LE CARDINAL
DE RICHELIEU.

Les grandes occasions font les grands hommes, et la Providence semble dispenser le génie selon la mesure des évènemens. Un peuple touche-t-il à l’une de ces crises préparées par les siècles pour ouvrir devant lui des destinées nouvelles, de puissans instrumens ne lui font pas faute dans ses transformations laborieuses, et les hommes se rencontrent à la hauteur des choses. S’agit-il, au contraire, de suivre le courant d’une situation invariable et tracée, d’épuiser une idée qui a perdu sa sève, les ambitions se font petites, comme le but auquel elles aspirent, et les acteurs se nivellent naturellement à leur rôle. À la vue de cet affaissement général, l’on accuse la stérilité de la nature, lorsqu’il faudrait plutôt rendre hommage à la loi d’harmonie qui maintient l’équilibre entre les faits et les idées, et qui, en accordant à chaque époque ce qui lui est nécessaire, ne lui départit que ce qu’elle peut supporter.

Lorsque la France renversa ses vieilles institutions, pour dessiner le plan d’un nouvel édifice, la voix de Mirabeau fut assez forte pour faire crouler ces ruines et pour en dominer un instant le bruit. Quand la révolution eut besoin de s’épandre au dehors par la victoire, et de se régler au dedans par le pouvoir, elle s’incarna dans Napoléon ; après ce grand effort sur elle-même et sur le monde, elle entra dans un repos plus agité que fécond. En remontant le cours des âges, l’histoire est jalonnée par ces hommes qui portent au front le signe indélébile de l’œuvre sociale accomplie par eux. Charlemagne constitua la chrétienté par l’empire, sa plus haute expression humaine. Philippe-Auguste délimita la France, Duguesclin et Jeanne d’Arc en ont assis la nationalité par une lutte populaire avec l’étranger. Louis XI a fondé le système politique de la monarchie au sein de l’Europe moderne ; François Ier appliqua ce système avec plus d’héroïsme que d’intelligence ; Henri IV l’entrevit à travers les orages de son règne ; enfin Richelieu vint, qui le premier l’embrassa d’un coup d’œil net et ferme, et eut à la fois assez de sagacité pour le comprendre dans ses plus minutieux détails, assez de puissance pour le faire triompher jusque dans la génération qui l’a suivi.

L’œuvre de ce ministre embrasse en même temps la France et l’Europe, car il prépara l’une au traité de Westphalie, l’autre au règne de Louis XIV. En Europe, il substitua le mécanisme de l’équilibre à la grande unité qu’avait brisée la réforme, et, par l’habile balancement des intérêts, il parvint à combler en partie le vide immense que laisse au cœur des peuples l’idée du droit lorsqu’elle se retire. En France, il acheva l’aristocratie princière, comme la révolution de 80 en finit avec la noblesse de cour. Entre une féodalité renaissante sous des formes nouvelles, et le protestantisme passant à l’état de parti politique, il fit grandir la royauté, et rejeta violemment dans la monarchie absolue une société qui, jusqu’à lui, oscillait, tiraillée par les forces les plus contraires. Tandis que d’un côté la réforme, échauffée au souffle ardent de la Hollande et de Genève, essayait d’attirer vers le fédéralisme républicain la France affaiblie par ses dissensions ; pendant que, de l’autre, le cabinet espagnol s’efforçait de ranimer, sous l’influence de l’Escurial, les cendres à peine éteintes de la ligue, Richelieu entreprit d’élever, dans l’indépendance de sa force et l’originalité de son génie, l’édifice de la monarchie française au-dessus des bûchers de l’inquisition et de l’échafaud puritain qui se préparait déjà dans White-Hall.

Depuis le XVIe siècle, la France cessait d’être elle-même, et son caractère propre tendait à s’altérer dans son gouvernement comme dans ses mœurs. Dominée tour à tour par l’Italie et par l’Espagne, par la corruption politique de l’une et par le fastueux éclat de l’autre, sa cour avait reçu l’empreinte profonde des maximes et des habitudes florentines ; de son côté, le gros de la nation s’était accoutumé à recevoir l’impulsion étrangère dans toutes les circonstances décisives ; l’on voyait, depuis plus d’un demi-siècle, les uns porter leurs regards au-delà des Pyrénées, dans l’espérance de voir se reconstituer, sous l’influence austro-espagnole, la vieille unité de l’Europe catholique ; les autres attendre d’au-delà de la Manche et de la Meuse le triomphe du règne de Christ et la régénération du monde.

S’élever hardiment au-dessus de la double puissance morale qui dominait alors l’Europe, rompre avec l’empire et avec l’Espagne en même temps qu’on écrasait le protestantisme à l’intérieur, déplacer toute la politique consacrée depuis Charles-Quint pour faire de la France le centre des grandes affaires européennes ; préparer enfin une littérature qui, par ses grands côtés comme par ses défauts, fût en parfaite harmonie avec la sévère discipline monarchique imposée à la société, c’est là peut-être l’entreprise la plus hardie à laquelle se soit jamais voué un homme d’état.

Pour avoir l’exacte mesure du génie de son auteur, il ne faudrait pas apprécier une telle tentative en elle-même, et juger le fait comme on ferait une théorie. La monarchie française telle que Richelieu l’a comprise et telle que Louis XIV l’a réalisée est assurément une forme politique plus éclatante que durable, et l’on peut trouver qu’en brisant toutes les forces pour triompher de toutes les résistances, on a manqué de prévoyance autant que de modération. Cependant, lorsqu’on se place en présence des faits que Richelieu domina dans leur ensemble mais qui le dominèrent à leur tour dans les détails de ses actes et de sa vie, il est difficile de ne pas reconnaître que le ministre de Louis XIII était placé dans l’alternative de tout faucher devant lui, ou de continuer sans gloire pour lui-même et sans profit pour la France le règne impuissant des Concini et des Luynes. Les moyens termes sont le plus souvent les meilleurs, mais il est des temps où ils sont aussi les plus impraticables. Si les hommes d’état les plus éminens ne poursuivent guère deux pensées à la fois dans le cours de leur vie politique, c’est que les circonstances permettent rarement de tempérer l’une par l’autre. La lutte de chaque jour provoque celle du lendemain, et les résistances qu’on rencontre contraignent à dépasser le but lorsqu’on n’aspirait qu’à l’atteindre.

En étudiant la vie et le ministère de Richelieu, nous verrons que cette excuse ne manque ni à ses torts, ni à ses violences : en jetant un coup d’œil sur les temps qui l’avaient précédé, nous nous assurerons aussi que la pensée d’unité absolue à laquelle il dévoua sa vie était la seule qui pût alors arracher la France aux mesquines ambitions qui menaçaient son intégrité, troublaient son repos et arrêtaient son essor. Pressé entre des intérêts également intraitables, Richelieu ne pouvait opérer ni une conciliation ni une transaction, et semblait prédestiné à un rôle de révolution et de dictature. Il l’accepta, non pas comme on aurait pu faire avec une fermeté résignée, mais avec une satisfaction intime, parce qu’il était de la famille de ces hommes redoutables chez lesquels le cœur ne vient jamais déranger les calculs de l’esprit, et qui sont pour les nations des fléaux impitoyables, lorsque la Providence ne leur a pas accidentellement départi une rigoureuse mission de salut.

On ne comprend les temps du cardinal que par ceux de la régence, car ce sont les misères des uns qui font la grandeur et la justification des autres. Pour peu qu’on étudie avec quelque attention cette époque si inquiète et si troublée, on doit rester convaincu que la France ne pouvait se maintenir dans la situation incertaine et violente où elle était placée depuis la réforme, et qu’un changement dans sa constitution intérieure était devenu inévitable. Si la royauté ne s’était jetée en travers d’un mouvement de dissolution rapide pour le dominer à son profit, il fallait ou que le protestantisme triomphât dans ses conséquences politiques en brisant l’unité nationale, ou qu’une féodalité nouvelle se reconstituât au profit des princes du sang et des grands du royaume qui dominaient l’état et le rançonnaient alors sans résistance comme sans pudeur. Henri IV n’est un si grand roi que parce qu’il a suspendu pour quelques années le cours d’une crise nécessaire, et contenu par une habileté consommée les factions toutes prêtes à reprendre non plus une lutte de doctrines, mais une lutte de grossiers intérêts. Sa clémence et sa loyauté calculées lui facilitèrent cette tâche laborieuse, qui n’était possible que pour un prince dont les antécédens offraient des gages à tous les partis, des garanties aux intérêts les plus opposés. Combien d’inquiétudes et d’angoisses ne déchiraient pas l’ame du Béarnais lorsque, vieilli et lassé, il méditait, dans sa solitude de Fontainebleau, sur les destinées de ce royaume si divisé contre lui-même, dans lequel le nom de Philippe d’Espagne ou d’Élisabeth d’Angleterre était, par un grand nombre, plus respecté que le sien ! Quelle tristesse continue dans sa correspondance et dans sa vie, lorsqu’il arrête ses regards sur cette royale enfance à laquelle il va bientôt manquer, et qu’il prévoit les luttes des grands de sa cour contre ce trône qu’il n’occupera plus ! C’est dans la divination et dans l’astrologie judiciaire que sa grande ame, atteinte par les faiblesses de son temps, se réfugie pour échapper aux mauvais présages et aux sinistres pressentimens, pour se délivrer de soupçons qui ne s’arrêtent pas même devant la fidélité du duc de Sully[1]. Que feront Soissons et Condé, Guise et Mayenne, Lesdiguières et Bouillon, Rohan et Soubise ? Que feront ces gouverneurs insaisissables dans leurs provinces, où plusieurs entretiennent des relations connues avec la Savoie et l’Espagne ? Que décideront dans leurs synodes et leurs assemblées provinciales ces farouches prédicans et ces rudes huguenots de Nîmes et de La Rochelle ? quel usage feront-ils des canons dressés sur leurs remparts et des garnisons entretenues à leur solde ? Enfin entre la féodalité princière et une royauté sans prestige, de quel côté ira la noblesse, lorsque le vieux chef au panache blanc aura cessé de la rallier ? La France entière se posa ces redoutables problèmes sitôt que le poignard de Ravaillac eut arrêté le cours de la noble vie si long-temps menacée. Chacun comprit que tout était remis en question, et que l’abîme des révolutions était rouvert.

Jamais cri — le roi est mort — ne suscita par tout le royaume une plus vive émotion. Ce fut sous l’influence de cette appréhension universelle que le parlement de Paris, stimulé par les menaces et par l’épée du duc d’Épernon, proclama cette régence maternelle qui devait être bientôt si violemment contestée. À l’annonce du régicide, Sully lui-même s’était confiné dans la Bastille pour voir venir les évènemens ; les villes de sûreté avaient levé les herses de leurs ponts-levis, et les gouverneurs des provinces, hésitant entre la reine-mère et les princes du sang, attendirent sans se prononcer l’issue d’une crise d’où dépendaient le maintien et l’accroissement de leur fortune. Cependant, par un heureux hasard, les princes en mesure de disputer la régence à Marie de Médicis étaient absens lors de la catastrophe : ils apprirent en même temps la mort du roi et la détermination hardie dont elle avait été suivie. Les vieux ministres d’Henri IV, Sully, Sillery, Villeroi et Jeannin, conseillèrent à la reine de verser l’or à pleines mains, et d’en appeler aux cupidités pour amortir les ambitions, procédé presque toujours infaillible dans les temps de faction, parce que ceux-ci corrompent encore plus qu’ils n’exaltent.

