaka. — Qui donc ?

Maitreya. — Le destin.

Samsthânaka. — Allons relève-toi, relève-toi !

Maitreya. — Nous nous relèverons un jour.

Samsthânaka. — Quand cela ?

Maitreya. — Quand le sort nous rendra ses faveurs.

Samsthânaka. — Eh bien ! pleure, pleure !

Maitreya. — Nous sommes bien contraints de pleurer (132).

Samsthânaka. — Par qui ?

Maitreya. — Par l’adversité.

Samsthânaka. — Allons ! ris, ris !

Maitreya. — Cela viendra.

Samsthânaka. — Quand ?

Maitreya. — Quand la prospérité de Chârudatta sera de retour.

Samsthânaka. — Eh bien ! mauvais garnement, va t’en dire de ma part à cet indigent qui s’appelle Chârudatta qu’une courtisane nommée Vasantasenâ, toute couverte d’or et de bijoux précieux, comme une directrice de théâtre surveillant la représentation d’une pièce nouvelle (133), qui s’est éprise de lui depuis qu’elle l’a vu dans le jardin du temple de Kâmadeva vient d’entrer dans sa maison pour échapper à nos violentes obsessions. S’il consent à la remettre spontanément entre mes mains, sans débat judiciaire (134), je lui saurai gré de cette prompte satisfaction (135) en lui restant attaché par une amitié solide ; s’il s’y refuse, je lui vouerai, au contraire, une haine éternelle. Au reste, qu’il se rappelle de ceci :

« La corruption n’atteint ni la courge dont la queue est enduite de bouse, ni les légumes secs, ni la viande frite (136), ni le brouet préparé pendant une nuit d’hiver, ni un prêt d’argent, ni le ressentiment qu’on garde contre un ennemi (137). »

Tu t’exprimeras distinctement (138), laconiquement et de façon à ce que je puisse t’entendre depuis le colombier muni d’un garde-fou de ma maison de plaisance (139), où je serai assis. Si tu ne t’énonces pas ainsi que je viens de dire (140), je te ferai craquer la tête (141) comme un fruit (ou un noyau) de kapittha (142) pris entre un seuil et une porte.

Maitreya. — Soyez tranquille, je rapporterai vos paroles.

Samsthânaka. — Dis-moi, esclave, est-ce que le maître est bien parti ?

L’esclave. — Assurément !

Samsthânaka. — Dans ce cas (143), allons-nous-en vite.

L’esclave. — Seigneur, ne prenez-vous pas votre épée ?

Samsthânaka. — Garde-la dans tes mains.

L’esclave. — Non, seigneur, voilà votre épée (144). N’est-ce pas au seigneur à la porter ?

Samsthânaka, la prenant à rebours. — « Assez dit (145) ! Ayant pris sur mon épaule mon épée couleur de radis rouge endormie dans son fourreau (146), je regagne ma maison poursuivi par les aboiements des chiens et des chiennes, comme un chacal qui se sauve du côté de sa tanière (147). » (Il s’en va.)


Maitreya. — Radanikâ, il faut bien te garder de faire connaître au seigneur Chârudatta l’outrage que tu viens de subir, car cela redoublerait, j’en suis sûr, le chagrin que lui cause sa misère.

Radanikâ. — Quoique je ne sois qu’une esclave, je saurai contenir ma langue, seigneur Maitreya.

Maitreya. — Bien, bien (148) !


Chârudatta, s’adressant à Vasantasenâ. — Radanikâ, voici le soir, l’heure où le vent se lève, Rohasena a froid ; fais-le rentrer et enveloppe-le de ce manteau. (Il le lui tend.)

Vasantasenâ, à part. — Il me prend (149) pour sa servante ! (Elle saisit le manteau ; après avoir aspiré l’odeur qui s’en exhale, elle ajoute avec ivresse.) Ah ! ce manteau parfumé de jasmin prouve que Chârudatta n’est pas indifférent aux plaisirs de son âge (150). (Elle le revêt à l’écart.)

Chârudatta. — Allons, Radanikâ, prends Rohasena et fais-le rentrer !

Vasantasenâ, à part.Hélas ! je ne puis entrer chez lui (151).

Chârudatta. — Eh bien ! Radanikâ, tu ne me réponds pas ? Hélas !

« Quand les rigueurs du sort ont jeté un homme dans une situation malheureuse et exposée aux difficultés résultant de la perte de sa fortune, ses amis deviennent des ennemis, et les gens qui lui étaient attachés depuis longtemps changent de sentiments à son égard. »

Maitreya, s’avançant sur la scène accompagné de Radanikâ. — Mon ami, voici Radanikâ.

Chârudatta. — Radanikâ ! mais quelle est donc cette autre femme

« Que j’ai souillée (152) en l’effleurant à mon insu avec mon vêtement ?

Vasantasenâ, à part. — « Que j’ai honorée, » devrait-il dire.

Chârudatta. — Elle brille comme le croissant de la lune voilé par les brumes d’automne. »

Mais ce n’est pas convenable de regarder ainsi la femme d’autrui.

Maitreya. — Cessez de craindre d’avoir devant vos yeux l’épouse d’un autre ; cette femme est Vasantasenâ, qui s’est éprise de vous dans le jardin du temple de Kâmadeva.

Chârudatta. — Quoi ! Vasantasenâ ? (À part.)

« Mes richesses s’étant taries, l’amour que j’ai conçu pour elle ressemble à la colère du lâche et n’ose pas sortir de mon cœur (153). »

Maitreya. — Mon ami, le beau-frère du roi m’a chargé de vous dire quelque chose.

Chârudatta. — Quoi donc ?

