Plon (3p. 205-207).


XXXIX


C’est ainsi, dit le conte, que le jour de la Madeleine l’armée du roi Artus monta sur les nefs et, comme elle eut bon vent, elle parvint en Flandre assez aisément. Pendant qu’on débarquait leurs harnais et leurs chevaux, les chevaliers campèrent sur la plage ; puis ils se mirent en marche derrière ceux du royaume de Gorre qui faisaient l’avant-garde, en bel arroi, lance sur feutre et tout couverts de fer.

Le comte de Flandre voulut s’opposer à eux, mais il fut défait et tué par le neveu du roi Baudemagu, Patride, à qui l’on donna la couronne de lauriers qui était le signe de la victoire en ce temps-là, et toute la comté de Flandre.

Ensuite, l’armée entra en Gaule et, comme le roi de cette terre venait de mourir, les peuples dirent qu’ils ne feraient point d’opposition : de sorte que le roi Artus manda à ses chevaliers de se désarmer, hormis l’avant-garde, et passa sans commettre aucun dégât ni dommage.

Il apprit, cependant, que les barons du pays ne pouvaient s’accorder pour élire leur seigneur, et qu’un comte d’Allemagne, nommé Matabron, les menaçait de s’emparer par force de la terre de Gaule s’ils ne la lui octroyaient par amour, car il avait grande abondance de biens et d’amis. Cela fit songer au roi qu’il avait de meilleurs droits que tout autre sur ce royaume, pour ce que Faramond avait jadis dû rendre hommage à son père Uter Pendragon. Il résolut de les faire valoir ; néanmoins il envoya son armée contre le roi Claudas, jugeant qu’il lui suffisait d’un petit nombre de gens, du moment qu’il gardait Lancelot avec lui.

Les barons de Gaule, qui étaient alors assemblés dans la ville de Paris, eussent volontiers reconnu Artus pour leur seigneur, mais Matabron s’écria :

— Ce roi est fou, qui veut avoir la terre à moi donnée. S’il en fait tant que je pende mon écu à mon cou, il n’échappera pas sans avoir la tête coupée !

Et lorsqu’il sut que le roi approchait de Paris, il lui envoya un messager pour lui dire que ce serait mal fait que leurs gens s’entretuassent, et qu’il le défiait seul à seul, corps à corps. Lancelot pria son seigneur de lui céder la bataille ; mais celui-ci n’en voulut rien faire.

Le lendemain donc, quand le soleil fut levé, le roi Artus entendit la messe, puis il s’arma richement et se fit passer dans l’île Roland, dessous Paris, qu’on avait choisie pour le combat. À le voir si petit au prix de lui, Matabron, qui était très fort et très haut, pensa qu’il l’outrerait aisément. Pourtant le combat dura de prime jusqu’à midi sans que l’un d’eux pût prendre à l’autre un plein pied de terre. Mais, à ce moment, Matabron commença de se lasser parce qu’il avait trop attaqué au début, pensant vaincre en peu de temps ; alors le roi se mit à le frapper sur le heaume de sa bonne épée Marmiadoise comme un bûcheron sur un chêne, et si rudement qu’à la fin l’Allemand tomba tout étourdi. Aussitôt le roi Artus lui coupa la tête.