Le comte de Soissons renonça le premier à ses prétentions pour une somme immense reçue comptant, avec l’engagement d’une pension de 50,000 écus, ayant soin de se réserver le gouvernement de Normandie pour lui-même, et la survivance du gouvernement du Dauphiné pour son fils. Le prince de Condé ne voulut pas manquer une aussi belle occasion de rétablir ses affaires et de payer ses créanciers. En apprenant ce que sa condescendance avait rapporté au comte de Soissons, il n’hésita pas à s’assurer par une vague adhésion une large part dans les pistoles accumulées aux caves de la Bastille par les soins du surintendant Sully. Renonçant donc pour le moment à contester en droit la régence, sous la condition qu’il serait considéré comme le chef effectif du gouvernement, le premier prince du sang obtint pour prix de cette habile temporisation 200,000 livres de pension, la propriété du bel hôtel de Gondi à Paris et du comté de Clermont, avec force gratifications pour ses créatures. Il fallait, en effet, beaucoup d’argent à ce prince ; car ne l’avait-on pas vu, pour intimider la régente et obtenir de meilleures conditions, faire une entrée menaçante dans Paris, accompagné de plus de quinze cents gentilshommes de sa maison ? Des pratiques analogues furent employées près de la plupart des grands seigneurs et le relâchement général des mœurs en rendit le succès facile. Ce fut ainsi qu’en dilapidant en quelques jours les trésors accumulés pendant le cours du précédent règne, on acheta deux années d’une neutralité douteuse, et que la régence put se constituer sous le bon plaisir des princes et des grands, dont la double pensée consistait à la rançonner et à l’avilir.

Renverser le ministère du feu roi, éloigner les prudens conseillers qui gardaient encore les traditions respectées du grand règne, tel était le premier but à atteindre par les basses ambitions qui aspiraient à l’exploitation du royaume. Les mécontens y parvinrent en unissant pour quelque temps leurs intérêts à ceux du favori italien destiné à dépasser bientôt, par la profondeur de sa chute, la hauteur inespérée de sa fortune. Chasser ou tuer les membres du conseil, faire appuyer ce mouvement par un corps d’armée commandé par Lesdiguières, tel fut le premier plan délibéré entre Concini et les seigneurs qui peu après devaient faire promener dans Paris les lambeaux de son corps déchiré. Cet homme, devenu maréchal et marquis d’Ancre, ne pouvait s’unir aux princes mécontens que pour sa propre fortune, en se faisant une large place dans ce gouvernement pris d’assaut. Les idées de l’aventurier italien, les dédains prodigués à son origine, le séparaient de cette coalition princière, aux yeux de laquelle il ne pouvait être qu’un vil instrument. Son attachement pour la reine, unique point d’appui de sa fortune, le rendait l’ennemi naturel de la faction qui aspirait à profiter de la faiblesse de la régente pour reprendre en sous-œuvre l’édifice de la seconde race en substituant l’hérédité des gouvernemens à celle des grands fiefs. Concini appartenait à la monarchie absolue au commencement du XVIIe siècle, comme il aurait probablement appartenu à la démocratie à la fin du XVIIIe. Il était voué, pour ainsi dire, en dépit de lui-même, à cette cause de l’unité du pouvoir, dont il fut l’agent et le martyr, et représentait, à dix ans d’intervalle, la même pensée politique que Richelieu. L’un essaya sans succès comme sans gloire ce que l’autre devait accomplir avec tant d’éclat.

Le maréchal d’Ancre n’eut pas plus tôt réussi, par son association avec le duc de Bouillon et la maison de Condé, à établir sa prépondérance dans le conseil, qu’il se vit exposé en première ligne aux attaques de ses puissans alliés. Aussi s’attacha-t-il à les diviser, opposant habilement les princes de Lorraine aux princes du sang, montrant en perspective un grand gouvernement à l’un, un riche établissement à l’autre, sachant lui-même se dépouiller au besoin pour se ménager des appuis, offrant, par exemple, au prince de Condé de lui livrer Péronne, au centre de son marquisat d’Ancre, en compensation du Château-Trompette, que la reine refusait obstinément de céder au premier prince du sang. Ce refus du Château-Trompette fut un des grands évènemens de cette époque d’égoïsme et d’intrigues. Marie ne se faisait aucune illusion sur le sort qui la menaçait. En recueillant les tristes confidences du roi son époux, elle lui avait souvent entendu dire que si, durant sa lutte avec Henri III, il avait été maître du bon château de Bordeaux, il se fût fait proclamer duc de Guyenne : aussi lui répugnait-il beaucoup de donner un tel pied au chef de la faction à quelques marches des frontières d’Espagne, dans un temps où ceux de la religion réformée exerçaient une sorte de souveraineté indépendante en Languedoc, et disaient insolemment aux officiers de la Couronne : Le roi est à Paris et nous à Nîmes.

De grandes sommes adroitement offertes et avidement acceptées calmèrent pour quelques mois l’irritation que ce refus causait à des princes presque toujours détournés du soin de leur grandeur politique par le souci brutal de leur fortune ; mais c’était là un expédient qui commençait à s’épuiser, une ressource dernière qui semblait devoir manquer bientôt à la royauté avilie. « Les présens que la reine fit aux grands, au commencement de sa régence, étourdirent bien la grosse faim de leur avarice et de leur ambition, mais elle ne fut pas pour cela éteinte. Il fallait toujours faire de même si on voulait les contenter. De continuer à leur faire des gratifications semblables à celles qu’ils avaient reçues, c’était chose impossible ; l’épargne et les coffres de la Bastille étaient épuisés, et quand on l’eût pu faire, encore n’eût-il pas été suffisant, d’autant que, les dons immenses qui leur avaient été faits les ayant élevés en plus de richesses et d’honneurs qu’ils n’eussent osé se promettre, ce qui du commencement eût été le comble de ce qu’ils pouvaient désirer leur semblait maintenant petit, et ils aspiraient à choses si grandes, que l’autorité royale ne pouvait souffrir qu’on leur donnât le surcroît de puissance qu’ils demandaient. Il ne se parlait plus que de se vendre au roi le plus chèrement que l’on pouvait, et ce n’était pas de merveille ; car si, à grand’peine, on peut, par tout moyen honnête, retenir la modestie et sincérité entre les hommes, comment le pourrait-on faire au milieu de l’émulation des vices, et la porte ayant été si publiquement ouverte aux corruptions, qu’il semblait qu’on fît le plus d’estime de ceux qui prostituaient leur fidélité à plus haut prix[2]. »

Pressée par des exigences chaque jour croissantes, la régente n’entrevit de ressource, pour maintenir son autorité compromise, que dans une étroite union avec l’Espagne, qui mettrait à sa disposition les forces de cette grande monarchie. L’alliance espagnole avait eu des partisans chaleureux dans le conseil de Henri IV : Villeroy et le chancelier Sillery y inclinèrent constamment. Mais Henri, qui avait l’instinct du rôle politique réservé à la France dans un prochain avenir, et Rosny, que ses antipathies religieuses ne séparaient pas moins du cabinet de San-Lorenzo que de la cour de Rome, avaient constamment décliné les ouvertures du roi catholique. L’idée fixe du Béarnais était de donner l’une de ses filles au prince de Galles, futur héritier d’Angleterre et d’Écosse, l’autre au prince de Piémont pour s’assurer une entrée en Italie, afin d’y combattre l’Espagne, et de marier le dauphin à l’héritière de Lorraine pour préparer la réunion de cette province à la France. On sait que la mort le surprit à la veille de son expédition de Clèves, qui n’était qu’une autre application de la même pensée politique.

De tels projets ne convenaient plus à la faiblesse d’une régence chaque jour menacée, et Marie de Médicis ne sut point aspirer à autre chose qu’à abriter son trône sous celui de l’héritier de Charles-Quint. Elle conclut donc brusquement, et sans consulter les princes,

le mariage de Louis XIII, encore enfant, avec l’infante Anne d’Autriche, et celui de la princesse Élisabeth avec le prince qui fut depuis Philippe IV. Cette double union, dont tant de difficultés devaient traverser l’accomplissement, fut accueillie dans le royaume sous des impressions très différentes : la partie de la nation qui faisait passer l’idée religieuse avant l’idée politique, ou plutôt celle pour laquelle la pensée politique n’existait point encore, accueillit avec joie et confiance la perspective d’un mariage qui semblait assurer mieux que tout autre l’avenir catholique de la monarchie, et qui garantissait à la royauté une force suffisante pour triompher de toutes les attaques des huguenots. Ceux-ci, de leur côté, en conçurent une alarme vive et naturelle ; enfin les princes et les grands, dont l’unique souci était d’affaiblir la monarchie, appréhendèrent plus sérieusement encore le résultat de la double combinaison destinée à confondre les forces et les intérêts des deux plus puissans états de l’Europe. Lorsqu’on apprit la soudaine conclusion des négociations matrimoniales, et qu’on vit l’ambassadeur d’Espagne associé en quelque sorte à la tutelle du jeune roi, l’émotion fut donc grande parmi les seigneurs, qui, depuis le commencement des guerres civiles sous le roi Charles IX, savaient d’expérience ce que rapporte un pouvoir faible à qui sait l’attaquer pour lui vendre la paix. Las de presser une éponge vide, selon l’expression d’un contemporain, et résolus à ne pas laisser conclure le mariage sans garanties et bonnes conditions, Condé et Bouillon quittèrent la cour ; le duc de Vendôme se sauva du Louvre, où il avait été un moment confiné, et gagna la Bretagne, dont l’imprudente tendresse de son père lui avait assuré le gouvernement ; le duc de Nevers s’empara de Mézières ; le marquis de Cœuvres, de Laon ; le duc de Mayenne, des meilleures places de l’Île-de-France ; la Picardie éclata sous le duc de Longueville, son gouverneur, et du Poitou aux côtes de Provence, les réformés firent entendre des menaces, en s’apprêtant à mettre à prix le formidable concours qu’ils étaient en mesure d’offrir à toutes les ambitions entreprenantes. Sitôt que les conjurés eurent pris position dans leurs provinces et dans leurs inaccessibles donjons, Condé lança le manifeste du parti féodal ; car tous les partis écrivaient alors assurément autant que de nos jours et les populaires convictions de la ligue, en disparaissant, avaient laissé des habitudes d’universelle publicité. Ce manifeste est curieux à lire comme expression de cette époque d’abaissement et d’immoralité politique : le vide emphatique de la rédaction reporte involontairement la pensée vers les manifestations déclamatoires de quelque prononciamento de l’Espagne ou des républiques américaines. Les auteurs de la nouvelle ligue du bien public déclaraient s’insurger parce que la noblesse était abaissée et le pauvre peuple grevé, et, pour mettre le comble à l’impudence de leurs plaintes et l’ironie de leurs conseils, ils indiquaient comme l’un de leurs principaux griefs contre le gouvernement de la régente les prodigalités et profusions qui avaient été faites des finances du roi ! Enfin, selon la formule de tous les temps, ils réclamaient la convocation des états-généraux pour remédier aux griefs qui accablaient les fidèles sujets de sa majesté.

Marie, princesse médiocre par l’esprit et par le cœur, redoutait le péril autant qu’elle aimait l’agitation. Aussi perdit-elle d’abord courage à la vue de cette rébellion maîtresse des meilleures places de son royaume, et à laquelle elle n’avait à opposer que quelques milliers de soldats, sous des chefs d’une fidélité équivoque. Les nombreux mémoires du temps constatent qu’elle songea un instant à abdiquer une charge trop lourde pour sa faiblesse, et que les bruits populaires rendaient plus pénible encore pour la femme que pour la reine ; mais d’autres conseils prévalurent, et elle aima mieux se laisser vaincre sans combat que d’abdiquer un pouvoir dont on s’arrachait les lambeaux. Quelques-uns de ces hommes de transaction qui, sous le nom de politiques, avaient joué durant la ligue un rôle si important et parfois si utile, parvinrent à retarder encore une lutte armée que l’indifférence publique rendait d’ailleurs difficile. Marie usa une fois de plus des forces qui jusqu’alors ne lui avaient pas fait défaut. Toutes les demandes des coalisés furent accueillies, toutes leurs prétentions admises. Il fut sursis au mariage du roi jusqu’à sa majorité prochaine, et les états du royaume furent convoqués à Sens, puis à Paris pour le mois d’octobre 1614. Le prince de Condé obtint le fort château d’Amboise, et reçut quatre cent cinquante mille livres en espèces sonnantes. Le duc du Maine se fit adjuger 300,000 francs pour se marier, et la survivance du gouvernement de Paris. Le duc de Nevers eut Mézières avec la coadjutorerie de l’évêché d’Auch. MM. de Bouillon, de Longueville et de Rohan furent désintéressés par des procédés analogues. Le duc de Vendôme seul résista quelques instans, parce qu’en Bretagne une opinion puissante et nationale s’était chaleureusement associée à une cause dont elle espérait faire surgir l’indépendance de la province.

