XLIII


Le conte dit qu’il y eut jadis dans la terre de Galles un roi qui valait beaucoup, prud’homme à merveille et de très haute lignée, fils de Pellehan, le roi Pêcheur, et frère cadet du roi Pellès, enfin si riche d’amis, de châteaux, de fertés, de prés, de bois et de rivières, qu’il n’avait presque son égal dans la Grande Bretagne. Or ses onze fils aînés furent tués dans les joutes et sa femme le supplia de renoncer pour toujours aux tournois. Mais il lui répondit en haussant les épaules :

— Maudit le chevalier qui demande conseil aux dames quand il s’agit de tournoyer ! Allez vous reposer à l’ombre dans vos chambres peintes et dorées ; pensez de boire et de manger, de teindre de la soie, de faire de la tapisserie : c’est votre métier. Le mien est de frapper de mon épée d’acier.

Et il s’en fut à de nouvelles joutes, où il ne manqua pas de se faire tuer comme ses onze fils. De sa mort, sa femme épousée eut tant de chagrin que nul homme, pour dur que fût son cœur, n’eût pu la voir sans pleurer. Ah ! quelle douleur ! Elle fit dire plus de cent messes à l’église et elle se promit que son dernier-né, qui avait nom Perceval, n’irait jamais à un tournoi, et même qu’il n’entendrait jamais parler de chevalerie.

Elle annonça à ses vassaux qu’elle voulait mener l’enfant en pèlerinage à Saint-Brandan d’Écosse et leur fit jurer d’obéir à son sénéchal, à qui elle remit sa terre en baillie. Puis elle prit son trésor et tout ce qu’elle put de son avoir ; elle fit charger dix charrettes de blé, froment, avoine et deniers, et elle s’éloigna avec son fils, emmenant bœufs, vaches, chevaux, moutons, brebis, accompagnée par une douzaine de vilains qui lui étaient dévoués et de grand service.

Elle alla tant dans cet équipage, qu’elle parvint dans la forêt Gâtée, la plus déserte du monde, où elle chemina bien deux semaines sans voir ni homme ni maison. Un jour enfin, elle débucha avec ses gens dans une belle et avenante vallée, arrosée par un cours d’eau assez vif pour faire ailer un moulin, et elle résolut de s’arrêter là. Les douze vilains travaillèrent si bien qu’ils firent en quinze jours une maison close d’une bonne palissade ; puis ils labourèrent la terre et Perceval fut élevé dans ce vallon jusqu’à ce qu’il eût quinze ans.

À cet âge, il savait très bien monter à cheval et lancer le javelot. Il avait les cheveux noirs comme la mûre au mûrier, mais le cou blanc comme la fleur d’églantine ; les yeux pers, la bouche riante, les jambes fortes et longues pour bien seoir sur un destrier ; large d’épaules, étroit de ceinture, c’était un des plus beaux valets qui se soient jamais vus. Chaque matin, vêtu à la mode de Galles d’une chemise et de braies de chanvre d’un seul tenant, couvert de sa cotte en cuir de cerf, il enfourchait son petit cheval de chasse et, ses trois javelots à la main, il s’en allait au bois.

— Beau fils, lui dit un jour sa mère, chassez tant qu’il vous plaira les chevreuils et les cerfs ; mais il y a une chose que je vous défends : si vous rencontrez dans la forêt des gens qui chevauchent à grand fracas, paraissant tout couverts de fer, ne restez pas auprès d’eux, car ce sont diables qui vous dévoreraient tôt. Éloignez-vous aussi vite que vous pourrez, signez-vous et dites votre Credo : de la sorte, vous ne risquerez rien.

— Dame, ainsi ferai-je, répondit Perceval.