LIII


Lorsqu’il arriva, chevauchant un palefroi amblant si bien taillé qu’on ne vit jamais une plus belle bête, monté sur une selle dorée, vêtu magnifiquement, muni de bottes si justes qu’il semblait qu’il en fût né chaussé, le roi s’émerveilla de le voir si beau et bien appris, et consentit volontiers à le faire chevalier, disant que le neveu du roi Pellès était prud’homme par héritage.

— Sire, dès demain, je vous prie, s’écria Perceval. C’est dimanche !

L’enfant veilla donc, cette nuit-là, à l’église, et, le lendemain, il retourna au service de Dieu habillé d’une très riche robe de chevalier, en soie, que la reine lui avait donnée, marchant devant tous ceux que le roi, pour l’honorer, comptait adouber en même temps que lui. Néanmoins, quand il eut reçu ses armes et que vint l’heure du manger, il voulut s’asseoir aux plus basses tables où étaient les chevaliers pauvres et peu renommés. À ce moment une des pucelles de la reine s’approcha de lui : c’était la plus habile ouvrière en soie qui fût au monde, mais elle était muette et n’avait jamais parlé : aussi l’appelait-on la demoiselle qui jamais ne mentit. Elle regarda longuement Perceval en pleurant de tendresse, et ce qui advint alors, on le tint à bon droit pour un miracle : car, soudain, la muette s’écria à si haute voix que chacun put l’ouïr dans la salle :

— Chevalier de Jésus-Christ, viens t’asseoir à la Table ronde !

Et prenant Perceval par le doigt, elle le conduisit au siège périlleux.

— Ce siège sera celui du meilleur des meilleurs, dit-elle encore, assieds-toi à sa droite ; Bohor aura place à sa gauche. Et te souvienne de moi quand tu seras devant le Saint Graal ! Cependant prie pour moi, bel ami, car je trépasserai tristement.

Elle le fit asseoir ; puis elle retourna dans les chambres de la reine, et ce fut la dernière fois qu’on entendit sa voix à la cour. Et tous restèrent émerveillés de cette aventure, que le roi fit mettre en écrit par ses clercs.