Le roi venait enfin d’atteindre sa quatorzième année, et les états-généraux furent réunis selon l’engagement pris à Sainte-Menehould avec les mécontens. Les princes avaient compté sur cet instant de crise pour briser les hommes de la régence et s’imposer à la jeunesse du monarque émancipé ; mais le gouvernement du maréchal d’Ancre déploya dans cette difficile conjoncture une habileté qu’il faut reconnaître, et parvint à puiser quelque force dans le jeu du formidable instrument que ses ennemis les contraignaient à employer. Ayant profité de la résistance du duc de Vendôme pour faire faire au jeune roi un voyage en Bretagne, la régence avait gagné quelques semaines, et ce délai précieux mit Louis XIII, entré depuis peu de jours dans tous les droits de sa majorité, en mesure d’établir, avant la réunion des trois ordres, un conseil privé au gré de la reine, et de déclarer avec solennité aux états rassemblés que, pleinement satisfait de l’administration de sa mère, il avait résolu de lui continuer toute son autorité.

La cour mit un grand soin à diviser l’assemblée, et elle y réussit presque toujours au-delà de ses espérances. Il n’y avait à cette époque aucune idée de réforme politique assez universellement acceptée par l’opinion tout entière pour servir de base à une agression sérieuse contre le pouvoir. Les vues étaient distinctes comme les existences elles-mêmes, et il ne s’agissait que de faire surgir une incompatibilité d’intérêts entre le tiers, la noblesse et le clergé, pour paralyser toutes les combinaisons et toutes les tentatives. Ainsi la noblesse, moins intéressée que la bourgeoisie dans la vénalité des magistratures, proposa vainement la suppression de la paulette, droit établi dans le cours du règne précédent pour assurer les charges à la veuve et aux héritiers de celui qui en serait revêtu, sous condition d’un droit de paiement annuel évalué au soixantième du prix de l’office[3]. Le tiers mit tous ses soins à écarter une réforme qui aurait atteint les intérêts financiers et la position de la plupart des représentans de cet ordre, membres de cours souveraines ou de siéges présidiaux, propriétaires de nombreux offices transmissibles. Les bourgeois, pour faire pièce aux nobles, et pour ne pas paraître reculer dans la voie des réformes et redressemens, proposèrent, de leur côté, la suppression des pensions payées par le trésor au détriment du pauvre peuple, pensions qui formaient la principale ressource de l’aristocratie de cour, en même temps qu’elles étaient le principal objet de ses convoitises. Enfin, aux vœux exprimés par le clergé de voir le concile de Trente reçu dans le royaume, il fut répondu dans la chambre du tiers par d’énergiques déclarations en faveur de la plénitude de l’autorité temporelle, déclarations dans lesquelles se révéla dans toute sa force l’esprit parlementaire qui dominait alors la haute bourgeoisie. Quant au projet du double mariage, il fut accueilli avec une faveur à peu près générale, et les mécontens virent avec un amer regret qu’il fallait renoncer à élever sur ce point de sérieuses objections. De vaines dispositions contre les duels, et quelques mesures contre les traitans, trésoriers et gens de finance, furent à peu près les seuls résultats effectifs de cette assemblée, qui avait trompé l’espoir des agitateurs, et n’avait révélé dans ses délibérations décousues que des divisions destinées à préparer la prépondérance du pouvoir monarchique, jusqu’au jour où, devenues plus profondes, on en verrait sortir une crise terrible pour la société tout entière.

La tenue de ces pacifiques états de Paris reporte la pensée vers ceux qui les avaient précédés comme vers ceux qui les ont suivis. Vingt-cinq années auparavant, les états de Blois voyaient expirer les Guise sous l’épée d’un officier des gardes. Un siècle et demi plus tard, les états de Versailles étaient inaugurés au bruit du canon de la Bastille. Combien cette date de 1614 est terne devant de tels souvenirs ! Quel abîme entre ces trois époques ! Les passions religieuses étaient affaiblies, et les passions politiques sommeillaient encore ; l’esprit humain traversait une époque de transition et d’attente, et nulle idée n’était assez puissante alors pour surexciter son énergie. Ce n’est pas que la société fût assise sur des bases solides et respectées : rien n’était fixe, ni dans les institutions, ni dans les mœurs ; les unes étaient tiraillées entre l’absolutisme monarchique aspirant à naître et une féodalité nouvelle s’efforçant de se reconstituer ; les autres, élégantes et cruelles, astucieuses et guerrières, participaient de l’héroïsme chevaleresque en même temps que des leçons de Machiavel. Les lettres elles-mêmes, soumises aux influences les plus contraires essayaient vainement de se frayer une voie, et d’atteindre à une originalité propre entre les inspirations de l’Espagne et de l’Italie et les souvenirs de l’antiquité. Au sein de cette confusion générale, dans ce pêle-mêle de civilisations étrangères superposées, il n’était pas un seul principe fécond qui pût devenir la base d’une organisation quelque peu durable. La conversion de Henri IV avait désarmé le catholicisme, et l’édit de Nantes donnait une large satisfaction à la liberté de conscience des réformés. La question religieuse était dès-lors hors du débat, et ne se produisait que sous un aspect purement humain. Quant aux partis politiques, on vient de les voir à l’œuvre, et bientôt nous les retrouverons encore. Alors, si Richelieu a besoin d’excuses, ces seigneurs faméliques, plus vaniteux que superbes, plus avides qu’ambitieux, se chargeront eux-mêmes de lui en fournir de surabondantes.

Qu’aurait produit, sous le règne de Louis XIII, le triomphe de cette aristocratie princière domptée par le cardinal ? Y avait-il dans tout cela un germe, si faible qu’il fût, de liberté populaire ou de grandeur nationale, une force propre à constituer la France et à fonder son importance politique ? C’est commettre une injustice véritable que de reprocher à Richelieu et à Louis XIV la chute d’une aristocratie qui n’a jamais usé avec discrétion du pouvoir, lorsque les circonstances le lui ont départi, et qui n’a jamais su se défendre lorsqu’elle a été attaquée. Que serait devenu le royaume, si, durant la minorité de Louis XIII, l’esprit du prince de Condé avait prévalu dans le gouvernement de la monarchie, si les Guise s’étaient établis en Provence, les Montmorency en Languedoc, les Longueville en Picardie ; si Lesdiguières avait conservé la sauvage monarchie de ses montagnes, le duc d’Épernon la souveraineté de la Guyenne ; si le duc de Vendôme avait ranimé en Bretagne le souffle à peine éteint de l’indépendance ? Conçoit-on une pareille organisation devant la puissance compacte de l’Espagne, maîtresse du Portugal, des Pays-Bas, de la Franche-Comté, du Milanais et du royaume de Naples ? La conçoit-on en face de l’empire germanique, contre lequel la France ne pouvait lutter que par la cohésion de toutes ses parties ? Le seul résultat de l’affaiblissement de l’autorité royale, au commencement du XVIIe siècle, aurait été l’abaissement de la France au rang de puissance secondaire. Cet abaissement aurait vraisemblablement amené une division territoriale dont la Savoie et l’Espagne eussent profité dans la mesure de leur ambition et de leurs forces. Si l’indépendance des gouverneurs de provinces s’était consolidée par des concessions irrévocables, les réformés auraient, de leur côté, donné un libre cours aux projets audacieux si souvent agités dans leurs conventicules, et dont d’ardentes prédications s’efforçaient de préparer le succès. L’exemple des cantons suisses et des Provinces-Unies offrait un encouragement aussi bien qu’un modèle, et la France, violemment jetée hors de son orbite, eût gravité en même temps vers Madrid et vers Genève.

Ce fut un magnifique spectacle que celui de la noblesse française marquant les frontières de la patrie à la trace de son sang et les reculant par son épée. Soit que cette noblesse se ruine pour avoir le droit de se faire tuer au premier rang, et qu’elle se retire dans ses manoirs avec la croix de Saint-Louis et un pourpoint râpé, soit qu’elle vive dans les provinces dispensant populairement son opulence, elle reste l’honneur de notre histoire, comme elle fut si longtemps la vie même de la monarchie. Elle est glorieuse lorsqu’elle triomphe aux croisades comme lorsqu’elle succombe à Azincourt, et ne mérite pas moins de respect en combattant à cinq sous par jour sous les enseignes de Condé que lorsqu’aux mauvais temps de Louis XIV elle couvre de son corps le royaume, menacé par trois coalitions. Mais deux choses ont constamment manqué à cette brillante chevalerie, des chefs dignes de la conduire, et un esprit politique à la hauteur de son cœur. En France, les circonstances ont séparé l’aristocratie territoriale de la nation, tandis qu’en Angleterre elles se confondirent indissolublement l’une avec l’autre. Constamment dominée, aux époques décisives de l’histoire, par des princes de race royale, qui se posaient moins comme ses égaux que comme ses maîtres, l’aristocratie française a toujours été traînée à la remorque de leurs desseins particuliers, sans pouvoir jamais tracer ni suivre un systématique plan de conduite. Pas de lutte nationale aux champs glorieux de Runnimède, pas de magna carta et de charte des forêts, de statuts de Merton et de Marlebridge, pour rallier dans une même pensée de liberté les bourgeois et les gentilshommes, les seigneurs et les vassaux : chez nous, les grands combattirent toujours la royauté pour leur propre intérêt, et ne mirent jamais le peuple en compte à demi dans leurs querelles ; tels on les voit au Xe siècle, et tels ils reparaissent à l’ouverture du XVIIe. Les désirs sont les mêmes et les espérances presque semblables. Ils se servent des réformés comme en d’autres siècles ils s’associaient aux Normands, et pourchassent les bons gouvernemens sous la minorité de Louis XIII, comme leurs pères arrachaient l’hérédité des fiefs à la faiblesse des successeurs de Charlemagne. Une différence capitale existe toutefois et suffit pour séparer les époques et révéler tout l’avenir : il n’est pas, au XVIIe siècle, un chef de mécontens qui ne se laisse volontiers désintéresser par une pension.

La cabale essaya de reprendre en sous-œuvre, au parlement de Paris, la tentative qui venait d’échouer près des états du royaume. Cette grande compagnie judiciaire, tumultueusement réunie par les soins de quelques créatures des princes, invita les ducs et pairs à venir prendre leurs siéges pour délibérer sur les maux du royaume et sur les remontrances qu’il serait estimé convenable d’adresser au roi. En se substituant ainsi aux états-généraux à peine dissous, le parlement préludait à la fronde ; il allait donner la mesure de ses constantes prétentions et celle de son impuissance non moins constante. Réclamer une part du pouvoir législatif en vertu d’un titre plus que contestable était un acte de hardiesse que la confusion des droits et des idées pouvait peut-être autoriser ; mais subordonner toujours son action au jeu de quelques intrigues, se faire factieux à la suite, sans soupçonner même un rôle plus large d’organisation et de liberté, c’était préluder tristement à cette longue histoire trop glorifiée, toute tissue de violences et de faiblesses, de velléités ambitieuses et de déplorables timidités, qui, à travers les orages de deux minorités et le prologue d’une grande révolution, est venue finir dans les déclamations de d’Esprémesnil.