Maitreya. — Qu’une courtisane nommée Vasantasenâ toute couverte d’or et de bijoux précieux, comme une directrice de théâtre surveillant la représentation d’une pièce nouvelle (154), qui s’est éprise de vous depuis qu’elle vous a vu dans le jardin du temple de Kâmadeva, est entrée dans votre maison pour échapper à ses violentes obsessions.

Vasantasenâ, à part. — Il m’a poursuivi, a-t-il dit, de ses violentes obsessions, voilà des paroles qui m’honorent (155).

Maitreya. — Si vous consentez à la remettre spontanément entre ses mains, sans débat judiciaire, il vous saura gré de cette prompte satisfaction en vous restant attaché par une amitié solide ; mais si vous vous y refusez, il vous vouera une haine éternelle.

Chârudatta, dédaigneusement. — Il est fou ! (À part.) Cette jeune femme est digne qu’on s’approche d’elle en lui rendant les hommages dus à une divinité (156).

« Au moment où cette aventure lui est arrivée, elle a été pressée par lui d’entrer dans sa demeure, mais elle est restée inébranlable, bien qu’elle ait pu se rendre compte de sa brillante situation de fortune. Entourée d’hommes, elle a gardé résolument le silence, quoiqu’elle ait été l’objet de nombreuses interpellations (157). »

(Haut.) Madame, ne vous connaissant pas, je vous ai bien involontairement chargée de la besogne de ma servante. Je vous prie respectueusement d’excuser la faute que j’ai commise envers vous.

Vasantasenâ. — C’est moi, seigneur, qui dois vous demander humblement pardon en courbant la tête, de la liberté que j’ai prise d’agir ainsi (158) sans en être digne.

Maitreya. — Bien ! vos têtes s’inclinent de concert comme celles de deux beaux champs de riz plantés en face l’un de l’autre (159). Je vais faire comme vous et pencher ma tête qui ressemble au genou d’un jeune chameau (160) devant les deux vôtres, en vous priant de vouloir bien vous redresser (161).

Maitreya. — Soit ; arrêtons là nos civilités (162) !

Vasantasenâ, à part. — Quel délicat et affectueux accueil ! Mais puisqu’il en est ainsi (163), il ne serait pas convenable de rester longtemps dans cette maison où je suis entrée. Exposons cependant ce que nous avons à dire. (Haut.) Seigneur, si j’ai des titres à votre bienveillance (164), qu’il me soit permis de donner suite à mon désir en déposant cette parure dans votre maison ; c’est à cause d’elle que ces mauvais sujets (165) m’ont poursuivie.

Chârudatta. — Ma maison est peu propre à recevoir ce dépôt (166).

Vasantasenâ. — Vous vous trompez (167), seigneur ; ce n’est pas aux maisons que l’on accorde sa confiance, mais aux personnes qui les habitent.

Chârudatta. — Soit ; Maitreya, reçois cette parure.

Vasantasenâ. — Je vous en suis reconnaissante (168). (Elle tend la parure à Maitreya qui l’accepte.)

Maitreya. — Merci bien, madame (169) !

Chârudatta. — Peste de l’imbécile ! c’est un dépôt…

Maitreya, bas (170). — S’il en est ainsi, les voleurs les prendront bien s’ils veulent (171).

Chârudatta. — Pour quelques jours seulement.

Maitreya. — C’est un dépôt qu’elle nous fait, mais qui devient notre propriété (172).

Chârudatta. — Mais non, je devrai le lui rendre.

Vasantasenâ. — Seigneur, je désirerais que votre ami (173) m’accompagnât pour retourner chez moi.

Chârudatta. — Maitreya, reconduis cette dame chez elle.

Maitreya. — C’est plutôt à vous de le faire (174) ; vous aurez l’air à côté d’elle d’un cygne royal suivant sa compagne ; tandis que moi, pauvre brahmane, je serais mis en pièces par ces gens-là (175) comme une offrande aux dieux (176) placée dans un carrefour est dévorée par les chiens.

Chârudatta. — Soit ; je vous accompagnerai moi-même, madame. Qu’on allume les flambeaux dont nous avons besoin pour notre sécurité sur la route royale !

Maitreya. — Holà ! Vardhamânaka (177), allume les flambeaux.

Vardhamânaka, bas à Maitreya (178). — Eh bien ! Comment voulez-vous qu’on les allume sans huile ?

Maitreya, bas à Chârudatta. — C’est vrai ; les flambeaux ressemblent aux courtisanes ; ils manquent d’huile (ou d’amour) et n’ont que des dédains pour les pauvres diables (179). .

Chârudatta. — C’est bien (180), Maitreya, nous nous passerons de lampes (181). Vois donc (182) !

« La lune — le flambeau de la grande route — se lève pâle comme la joue d’une amante, avec son cortège de constellations, et ses doux rayons tombent à travers l’épaisseur des ténèbres pareilles à des gouttes de lait dans un marais desséché (183). » (Il se met en marche et arrivé au but de sa course il dit tendrement à Vasantasenâ.) Madame, voilà votre maison ; vous pouvez entrer. (Vasantasenâ prend congé de lui en lui jetant des regards d’amour.)

Chârudatta, revenu auprès de Maitreya (184). — Ami, Vasantasenâ est rentrée chez elle, retournons à la maison,

« Car la grande route est déserte, la garde fait ses rondes de différents côtés et, la nuit étant fertile en méfaits, il faut se défier des surprises. » (Il fait quelques pas.)

Tu garderas pendant la nuit cette cassette qui contient la parure de Vasantasenâ ; Vardhamânaka s’en chargera pendant le jour (185).

Maitreya. — Vos ordres seront exécutés. (Ils sortent.) Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/87 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/88 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/89 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/90 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/91 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/92 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/93 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/94 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/95 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/96 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/97 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/98 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/99 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/100 Page:Regnaud - Le Chariot de terre cuite, v1.djvu/101