Plon (3p. 198-199).


XXXVI


Le jour venu, de grand matin, la reine se rendit aux prairies de Camaaloth sur un petit palefroi pie ; elle était vêtue d’une robe de soie pourpre, brodée d’or et fourrée d’hermine, et ainsi faite, elle semblait bien la fleur de toutes les femmes. Or, en arrivant dans la loge des dames, elle vit qu’une demoiselle portait la ceinture qu’elle avait jadis donnée par grand amour à Lancelot : dont elle fut d’abord courroucée à perdre le sens ; puis elle pensa que c’était là sans doute cette pucelle qui avait guéri Lancelot du venin des couleuvres à la fontaine. Elle la fit appeler, et quand l’autre, toute tremblante, fut venue s’agenouiller devant elle, elle lui dit, après avoir éloigné tout le monde :

— Demoiselle, une haute dame qui est fort de mes amies s’est venue plaindre aujourd’hui de vous à moi. Savez-vous pourquoi ? Elle a longuement aimé un chevalier et, bien qu’elle soit cent fois plus prisée que vous pour sa naissance, sa beauté et sa richesse, vous le lui avez pris, comme en témoigne cette ceinture qu’elle-même donna jadis à son ami, m’a-t-elle dit. Et c’est pourquoi vous serez tuée avant que de quitter ce pays.

À ces mots, la pucelle eut grand’peur de la mort : elle se mit à sangloter, et si fort que la reine en eut pitié.

— Si vous jurez que vous m’avouerez la vérité, dit-elle, je ferai votre paix avec la dame qui se plaint de vous.

La demoiselle s’empressa de jurer ; puis elle conta tout ce qui s’était passé entre elle et Lancelot.

— Sachez bien, dame, ajouta-t-elle, que pour l’amour de lui je garderai mon pucelage jusqu’à la mort.

— En nom Dieu, dit la reine, jamais demoiselle n’aima si loyalement que vous faites et si mon amie vous haïssait, elle commettrait une grande vilenie. Je ferai votre paix avec elle.

— Dame, grand merci.