Il suffit au jeune roi de dénier énergiquement, par l’organe du chancelier Sillery, le droit des compagnies judiciaires de son royaume de se mêler des affaires d’état, sans y être provoquées par la couronne, pour faire tomber cette bruyante opposition de paroles qui, du banc des enquêtes, n’était pas encore descendue dans les halles de Paris. Ayant ainsi triomphé de toutes les résistances régulières et légales, si une telle expression est de mise pour une époque d’universelle confusion, Marie de Médicis et le maréchal d’Ancre n’hésitèrent pas à accomplir les deux mariages qui devaient assurer à la monarchie vacillante le précieux appui de la royauté castillane. Le jeune roi, escorté d’une armée, partit de sa capitale pour aller, à travers des provinces plus d’à moitié soulevées, recevoir la reine-infante à l’extrémité du royaume, et conduire sa sœur aux frontières d’Espagne. Ayant de nouveau protesté contre l’alliance espagnole, et refusé de suivre la cour, les princes estimèrent le moment favorable pour s’établir à Paris et pour s’emparer de la personne du roi. Les circonstances semblaient en effet des plus propices, car, sous prétexte de la violation de quelques priviléges, les réformés avaient pris les armes dans le Poitou, le Dauphiné et le Languedoc. Une assemblée générale des églises protestantes convoquée à Grenoble aux termes des édits, s’était transférée à Nîmes de sa pleine autorité, malgré les défenses formelles de la cour. Passant de son rôle de prosélytisme à une pensée purement politique, le protestantisme, par l’organe de ses délégués, exigeait, comme condition de sa fidélité au roi, la prise en considération des réclamations faites par les seigneurs coalisés ; il demandait que l’on suspendît l’accomplissement du mariage, et réclamait des explications catégoriques sur le serment du sacre. Les hommes vraiment pieux de la réforme, Duplessis-Mornay en tête déploraient sans la comprendre cette tendance nouvelle, qui l’emporta dans les conseils des protestans, parce que les vues d’intérêt s’étaient substituées à l’ardeur des premiers temps. Désormais les réformés constituaient un parti plutôt qu’une secte, et menaçaient l’unité du royaume autant que l’unité de l’église. Il y avait alors à la suite de la reine-mère un jeune prélat qui le comprit et ne l’oublia jamais.

Le duc de Rohan, qui jusqu’alors n’était entré qu’avec une certaine réserve dans les factions de la cour, y porta cette fois toutes les ressources d’un esprit entreprenant et ferme, non moins dévoué à ses convictions religieuses qu’au soin de sa propre grandeur. Le maréchal d’Ancre, établi en Picardie, couvrit Paris avec une armée ; le maréchal de Bois-Dauphin tint la campagne contre les partisans des princes, maîtres du plus grand nombre des meilleures places du royaume. La guerre s’engagea donc sur tous les points, guerre mesquine dans ses mouvemens comme dans ses motifs, et qui, lorsque nous en suivons jour par jour les opérations dans les Mémoires de Bassompierre, ne laisse pas même pressentir les vastes combinaisons stratégiques destinées, quelques années après, à changer la face de l’Europe. Le duc de Guise, rallié à la cour par l’espérance d’obtenir le bâton de connétable, protégeait, à la tête de dix mille hommes, le royal convoi. Celui-ci s’avançait à pas lents vers la capitale de la Guyenne, contraint de s’arrêter souvent pour faire face à l’ennemi. Des dangers plus sérieux encore menacèrent la jeune princesse que la France envoyait à l’Espagne. Élisabeth dut mettre dix mortelles journées à faire le trajet de Bordeaux à Bayonne, toujours entourée par la cavalerie du duc de Rohan, et contrainte de camper chaque soir pour éviter une surprise.

Ce fut sous ces auspices que l’année 1615 vit enfin se conclure la double alliance dont les suites devaient décevoir si promptement les prévisions sur lesquelles elle avait été fondée. Renforcer le pouvoir de la couronne contre les grands et contre les réformés, telle était la pensée de la reine Marie ; établir la prépondérance espagnole sur les conseils du roi très chrétien, rompre l’alliance de la France avec l’Angleterre, son alliance plus dangereuse encore avec les Provinces-Unies, obtenir son concours pour tout ce qu’il plairait à l’Espagne de tenter en Italie, telle avait été la ferme espérance de Philippe III, telle était la politique dont une jeune infante devait être à la fois dans la pensée paternelle et l’instrument et le symbole. Or, il advint que le pouvoir royal se renforça bientôt en combattant l’Espagne, et non point en s’appuyant sur elle, et il se trouva qu’Anne d’Autriche passa le temps de sa régence dans une lutte incessante contre la chère patrie dont elle se séparait alors avec tant de larmes ; enfin le dernier résultat des alliances espagnoles sous Louis XIII et sous Louis XIV fut de transmettre à un fils de France des droits ou des prétentions qui, en moins d’un siècle d’intervalle, portèrent la maison de Bourbon sur le trône des rois catholiques !

Cependant la conclusion du mariage avait porté un grand coup à la faction huguenote et féodale. Il fallait désormais se résigner à un fait accompli, puisque les forces espagnoles étaient prêtes à venir l’appuyer au besoin. Les peuples, d’ailleurs, avaient presque partout applaudi à l’auguste hyménée, et les princes insurgés restaient isolés et réduits à leurs propres forces. Les classes bourgeoises surtout s’écartaient par un instinct sûr d’une cause qui ne pouvait être la leur, et dont le triomphe aurait éloigné de plusieurs siècles le jour de leur victoire. Le parti réformé restait seul debout et armé, avec les nombreux gentilshommes attachés à la fortune personnelle des princes. La cour profita avec habileté de ce mouvement favorable de l’opinion publique. Elle sut détacher de la ligue, par l’offre de grands avantages pécuniaires, les ducs de Mayenne et de Longueville, et bientôt après le duc de Bouillon, en disponibilité pour toutes les trahisons et pour toutes les intrigues, et qui n’avait voulu, confessait-il naïvement, être le principal auteur de la guerre que pour se donner le mérite d’être l’auteur principal de la conclusion de la paix. Le gouvernement donna large satisfaction aux réformés sur les griefs imaginaires ou fondés consignés dans leurs manifestes ; il consentit à accepter près d’eux la médiation de l’ambassadeur d’Angleterre, et après de longues négociations où l’on vit intervenir sur un pied d’égalité des commissaires du roi, des agens du prince de Condé et des députés des églises réformées, la paix fut conclue à Loudun, à des conditions qui touchaient moins le public que les hommes personnellement engagés dans cette stérile querelle. Ce traité n’était une victoire pour personne ; mais il constatait une fois de plus l’impuissance de la royauté, qui, après avoir mis le prince de Condé hors la loi, consentait à subir ses conditions et à désintéresser ses créatures.

Voulant dissuader Condé d’une résolution qu’il estimait funeste aux intérêts de ses coreligionnaires, le duc de Rohan lui avait dit ces paroles. « La faible espérance d’enrichir votre maison et de tirer quelque argent des finances du roi ne devrait pas l’emporter sur ce grand nombre d’amis dont vous allez vous séparer, pensez-y sérieusement ; on travaille à vous faire perdre une occasion que vous ne retrouverez jamais. Vous allez vous placer entre les mains de la cour et à votre première démarche suspecte elle s’assurera d’un prince qui a déjà pris deux fois les armes[4]. » C’était prêcher la grande ambition à un homme qui n’était capable que de la petite. Rohan avait raison toutefois, et le chef de la conjuration aristocratique et protestante en fit bientôt la dure expérience. Après le traité de Loudun, Condé se crut maître du gouvernement et de la France, et fit peser sur la royauté un joug d’autant plus humiliant, qu’il lui contestait avec la même jalousie les apparences et les réalités du pouvoir. Plus recherché et plus suivi que le roi même, dit un écrit contemporain, sa maison rendait le Louvre désert[5]. Condé et ses acolytes ne furent pas plus tôt rentrés dans Paris, qu’ils reprirent, au sein du parlement, leurs intrigues accoutumées et lièrent des rapports secrets avec l’ambassadeur d’Angleterre et les agens des Provinces-Unies. L’insolente attitude du premier prince du sang réveilla promptement toutes les jalousies du jeune roi et toutes les terreurs de sa mère. Le chef de la branche de Condé aspirait-il à placer la couronne dans sa maison, et à réaliser dans une pensée aristocratique et protestante le grand dessein que les Guise avaient essayé naguère sous une inspiration bourgeoise et catholique ? Il est difficile de l’affirmer, plus difficile encore de le nier. Cependant, à voir le décousu de ses actes et la facilité avec laquelle il s’en laissait détourner par les soins les plus vulgaires, on peut juger qu’il échoua plutôt par l’incertitude que par la témérité de ses projets.

L’avidité l’avait déjà compromis, une haine aveugle allait le perdre. Il crut le moment venu de frapper un grand coup, et pensa que les antipathies populaires soulevées contre le maréchal d’Ancre mettaient les factions en mesure de le tenter. Ne pouvant plus douter, de son côté, qu’un attentat sur sa personne ne fût déjà résolu dans le conseil secret des princes, Concini suggéra à Marie, inquiétée dans ses affections, une résolution qu’un tel motif pouvait seul faire agréer à cette princesse. Au milieu de ses partisans troublés et surpris, Condé fut arrêté en plein Louvre au nom du roi, et conduit à la Bastille. Ce coup d’autorité, qui dut paraître téméraire aux contemporains, n’excédait pas pourtant la mesure des forces de la royauté : il constata combien les masses populaires et la majorité de la noblesse elle-même restaient étrangères aux agitations factices entretenues par les seigneurs. Les tentatives essayées pour insurger Paris n’amenèrent d’autre résultat que le pillage de l’hôtel d’Ancre et les princes retirés à Soissons essayèrent avec peu de succès d’organiser la guerre civile dans les différentes provinces du royaume. Le gouvernement ne recourut pas vainement à ses moyens accoutumés, et la défection du duc de Guise, qui s’était réuni aux mécontens après de longues hésitations, amena sinon la chute de la confédération elle-même, au moins son entière impuissance. Privés de leurs pensions et traitemens pendant cette nouvelle rupture avec la cour, les princes éprouvèrent bientôt le plus vif désir d’y rentrer. Une machination tramée dans l’ombre contre le favori de la reine-mère par un autre favori qui s’élevait sur ses ruines, leur en offrit promptement l’occasion. Comprenant enfin l’impossibilité de faire un appel spécieux à quelque grand intérêt public, ils transigèrent avec la cour au prix du sang, assurés d’être absous par l’opinion, s’ils consentaient à servir ses haines. Un gentillâtre de Provence, dresseur de faucons et siffleur de linottes, captivait alors, sinon la confiance du moins l’attention du triste monarque, qui apparaît pour la première fois dans l’histoire le jour d’un guet-apens commandé par lui. Albert de Luynes s’était déjà grandement poussé à la cour, en berçant par des distractions puériles la vie oisive de Louis, longue enfance sans naïveté et sans tendresse, à laquelle devait succéder une précoce vieillesse et une sorte de torpeur générale de l’ame et des sens. Mais, quelle que fût la position inespérée de ce jeune officier de vénerie devenu nécessaire aux plaisirs de son maître et admis à l’honneur de sa familiarité, les désirs du Provençal dépassaient les limites de sa fortune présente, et le maréchal d’Ancre lui semblait un invincible obstacle à son avenir. Insolent autant qu’avide, et plus imprudent qu’il ne convenait dans une situation si menacée, l’Italien n’avait épargné ni les dédains ni les railleries au pourvoyeur des chasses royales, dont sa bienveillante indifférence avait favorisé les premiers pas. De son côté, de Luynes avait compris qu’une seule voie lui était ouverte pour jouer un rôle politique, et qu’il fallait, par un service signalé, s’assurer le patronage des puissans ennemis du maréchal. Tuer Concini, amener à ce prix la réconciliation de la royauté avec ses grands feudataires, tel fut le plan auquel il se dévoua avec le calme et la sécurité de conscience produite par les maximes et les tristes habitudes du temps.

