Plon (3p. 180-182).


XXX


La demoiselle allait aussi vite qu’elle pouvait, mais il faisait si chaud qu’elle tomba malade et qu’elle dut rester quinze jours alitée dans un couvent de nonnains. Enfin elle passa la mer et parvint, la veille de la Saint-Rémy, à la cité de Gannes, où le roi Claudas de la Terre Déserte tenait sa cour. Il était alors le plus puissant des rois après Artus, et si avisé que l’empereur de Rome prenait son conseil en toutes choses et qu’il avait la confiance de ceux de l’Aquitaine et du Berry.

Lorsqu’il apprit qu’une demoiselle traversait la ville en très riche équipage, il pensa qu’elle pourrait avoir des nouvelles des pays étrangers, et il commanda à deux de ses chevaliers de la lui amener. Elle était déjà sortie de la cité, lorsque les envoyés la joignirent et lui firent leur message.

— Seigneurs, dit-elle, bonne aventure ait le roi Claudas ! Je retournerais volontiers sur mes pas, mais j’ai tant à faire que je ne le puis. Je vous prie de ne pas vous en chagriner.

— Demoiselle, répondit l’un des messagers, vous n’irez pas plus loin, car le roi veut vous voir.

— Je reviendrai donc, mais ce n’est pas courtoisie, que de me contraindre de la sorte !

Lorsqu’elle entra dans la salle, suivie de son écuyer et de son nain, le roi Claudas se leva pour lui souhaiter la bienvenue ; puis il la fit asseoir à côté de lui et lui demanda qui elle était.

— Sire, dit-elle, je suis du royaume de Logres, pucelle de madame la reine Guenièvre, la femme du roi Artus.

— Alors, vous pourrez sans doute me donner des nouvelles d’un compagnon de la Table ronde, qui a nom Lancelot du Lac ?

— En nom Dieu, je le connais bien ! C’est le meilleur chevalier du monde.

— Son père fut l’un des prud’hommes de son temps ; ce serait merveille s’il n’était preux. Et ses deux cousins lui ressemblent-ils ?

— Sire, Lionel est un des plus vaillants hommes et nul ne passe Bohor en chevalerie, sauf Lancelot. Malheureusement, ils sont tous trois en quête, et l’on ne sait où ils se trouvent à présent.

Le roi Claudas fut fort troublé d’apprendre que la pucelle appartenait à la reine Guenièvre. Il lui vint à l’esprit qu’elle avait été envoyée par les enfants des rois Ban et Bohor, par lui déshérités, pour connaître ses forces, et qu’elle apportait des lettres d’eux aux peuples du royaume de Gannes. Après l’avoir priée d’attendre un moment, il sortit de la pièce et manda son sénéchal.

— Faites-la fouiller ainsi que ses gens, lui dit-il, puis tenez-les tous en prison, de manière que ceux qui les envoient en perdent à jamais voies et vents.

Mais la demoiselle connaissait par ouï-dire la traîtrise de Claudas : aussi avait-elle remis à son nain le message dont la reine l’avait chargée, en lui recommandant de le faire disparaître à son premier signe. Et quand il vit le sénéchal entrer avec deux sergents et arrêter sa dame, le nain, qui était allé s’appuyer à une fenêtre, précipita les lettres dans la rivière, où elles s’enfoncèrent, car elles étaient dans une boîte de buis qui par nature coule tout droit.

— Larron ! lui dit le sénéchal qui l’avait vu, je vous ferai mourir !

Et il le mit en prison, ainsi que la demoiselle et ses gens.