Pour faire agréer une telle pensée au jeune roi, il fallait le brouiller avec sa mère, empoisonner son esprit de soupçons et d’inquiétudes et dominer par la crainte cette nature égoïste et débile. Luynes y réussit au-delà de ses espérances. Il incrimine jusqu’aux actes les plus simples du maréchal, représentant au roi que cet étranger exerce un pouvoir absolu dans le royaume, et qu’il s’y fortifie contre son autorité ; il le lui montre dominant l’esprit de la reine-mère, inclinant son cœur vers Gaston, son plus jeune fils, pendant qu’il l’éloigne du roi ; il fait intervenir des astrologues et des devins consultés sur le terme probable d’une vie royale, il va, disent les mémoires contemporains[6], jusqu’à supposer des lettres pleines d’outrages et de menaces contre le monarque ; il poursuit cette ame malade dans le silence de ses nuits sans sommeil, et dans l’obscurité des forêts où Louis aime à s’égarer ; il obtient enfin un ordre que l’épée du baron de Vitry se charge d’exécuter au sein même du palais des rois. Le sang du maréchal coule au pied du grand escalier du Louvre ; son cadavre, livré au peuple, est mis en pièces et brûlé devant la statue de Henri IV, et le jeune prince accueille avec bonheur les acclamations de la foule, comme un premier hommage à sa souveraineté, naissante. Il règne enfin, sans sa mère et contre sa mère, qui reçoit de la bouche inexorable d’un fils de dix-sept ans l’ordre de partir sans délai pour son premier exil ; il règne en permettant qu’on le débarrasse par un crime d’un instrument compromis sans doute, mais dévoué à la pensée monarchique, que le roi va bientôt reprendre avec une ardeur jalouse et un succès inespéré, et, singulière ironie de l’histoire ! il inaugure par une sanglante concession au parti féodal un gouvernement destiné à l’exterminer.

Arrêtons-nous encore un moment pour embrasser d’un regard tout ce passé qui va disparaître. Quel regret nous laissera-t-il, et quel germe y trouverons-nous qui ne soit ou dangereux ou stérile ? Cette société intermédiaire entre la ligue et Richelieu n’est-elle point, elle aussi, le résidu épuisé d’une longue révolution, la transition nécessaire entre les chaleureuses croyances disparues et un organisme nouveau aspirant à se produire ? Le scandale de ces factions égoïstes ne dépasse-t-il pas encore celui de nos plus honteuses manœuvres parlementaires ? Pendant que l’Angleterre fondait sa liberté politique et sa grandeur maritime, et que la Hollande s’élevait au premier rang des nations ; tandis que les deux grandes moitiés de l’empire de Charles-Quint dominaient encore l’Europe en s’appuyant l’une sur l’autre, la France se débattait indifférente et lassée entre les concinistes et les Barrabas[7], et commençait cette guerre de chansons qui ne devait finir qu’à la virilité de Louis XIV ; elle voyait les défenseurs naturels de sa glorieuse unité s’associer tour à tour, sans pudeur comme sans remords, aux huguenots et aux Espagnols, non plus pour servir les intérêts d’un grand parti, mais pour faire leurs propres affaires. Aucun esprit politique dans l’aristocratie dominée par cette haute féodalité princière, et qui ne conserve plus de ses temps héroïques qu’un courage déréglé et un besoin fébrile de duels ; aucun sentiment national dans le parlement, qui, hors de la distribution de la justice civile où il est admirable, n’entre dans les grandes affaires que pour les brouiller ; aucun prestige dans la royauté représentée par une femme galante et par un roi valétudinaire ; chez la bourgeoisie concentrée dans ses affections municipales, peu ou point d’intelligence des intérêts publics ; enfin l’Espagne et l’empire dominant le mouvement de l’Europe, telle est la France à l’ouverture du siècle qui, entre tous les autres, allait bientôt conquérir le nom de grand.

L’homme qui arrêta court ce progrès sensible vers une décadence générale, qui fit ou prépara deux grands règnes, a jusqu’ici à peine été nommé dans ces pages, et pourtant il nous semble qu’il les remplit déjà tout entières. En assistant à un pareil spectacle, on devine que cet homme va venir ; on comprend qu’il faut qu’il vienne, et la corruption de la société semble justifier d’avance devant Dieu et devant l’histoire les terribles moyens qu’il emploiera pour en renouveler la face. Mais comment conquérir la force que présuppose une pareille entreprise ? Comment s’imposer à la royauté accoutumée aux complaisances de favoris médiocres, à cette haute féodalité qui a fait capituler le monarque à Loudun et à Sainte-Menehould, et qui vient de livrer à la foule ameutée par ses laquais les restes profanés du maréchal d’Ancre ? Une pareille tâche serait des plus ardues pour qui se trouverait dans le cas de l’entreprendre avec la ressource de puissantes alliances et d’un haut patronage tout formé. Combien dès-lors ne semble-t-elle pas impossible lorsqu’on voit se mettre à l’œuvre un homme isolé, sans autre appui à la cour que la faveur de la reine-mère et du maréchal assassiné, et qui, signalé à toutes les méfiances des vainqueurs, se trouve enveloppé dans la proscription commune ?

Faire sortir sa fortune de l’abîme même où elle semblait engloutie, tirer plus de parti de l’exil que jamais courtisan n’en tira de la faveur royale, c’est là un tour de force qui suffirait pour signaler à la postérité l’habileté incomparable d’Armand-Jean Duplessis de Richelieu. Si ces commencemens sont plus obscurs, ils ne sont pas moins importans à connaître ; ils apprennent l’homme à ceux qui n’ont étudié que le ministre. Né avec une vocation prononcée pour les affaires, Richelieu a rencontré sur sa voie autant d’obstacles que personne. Il est curieux de le voir les tourner à force de persévérance et d’adresse, et ce spectacle est plus saisissant peut-être que celui des luttes énergiques qu’il livre dans la pleine possession de sa force. C’est un malheur de la vie politique de contraindre les natures les plus éminentes à dépenser pour arriver à la puissance plus de ressources qu’elles n’en déploieront jamais pour l’exercer. Le ministre de Louis XIII, introduit dans la carrière par Marie de Médicis et par Concini, subit l’empire de cette loi plus générale encore aujourd’hui que dans son temps ; il se fit laborieusement sa place, et dut déployer, pour arriver au ministère, des dispositions de caractère en contraste complet avec celles qu’allait signaler avec tant d’éclat la seconde période de sa vie. Sa souplesse fit sa fortune et son orgueil fit sa gloire, a dit un grand écrivain[8]. La vie de Richelieu est tout entière dans cette inscription lapidaire. C’est en combinant, en effet, des qualités et des défauts qui semblent s’exclure, en harmoniant des tendances qui se repoussent, qu’on peut dessiner avec quelque vérité cette physionomie qui n’a rien de l’unité sévère que trop d’historiens se sont attachés à lui imprimer. Montrer Richelieu dans les phases diverses de sa vie, constater qu’il a moins agi en vertu d’une idée préconçue que sous l’empire des évènemens de son époque, telle est la double pensée qui inspirera ce travail. S’il n’offre pas au lecteur un intérêt de curiosité impossible à exciter en une telle matière et dans un sujet tant rebattu, il a du moins, pour l’écrivain, le charme d’un substantiel entretien avec une vigoureuse intelligence. Voir vivre ce puissant mortel dans les faiblesses de passions en même temps que dans l’énergie de sa pensée, l’entendre parler dans ses écrits demeurés deux siècles presque inconnus au monde, juger enfin son œuvre d’équilibre européen au moment même où cette œuvre tend à disparaître, c’est un sérieux plaisir d’esprit que nous avons goûté dans toute sa plénitude, et que d’autres aimeront peut-être à prendre avec nous.

On sait que le jeune Duplessis, né en 1585 d’une bonne, mais pauvre maison du Poitou, n’embrassa la carrière ecclésiastique que pour empêcher l’évêché de Luçon de sortir de sa famille. Il avait porté l’épée jusqu’au jour où Alphonse, l’un de ses frères, eut abandonné cette dignité pour se confiner dans un cloître. Quelques études théologiques suffirent pour préparer au sacerdoce et à l’épiscopat un jeune homme bien né qui, selon les idées du temps, accomplissait un devoir en maintenant dans une noble maison sans fortune un établissement lucratif. L’église, dominée par son association intime avec l’ordre politique, en subissait les conséquences au détriment de sa discipline. Âgé de moins de vingt-deux ans, Jean Duplessis fut pourvu à Rome même de l’évêché vacant. Siri, répété par Levassor et par tous les écrivains hostiles au cardinal, assure qu’il trompa Paul V sur son âge véritable, et qu’en apprenant la vérité, le bon pape loua fort l’esprit et l’adresse du jeune prélat dont il prédit la haute fortune.

De retour en France, Richelieu parut prendre au sérieux les devoirs de son état. Il se remit à l’étude de la théologie, et l’on ne saurait lire ses écrits, même politiques, sans y trouver l’empreinte de ces formules didactiques, de cette argumentation rigoureuse qui allait si bien à la trempe ferme et nette de son esprit. Quelques années passées dans son évêché, où il se livra à la controverse contre les réformes, quelques carêmes prêchés à Paris avec un assez grand succès, remplissent cette première période de jeunesse et d’obscurité. Marie de Médicis écouta avec plaisir le prélat, qu’une figure régulière et animée, une attitude parfaitement noble, firent d’abord remarquer à la cour. Il s’attacha à cette princesse, à laquelle il parvint à se faire recommander par le maréchal d’Ancre, alors dans la plénitude de sa puissance. Député aux états-généraux de 1614 par les sénéchaussées de Fontenay et de Niort, il se jeta avec chaleur dans le parti de la reine, et exerça une influence notable sur la rédaction des cahiers du clergé. Il s’y prononça vivement pour l’union avec l’Espagne et pour le maintien de l’administration aux mains de la régente ; on le vit également s’élever avec force contre toutes les réclamations inspirées aux parlementaires par la faction des princes mécontens. Ayant obtenu, d’autres disent ayant brigué l’honneur de porter la parole au nom de son ordre, il loua dans le style emphatique de son temps la gloire de la régente, exalta l’autorité royale au-dessus de tous les pouvoirs humains, et représenta la religion comme la base des trônes et leur plus solide fondement. Ce discours ne fût point sorti des banalités consacrées par ce genre d’allocution, si « le bon prélat n’avait, selon l’expression d’un de ses antagonistes, découvert le sentiment de son cœur dans l’endroit de sa pièce qui n’était pas le moins étudié[9]. » Se plaignant amèrement de l’usage qui tendait à s’introduire d’éloigner les ecclésiastiques des conseils du roi et des emplois publics, on l’entendit s’écrier : « Votre majesté doit nous donner plus de part aux affaires. Quand les rois ses prédécesseurs ont employé les prélats de leur royaume, l’église gallicane a été plus puissante qu’aucune autre, et, depuis qu’on a négligé de suivre cette louable et salutaire coutume, le clergé français a tellement perdu son éclat, qu’il n’est plus connaissable. Bien loin de consulter les prélats éclairés sur les affaires de l’état, on s’imagine maintenant que l’honneur que nous avons d’être consacrés au service de Dieu nous rend incapables de servir notre roi, qui en est l’image vivante. »

Le dévouement sans bornes de Richelieu ne tarda pas à lui valoir une récompense. Quelques mois après la clôture des états, la reine-mère le fit nommer grand-aumônier de la reine régnante Anne d’Autriche, et, comme il avait besoin d’argent pour payer quelques dettes de sa maison, le maréchal d’Ancre lui obtint permission de vendre cette charge, ce qui le mit en état de vivre à la cour avec un commencement de splendeur. L’Italien avait deviné la pénétration et la vigueur d’esprit de ce jeune ecclésiastique que le soin de sa fortune ne détournait pas de la gravité extérieure de sa profession, et qui, au plus fort de sa jeunesse, ménageait sa faveur comme le courtisan le plus consommé. « Je gagnai le cœur du maréchal, dit Richelieu lui-même, et il fit quelque estime de moi dès la première fois qu’il m’aboucha. Il dit à quelques-uns de ses familiers qu’il avait un jeune homme en main capable de faire la leçon à tutti barboni. Mais sa bienveillance diminua, premièrement parce qu’il me trouva avec des contradictions qu’il n’attendait pas, secondement parce qu’il remarquait que la confiance de la reine penchait de mon côté, troisièmement par les mauvais offices de Russeley, qui n’omettait aucun artifice pour m’abattre, et Barbin[10]. »

Après le mariage du roi, Concini, ayant grand intérêt à recevoir des renseignemens exacts sur l’état intérieur de la Cour d’Espagne, avait songé à l’évêque de Luçon pour cette importante ambassade. Celui-ci embrassa avec ardeur une telle perspective comme un premier pas vers les grandes affaires et vers l’intimité de deux maisons royales ; mais, après l’emprisonnement du prince de Condé et le pillage de l’hôtel d’Ancre, le maréchal et la régente jugèrent utile de renouveler le conseil, et de n’y admettre que des hommes d’un dévouement absolu à leur pensée politique. À ce titre, ils songèrent à Richelieu pour exercer la charge de secrétaire d’état conjointement avec le vieux Villeroy, auquel cinquante années de services sous trois règnes avaient ôté l’énergie que des circonstances aussi difficiles semblaient rendre nécessaire. Associé à Mangot et à Barbin, humbles créatures de Marie de Médicis, soumis au maréchal sans l’estimer et sans l’aimer, Richelieu ne fut dans ce cabinet qu’un instrument docile et secondaire. Le seul acte de volonté personnelle dont il soit possible de recueillir la trace pendant ce ministère, interrompu bientôt après par l’assassinat de son chef, s’applique aux intérêts directs du prélat. Richelieu raconte qu’aussitôt après sa nomination à la charge de secrétaire d’état, à laquelle le maréchal attacha avec intention des gages considérables, celui-ci le pressa vivement de se défaire de son évêché, afin de le tenir dans une plus étroite dépendance ; « mais, considérant les changemens qui pouvaient arriver, tant par l’humeur changeante du personnage que par les accidens qui pouvaient arriver à sa fortune, jamais je n’y voulus consentir, ce dont il eut mécontentement sans raison. » On voit que ses premiers succès n’enivraient pas le jeune ministre, qu’il se refusait à jouer trop gros jeu, et faisait marcher de front la prudence et l’ambition. À cet égard, les preuves ne manqueront pas.

Des nuages s’élevèrent, aux derniers mois de la vie du maréchal d’Ancre, entre lui et le nouveau secrétaire d’état : c’est chose facile que de juger, au ton de ses Mémoires, que celui-ci prévoyait la catastrophe et prenait de loin ses mesures du côté des princes et des frères de Luynes pour n’être pas enveloppé dans la disgrace, tôt ou tard inévitable, du malheureux Florentin. Aussi l’évêque de Luçon fut-il appelé au Louvre sitôt après le crime qui venait d’en souiller l’enceinte, et le roi s’empressa-t-il de lui dire qu’il ne le confondait pas avec les mauvais conseillers du maréchal et qu’il le voulait bien traiter. De Luynes lui fit les plus belles protestations, et je ne sais guère de harangue plus curieuse que la longue réponse de Richelieu au favori, qui tenait alors les destinées de la monarchie dans sa main débile et sanglante. Il est difficile de livrer plus complètement un homme qui n’est plus, tout en paraissant ménager les convenances qu’impose la mémoire d’un bienfait, et de se montrer de plus indulgente composition sur un meurtre qu’on affecte de déplorer. De telles dispositions n’étaient pas de nature à inquiéter de Luynes ; aussi s’empressa-t-il d’annoncer à Richelieu que seul entre ses collègues il serait maintenu dans le nouveau conseil, où le roi lui commanda d’aller à l’instant même prendre siége. « Je balançais si je devais recevoir cet honneur, mais j’estimais qu’en cette grande mutation les marques de la bonne grace du roi me devaient être chères, vu que par après mes actions feraient connaître que je les recevais par la pure estime que le roi faisait de moi, et non pour connivence que j’eusse eue avec ceux qui avaient machiné la mort du maréchal[11]. »

On pouvait en toute sûreté sacrifier Concini, puisqu’il était mort ; mais la reine-mère était vivante, elle avait exercé un grand empire sur l’esprit du roi, et pouvait le reprendre encore : le cas était donc plus embarrassant. Gardée à vue dans sa chambre par des soldats qui allaient chercher jusque dans son lit la poudre qu’on l’accusait d’y cacher pour faire sauter son fils, Marie était tout à coup tombée du faîte de la puissance dans une situation lamentable. Renier sa royale maîtresse en un tel moment était un procédé honteux, indigne d’un gentilhomme et plus encore d’un évêque, procédé des plus dangereux d’ailleurs selon le cours des évènemens ; mais se dévouer sans réserve à sa mauvaise fortune était un acte qui imposait des sacrifices pénibles dans le présent et peut-être sans compensation dans l’avenir. Richelieu sortit de cette alternative en ménageant à la fois les convenances et ses intérêts. Placé entre le jeune roi et sa mère, il sut conserver l’attachement de l’une et se préparer les bonnes graces de l’autre, avec un art que nous ne souhaitons à coup sûr à personne, mais dont nos plus souples tacticiens parlementaires pourraient à bon droit se montrer jaloux. « Je demandai au sieur de Luynes le plus adroitement qu’il me fut possible, pour ne lui déplaire pas, s’il ne me serait pas permis de voir la reine et que s’il lui plaisait me faire accorder cette grace, j’en userais assurément non pour aigrir, mais pour adoucir son esprit. » Cette faculté lui fut bientôt accordée avec une latitude plus grande qu’il ne l’aurait probablement voulue. Les nouveaux ministres ayant refusé de communiquer avec lui lorsqu’il se présenta la première fois au conseil, Richelieu comprit que la position n’était pas tenable à la cour, et se résolut, après mûres réflexions, à embrasser le rôle de martyr de la fidélité. Au moment où se dressait l’échafaud de la compagne chérie de Marie de Médicis, judiciairement égorgée comme sorcière et devineresse par des juges encore plus lâches qu’imbéciles ; pendant que les princes rebelles rentraient en triomphe dans ce Louvre si long-temps troublé par eux, Marie de Médicis, accompagnée d’un petit nombre de serviteurs, s’acheminait vers la ville de Blois, qu’un songe lui avait naguère indiquée comme lieu de son exil. « Au sortir de Paris, je l’accompagnai, recevant plus de consolation en la part que je prenais à son affliction, que je n’eusse pu en recevoir en la part que ses ennemis me voulurent faire de leurs biens. » Les faits permettent d’apprécier la portée de cette réflexion, fort affaiblie d’ailleurs par l’aveu qui la suit. « Je voulus avoir une permission expresse du roi par écrit, de peur qu’ils ne me rendissent puis après coupable de l’avoir suivie, et soutinssent que je l’avais fait de mon mouvement. »

Voilà de la prudence. Voici de la trahison, trahison discrète et savante qu’admirera sans doute l’école contemporaine qui s’est inclinée pendant cinquante ans devant la fortune d’un autre évêque-ministre, esprit politique sans système et sans vigueur, qui profita de tous les évènemens de son temps sans en dominer un seul, et qui sera dans l’histoire au cardinal Richelieu ce qu’est à un général qui a livré de grandes batailles le maraudeur qui dépouille les morts après le combat.

Devenu à Blois chef du conseil de la reine-mère, Richelieu entra aussitôt en correspondance avec le duc de Luynes, lui rendant un compte minutieux de tous les actes de la princesse, et se portant personnellement garant de sa conduite. Ce ne fut pas sans des peines infinies qu’il suffit pour quelque temps à ce double rôle. Contraint de témoigner à sa malheureuse maîtresse un dévouement d’autant plus absolu que le malheur engendre la défiance, obligé de se défendre en même temps à la cour contre des soupçons qu’une correspondance obséquieuse ne parvenait pas toujours à conjurer, Richelieu préludait par un rude apprentissage aux embarras du pouvoir, et ne laissait assurément rien pressentir de la hauteur de caractère qu’il devait apporter bientôt dans l’exercice du gouvernement. Assez bien traité par de Luynes et par le jeune monarque, l’évêque de Luçon était de la part des membres du conseil, et en particulier du garde-des-sceaux Du Vair, l’objet de vives antipathies et d’une méfiance prononcée. Inquiets de sa présence près de la reine et de l’activité de ses démarches, ils obtinrent du roi l’ordre de son éloignement. Après de vaines protestations de fidélité adressées à Louis XIII et à son favori, Richelieu dut partir pour son évêché, puis après pour Avignon. Ce procédé violent acheva de lui conquérir la confiance absolue de la princesse, qui ne vit dans cet exil qu’une persécution de plus dirigée contre elle.

Rendu malgré lui pour deux années à une vie pastorale et solitaire, Richelieu composa divers écrits, indépendamment de ses mémoires, dont le commencement nous paraît remonter à cette époque. Les principaux sont : l’Instruction du Chrétien et la Réponse adressée au roi par les quatre ministres de Charenton. Aucune qualité éminente ne se révèle dans ces écrits, dont le dernier, dirigé contre une lettre supprimée par arrêt du conseil, fut plutôt un acte politique qu’une œuvre religieuse. La médiocrité de ces travaux, qui doivent au seul nom de leur auteur le privilége d’être feuilletés quelquefois sous la poussière qui les recouvre, n’empêche pas Richelieu d’en parler avec une complaisance et une vanité d’homme de lettres qui sont l’un des traits les plus persistans de son caractère, soit qu’il se produise comme théologien ou comme poète, qu’il argumente contre Calvin ou contre Corneille.

Cet exil d’Avignon, dont la perspective est si cruelle pour Richelieu, fut pourtant l’origine de sa haute et rapide fortune. La reine avait franchi les murailles du château de Blois, en s’appuyant sur une échelle de cordes, durant les ténèbres d’une nuit d’hiver. Le duc d’Épernon, brouillé avec la cour pour une querelle de préséance, l’avait reçue dans son gouvernement à la tête d’une armée. Faisant appel à tous les mécontens, c’est-à-dire à tous les ambitieux, la veuve de Henri IV menaçait de recommencer contre son fils une guerre civile à peine éteinte. Rien n’était en effet changé depuis la mort du maréchal d’Ancre et l’avènement au pouvoir du petit gentilhomme provençal, ni dans la constitution de l’état, ni dans les plans et les espérances des grands du royaume. De Luynes avait servi leur vengeance en versant le sang de Concini, et ce sang avait scellé une sorte de pacte entre lui et la faction féodale ; mais bientôt la force des choses le contraignit à faire des efforts pour se dégager, et il se vit accusé de trahir ses amis alors qu’il ne faisait que se défendre. Il n’y allait pas moins que de l’existence de la royauté elle-même, et de Luynes n’était rien que par elle.

Les nouveaux ministres, et parmi eux le président Jeannin, esprit prudent et pratique, s’étaient refusés à rendre la liberté au prince de Condé, et, tout en abandonnant au pillage les finances de l’état ils résistaient aux demandes de gouvernemens et de places fortes de nature à compromettre l’intégrité de la monarchie. Les grands, qui avaient compté jouir d’une autorité pleine et entière, se trouvèrent donc frustrés dans leurs espérances. La plus grande partie des dépouilles de Concini et de son infortunée compagne était passée dans la maison de Luynes ; tel avait été, conformément à la loi générale des révolutions de cabinet, le principal, pour ne pas dire le seul résultat de celle-ci. Aussi le maréchal de Bouillon, que Richelieu appelle quelque part le démon incarné de la sédition, déclarait-il bien haut que la taverne était restée la même, et que le bouchon seul avait changé.

Ainsi compromis de deux côtés à la fois, Luynes comprit que pour conserver le pouvoir, et peut-être pour sauver la royauté, il fallait traiter avec la reine-mère, établie dans Angoulême à la tête de forces considérables. Les huguenots du Poitou accouraient déjà offrir à cette princesse leurs services intéressés. La cour émigrait en Saintonge, et le gouvernement faible et timide du duc de Luynes provoquait dans l’opinion publique, en faveur de la reine-mère, cette réaction qui ne manque jamais lorsqu’on sait l’attendre et la préparer. Pour ménager une réconciliation aussi difficile, le favori pensa à Richelieu, qui reçut à Avignon avec une joie inexprimable le message par lequel le roi lui enjoignait de se rendre sans délai près de sa mère. Ce long voyage, entrepris par ordre de la cour, conserva aux yeux prévenus de Marie le caractère d’un acte spontané de courage et de dévouement. Aussi l’évêque de Luçon, à peine arrivé fut-il le directeur de ses résolutions, l’inspirateur suprême de ses volontés. Il suggéra facilement à la princesse le désir de se rapprocher de son fils et de la cour ; mais, comme tous les chefs de faction, Marie s’appartenait moins à elle-même qu’aux hommes engagés dans sa querelle : aussi les efforts de Richelieu furent-ils inutiles pendant plus d’une année. Une entrevue, ménagée à Tours entre la mère et le fils n’avait amené d’autre résultat que de banales protestations d’attachement. L’ancienne régente s’inquiétait moins d’ailleurs de reconquérir le cœur de Louis XIII que de ressaisir ce pouvoir devenu la seule compensation de sa jeunesse évanouie ; de son côté, le jeune roi ne revit pas plus tôt sa mère que son ame se rouvrit à tous les soupçons qui devaient torturer jusqu’à la tombe ce martyr vivant des sollicitudes du trône.

Alors se passèrent des choses bien caractéristiques de ces temps de faiblesse et d’anarchie. Luynes, menacé par les grands qui se disaient trompés par lui, avait d’abord essayé de rapprocher le roi de la reine-mère ; puis, s’apercevant bientôt que l’ambition véritable de cette princesse était de reprendre la haute direction des affaires, il n’imagina rien de mieux pour paralyser ses forces que de lui opposer le prince de Condé et l’on vit tout à coup sortir de prison, après plus de trois ans de captivité, le chef de la turbulente faction princière. Ulcérée par cette mise en liberté, éclatante condamnation de l’acte principal de sa régence, la reine rompt aussitôt les rapports qu’elle commençait à nouer avec la cour, et fait appel à tous les ambitieux du dedans, à tous les ennemis du dehors. Les princes et les grands se divisent et s’agitent ; chacun fait ses conditions et exige des garanties à la pointe de son épée. Le Maine, l’Anjou, le Poitou et la Saintonge retentissent du bruit des armes au milieu de l’indifférence et du dégoût hautement manifestés par les populations, qui voient s’élever aux proportions d’une guerre civile la querelle personnelle de M. de Luynes et de M. d’Épernon.

Dans cette disposition universelle des esprits, une seule rencontre aux portes d’Angers suffit pour inspirer aux deux armées un égal désir de voir enfin leurs chefs compter la paix publique pour quelque chose. Ceux-ci comprennent que le moment est venu de cesser de jouer à la bataille. Des négociations sérieuses sont donc ouvertes où l’évêque de Luçon intervient activement, et, au mois d’août 1620, la lutte se termine par une transaction générale, assise sur les mêmes bases que toutes celles qui l’ont précédée. Les seigneurs des deux partis obtiennent toutes les conditions qu’il leur a plu de stipuler. Les modestes seuls sont dupes, aussi en est-il peu. Pour ne parler que du plus remuant entre les personnages de ce temps, le duc d’Épernon, cette médiocrité grandie par une insolence imperturbable, et qui n’a plus rien à demander pour lui-même, voit offrir à ses enfans un établissement immense, un duché-pairie, la survivance de toutes ses charges et un modeste présent de deux cent mille écus. Luynes, de son côté, se prépare à saisir de son bras de fauconnier l’épée de connétable qu’avait portée Duguesclin. Dans ces loteries des guerres civiles, tous les joueurs gagnaient un lot. Richelieu y tira un quine, car il se fit assurer le chapeau de cardinal.

Le moment n’était pas encore venu d’entrer au conseil où siégeaient les hommes que la mort du maréchal d’Ancre y avait portés ; mais le cardinalat était à la fois et un bon moyen pour attendre et une force pour ne pas attendre long-temps. Richelieu conclut de plus le mariage de sa nièce chérie avec le marquis de Combalet, neveu du duc de Luynes, aux applaudissemens de la cour et de la reine-mère, qui paya la dot et vit une preuve nouvelle de dévouement dans l’alliance que son fidèle conseiller consentait, pour le seul intérêt de son auguste maîtresse, à conclure avec le favori du roi.

Malgré les stipulations d’Angers, d’assez longs retards furent opposés à la promotion de Richelieu, soit que ces délais provinssent de la chancellerie romaine elle-même, ou qu’il faille les attribuer aux démarches secrètes de ses ennemis, alarmés d’un tel accroissement de sa fortune. Ce ne fut qu’en 1622, après la mort du cardinal de Retz, que l’évêque de Luçon se vit promu au cardinalat. Pendant ce temps, les évènemens avaient marché, et une situation de plus en plus difficile allait bientôt lui préparer sa place dans les grandes affaires.

Le roi ayant voulu rétablir en Béarn le libre exercice de la religion catholique interdit dans cette province depuis un demi-siècle, les réformés avaient pris les armes et donné une preuve de plus de l’incompatibilité de cette organisation menaçante avec l’existence d’un gouvernement régulier. L’assemblée de La Rochelle, sommée de se séparer, avait répondu qu’elle n’en ferait rien, et que le roi ne pouvait avoir oublié que c’était aux religionnaires que son père devait le trône. Cette assemblée, à l’abri de ses formidables remparts, avait procédé à une division territoriale du royaume en dix-huit églises subdivisées en églises simples et en colloques, desquelles dépendait un certain nombre de localités. Dans chacune de ces circonscriptions, des chefs militaires et des magistrats civils étaient solennellement institués. Une législation générale avait été promulgée pour l’état de guerre aussi bien que pour l’état de paix. Le duc de Rohan et son frère de Soubise, investis du commandement général des forces huguenotes, se préparaient une situation analogue à celle que la maison d’Orange avait conquise dans les Provinces-Unies à la faveur de la lutte contre l’Espagne ; « rien ne manquait enfin au dessein manifeste d’établissement d’une république dans ce royaume[12]. »

Louis XIII s’était mis en campagne. Il avait déployé, dans une guerre qui le conduisit deux fois au fond du Languedoc, une valeur personnelle incontestable, seule qualité qui puisse recommander la mémoire du triste monarque qui ne fit de grandes choses qu’en remettant à la discrétion d’un ministre souverain sa volonté ambulatoire et son esprit obsédé de mille fantômes. Après avoir déclaré par lettres patentes les habitans de La Rochelle criminels de lèse-majesté, le roi donna l’assaut à la ville de Saint-Jean-d’Angely pendant que le duc du Maine s’emparait de Nérac et de plusieurs places en Guyenne. Mais les rivalités princières poursuivaient Louis dans les camps comme dans son Louvre. Sa mère, qui suivait l’armée, était l’objet de ses inquiétudes incessantes, et la présomptueuse inexpérience du nouveau connétable pesait également sur les opérations militaires et sur les affaires civiles. Bientôt le siége de Montauban vint mettre un terme aux succès des armes royales. Toutes les forces de la monarchie échouèrent contre ce boulevard de la réforme, moins défendu peut-être par ses héroïques habitans que par les faiblesses de la cour et le découragement de l’armée. Le duc du Maine, noble héritier d’une maison catholique et militaire, était mort au pied de ses remparts, et la plus brave noblesse du royaume ne se voyait pas sans indignation soumise aux ordres d’un chef qui avait appris la guerre dans les forêts de Fontainebleau : favori insatiable, dont l’impopularité réhabilitait le Florentin, et qui, cumulant la dignité de garde-des-sceaux avec celle de connétable, méritait ce jugement de ses contemporains, qu’il était aussi propre à faire un magistrat en temps de guerre qu’un général en temps de paix.

Luynes éprouva pourtant une douleur qui l’honore. Contraint de lever le siége de Montauban, repoussé devant Monheur, une chétive place du Languedoc, menacé dans sa faveur par la froideur croissante du roi et l’irritation croissante aussi de l’opinion, il ne se sentit pas la force de braver des mépris trop justifiés. Sa santé altérée le conduisit au tombeau ; il mourut, livrant le roi à lui-même et à l’incertitude de ses pensées. Qui hériterait de la faveur et de la confiance du prince ? Telle était la seule question que le tempérament du monarque permît alors de poser. Le moment était venu où la Providence allait la résoudre directement par la main de l’homme que les hautes qualités de son esprit autant que les passions long-temps refoulées dans son cœur préparaient en silence à une lutte à mort contre l’anarchie seigneuriale. Lassée de ces crises et de ces avortemens éternels, la France appelait un pouvoir énergique avec l’entraînement qui la précipite dans le despotisme au sortir de tous les désordres, et Richelieu, après la régence, était presque Napoléon après le directoire.

Et quels problèmes politiques et sociaux étaient posés en France et en Europe ! À l’intérieur du royaume, les religionnaires, formant un état dans l’état, étaient en révolte à peu près permanente ; la cour se partageait en grandes factions auxquelles celle de Gaston d’Orléans, frère du roi, allait ajouter bientôt un large contingent de machinations et d’immoralités. Au dehors, l’Europe s’agitait tout entière sous le contre-coup de la réforme. La guerre de trente ans commençait en Allemagne, où le protestantisme, fruit indigène du sol et du génie natif, n’avait pas épuisé aussi promptement qu’en France sa première période de religieuse ferveur. L’empereur Ferdinand II venait de triompher de la Bohême et d’en chasser l’électeur Frédéric, sur la tête duquel le parti protestant n’avait pas craint de placer la couronne royale ; mais la défaite de ce prince, que son cœur ne mettait pas au niveau de sa fortune, n’avait pas éteint le courage des héroïques aventuriers qui levèrent bientôt l’étendard contre la maison d’Autriche. Les princes protestans recommencèrent la ligue de Smalcalde, et déjà la Suède se préparait à suivre le Danemark sur ce vaste champ de bataille. De son côté, l’empereur organisait la défense de l’unité politique et religieuse sur des bases non moins formidables, et devenait le lien de toutes les forces catholiques. S’élevant alors comme un astre étincelant sur l’horizon troublé de la Germanie, Wallenstein étudiait déjà dans les cieux les mystérieux présages de sa grandeur. L’empereur Ferdinand essayait de rendre leur vieille et étroite intimité aux relations de l’Autriche avec l’Espagne, et s’entendait avec le cabinet de San-Lorenzo pour dominer l’Italie. Reprendre l’œuvre de Charles-Quint était la pensée dominante de sa vie. Philippe IV, que la mort de son père venait d’appeler au trône d’Espagne, et qui tenait alors sous son sceptre l’Europe méridionale tout entière depuis Naples jusqu’à Lisbonne, entrait dans les vues de son parent avec une vivacité qu’entretenaient les inspirations de sa conscience et le soin de sa propre grandeur. Neutraliser l’Angleterre en y suscitant le parti catholique, amortir l’action extérieure de la France en mettant aux gages de l’Escurial les seigneurs qui troublaient le repos de la cour de Louis XIII ; anéantir la Hollande et se venger de la longue trêve que son courageux patriotisme avait imposée à l’orgueil de ses anciens maîtres ; s’assurer du duc de Savoie pour diriger sans résistance les affaires de l’Italie ; opposer le pape aux Vénitiens et la vieille majesté de l’empire aux prétentions électorales : tel était le vaste plan qu’inspirait au cabinet espagnol l’indestructible pensée d’une monarchie universelle.

L’empire obtint de grands succès au début de cette longue lutte. Chacun sait que l’intervention des Suédois, provoquée par la France, changea seule la face des choses. Si le triomphe de la politique austro-espagnole n’avait été arrêté par les combinaisons audacieuses de Richelieu, il est hors de doute que la France, demeurée sans influence dans cette crise décisive, allait tomber pour bien long-temps au rang de puissance secondaire, et l’on peut conjecturer qu’une restauration bâtarde et fausse de l’unité religieuse se fût opérée dans quelques parties de l’Allemagne impériale. Dans cette hypothèse, le principe catholique fût resté peut-être pour toujours identifié avec la politique et les inspirations de l’Escurial, de telle sorte que Rome et l’Espagne n’eussent éveillé dans l’esprit et la conscience des peuples qu’une seule et même pensée ; alors Louis XIV et son siècle devenaient impossibles, et la souveraineté européenne du génie français plus impossible encore. Or, c’est là ce que Dieu a détourné dans les conseils éternels de sa providence, c’est à ce péril qu’il a arraché l’avenir de l’église et les destinées du monde moderne. La France est douée, entre toutes les nations, d’une sympathique puissance que l’Espagne ne connut jamais, et les destinées du catholicisme reposent avec plus de sécurité sur son sol bouleversé par les tempêtes et battu par le flot de toutes les opinions humaines que sur la terre où il semblait régner alors sans résistance et sans contrôle. Il fallait Richelieu pour engendrer Louis XIV, et Louis XIV seul pouvait asseoir et fonder cette suprématie intellectuelle de la France qui survit à toutes les vicissitudes, et dont il est malaisé de se défendre alors même qu’on la conteste avec le plus de violence.

Saluons donc d’un cri d’espérance et de joie l’avénement de l’homme appelé à effacer le passé, pour qu’il fût possible d’écrire l’avenir ; saluons le destructeur d’une société impuissante et corrompue, le formidable initiateur d’une ère nouvelle, qui, commençant par le pouvoir absolu, contenait en germe la démocratie moderne, avec tous les mystères de ses destinées. Examinons de sang-froid cette vaste combinaison de la monarchie absolue comme forme transitoire de la sociabilité humaine, et sachons la comprendre sans nous montrer indulgens et faciles pour les violences à l’aide desquelles elle fut fondée. Distinguons surtout entre l’application d’une grande pensée politique et les passions personnelles excitées par une situation constamment menacée ; n’oublions pas que, tandis que Richelieu faisait trembler l’Europe et la dominait par la puissance de ses plans et de ses armes, son sort semblait dépendre d’une manœuvre de la reine, d’une intrigue de Gaston, d’une conversation du père Caussin ou de Mlle de La Fayette. C’est dans un perpétuel contraste entre l’immensité de l’œuvre entreprise et les pieds d’argile du colosse qui s’y consacre que repose tout l’intérêt dramatique de cette vie puissante.

La reine-mère avait obtenu son entrée au conseil après la mort du connétable de Luynes, et la modération calculée avec laquelle elle sut user de ce droit important parut dissiper pour quelque temps les ombrageuses susceptibilités de son fils. L’admission de cette princesse au conseil impliquait l’entrée prochaine de Richelieu au ministère. Estimant l’évènement inévitable, le duc de la Vieuville voulut se donner près de la reine-mère le mérite de le déterminer. Depuis la mort du favori, le conseil de Louis XIII se composait d’hommes hors d’état d’exercer une influence personnelle sur la marche générale des affaires. Le président Jeannin avait été remplacé à la surintendance des finances par Schomberg, et cette charge importante se trouvait alors remplie par le marquis de la Vieuville. Loménie conservait à la maison du roi le poste qu’il occupait depuis le règne précédent ; d’Aligre, ancien président au parlement de Bretagne, tenait les sceaux ; enfin les affaires étrangères et la guerre, qui ne formèrent long-temps qu’un seul département, avaient passé, à la mort du marquis de Villeroy, à Brulart, fils du chancelier de Sillery. Plus tard, ce portefeuille fut subdivisé en trois grandes divisions, confiées à Phélippeaux, Loménie et Potier d’Ocquère. Ce fut dans cet état que Richelieu trouva le conseil lorsqu’il y fut appelé, à l’âge de trente-neuf ans, comme unique secrétaire d’état pour les affaires étrangères.

Le livre quinzième de ses Mémoires s’ouvre par un long exposé des motifs soumis au roi par Richelieu, pour lui faire agréer son refus lorsque ce prince lui eut annoncé ses bienveillantes intentions, et ce morceau n’est pas assurément le moins curieux de l’ouvrage. « Le cardinal se défendit autant qu’il lui fut possible par plusieurs considérations et par plusieurs raisons. Il représenta au roi qu’il avouait que Dieu lui avait donné quelques qualités et force d’esprit, mais avec tant de débilité de corps, que cette dernière qualité l’empêche de se pouvoir servir des autres dans le bruit et désordre du monde. Pour lui témoigner qu’il lui dit vrai, il s’offre de faire tout ce qu’il peut désirer de lui, soit pour le public, soit pour le particulier, pour le servir sans être du conseil. Pour être publiquement du conseil, il lui faudrait tant de conditions pour la faiblesse de sa complexion, laquelle n’est pas connue à tout le monde, qu’il semblerait que ce serait pure délicatesse qui le lui ferait désirer… Cela n’empêcherait point que, quand pour le bien des affaires publiques, le roi prendrait résolution de dénier à quelque prince quelque prétention, il ne le lui dît fort fermement, car ce qu’il propose est sans fard, proportionné à ses infirmités, et non à aucun dessein qu’il ait de s’exempter de la mauvaise volonté du tiers et du quart quand ce sera pour le bien public, etc.[13]. »

Pour entrer au conseil, Richelieu montrait sa béquille ; à peine entré, il la rejeta. Le lendemain du jour où il eut pris le portefeuille des affaires étrangères, il parlait déjà en maître. La pourpre romaine dont il était revêtu lui assurait de plein droit une préséance que ses collègues renoncèrent d’ailleurs dès l’origine à lui disputer, et cet homme qu’on avait vu si humble sous le maréchal d’Ancre, si souple sous Luynes, déploya tout à coup une hauteur de commandement inattendue. C’est qu’il ne trouvait plus en face de lui aucune situation assez forte pour tenir tête à la sienne, et qu’il importait de dominer le roi sous peine de voir ce prince échapper à son ministre, pour accepter le joug de quelque obscur favori. Au moment où Richelieu entrait au conseil, le terrain était libre, et il fallait en devenir le maître, si l’on ne voulait tomber promptement. Aspirer à fixer l’esprit mobile de Louis néanmoins était une entreprise plus que chanceuse ; Richelieu y parvint en tirant parti des défauts autant et plus que des qualités du monarque.


L. de Carné.

  1. Mémoires de Sully, liv. XXVII.
  2. Mémoires de Richelieu, liv. V, année 1614. — Nous citerons toujours cet ouvrage sous le titre que lui a justement restitué M. Petitot dans sa collection. La plus faible partie de ce grand travail, antérieurement publiée sous le titre d’Histoire de la mère et du fils, avait été, sans nul motif plausible, attribuée à Mézerai, quoique des esprits sagaces y eussent depuis long-temps reconnu la main du cardinal de Richelieu lui-même. L’authenticité de ces Mémoires, dont l’original existe au dépôt des affaires étrangères, n’est pas contestable ; l’existence en est indiquée dans l’épître au roi qui précède le Testament politique, et ce dernier écrit n’a été détaché du corps même de l’ouvrage, comme le constate M. de Foncemagne, l’éditeur, que par la crainte qu’éprouvait le cardinal de ne pas vivre assez longtemps pour employer les matériaux rassemblés sous ses yeux dans le but de composer une histoire générale de son ministère. Une grande partie des Mémoires, et plus particulièrement ce qui se rapporte à la carrière active de Richelieu lorsqu’il fut devenu chef du conseil, est écrit par des secrétaires sous l’œil du ministre, quelques morceaux émanés de lui-même sont évidemment intercalés. Mais, la partie qui traite de la jeunesse de Richelieu, du ministère du maréchal d’Ancre et de l’exil de Marie de Médicis à Blois ne peut être sortie que de la plume même du cardinal, qui parle toujours en son propre nom, et dont la personnalité s’y révèle à chaque page de la manière la plus incontestable et quelquefois la plus naïve. De la respectueuse affection que Richelieu témoigne, dans les six premiers livres, à la reine Marie, sa bienfaitrice, il nous semble impossible de ne pas conclure que ceux-ci furent composés avant sa rupture avec cette princesse : quelques parties nous feraient croire qu’ils ont été écrits durant l’exil de l’évêque de Luçon à Avignon, après la mort du maréchal d’Ancre. L’ouvrage se termine quatre ans avant la mort du cardinal par le compte-rendu de l’année 1638.

    Le manuscrit des Mémoires devint, à la mort du cardinal, la propriété de la duchesse d’Aiguillon, sa nièce. M. de Torcy en obtint la concession lorsque, par ordre de Louis XIV, il fonda, en 1705, le dépôt des affaires étrangères dans le donjon du vieux Louvre. M. de Foncemagne, qui édita le premier, en 1764, le Testament politique, dont l’authenticité a été combattue par Voltaire avec tant de légèreté, paraît avoir été autorisé à en prendre lecture. La même faculté fut concédée quelques années plus tard à M. de Fontette, continuateur du père Lelong. M. Tabaraud a également cité le manuscrit des affaires étrangères dans son Histoire du cardinal Bérulle, publiée en 1817. Mais ce fut en 1822 seulement que, sous le ministère de M. le duc Matthieu de Montmorency, la publication intégrale en fut enfin autorisée. Du reste, lorsque l’homme se révèle aussi complètement dans son œuvre, on essaierait en vain d’en méconnaître l’origine. Le Testament et plusieurs livres des Mémoires appartiennent à Richelieu par l’excellente raison qu’il est impossible qu’ils soient d’un autre.

  3. Le peuple donna le nom de paulette au nouveau droit, parce que le traitant s’appelait Paulet. Voyez Levassor, Histoire de Louis XIII, liv. VI, et Mézerai, année 1604.
  4. Mémoires de Rohan, t. II.
  5. Apologie pour leurs majestés après l’arrestation de M. le Prince, Paris,
  6. Mémoires de Richelieu, liv. VIIIMémoires de Deageant, p.  48 à 61.
  7. Sobriquet donné aux partisans du prince de Condé, et dont l’origine est diversement expliquée par les historiens.
  8. M. de Châteaubriand, Études historiques.
  9. Levassor, liv. VI, tom. II.
  10. Mémoires de Richelieu, liv. VIII.
  11. Mémoires, liv. VIII.
  12. Mémoires de Richelieu, liv. XII.
  13. Au début de ce XVe livre, Richelieu cesse de parler à la première personne, et, à part certains morceaux dont la facture révèle la main du cardinal lui-même, l’ensemble de l’ouvrage se compose évidemment de notes et de mémoires écrits par des secrétaires et des metteurs en œuvre travaillant sous l’inspiration du ministre.